COM (2013) 107 final  du 01/03/2013

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)

Examen : 20/03/2013 (commission des affaires européennes)


Le texte COM (2013) 107 propose de mettre en place un système européen de surveillance de l'espace et de suivi des objets en orbite, système dit SST (pour le terme anglais space surveillance and tracking). Depuis plusieurs décennies, un certain nombre d'objets et véhicules ont été lancés dans l'espace, au point qu'aujourd'hui les infrastructures spatiales (satellites et stations) sont menacées par un risque de collision avec toute sorte d'objets et débris dérivant dans l'espace. Ces objets peuvent également entrer dans l'atmosphère et causer des dégâts terrestres.

Face à cette menace - on estime à 140 millions d'euros par an le coût des dégâts occasionnés par les collisions - seuls deux pays en Europe sont actuellement en capacité de surveiller l'espace : la France et l'Allemagne. Ce qui rend l'Union européenne très dépendante des informations fournies par les États-Unis, mieux équipés en ce domaine. C'est la raison pour laquelle, l'ensemble des acteurs européens du secteur, dont la France, estiment nécessaire que l'Union européenne renforce sa capacité dans la surveillance de l'espace.

La Commission propose à cet effet la mise en place d'un programme qui reposera sur la mise en réseau des capteurs nationaux existants (radars, télescopes, satellites), l'établissement d'un système de traitement et d'analyse de données récoltées par le réseau de capteurs et l'instauration d'un système de fourniture de services aux opérateurs de véhicules spatiaux et aux autorités publiques. Aux termes du projet de décision, la Commission serait seule en charge pour mettre en oeuvre ce programme et gérer les fonds qui y sont alloués (près de 70 millions d'euros d'ici à 2020). Enfin, les informations issues de la surveillance spatiale étant très sensibles, leur utilisation et leur diffusion feraient l'objet d'un traitement spécifique, afin d'en garantir la confidentialité. Néanmoins, le nouveau programme ne devrait poursuivre que des finalités civiles.

Au delà de sa conformité au principe de subsidiarité, cette proposition de la Commission présente deux difficultés. Tout d'abord, quelle est la plus value réelle de l'Union européenne en ce domaine si de nouveaux capteurs ne sont pas créés au niveau européen ? Dans la mesure où le réseau existant repose principalement sur la France et sur l'Allemagne, les seules exploitation et mise en réseau des informations que propose le texte ne pourraient-elles pas se faire plus simplement par le biais d'un accord de coopération entre ces deux pays ? De plus, la question de la gouvernance du programme pose problème. Le rôle exclusif que la Commission s'attribue paraît difficile à justifier, au regard, notamment, du manque d'ambition européenne du projet.

Un examen au fond de ce texte par la commission des affaires européennes serait pertinent. En revanche, il n'y a pas d'atteinte proprement dite au principe de subsidiarité.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 08/03/2013
Examen : 05/06/2013 (commission des affaires européennes)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 646 (2012-2013) : voir le dossier legislatif


Recherche et propriété intellectuelle

Texte E 8141

Programme de soutien aux activités de surveillance de l'espace
et de suivi des objets en orbite (« SST »)

COM (2013) 107 final

Proposition de résolution européenne de M. André Gattolin

(Réunion du 5 juin 2013)

M. Simon Sutour, président. - Commençons par prendre de la hauteur en examinant la proposition de résolution européenne de M. André Gattolin relative à la surveillance de l'espace. Ce texte a été examiné au sein du groupe subsidiarité, qui a conclu à la nécessité d'un examen au fond.

M. André Gattolin- La proposition de décision de la Commission européenne sur la surveillance de l'espace concerne surtout les objets et les débris en orbite. Au préalable, j'aimerais vous rappeler un événement qui est passé relativement inaperçu, mais qui témoigne, à mon sens, de l'importance stratégique de ce sujet. En janvier 2007, la Chine a détruit un de ses propres satellites météorologiques pour démontrer sa capacité à procéder à des tirs antisatellites. La stupeur provoquée dans la communauté internationale tint alors moins à la puissance militaire chinoise qu'aux menaces que les 2 500 débris supérieurs à 10 cm et les plusieurs dizaines de milliers de particules ont soudain fait planer sur l'ensemble des satellites en orbites autour de la terre. Les conséquences d'une collision avec un débris de cette taille peuvent être catastrophiques pour un satellite, voire entraîner sa destruction !

La collision est le risque principal qui pèse sur les infrastructures et les véhicules spatiaux. C'est la raison pour laquelle la surveillance de l'espace est une activité stratégique, objet du projet de décision soumis au Sénat au titre de l'article 88-4 de la Constitution.

L'Union européenne est en train de devenir une grande puissance spatiale. Ses deux programmes phares, Galileo pour la géolocalisation et GMES (Global monitoring for environment and security) pour l'observation de la Terre, récemment renommé Copernicus, s'appuieront chacun sur une galaxie de 30 satellites. Il n'y a toutefois pas à ce jour de surveillance européenne de l'espace, celle-ci restant principalement assurée par la France et l'Allemagne. Elle s'appuie notamment sur le radar militaire français GRAVES, qui fait de la France le deuxième acteur mondial du secteur - certes loin derrière les États-Unis. L'Europe n'en a pas moins besoin d'une surveillance civile de l'espace, tant nos sociétés sont devenues dépendantes des services qu'offrent nos satellites.

C'est pourquoi la France demande depuis 2008 au Conseil que soit mis en place un programme de l'Union européenne. En dépit des performances françaises et de la bonne collaboration entre les ministères français et allemand de la défense, nous restons très dépendants des États-Unis. L'espace est en outre également devenu un enjeu pour les puissances émergentes comme le Brésil et la Chine. Cette dernière, comme la Russie, dispose sans doute de capacités de surveillance mais nous ignorons précisément lesquelles. Bref, pour conserver son avance, l'Union européenne doit disposer d'un programme de surveillance de l'espace, afin d'instaurer un système d'alerte portant sur le risque de collision et sur la rentrée des objets dans l'atmosphère.

Le programme envisagé à cette fin par la Commission reposerait d'abord sur la mise en réseau des capteurs nationaux existants (radars, télescopes, satellites) afin de surveiller et de suivre la trajectoire des objets spatiaux. L'établissement d'un système de traitement et d'analyse des données récoltées par le réseau de capteurs détecterait et identifierait ensuite les objets pour en dresser un catalogue. Enfin, le déploiement d'un système de fourniture de services aux opérateurs de véhicules spatiaux et aux autorités publiques serait nécessaire pour évaluer les risques de collision, détecter évaluer les risques d'explosions ou de destruction en orbite, et alerter des risques de rentrée d'objets dans l'atmosphère.

Ces services devraient être fournis aux États membres, au Conseil, à la Commission, au Service européen d'action extérieure (SEAE), ainsi qu'aux opérateurs publics et privés d'engins spatiaux et aux autorités publiques chargées de la protection civile, dans le respect de la protection des données à caractère militaire et stratégique.

La Commission seule serait en charge de la gouvernance du programme, donc de sa mise en oeuvre et de son suivi, de la gestion des fonds alloués et des risques associés, et de la garantie de la sécurité du programme en collaboration avec le SEAE. Enfin, elle devrait établir un plan de travail pluriannuel de mise en oeuvre par le biais de mesures d'exécution. En complément, le centre satellitaire de l'Union européenne (CSUE) serait chargé de la fourniture des services aux différents opérateurs de véhicules spatiaux.

Ce projet est très critiquable. Il y a une énorme disproportion entre l'investissement minime de l'Union européenne dans ce programme et sa mainmise sur un dispositif et des infrastructures qui relèvent au départ de la souveraineté des États membres. Les informations recueillies de la surveillance de l'espace sont des informations sensibles. Le radar GRAVES est un radar militaire, qui vise d'abord à observer la présence dans l'espace de satellites qui menaceraient notre sécurité. On ne saurait créer un système civil de surveillance de l'espace sans associer les États membres à sa gouvernance, surtout lorsqu'ils fournissent les informations...

En outre, le CSUE est une agence dont la mission principale est la production et l'exploitation d'informations résultant de la surveillance de la Terre depuis l'espace, ce qui diffère grandement de l'observation de l'espace depuis la Terre. Le CSUE est en effet dépourvu des compétences en trajectographie nécessaires pour évaluer l'évolution des orbites des débris spatiaux. Vouloir le faire participer, en l'état, à un dispositif de surveillance de l'espace est très maladroit de la part de la Commission. Celle-ci n'apporte pas même la preuve d'une réelle ambition européenne pour ce programme : elle propose la mise en réseau de capteurs existants, mais ne prévoit ni d'investir pour les moderniser, ni de créer de nouveaux radars au niveau européen. Le budget envisagé serait de 70 millions d'euros seulement pour les sept prochaines années.

En résumé, le programme serait européen parce que la Commission en aurait la charge, mais il continuerait à s'appuyer sur les mêmes infrastructures de surveillance et sur le savoir-faire des administrations de la défense française et allemande.

La France ne peut accepter que la Commission européenne nous demande de mettre à sa disposition un des radars les plus performants au monde sans contrepartie. La modernisation du radar GRAVES est nécessaire, et elle a un coût dont il est normal que la Commission assume une partie s'il doit être mis au service de l'Union européenne.

Nos partenaires européens pourraient toutefois se contenter du texte de la Commission. Beaucoup se satisfont des informations fournies par la France et l'Allemagne et un certain nombre d'entre eux, comme le Royaume-Uni, préfèrent rester dépendants des États-Unis plutôt que de dépenser de l'argent dans un nouveau programme. Dans une Europe où les décisions se prennent à 28, la France ne peut se permettre d'être isolée, même si, en la matière, elle est l'acteur principal.

Si nous voulons que les choses progressent, nous devons faire preuve de pragmatisme et de raison. Ces sept prochaines années, les avancées seront limitées car l'accord trouvé au Conseil sur le cadre financier pluriannuel laisse peu de place aux investissements dans la politique spatiale. Les programmes spatiaux sont des programmes de long terme et il vaut mieux de réelles avancées qu'un projet trop ambitieux ayant peu de chances d'aboutir.

C'est le sens de la proposition de résolution que je vous soumets. En matière de gouvernance, il s'agit de rappeler que nous soutenons la création d'un programme européen de surveillance de l'espace de nature civile, mais qu'il faut tenir compte du fait que les informations captées ont un caractère militaire et sont donc sensibles pour la sécurité des États. Ceux qui les fournissent ne peuvent être exclus du système de gouvernance. Les deux principaux acteurs, la France et l'Allemagne, doivent se rapprocher pour proposer une solution de nature à garantir la confidentialité des informations recueillies. J'ajoute que les États-Unis pourraient être légitimement tentés de restreindre la coopération qu'ils entretiennent aujourd'hui avec des pays comme la France si les informations qu'ils nous communiquent profitent à des États avec lesquels ils n'ont pas la même relation de confiance.

Les contraintes budgétaires vont limiter les investissements dans les infrastructures. C'est pourquoi, dans un premier temps, ils devraient se concentrer sur l'amélioration et la modernisation des infrastructures existantes. Notre gouvernement doit convaincre nos partenaires ainsi que la Commission que participer à la modernisation du radar GRAVES est l'investissement le plus judicieux qui puisse être fait.

Le budget alloué au programme est trop faible et il mérite d'être augmenté. La Commission envisage de recourir aux budgets des deux grands programmes Galileo et GMES-Copernicus pour alimenter le programme de surveillance de l'espace, alors que ces programmes ont vu leur enveloppe fortement réduite dans l'accord sur le CFP : il serait donc dangereux d'envisager qu'on les mette à contribution pour un autre objectif que le leur. Une autre solution mériterait d'être étudiée.

Je suis un européen convaincu, partisan de politiques européennes et d'une solution intégrée, mais en l'absence de centre de décision européen qui implique les principaux acteurs du projet, je vous invite à prendre en compte nos intérêts nationaux.

M. Jean-Paul Emorine. - Je partage votre analyse.

Quand le programme Galileo, dont on parle depuis longtemps déjà, sera-t-il opérationnel ? En attendant qu'il le soit, les États-Unis augmentent leur avance. En l'absence d'une Europe de la défense, les pays les plus équipés doivent continuer leur progression.

Ce programme coûterait 70 millions d'euros, dites-vous. J'ai visité Astrium : il faut 150 millions d'euros pour fabriquer un satellite, et autant pour le lancer... Ce programme sous-financé ne va-t-il pas inutilement nuire au financement de Galileo ?

M. Richard Yung. - Je comprends les arguments du rapporteur. Mais la solution alternative que vous appelez de vos voeux existe-t-elle ? Passe-t-elle par un rapprochement franco-allemand ? Par une solution à 27 ?

M. Yann Gaillard. - Je rejoins Richard Yung. C'est comme si nous n'avions pas le courage de dire que la position de la Commission européenne est mauvaise. Nous tournons autour du pot.

M. André Gattolin- Entendons-nous bien : la France demande un programme européen. Elle attendait une réponse plus étoffée que celle qui a été faite. Nous souhaitions un engagement européen. Nous ne récoltons qu'un dessaisissement des États membres qui agissent.

Renseignements pris aux ministères de la recherche et de la défense, un programme européen digne de ce nom coûterait jusqu'à un milliard d'euros. On peut néanmoins faire des choses utiles pour moins que cela : rénover GRAVES, ou investir dans un radar en Guyane - dont la France ne peut se doter seule. Notez en effet que la multiplication des sites de surveillance améliore la précision de celle-ci. La Chine ou la Russie aux immenses territoires le savent bien. Nous pouvons également nous rapprocher de la technologie allemande, fondée davantage sur les télescopes que sur les radars, ainsi que de l'Espagne, bien que son volontarisme ait été interrompu par la crise.

Certes, l'intervention en Libye a conduit la France à utiliser GRAVES au détriment de la fourniture d'informations à nos partenaires. Ces difficultés mises à part, la poursuite de ce programme demeure possible, mais dans un cadre interétatique autour des deux principaux pourvoyeurs de moyens et de technologie que sont la France et l'Allemagne, plutôt que de façon intégrée au niveau européen alors que l'Union n'apporterait pas les moyens nécessaires à une politique européenne. Que l'Union européenne se lance sans moyens dans une politique de défense est une source d'inquiétude.

Cette résolution a donc clairement pour but d'appuyer la position de la France au niveau européen. Pour l'instant, les Allemands semblent immobiles sur ce sujet. À terme, la création d'un programme budgétaire pluriannuel s'impose pour doter le programme d'un soutien conséquent. Vous voyez la difficulté dans laquelle nous sommes : demandeurs - c'est pourquoi nous n'avons pas invoqué le principe de subsidiarité - mais non satisfaits des conditions proposées.

Sous réserve que l'on ne ponctionne pas le budget de GMES, Galileo ne devrait pas être pleinement opérationnel avant 2019-2020, car la mise en orbite de près de 30 satellites exige des investissements colossaux. Une ponction de 70 millions d'euros peut sembler minime, mais ce serait entériner une forme de fongibilité des crédits qui réduirait à néant le principe même de la programmation budgétaire.

M. Simon Sutour, président. - Y a-t-il des objections à l'adoption de cette résolution ?

M. Yann Gaillard. - Plutôt de la résignation !

La proposition de résolution européenne est adoptée à l'unanimité dans le texte suivant :

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 189 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu la proposition de décision du Parlement européen et du Conseil établissant un programme de soutien à la surveillance de l'espace et au suivi des objets en orbite (Texte E 8141- COM(2013) 107 final)

Vu le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne,

Rappelle que l'Union européenne dispose d'une compétence partagée avec les États membres en matière de politique spatiale ;

Se félicite que l'Union européenne, notamment à travers ses deux programmes phares Galileo et GMES-Copernicus devienne un acteur mondial de premier ordre de la politique spatiale d'ici à 2020 ;

Rappelle que le risque de collision avec des débris et autres objets en orbite est désormais le principal danger pesant sur les infrastructures spatiales européennes ;

Constate qu'en raison des nombreux développements des systèmes spatiaux et de la dépendance de nos sociétés à leur égard, la surveillance de l'espace revêt désormais un aspect stratégique ;

Remarque que la surveillance de l'espace en Europe repose principalement sur les capacités françaises et allemandes ;

Constate que ces moyens ne sont pas suffisants, en l'état ;

Soutient la volonté de l'Union européenne de se doter d'une capacité efficace de surveillance de l'espace et de suivi des objets en orbite ;

Regrette néanmoins que la proposition de la Commission européenne susvisée ne réponde pas aux attentes des États membres et notamment de la France ;

S'inquiète du risque que fait courir la démarche de la Commission sur l'émergence d'un programme européen de surveillance de l'espace ;

Concernant la modernisation des infrastructures et la ressource budgétaire

Relève que la contrainte budgétaire pesant sur les finances publiques européennes oblige à une ambition limitée en matière de surveillance de l'espace ;

Juge cependant que le budget envisagé est insuffisant ;

Estime que les investissements doivent se concentrer sur la modernisation les infrastructures existantes et en premier lieu le radar français GRAVES, principale capacité de l'Union européenne ;

S'inquiète de la volonté de la Commission européenne de recourir aux programmes phares Galileo et GMES-Copernicus pour financer un programme de surveillance de l'espace ;

Propose que les financements soient apportés par le futur programme de recherche et d'innovation Horizon 2020 ;

Concernant la gouvernance du programme

Rappelle que les informations issues de la surveillance de l'espace sont des informations à la fois civiles et militaires et qu'elles revêtent de ce fait un caractère particulièrement sensible pour la sécurité des États ;

Soutient le projet de développement d'un programme européen civil de surveillance de l'espace ;

Estime que les États membres disposant de capacités militaires de surveillance doivent participer à la gouvernance du programme européen ;

Juge nécessaire que la France et l'Allemagne adoptent une position commune et proposent une solution à même de garantir la confidentialité des informations à caractère militaire recueillies par leurs systèmes de surveillance ;

Demande qu'une alternative à la participation du centre satellitaire de l'Union européenne dans le dispositif envisagé soit étudiée ;

Invite le Gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours.