COM(2012) 407 final  du 20/07/2012

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 02/08/2012
Examens : 25/10/2012 (commission des affaires européennes), 21/11/2012 (commission des affaires européennes)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 146 (2012-2013) : voir le dossier legislatif


Culture

Texte E 7553

Les capitales européennes de la culture

Communication de M. André Gattolin

(Réunion du 25 octobre 2012)

M. André Gattolin. - L'Union européenne a décidé de poursuivre sa politique des Capitales européennes de la Culture. Pour ce faire, un nouveau fondement juridique doit garantir une transition sans heurt en 2020 puisque le programme s'arrête en 2019 et que l'appel à candidatures doit être lancé six ans avant l'année où le titre de capitale est décerné, d'où le projet de décision du Parlement européen et du Conseil, qui institue une action de l'Union en faveur des Capitales européennes de la Culture pour les années 2020 à 2033.

Le titre de Capitale européenne de la Culture est attribué pour un an à une ville européenne, suivant une idée lancée le 13 juin 1985 à l'initiative conjointe de Melina Mercouri, ministre grecque de la culture, et de Jack Lang, ministre français de la culture. Le but était de rapprocher les citoyens de l'Union européenne et de célébrer la culture européenne. A tout seigneur, tout honneur : Athènes a été la première ville à obtenir ce titre.

Les Capitales européennes de la Culture s'insèrent dans un programme « Culture » plus large. L'actuel, qui couvre la période allant de 2007 à 2013, dispose d'un budget de 400 millions d'euros pour des projets et des initiatives destinés à mettre à l'honneur la diversité culturelle de l'Europe et à promouvoir son patrimoine culturel commun grâce au développement de la coopération transfrontalière entre les acteurs et les institutions du secteur culturel. Il a trois objectifs principaux : favoriser la mobilité transfrontalière des personnes travaillant dans le domaine de la culture, encourager la circulation transnationale des productions culturelles et artistiques, et promouvoir le dialogue entre les cultures des différents États membres. Pour atteindre ces ambitieux objectifs, il soutient les actions culturelles, les organismes culturels européens et les activités d'analyse et de diffusion. C'est dans le volet « soutien aux actions culturelles » que se trouve la rubrique « mesures spéciales », où figure l'appui aux Capitales européennes de la Culture.

Action communautaire à partir de 1999, le programme « Capitales européennes de la Culture » est devenu au cours du temps l'événement culturel le plus prestigieux et le plus visible de l'action culturelle de l'Union : 40 villes ont déjà reçu ce titre. Une ville n'est pas sélectionnée seulement pour l'emblème culturel qu'elle incarne, elle l'est aussi pour le programme culturel qu'elle accepte de mettre en oeuvre pendant une année. Lorsqu'une ville est nommée Capitale européenne de la Culture, elle se voit encouragée à mettre en valeur les traces de la richesse et de la diversité des cultures européennes sur son territoire, à célébrer les liens culturels qui l'unissent au reste de l'Europe et à faire se rencontrer sur son territoire des personnes de cultures européennes différentes. Tout le programme doit converger vers une plus grande compréhension mutuelle et renforcer un sentiment d'appartenance à la culture et à la civilisation européennes.

L'opération doit avoir des conséquences bénéfiques pour la ville en question, qui met un point d'honneur à régénérer le coeur historique de son territoire, à redynamiser sa vie culturelle, à renforcer son image internationale - des cités étaient tombées dans l'oubli après avoir changé de nom au cours de la tumultueuse histoire du XXe siècle -, à stimuler le tourisme ou encore le rayonnement de ses universités.

Depuis 2011, le Conseil des ministres de l'Union européenne décerne le titre de Capitale européenne de la Culture à deux villes chaque année, ce qui n'est peut-être pas une heureuse réforme, car elle crée une compétition ou un déséquilibre, ainsi du tandem Marseille et Kosice en 2013.

La procédure de sélection commence au moins six ans à l'avance, en fonction de l'ordre des États membres qui accueilleront l'événement. La ville, qui doit présenter une dimension européenne, s'impliquer dans la vie culturelle et artistique européenne, soumet un programme à un jury. Celui-ci vérifie que le programme proposé est adapté à la participation des habitants, qu'il présente un caractère durable, et qu'il fait partie du développement culturel et social à long terme de la ville. La candidate doit s'attacher à prévoir une participation publique à grande échelle capable de dépasser la seule population locale et qui s'adresse, en principe, à l'Europe toute entière.

Le jury examine aussi la gouvernance de la vie culturelle : il convient que la ville candidate  dispose d'une structure solide, gérée par des personnes compétentes, indépendantes des pouvoirs publics, mais bénéficiant de leur soutien. Naturellement, le budget, fiable, s'accompagne d'un engagement ferme des autorités locales et nationales comme des partenaires privés, sans oublier une stratégie de communication.

Les États reçoivent l'événement à tour de rôle et, une fois ce nouveau texte adopté, le calendrier sera fixé jusqu'en 2033. Chaque État membre est responsable de la présélection des villes ; il forme un jury national, étudie les candidatures puis recommande la ville qu'il a choisie. Le jury européen de sélection comprend dix experts indépendants et à la compétence culturelle reconnue, désignés par le Parlement, la Commission et le Conseil (trois chacun) ainsi que par le Comité des régions (un). L'État membre transmet le dossier de la ville sélectionnée au jury européen. Chacun des États membres concernés convie les membres du jury européen et les représentants des villes à une réunion de sélection définitive, neuf mois après la présentation. Le jury européen examine les candidatures, rédige un rapport sur l'ensemble des candidatures et conclut dans ce rapport par une recommandation. Après que le Parlement européen a donné son avis, le Conseil des ministres de l'Union déclare les villes retenues.

Une fois la ville nommée Capitale européenne de la Culture, sa préparation est supervisée par un comité de sept experts. Si ce jury de suivi considère que la ville a appliqué ses recommandations, la Commission peut accorder à la ville un financement, le prix Melina Mercouri, doté de 1,5 million d'euros.

Après vingt-cinq ans, il est apparu que la difficulté la plus courante est d'ordre budgétaire : le budget de la ville subit trop souvent les contrecoups de la manifestation, en amont comme en aval, alors qu'il conviendrait au contraire qu'il reste stable. Le coût supplémentaire pour les budgets publics devrait essentiellement être couvert par le mécénat et la participation des intérêts privés, ce qui peut ne pas toujours être le cas.

Trop souvent, la dimension européenne du titre est peu perçue, voire occultée, au profit d'une simple opération de promotion touristique. Enfin, dans la plupart des cas, l'opération ne s'inscrit pas dans une stratégie à long terme ou celle-ci s'est révélée impossible à cause de la taille de la ville ou de sa situation. Souvent, il n'y a aucun lien entre les deux villes choisies et les deux capitales sont simplement juxtaposées : ce sera le cas pour Kosice et Marseille.

Ne conviendrait-il pas de recadrer les objectifs européens ? La politique des binômes ne donne pas lieu à une coopération suffisante : or, avec l'inflation du label, on se trouve dans la curieuse situation d'avoir deux capitales. Une réforme aurait pour corollaire le retour à une seule capitale par an.

Nous avons auditionné deux de nos collègues, Mme Blandin et M. Gaudin, sur les candidatures de Lille et de Marseille - nous irons dans la cité phocéenne le 19 décembre. Devant le grand succès de l'opération conduite en 2004, la ville de Lille a lancé Lille XXL, Lille 3000, Lille Fantastic. Cette pérennisation est à porter au crédit de « Lille 2004 ». Plus discutable, la structure spéciale créée pour 2004 concurrence les services culturels de Lille. Positif pour la ville, le succès d'audience de l'opération n'a promu une conscience culturelle européenne ni parmi le public ni parmi les artistes.

Marseille s'investissait dans la culture depuis une quinzaine d'années : 600 millions engagés ! Là encore, malgré la richesse du programme, la dimension européenne n'est pas très affirmée. On attend 10 millions de touristes contre 3 millions en moyenne. En revanche, les ouvertures vers Kosice n'ont pas été payées de retour.

En somme, il s'agit bien de capitale de la culture, mais rarement de capitale européenne de la culture. Ces opérations sont bénéfiques mais leurs coûts ne sont pas toujours contrôlés et déséquilibrent souvent pour plusieurs exercices les budgets des communes retenues. Il faudrait peut-être imaginer un projet où tous les États qui le souhaiteraient feraient jouer, au profit de la ville choisie, une forme de solidarité, afin que l'entreprise ne soit pas une simple opération marketing pour une année.

Je n'ai pas voulu préjuger de la suite de mes réflexions. Je m'interroge sur le tourniquet, ainsi que sur l'importance de la dimension européenne de cette politique. Nous avons désormais le choix entre une résolution ou un avis motivé.

M. Simon Sutour, président. - Je partage votre avis. Je connais le début de la procédure pour avoir, jeune secrétaire général de la ville d'Avignon, monté un dossier de capitale européenne de la culture - il est vrai qu'en 2000, plusieurs villes ont été retenues. Privilégions une ville unique, un caractère européen plus marqué, et un investissement européen plus fort de l'Union européenne. Il s'agit actuellement davantage d'une opération de promotion de la ville, avec des aspects positifs de rénovation parce que ce statut donne accès à des financements nationaux ou européens.

M. Bernard Piras. - Cela a eu des effets durables à Lille.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Merci de cet excellent rapport, qui éclaire les critères d'attribution du titre. Cet agenda jusqu'à 2033 donne le vertige : dommage pour ceux qui auraient des velléités... Si le système des deux capitales perdure, ne faudrait-il pas envisager une candidature partagée d'emblée comportant des coproductions, des engagements d'échanges entre deux ou trois villes ? Cette voie aurait l'avantage de sous-tendre la politique de coopération et de jumelage. Il est difficile de se satisfaire de la juxtaposition actuelle de deux capitales.

M. Simon Sutour, président. - Continuons à réfléchir dans la perspective d'une proposition de résolution : elle serait alors transmise à la commission des affaires culturelles qui travaillera sur le sujet, et fera connaître notre position au Gouvernement. Autre possibilité, un avis politique à la Commission. Nous reviendrons donc bientôt sur le sujet pour prendre position.

Capitales européennes de la culture
(texte E 7553)

Proposition de résolution européenne
et projet d'avis politique de M. André Gattolin

(Réunion du 21 novembre 2012)

M. Simon Sutour, président. - En accord avec Jean-Louis Lorrain, je vais tout de suite donner la parole à André Gattolin qui doit nous quitter.

A l'issue de la communication qu'il nous avait faite sur les capitales européennes de la culture, nous avions tous souhaité que notre commission prenne position, à la fois vis-à-vis du Gouvernement et vis-à-vis de la Commission européenne.

André Gattolin nous propose donc aujourd'hui deux textes :

- une proposition de résolution,

- un projet d'avis politique.

Je lui donne la parole.

M. André Gattolin. - Sans revenir sur le fond de cette question qui se retrouve à l'ordre du jour grâce à un projet de décision de Parlement européen et du Conseil instituant une action de l'Union en faveur des « Capitales européennes de la culture » pour les années 2020 à 2033, je vous présente aujourd'hui un avis politique et une proposition de résolution qui reprennent les pistes de réforme que nous avions évoquées le 25 octobre dernier.

J'ai pris note de vos suggestions et je les ai intégrées dans ma propre proposition. Je vous rappelle les axes de réforme de cet aspect de la politique culturelle de l'Union européenne :

- revenir à une dimension vraiment européenne des programmes mis en oeuvre par les villes capitales ; aujourd'hui, malheureusement, cela ressemble plus à un prix donné à une ville pour son action culturelle qu'à un titre véritable de « capitale européenne de la culture » ;

- revenir au but premier de cette politique : réunir tous les citoyens de l'Union dans la célébration de leur culture commune et renforcer leur sentiment d'appartenance à une même civilisation ;

- encourager une véritable solidarité de l'ensemble des États membres au projet de la ou des villes choisies ;

- enfin, revenir au choix d'une seule ville capitale par an ou, à défaut, dans le cas où on maintiendrait le choix de deux capitales annuelles, obliger les impétrantes à fonctionner, dès le dépôt de candidature, en binôme prêt à partager d'emblée des projets de coproduction et des engagements d'échanges.

Je vous rappelle, chers Collègues, que la proposition de résolution s'adresse au Gouvernement et que l'avis politique fait partie du dialogue politique direct que nous avons avec la Commission européenne depuis le traité de Lisbonne.

Mme Colette Mélot. - Je souhaite vous faire part de mon témoignage concernant Maribor, deuxième ville de Slovénie où je me suis rendue, et Mons (Belgique) qui se prépare pour 2015 ; il m'a semblé que l'on mettait tous les pays membres à l'honneur et cela m'a paru une très belle entreprise. Pour ma part, je suis effectivement favorable au choix d'une seule capitale annuelle.

Mme Bernadette Bourzai. - Je préfère une coopération bilatérale entre deux villes.

M. André Gattolin. - Je souhaite qu'on puisse rétablir un lien entre les capitales culturelles et la construction européenne.

M. Simon Sutour, président. - J'ai reçu un député slovaque qui a évoqué Kosice et je pense que nous serions tous très heureux de voir cette ville.

Je mets aux voix les deux textes.

*

A l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution européenne et à l'avis politique suivants :

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de décision du Parlement européen et du Conseil instituant une action de l'Union en faveur des « Capitales européennes de la culture » pour les années 2020 à 2033 (texte COM (2012) 407 final),

Prend acte avec satisfaction du fait que l'Union a proposé de poursuivre sa politique en faveur des « Capitales européennes de la culture » ;

Rappelle que le but de cette politique est de réunir tous les citoyens de l'Union dans la célébration de leur culture commune ;

Souligne que le programme « Capitales européennes de la culture », qui constitue la partie la plus visible et la plus prestigieuse de l'action culturelle de l'Union, doit toujours tendre, d'une part, à mettre en valeur les traces de la richesse et de la diversité de la culture européenne sur le territoire des villes élues « Capitale européenne de la culture » et, d'autre part, à célébrer les liens culturels qui les unissent au reste de l'Europe afin de renforcer le sentiment d'appartenance à la culture et à la civilisation européennes ;

Accueille en conséquence très positivement le dispositif de prorogation et de planification prévu par la proposition de la Commission pour assurer la perpétuation de cette politique ;

Juge nécessaire cependant de dresser un bilan de cette politique lancée en 1985 et, plus particulièrement, de l'appréciation du caractère véritablement européen des événements et programmes culturels mis en place par les capitales élues ;

Déplore que la dimension européenne soit souvent peu apparente ou totalement occultée au profit d'une simple opération de promotion de la ville ;

Souhaite, afin que les programmes proposés par les capitales élues ne soient pas simplement des programmes culturels ou des événements sans lien avec l'Europe, que le Gouvernement invite la Commission européenne à envisager une concentration de ses efforts sur une seule ville élue et accepte un retour au choix d'une seule capitale européenne de la culture par an tel qu'il se pratiquait jusqu'en 2010 ;

Souhaite que, pour ce faire, le Gouvernement invite la Commission à renforcer, sous une forme laissée au choix des États membres, la nécessaire solidarité de l'ensemble des États membres au profit de la ville à laquelle est décerné le titre de « Capitale européenne de la culture » ;

Souhaite, s'il n'était pas possible de revenir à l'élection d'une capitale culturelle unique chaque année, que les deux capitales choisies fonctionnent dès le dépôt de leurs candidatures comme un binôme qui partagerait d'emblée des projets de coproduction et des engagements d'échanges.

Avis politique

Vu la proposition de décision du Parlement européen et du Conseil instituant une action de l'Union en faveur des « Capitales européennes de la culture » pour les années 2020 à 2033 (COM (2012) 407 final),

La commission des affaires européennes du Sénat :

- déplore que la dimension européenne de cette politique soit souvent peu apparente, voire totalement occultée au profit d'une simple opération de promotion de la ville à laquelle le titre est décerné ;

- souhaite que la politique des « Capitales européennes de la culture » reste un moyen de réunir tous les citoyens de l'Union dans la célébration de leur culture commune et de renforcer leur sentiment d'appartenance à une même civilisation ;

- souhaite également que cette politique ne reste pas l'affaire des seules villes choisies ou des États membres dont elles dépendent, mais soit au contraire l'occasion de déclencher un élan de solidarité de l'ensemble des États membres apportant leur soutien, sous la forme qu'ils souhaitent, à la ville choisie ;

- constate que le choix de décerner chaque année le titre de « Capitale européenne de la culture » à deux villes souvent très différentes par leur taille et par leurs moyens budgétaires nuit à l'efficacité de cette politique et ne conduit pas à une véritable célébration européenne de la culture ;

- demande, en conséquence, à la Commission de présenter une réforme de cette politique afin de revenir au choix d'une seule « Capitale européenne de la culture » par an ou, à défaut, si deux capitales devaient être choisies chaque année, de les obliger à fonctionner dès le dépôt de leurs candidatures comme un binôme prêt à partager d'emblée des projets de coproduction et des engagements d'échanges, avec le soutien de l'ensemble des États membres, laissant à chacun le choix de la forme que prendrait sa participation.