COM(2012) 124 final  du 21/03/2012

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 05/04/2012
Examen : 06/11/2012 (commission des affaires européennes)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 106 (2012-2013) : voir le dossier legislatif


Economie, finances et fiscalité

Texte E 7237

Réciprocité dans l'ouverture des marchés publics

COM (2012) 124 final

Proposition de résolution européenne de M. Simon Sutour

(Réunion du 6 novembre 2012)

M. Simon Sutour, président. - Les marchés publics ont un impact très important sur l'économie. Ils constituent un enjeu majeur pour la croissance et l'emploi. C'est pourquoi il paraît nécessaire que le Sénat se prononce sur la proposition de règlement présentée par la Commission européenne qui prévoit une série de mesures concernant la réciprocité dans l'accès aux marchés publics.

1/ Quelle est la situation actuelle ?

Les acteurs publics représentent une part importante du commerce mondial, de l'ordre de 1 000 milliards d'euros par an. Les produits et services achetés par les pouvoirs publics représentent environ 17 % du PIB de l'Union européenne.

Selon les estimations de la Commission européenne, les marchés publics ont une incidence sur au moins 22 marchés clés de produits et de services. Au total, le chiffre d'affaires des entreprises actives sur ces marchés pourrait dépasser 25 % du PIB de l'Union européenne et représenter 31 millions d'emplois.

Lors des négociations avec les pays tiers, l'Union européenne a toujours défendu une ouverture ambitieuse des marchés publics internationaux. Or force est de constater que cette position n'a eu que peu d'écho puisqu'un quart seulement des marchés publics dans le monde est ouvert à la concurrence internationale. L'Union européenne ouvre généreusement ses marchés publics aux pays tiers. Mais, en retour, nos entreprises subissent des pratiques discriminatoires dans ces mêmes pays.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 85 % des marchés publics de l'Union européenne sont ouverts aux pays tiers contre 32 % des marchés américains et 28 % des marchés japonais.

Je précise que les marchés publics ne sont pas couverts par les accords de l'OMC, qui régissent les échanges internationaux de produits et de services. Mais les pays industrialisés parmi lesquels l'Union européenne et 14 autres pays (dont les États-Unis, le Japon, le Canada et la Corée) sont parties à l'accord de l'OMC sur les marchés publics (l'accord AMP). En principe, ces États s'engagent à ouvrir mutuellement leurs marchés.

Or ces engagements ne sont pas tenus. Selon la Commission européenne, plus de 50 % des marchés publics susceptibles d'être mis en concurrence sont fermés par des mesures protectionnistes. En outre, 25 % sont ouverts de facto mais peuvent être fermés à tout moment. Les exportations inexploitées en raison de cette fermeture s'élèveraient à 12 milliards d'euros pour l'Union européenne.

Ce déséquilibre est d'autant plus marqué que l'Union européenne est allé plus loin dans ce domaine que les autres parties à l'AMP. Elle n'a en effet jamais transposé cet accord dans sa législation, en prévoyant par exemple, comme le permet l'accord, de n'ouvrir ses marchés qu'à hauteur des ouvertures consenties par ses partenaires. Certes, des mesures ont été prévues par une directive de 2004 pour les marchés publics passés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux. Mais elles n'ont pas été appliquées. La proposition de règlement propose d'ailleurs de les abroger au profit du nouveau dispositif qu'elle met en place.

L'Union européenne a par ailleurs accepté d'ouvrir ses marchés publics dans le cadre d'accords de libre échange conclus en dehors de l'OMC. Toutefois, à ce stade, elle n'a pas encore conclu d'accords avec la Chine et l'Inde.

J'ajouterai que, au titre des plans de relance adoptés pour lutter contre la crise, de nombreux États tiers n'ont pas hésité à retenir des mesures discriminatoires en matière d'accès aux marchés publics. De fait, la plupart des grands partenaires commerciaux de l'Union européenne appliquent de telles mesures à l'encontre des fournisseurs européens.

2/ Que propose le texte ?

Il précise tout d'abord que les pouvoirs adjudicateurs pourront exclure des procédures d'attribution de marché les produits et services non couverts par les engagements internationaux de l'Union européenne. Sont visés les marchés d'un montant supérieur ou égal à 5 millions d'euros lorsque la valeur des produits et services non couverts représente plus de 50 % de l'offre. Je précise - c'est très important - que cette exclusion ne pourra s'appliquer aux produits et services provenant des pays les moins développés qui bénéficient d'un régime dit de « préférence généralisée ».

Il reviendra à la Commission d'approuver l'exclusion envisagée par le pouvoir adjudicateur. Pour cela, elle pourra se fonder, lorsqu'il existe, sur un accord international qui prévoit des réserves explicites formulées par l'Union pour l'accès au marché. A défaut d'un tel accord, la Commission pourra se fonder sur l'application par le pays tiers de mesures restrictives qui entraînent un manque de réciprocité « substantielle ». Cette situation sera présumée lorsque les mesures restrictives se traduisent par des « discriminations graves et persistantes » à l'égard des opérateurs économiques de l'Union.

La Commission européenne pourra par ailleurs ouvrir une enquête externe sur des mesures restrictives présumées. Sur la base de cette enquête, elle pourra inviter le pays concerné à engager une concertation. Si l'absence de réciprocité substantielle n'est pas levée, la Commission pourra décider de limiter l'accès du pays tiers en cause aux marchés de l'Union. Cette limitation pourra prendre la forme d'une restriction d'accès, éventuellement sectorielle ou encore d'une pénalité de prix.

3/ Quelle appréciation pouvons-nous porter ?

L'absence d'accès réciproque aux marchés publics pénalise gravement les entreprises européennes. Non seulement, elles subissent des restrictions d'accès aux marchés de pays tiers. Mais en outre, sur le marché européen, elles subissent la concurrence déloyale d'entreprises qui, protégées sur leur marché domestique, peuvent se permettre de soumissionner sur le marché européen à des prix anormalement bas.

S'assurer que l'ouverture des marchés publics de l'Union européenne se réalise dans le cadre d'une réciprocité effective apparaît donc indispensable. On peut d'ailleurs regretter que l'Union européenne n'ait pas pris plus tôt conscience de cette exigence.

Mais mieux vaut tard que jamais. Il est urgent d'en finir avec cette naïveté de l'Union européenne dans ses relations avec les pays tiers. C'est pourquoi je crois que nous devons approuver cette initiative de la Commission européenne et inviter le Gouvernement à la soutenir. Il faut aussi se féliciter de l'appel du Conseil européen de juin dernier qui s'est prononcé pour un examen rapide de cette proposition.

Il me semble néanmoins que nous devons également insister sur les conditions de mise en oeuvre de ce texte. La Commission européenne devra faire preuve de fermeté pour faire prévaloir cette exigence de réciprocité vis-à-vis de nos partenaires commerciaux. Cela est vrai pour les pays tiers qui n'ont pas d'accord commercial avec l'Union européenne. Mais ce devra aussi être le cas pour des pays qui ont souscrit de tels accords et qui, pour autant, n'hésitent pas à faire subir des pratiques discriminatoires aux entreprises européennes.

En outre, la Commission européenne devra être très vigilante sur ce sujet lors de la révision de l'Accord sur les marchés publics et dans le cadre de la négociation d'accords commerciaux bilatéraux ou multilatéraux.

M. Jean-François Humbert. - Je souscris pleinement à ces analyses et je soutiens la proposition de résolution qui nous est proposée.

M. Alain Richard. - Ce texte de la Commission européenne constitue un progrès incontestable, même s'il est tardif.

M. Simon Sutour, président. - L'adoption par le Sénat de cette proposition de résolution européenne pourra appuyer la position de la France dans la négociation sur cette proposition de règlement.

*

A l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution européenne suivante :

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant l'accès des produits et services des pays tiers au marché intérieur des marchés publics de l'Union et établissant des procédures visant à faciliter les négociations relatives à l'accès des produits et services originaires de l'Union aux marchés publics des pays tiers (texte E 7237),

Souligne que les marchés publics constituent un enjeu majeur pour l'Union européenne dans le contexte des échanges internationaux ;

Juge indispensable que l'ouverture des marchés publics de l'Union européenne aux produits et services des pays tiers ne soit opérée que sous réserve d'une ouverture réciproque dans ces pays à l'égard des produits et services d'entreprises de l'Union européenne ;

Accueille, en conséquence, très positivement le dispositif prévu par la proposition de la Commission européenne pour veiller à une réciprocité en matière d'accès aux marchés publics et demande au Gouvernement de soutenir ce texte ;

Juge nécessaire qu'à compter de son entrée en vigueur, ce dispositif fasse l'objet d'une mise en oeuvre effective et complète par la Commission européenne lorsqu'il est établi qu'un pays tiers applique des mesures restrictives en matière de passation de marchés publics ;

Souhaite que le Gouvernement invite la Commission européenne à exiger une réciprocité effective pour l'accès aux marchés publics dans le cadre de la révision de l'Accord sur les Marchés publics et de la négociation d'accords bilatéraux ou multilatéraux.