COM (2013) 715 final  du 17/10/2013

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 28/10/2013
Examen : 21/05/2014 (commission des affaires européennes)


Énergie

Textes E 8412 et E 8759

Sûreté des installations nucléaires en Europe

COM (2013) 343 final et COM (2013) 715 final

Rapport d'information de Mme Françoise Boog et de M. Jean Bizet

(Réunion du 21 mai 2014)

M. Simon Sutour. - Nous allons maintenant entendre la communication de Françoise Boog et Jean Bizet qui vont nous présenter leur rapport d'information sur la sûreté nucléaire.

Que l'on soit pour ou contre l'énergie nucléaire, la sûreté doit figurer au premier rang des priorités européennes. Avec Jean Bizet, nous avions présenté ici-même, en mai 2011, un rapport d'information sur cette question. Nous avions fait valoir qu'après la catastrophe de Tchernobyl en 1996 et l'accident de Fukushima de 2011, il n'était plus possible d'imaginer un nucléaire à deux vitesses ou « low cost ». Ce modèle économique est révolu. L'opinion publique attend légitimement des réponses crédibles. Tout l'enjeu d'une approche européenne est donc de parvenir à tirer vers le haut le niveau de sûreté dans chaque État membre.

Dans une résolution européenne que nous avions présentée, le Sénat avait retenu une série de recommandations. Elles portaient notamment sur l'indépendance des autorités nationales chargées de la sûreté nucléaire. Nous avions aussi demandé un développement des obligations des États membres et des opérateurs en matière de transparence et d'information du public ainsi qu'une extension des évaluations par les pairs.

Le rapport d'information qui nous est présenté aujourd'hui permet donc de faire un point sur l'état de cette importante question trois ans après. Et ce dans un contexte où a été engagée la révision de la directive de 2009 qui fixe les principes applicables au niveau européen.

Je donne la parole à Françoise Boog et Jean Bizet.

Mme Françoise Boog. - Cette nouvelle étude que nous avons menée sur la sûreté nucléaire, à l'occasion du projet de la Commission modifiant la directive de 2009, a confirmé que la sûreté est pour tous les acteurs du secteur une priorité absolue et qu'elle est en constante amélioration.

La directive dite « Sûreté nucléaire » de 2009 a toujours été considérée comme une première étape. Après l'accident de Fukushima en mars 2011, le mouvement ne pouvait que s'accélérer et l'actualité a placé la question de la sûreté nucléaire sur le devant de la scène, mais aussi au coeur du débat sur l'avenir du nucléaire et sur la transition énergétique.

La sûreté nucléaire apparaît aujourd'hui comme une priorité européenne et il est clair aussi qu'elle constitue un avantage compétitif majeur pour les industriels européens de la filière, car ils ont une petite longueur d'avance dans ce domaine.

On ne doit pas cacher que l'opinion publique est inquiète, même en France où nous pouvons nous prévaloir d'un très haut niveau de sûreté grâce à la qualité des centrales nucléaires et grâce à l'action et à l'indépendance reconnues de l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), mais dans notre pays nous avons la culture du doute. Il est donc légitime de répondre à cette inquiétude. En conséquence, l'enjeu de l'approche européenne consiste à parvenir à hisser vers le haut le niveau de sûreté nucléaire dans chaque État membre et en particulier chez ceux qui n'ont pas encore atteint un niveau optimal. Le projet de modification de la directive de 2009 va naturellement dans cette direction en préconisant une évolution uniforme du cadre général européen en matière de sûreté nucléaire. Comme le résumait un opérateur, tout l'esprit de la sûreté nucléaire est contenu dans cette formule : « Rien de ce qui se passe à l'intérieur d'une centrale nucléaire ne doit avoir de conséquence à l'extérieur et vice-versa ».

La première directive sur la sûreté des installations nucléaires adoptée le 25 juin 2009 a sacralisé, sans les développer, les grands principes en matière de sûreté en résumant le travail de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et de l'Association des autorités de sûreté nucléaire des pays d'Europe de l'Ouest (WENRA). Cette directive a eu le mérite de fixer un cadre communautaire pour assurer le maintien et la promotion de l'amélioration continue de la sûreté nucléaire et de sa réglementation.

Il était logique que, suite à l'accident de Fukushima, qui aurait pu être évité si l'opérateur avait fait les travaux demandés par le régulateur, le Conseil européen décide en mars 2011 d'évaluer la résistance des centrales nucléaires européennes en cas d'événements extrêmes, et invite la Commission à procéder à l'examen du cadre législatif et réglementaire existant en matière de sûreté des installations nucléaires et à proposer toutes les améliorations qui lui sembleraient nécessaires.

C'est ainsi que la Commission a lancé des pistes de réflexion visant à l'amélioration du cadre communautaire existant en matière de sûreté nucléaire. Puis, le 13 juin 2013, après consultation et négociation, elle a adopté un projet de révision de la directive de 2009.

Il faut rappeler qu'il existe 132 réacteurs en activité sur le territoire de l'Union européenne et que certains États membres envisagent d'en construire d'autres, comme l'Angleterre en particulier. En outre une partie du parc nucléaire a vieilli et bientôt se posera la question de son renouvellement ou de son démantèlement. Un chantier nucléaire immense nous attend dans tous les cas de figure.

Certes, les tests de résistance effectués dans l'Union européenne à la suite de l'accident de Fukushima montrent que le niveau global de sûreté de ces réacteurs est satisfaisant. Toutefois, il est apparu que des améliorations pouvaient être apportées et que l'on constatait des divergences dans l'approche adoptée par les États membres dans ce domaine. La communication du commissaire Oettinger sur les « stress tests » a été malheureuse et alarmiste dans un premier temps, mais il faut rappeler que ces tests ont été très positifs.

C'est ainsi que le cadre européen pour la sûreté nucléaire sera actualisé par le projet de révision afin de prendre en compte les dernières avancées techniques intégrant les conclusions des tests de résistance et des analyses de l'accident de Fukushima.

Dans ce projet européen, on peut distinguer quatre points importants :

1 - Un renforcement de l'indépendance des autorités de sûreté

Toutes les autorités de sûreté nationale ne sont pas comme l'ASN des entités indépendantes du pouvoir exécutif ; il s'avère même souvent qu'elles sont un département du ministère de l'énergie. Certains États membres n'ont pas d'autorité de sûreté comme les Pays-Bas. La Commission, soutenue en cela par la France, souhaite que les autorités nationales voient leur rôle se renforcer et soient dotées des ressources et du personnel appropriés. L'ASN compte 450 collaborateurs.

2 - Prendre en compte chaque étape du cycle de vie d'une centrale

Le projet fixe de nouveaux objectifs de sûreté à chaque étape du cycle de vie des installations nucléaires (choix du site, conception, construction, mise en service, exploitation et déclassement). Cette exigence nouvelle découle de la maturité d'une partie du parc nucléaire. On pense que si la durée de vie de certaines centrales est prolongée, cela ne peut se faire qu'en s'entourant des mesures de sûreté adaptées (sur ce point, EDF investira 10 milliards d'euros). De même, le démantèlement des réacteurs qui seront fermés doit se faire dans les meilleures conditions.

3 - La revue par les pairs « Peer Review »

Le projet de révision institutionnalise le principe de la revue par les pairs, c'est-à-dire un système européen d'examen régulier par les pairs des installations nucléaires afin de vérifier le niveau de conformité technique de ces installations aux objectifs de sûreté.

Ces examens par les pairs, sur le modèle de ceux lancés par l'AIEA, permettront d'élaborer des lignes directrices techniques destinées à améliorer la sûreté nucléaire.

La question qui se pose est celle de leur périodicité, car il s'agit d'exercices lourds et coûteux. La négociation a porté aussi sur l'attribution du pouvoir de choisir le thème d'investigation et sur la place de la Commission dans le processus.

4 - Vers une plus grande transparence

Le projet de révision tend vers une plus grande transparence (certains préfèrent qu'on parle plutôt d'information) : les titulaires d'une autorisation d'exploiter des installations nucléaires et les autorités de surveillance seront tenus d'informer la population rapidement et régulièrement, en particulier en cas d'accident et les citoyens pourront participer davantage au processus d'autorisation des installations nucléaires. Je laisse la parole à mon collègue.

M. Jean Bizet. - Je vais vous parler des réactions au projet de la Commission.

Les réactions à la première mouture du projet ont été d'abord très mitigées, car la Commission semblait vouloir s'arroger un pouvoir centralisé et supranational sur les autorités de sûreté nationales. Après négociation, le texte corrigé fait consensus, la Commission ayant admis que la sûreté nucléaire devait rester une compétence nationale soumise aux normes internationales émises par les instances internationales où se retrouve l'ensemble des autorités de sûreté (AIEA / WENRA / ENSREG). Désormais, chacun s'accorde pour dire que sur un territoire donné, il ne peut y avoir qu'un seul gendarme de la sûreté nucléaire. Je crois qu'on peut remercier la Représentation permanente à Bruxelles pour l'excellente négociation qu'elle a menée.

1 - La position française et l'avis de l'Agence de Sûreté Nucléaire sur le projet de révision de la directive de 2009

Le 15 janvier 2014, l'ASN a rendu public son avis sur ce projet. L'ASN se réjouit du renforcement des dispositions sur la transparence et sur l'information du public ; elle salue la définition d'objectifs de sûreté pour les installations nucléaires couvrant toutes les étapes de leur vie et l'obligation de conduire des réexamens de sûreté décennaux.

Cependant, l'ASN demandait que la Commission lève toute ambiguïté sur la responsabilité du contrôle de la sûreté nucléaire et renforce davantage l'indépendance institutionnelle des Autorités de sûreté. Au-delà de la séparation fonctionnelle, ces autorités doivent être juridiquement indépendantes des autorités chargées de la politique énergétique. Sur le premier point, l'ASN a obtenu satisfaction, mais sur le second, il n'a pas été possible d'obtenir plus que l'indépendance fonctionnelle des autorités nationales de sûreté.

L'ASN recommandait de prévoir un mécanisme commun pour des examens thématiques de sûreté sous la responsabilité des Autorités de sûreté nationales faisant l'objet, au niveau européen, de revues et de suivi par les pairs, les résultats étant rendus publics et elle a été entendue.

Il faut rappeler que la France s'oppose à toute ingérence de la Commission dans les missions de sûreté de l'Autorité de sûreté. Pour la France, il est crucial de respecter le partage des compétences en matière de sûreté nucléaire et de veiller au caractère facilement transposable des dispositions de la directive. L'intervention de la Commission pour définir un sujet commun d'examen avec les États membres lors des revues périodiques n'est pas souhaitable : même si elle soutient le principe de la revue par les pairs, la France juge qu'il conviendrait que cette revue soit mise en place par les États et non pas imposée par la Commission. La Commission considère, pour sa part, qu'elle a un rôle d'initiative en collaboration avec les États membres et qu'elle se doit d'intervenir dans le cas où les États membres ne sélectionneraient aucun sujet d'examen. La négociation s'est conclue en faveur de la position française. La Commission sera simplement observateur grâce à son siège au Groupement européen des autorités de sûreté nucléaire (ENSREG).

2 - La position de la commission des affaires européennes du Sénat

Notre commission a voté le 25 mai 2011 une proposition de résolution dans laquelle elle soutenait la démarche des tests de résistance ainsi que le principe des tests périodiques en collaboration avec les pairs, appelant de ses voeux une révision de la directive de 2009. Sur ce point, nous avons donc été suivis.

Il ressort de cette résolution, et de l'ensemble des travaux précédents de la commission des affaires européennes dans ce domaine, que notre commission est parfaitement en phase avec les derniers développements du sujet ainsi qu'avec l'esprit du projet de révision à l'exception de divers points qui ont fait l'objet d'une négociation serrée et positive à Bruxelles comme par exemple le rôle de la Commission européenne.

En conclusion, je vous dirai que ma collègue et moi-même n'avons aucun doute que le texte de révision de la directive « Sûreté nucléaire » tel qu'il a été renégocié et tel qu'il est sorti de la réunion du Groupe des questions atomiques du mercredi 14 mai dernier va dans le bon sens. En matière de sûreté nucléaire, il convient d'adopter le principe dynamique d'une constante vigilance et d'une constante amélioration. C'est un domaine où il faut imaginer l'inimaginable. Une gestion saine de la sûreté nucléaire passe par la nécessité de poser des normes élevées et d'attendre que chacun les ait adoptées avant de réformer ces premières limites qui avaient d'abord été jugées indépassables. L'industrie demande qu'on la laisse atteindre un palier avant d'en proposer un autre. Cependant, chaque fois un nouveau palier d'exigence se profile.

Heureusement, le progrès technique vient étayer la sûreté nucléaire. On sait que les nouvelles centrales sont bien plus sûres et que le vrai problème qui se pose concerne naturellement les anciens réacteurs, ce qui conduit à la question de leur durée de vie et, de là, au choix de politique énergétique.

Quant à la question de savoir si le coût de la sûreté nucléaire est ou non proportionné aux bénéfices qu'on en retire, vos rapporteurs tiennent à rappeler qu'aujourd'hui, l'approche reste et devra encore rester que « la sûreté n'a pas de prix ». Les producteurs nous ont fait savoir que le renforcement constant de la sécurité avait renchéri le prix de l'électricité nucléaire mais qu'elle restait cependant compétitive pour l'instant mais qu'ils ne préjugeaient pas de la suite.

Il ressort de nos entretiens que la sûreté nucléaire est le souci constant des régulateurs et des producteurs. Il ressort aussi que la sûreté nucléaire ne cesse de progresser et que tous la perçoivent comme une ardente obligation.

Comme la production d'électricité d'origine nucléaire est aujourd'hui plus écologique et plus compétitive que les autres modes de production et que la question de la sécurité est traitée d'une manière toujours plus satisfaisante, le débat quitte le terrain technique et économique et se déplace maintenant sur le plan politique : quelle part d'énergie nucléaire voulons-nous ? Si nous voulons conserver la même part, il faut commencer à renouveler une partie du parc nucléaire. Si nous voulons une plus grande part d'énergie d'origine renouvelable, il faut aussi assurer la transition en renouvelant le parc nucléaire. Dans les deux cas, ce renouvellement plus ou moins extensif se fera dans les meilleures conditions de sûreté. Le projet de révision de la directive de 2009 y veillera dès qu'il aura été adopté, ce qui devrait arriver avant le 14 juillet prochain.

M. Simon Sutour, président. - À propos de M. Oettinger, je me souviens d'un débat à Chypre sur l'avenir énergétique où le commissaire a parlé quarante-cinq minutes sans prononcer une seule fois le mot « nucléaire », ce que je lui ai fait remarquer pour son plus grand déplaisir. L'énergie nucléaire tient une place importante dans mon département avec le site de Marcoule. Je partage votre opinion que la sûreté n'a pas de prix. Il faut donc élever toujours plus haut les standards dans ce domaine. Mais le « risque zéro » n'existe pas. C'est aussi le cas pour les autres sources d'énergie.

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À l'issue de ce débat, la commission a autorisé la publication du rapport d'information, paru sous le numéro 555.