COM (2011) 169 final  du 13/04/2011

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 22/04/2011
Examen : 25/06/2014 (commission des affaires européennes)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 665 (2013-2014) : voir le dossier legislatif


Économie, finances et fiscalité - Énergie

Texte E 6212

Taxation des produits énergétiques et de l'électricité

COM (2011) 169 final

Proposition de résolution européenne de Mme Bernadette Bourzai

(Réunion du 25 juin 2014)

M. Simon Sutour, président. - L'Allemagne a engagé son tournant énergétique, le gouvernement français vient de présenter un projet de loi sur la transition énergétique, Jean Bizet nous a exposé son rapport sur la coopération entre les deux pays à cet égard. La fiscalité peut jouer un rôle clé, mais l'unanimité est requise dans ce domaine. Ce sujet fait l'objet de négociations depuis trois ans, puisque la Commission a proposé en avril 2011 une directive modifiant les règles de taxation de l'énergie, dont il est important de connaître l'évolution.

Mme Bernadette Bourzai. - Cela fait plusieurs mois que je travaille sur ce sujet, mais je crains que vous n'ayez encore à y travailler longtemps. Le texte européen aura sans doute du mal à voir le jour, mais il est particulièrement d'actualité. Comme vous le savez, la Commission européenne a présenté le 13 avril 2011 - trois ans déjà - une proposition de directive visant à modifier les règles de la taxation de l'énergie dans l'Union européenne. L'objectif de la Commission était de réformer le cadre existant de la taxation afin de corriger les déséquilibres actuels d'une énergie à l'autre et d'un pays à l'autre et de mieux prendre en considération le contenu énergétique des produits et les émissions de CO2 qu'ils entraînent.

La Commission souhaite en effet encourager l'efficacité énergétique et la consommation de produits plus respectueux de l'environnement tout en évitant les distorsions de concurrence sur le marché intérieur. Actuellement, la taxation de l'énergie est régie par la directive de 2003 qui a déjà élargi le champ d'application du régime de taux minimum pour l'énergie à tous les produits énergétiques. Les niveaux de taxation que les États membres appliquent aux produits énergétiques et à l'électricité aujourd'hui ne peuvent être inférieurs aux niveaux minimaux prévus par la directive. Cependant depuis l'adoption de la directive de 2003, le cadre dans lequel elle s'exerce a fortement évolué sous l'influence des progrès technologiques, mais aussi grâce à la prise de conscience plus aigüe de la nécessité d'oeuvrer en faveur de la réduction des émissions des gaz à effet de serre.

Il s'en est suivi, dans le domaine de la consommation de l'énergie et de la lutte contre le changement climatique, des objectifs ambitieux définis jusqu'à 2020 dans le cadre du Paquet Énergie et climat adopté en 2009. La taxation de l'énergie constitue l'un des instruments dont disposent les États membres pour atteindre les objectifs fixés à la fois par ce paquet et par le Protocole de Kyoto. Aujourd'hui, dans son paquet Climat-énergie 2030, la Commission propose de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 ; l'Ademe nous a assuré que c'était un objectif réaliste.

Traditionnellement, la taxation de l'énergie répond à plusieurs objectifs, dont le principal est de générer des recettes pour l'État, mais aujourd'hui, il s'agit surtout d'inciter les consommateurs à utiliser l'énergie de manière plus efficace et à recourir à des sources d'énergie plus propres afin de lutter contre la pollution et contre son corollaire, le réchauffement climatique. Il faut reconnaître d'emblée que ce projet de directive contient en germe une augmentation générale du coût de l'énergie pour les ménages comme pour les entreprises ; c'est pourquoi le projet avance très lentement. Enfin on rappellera aussi que s'agissant de fiscalité, l'unanimité est nécessaire au sein du Conseil, ce qui rend la négociation d'autant plus difficile.

L'objectif de la réforme est triple : garantir un traitement fiscal cohérent des différentes sources d'énergie afin d'assurer une réelle égalité de traitement des consommateurs d'énergie, indépendamment de la source utilisée, ce qui passe par un alignement des taux pour les produits soumis à un même usage ; mettre en place un cadre adapté pour la taxation des énergies renouvelables ; créer un cadre pour la taxation du CO2 afin de compléter le signal de prix lié au carbone.

Cette réforme est rendue nécessaire d'abord car les niveaux minimaux de taxation varient considérablement d'un produit à l'autre. Certains produits sont favorisés par rapport à d'autres, le traitement le plus favorable étant réservé, contre toute attente, au charbon. Ensuite, il n'y a pas actuellement de lien adéquat entre le signal de prix donné par les niveaux minimaux de taxation fixés par la directive de 2003 et la nécessité de lutter contre le changement climatique. Troisièmement, bien que les combustibles et carburants provenant de sources renouvelables représentent une part de marché croissante, leur traitement fiscal au titre de l'actuelle directive se fonde toujours sur des règles définies à une époque où ils étaient des produits rares sur le marché. Le contenu énergétique plus faible de ces produits n'est de plus pas pris en compte, ce qui signifie que pour un taux de taxation identique, les taxes sur ces produits sont proportionnellement plus lourdes que celles qui frappent les produits fossiles concurrents. Enfin, les taxes sur l'énergie sont actuellement prélevées de la même manière dans tous les cas, que la limitation des émissions de CO2 soit assurée ou non par le régime d'échange de quotas. Il s'ensuit que les mécanismes destinés à limiter ces émissions prévus par la législation de l'Union peuvent se chevaucher ou faire totalement défaut.

La réforme proposée s'appuie sur une double taxation. Le Conseil envisage de distinguer la taxation de l'énergie spécifiquement liée aux émissions de CO2 résultant de la consommation de produits (taxation du CO2) et la taxation de l'énergie fondée sur le contenu énergétique des produits (taxation générale de la consommation d'énergie).

Deuxième point de la réforme : le principe absolu de la taxation du CO2, étendue aux produits énergétiques non couverts par la directive de 2003, sauf pour les entreprises déjà concernées par le régime des quotas.

Troisième proposition : une augmentation sensible de la taxation de l'énergie. Le projet révise les niveaux minimaux de taxation moyennant des périodes transitoires : 20 euros pour la tonne de CO2, 9,6 euros par gigajoule utilisé comme carburant et 0,15 euros par gigajoule utilisé comme combustible.

Quatrièmement : la proportionnalité de la taxation des carburants. Les États membres auraient l'obligation de reproduire dans leurs niveaux de taxation nationaux le rapport qui existe entre les niveaux minimaux de taxation fixés dans la directive pour les différentes sources d'énergie. Il s'agit de garantir que le traitement cohérent des différentes sources d'énergie s'applique également en ce qui concerne les niveaux de taxation fixés à l'échelon national. Pour les carburants, une période de transition sera nécessaire.

Le principe de l'égalité de la taxation des carburants est également affirmé. La possibilité pour les États membres d'opérer une différence entre le gazole à usage commercial et le gazole à usage privé utilisé comme carburant serait supprimée, car cette possibilité n'est plus jugée compatible avec l'exigence d'améliorer l'efficacité énergétique et la nécessité de limiter l'incidence croissante du transport sur la dégradation de l'environnement.

Enfin, dans un souci de simplification, le projet met fin à la distinction entre usages commerciaux et usages privés des produits énergétiques utilisés pour la production de chaleur et d'électricité. Les produits utilisés à un même usage - carburant ou combustible - se verraient appliquer les mêmes taux de taxation pour la part CO2 et la part énergie lorsque la directive fixe des minima de taxation identiques pour ces produits. En France, cela conduirait à faire converger rapidement les niveaux de taxation de l'essence et du gazole. Le projet de directive limite en outre les possibilités de réduction des taux et d'exonération au seul volet énergie de la taxe. La part liée au contenu carbone serait supportée de manière universelle et absolue par tous les acteurs économiques, y compris dans l'agriculture ou dans l'industrie non couverte par le régime des quotas introduit par le régime d'échange de quotas.

Le gouvernement français s'est dit très favorable à l'adoption d'une nouvelle directive permettant de taxer non seulement l'énergie mais également le CO2 émis. Il a toutefois exprimé une triple inquiétude. La France souhaite d'abord des aménagements ou des mesures d'accompagnement pour les secteurs qui seraient fortement affectés par la réforme : agriculture, pêche, transport routier, taxis, etc. Elle s'oppose ensuite à la suppression du mécanisme propre au gazole professionnel, rendu possible par la directive de 2003, qui fonde le remboursement des transporteurs routiers et autocaristes auquel procède aujourd'hui l'administration. Au nom du principe de libre administration des collectivités locales, elle s'oppose enfin à la limitation de 15 % des variations de taux autorisées par la proposition de directive au niveau régional.

Un mot sur l'état de la négociation. Tous les États membres ne l'abordent pas sur un pied d'égalité. Les États du Nord de l'Europe, en particulier la Suède et l'Allemagne, sont déjà bien avancés dans le domaine de la taxation du carbone par rapport au reste de l'Europe. La Pologne souhaite conserver la priorité donnée au charbon peu cher et peu taxé qui alimente ses centrales thermiques et éviter de dépendre davantage du gaz russe. La France et la Belgique ont pris du retard dans la taxation du carbone.

Sans surprise, la négociation se révèle très difficile, car une forte opposition au projet s'est manifestée dès le début des négociations. L'Allemagne, le Royaume-Uni, la Pologne, les Pays-Bas et le Luxembourg sont en effet hostiles à la restructuration de la taxe en deux composantes. Sur la question du gazole professionnel, la France est soutenue par l'Italie, la Belgique, le Luxembourg et l'Espagne, mais la position allemande diverge. L'Italie soutient également le taux réduit pour les chauffeurs de taxi.

La modulation infrarégionale des taux a le soutien de la France et de l'Espagne, mais la Belgique et l'Italie s'y opposent. La Belgique, l'Italie, la Lituanie, le Portugal et l'Espagne sont favorables au régime d'exonération pour le secteur agricole, mais se heurtent à l'Allemagne, l'Autriche, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède.

Le texte sur lequel nous travaillons désormais est par conséquent très éloigné du texte initial : la part carbone est devenue facultative ; le principe de proportionnalité a été supprimé ; le gazole professionnel a été réintroduit, ainsi qu'une mesure de sauvegarde pour les taxis. Restent en discussion le niveau des taux applicables, l'abaissement jusqu'à zéro du taux réduit pour le secteur agricole, la possibilité d'un traitement différencié pour les biocarburants durables, l'articulation de la taxation des entreprises grandes consommatrices d'énergie, du système ETS et de la double composante de la taxe. La modulation régionale devrait encore faire l'objet d'une discussion approfondie.

Le projet de directive a ainsi été vidé de ses objectifs initiaux. Les États membres, pourtant très favorables à une fiscalité écologique, craignent qu'il renchérisse le coût de l'énergie, mine la compétitivité de l'Europe, fragilise des secteurs économiques particulièrement dépendants du coût de l'énergie, complexifie le traitement social de la précarité énergétique, et opacifie les conséquences de la taxation des énergies renouvelables en quête d'investissements.

Un consensus pourrait se dégager autour du principe du signal-prix : les prix devant refléter l'ensemble des coûts, le consommateur doit savoir, grâce au prix dont il s'acquitte et quelle que soit l'énergie qu'il utilise, le niveau d'empreinte carbone qu'il laisse sur l'environnement.

L'introduction de ce type de taxation entraîne dans un premier temps une augmentation du coût de l'énergie. Celle-ci devrait être compensée par des baisses proportionnées d'autres prélèvements obligatoires. La voie la plus raisonnable consisterait à compenser plutôt qu'exonérer les ménages et secteurs menacés par cette augmentation. Le système suédois pourrait servir de modèle : l'introduction en 1991 d'une taxe carbone, couplée à la diminution de moitié de la fiscalité sur l'énergie, et à une baisse de la fiscalité sur le travail et l'impôt sur le revenu, a en effet permis d'améliorer la situation économique à court terme, sans nuire outre mesure au pouvoir d'achat des ménages les plus vulnérables ni à la compétitivité des entreprises. Entre 1990 et 2007, les émissions de CO2 ont diminué de 9 % et la croissance annuelle moyenne a atteint 3 %.

Dans la conjoncture actuelle, l'enjeu est de démontrer que l'introduction d'une taxe carbone au sein d'une réforme fiscale équitable permettrait de recréer rapidement de la valeur économique et de la cohésion sociale. Ce texte européen a donc le mérite de remettre au coeur du débat la taxation du carbone. À ce stade des négociations, il ne va pas plus loin et nous risquons d'en reparler.

M. Simon Sutour, président. - Je vous remercie pour ce point d'étape.

M. Jean Bizet. - Je salue le travail remarquable de Bernadette Bourzai sur ce dossier aussi important que délicat, au coeur des problèmes de réindustrialisation de l'Europe.

L'exploitation du gaz de schiste aux États-Unis a bousculé l'environnement énergétique mondial. Si nous ne faisons rien, les délocalisations d'entreprises européennes vers les pays asiatiques à bas coût de main d'oeuvre seront doublées de délocalisations énergétiques vers les États-Unis.

Il faut souligner l'excellence du modèle français, fondé en grande partie sur le nucléaire, énergie décarbonnée donc protectrice de l'environnement. Le projet de loi relatif à la transition énergétique a d'ailleurs recadré les choses. N'oublions pas non plus que la France a longtemps été très en avance sur l'hydraulique, énergie la moins chère...

M. André Gattolin. - ...et la plus écologique !

M. Jean Bizet. - Il reste que le respect des directives relatives à la circulation des poissons migrateurs et à la qualité des eaux ne va pas sans poser problème : certains ouvrages, comme les barrages de Poutès ou celui de la Sélune, devront tout bonnement être effacés. En la matière, nous ne pourrons sans doute guère faire mieux.

La transition énergétique est incontournable. Nous l'avons évoquée hier avec Henri Proglio, auditionné conjointement par la commission des affaires économiques et la commission du développement durable. Nous importons pour 70 milliards d'euros par an d'énergie fossile, ce qui contribue grandement au déséquilibre de notre balance commerciale. Pour autant, la transition allemande n'est pas un modèle : elle a émis 736 millions de tonnes de CO2 en 2013 ; nous, moins de la moitié.

Renforcer le signal-prix de l'énergie est nécessaire. Cinq euros la tonne de CO2, c'est une plaisanterie. Un tarif de 30 ou 40 euros serait plus à même d'avoir des vertus éducatives. Taxer de manière différenciée les biocarburants durables : oui ! Mais on ne peut changer les règles du jour au lendemain. Nous sommes de plus en avance techniquement sur nos voisins allemands. Leurs méthaniseurs de première génération renchérissent considérablement le prix des terres.

En revanche, l'alignement de la taxation du gasoil routier et de celle du gasoil agricole provoquerait quelque émotion dans les campagnes. Le président Sutour dira que je défends toujours les agriculteurs...

M. Simon Sutour, président. - Je les défends également !

M. Jean Bizet. - Prêtons attention aux évolutions en cours aux États-Unis : le président Obama verdit progressivement la production d'électricité en contournant le Congrès. Ce n'est pas anodin. Le Clear Air Act impose la fermeture des centrales à charbon vieillissantes pour donner la priorité aux autres sources d'énergie, comme le gaz de schiste ; en conséquence de quoi l'Europe reçoit le charbon américain...

J'appelle la transition énergétique de mes voeux, mais je ne la crois possible qu'au niveau européen. Une coopération renforcée est indispensable en la matière, autour de la France, de l'Allemagne, du Royaume-Uni en dépit de son insularité, et de la Pologne. Le nucléaire français peut intéresser tout le monde, l'Allemagne au premier chef, qui a une aversion culturelle pour l'énergie nucléaire, mais en importe en cas de besoin.

Je voterai cette proposition de résolution, dont je partage l'esprit.

M. Yannick Botrel. - Merci pour cette présentation très intéressante. Je rejoins les propos de Jean Bizet : le but de cette proposition de résolution est louable. Il s'agit d'éviter, à terme, les effets de seuil et de lisser les conséquences des mesures envisagées. C'est une opération à risque, car elle aura des incidences sur de nombreux coûts. Les distorsions entre les économies des États membres sont déjà nombreuses : évitons d'en introduire de nouvelles. À chaque pays sa culture énergétique ; aucune n'est d'ailleurs plus vertueuse qu'une autre. Gardons-nous, en tout cas, de créer une nouvelle fracture entre États membres et entre leurs opinions publiques.

M. André Gattolin. - Cette proposition de résolution est équilibrée : je la voterai.

J'ignore s'il existe des politiques vertueuses. Je suis en tout cas le premier à critiquer la célérité de l'Allemagne, même si sa transition a des conséquences positives puisqu'elle a créé des centaines de milliers d'emplois et permis le dépôt de nombreux brevets dans les nouvelles technologies. Les États-Unis se sont également rapidement lancés dans la course. En France, je crains que la décision de confier aux grands énergéticiens la responsabilité de développer les énergies renouvelables crée des contradictions majeures et freine l'exploitation des brevets. Nous réclamons tous une Europe de l'énergie, mais nous avons également besoin d'une Europe des politiques industrielles. Or ses bases n'ont pas même été posées.

L'empreinte carbone est un indicateur important, mais ce n'est pas le seul. Frédéric Denhez a publié en 2011 une intéressante Dictature du carbone, contestant la propension générale à en faire le seul et unique instrument de mesure. Il a alors été rangé, parfaitement à tort, du côté des climatosceptiques et invité sur les plateaux télévisés... Il a pourtant raison : nous avons tendance à en faire trop avec le carbone, alors que toutes les conséquences sur les écosystèmes et les équilibres environnementaux ne sont pas liés au carbone. Au niveau international, l'attention portée au carbone est devenue exclusive. Réfléchissons-y.

M. Michel Billout. - Cette proposition de directive est centrée sur l'évolution du mix énergétique encouragée par la taxation. Or une véritable évolution du mix énergétique passera davantage par la politique industrielle. Il est justifié de modifier la taxation du diesel, carburant le plus polluant, mais c'est impossible à mettre en oeuvre du jour au lendemain sans mettre en péril des secteurs entiers et de nombreuses familles que l'on a encouragées à recourir au diesel pendant des années par des incitations fiscales. Distinguons les secteurs : pour les voitures, cela s'entend ; pour les camions et les tracteurs, c'est plus difficile. Clarifions les objectifs à atteindre d'ici 2020, avant d'augmenter la fiscalité en conséquence.

Taxer davantage la production d'énergie carbonée : d'accord, mais comment aider la Pologne à changer de modèle ? Faut-il l'encourager à extraire du gaz de schiste ? L'empreinte carbone de cette technique n'est sans doute pas des plus faibles. Il existe des techniques de production de charbon efficientes et propres, mais elles supposent de lourds investissements, sans parler de la captation du CO2.

Nous mettons la charrue avant les boeufs. Cette proposition de résolution tente certes de nous protéger, sur certains aspects du problème. Compenser la hausse des tarifs par la baisse proportionnée des prélèvements obligatoires me semble un voeu pieu...

M. Simon Sutour, président. - Ce n'est qu'une résolution...

M. Michel Billout. - Nous pouvons nous contenter de ces orientations, mais il conviendrait de saisir les commissions des finances, des affaires économiques et du développement durable pour approfondir ces questions.

M. Simon Sutour, président. - Cette proposition de résolution a été étudiée en lien avec la commission des finances et lui sera transmise.

Je rends la parole à Mme Bourzai, que je remercie à nouveau pour son travail. Ce sera son dernier rapport, puisqu'elle a décidé de ne pas se représenter.

Mme Bernadette Bourzai. - Merci à tous pour vos éclairages.

M. Bizet a raison de souligner les risques de délocalisations pour motifs énergétiques : ils sont réels.

L'Europe peine à trouver des solutions car les situations de ses États membres sont très différentes les unes des autres. Attention à ne pas doubler la fracture sociale d'une fracture énergétique.

La dictature du carbone était un titre choc. Nos compatriotes ne sont d'ailleurs pas tous conscients de ce que recouvre l'empreinte carbone, même s'ils sont parfois démarchés par des entreprises qui ambitionnent de calculer cet indicateur pour toutes les situations quotidiennes. Nous serions surpris de savoir ce que représente un simple déplacement en voiture pour faire les courses. En la matière, nous avons besoin de faire preuve de plus de pédagogie. Trouvons des indicateurs simples. La consommation d'énergie en est un, largement compris par les Français car...

M. André Gattolin. - ...ils payent leurs factures !

Mme Bernadette Bourzai. - Oui. Mais il reste des marges de progression.

M. Billout voit dans la réforme globale du système de taxation un voeu pieu : la Suède y est pourtant parvenue, sans altérer ses capacités de développement. La loi de finances pour 2014 allait dans le bon sens, en créant deux mécanismes fiscaux sans augmenter la taxation globale de l'énergie ni porter atteinte au niveau des ressources.

M. Simon Sutour, président. - Cette proposition de résolution semble faire l'unanimité.

*

À l'issue de ce débat, la commission a adopté à l'unanimité la proposition de résolution suivante :

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2003/96/CE du Conseil restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité [COM (2011) 169],

Considérant qu'il est nécessaire de s'inscrire dans la stratégie de 2020 en réduisant de 20 % les émissions de gaz à effet de serre, de porter à 20 % la proportion d'énergie consommée d'origine renouvelable et d'atteindre une efficacité énergétique de 20 % et de se préparer aux nouvelles propositions de la Commission dans son paquet climat-énergie 2030 qui propose de réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030,

Considérant que la fiscalité sur les produits énergétiques et l'électricité est, parmi d'autres, l'un des instruments permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre ainsi que d'améliorer l'efficacité énergétique, en favorisant les économies d'énergie,

Considérant par conséquent que le principe d'une taxation des produits énergétiques et de l'électricité selon deux critères objectifs, l'un relatif aux émissions de CO2, l'autre relatif à leur contenu énergétique et par conséquent à la quantité d'énergie consommée, peut représenter un progrès par rapport aux niveaux actuels de taxation à la quantité d'un produit, sans tenir compte de ses capacités énergétiques ni de son contenu intrinsèques,

Considérant également que la taxation au même niveau des produits ayant le même usage, conforme au principe de neutralité fiscale, est tout autant justifié,

Considérant cependant que sont aujourd'hui très mal mesurés les effets qu'une telle réforme entraînerait sur les prix, tant pour les ménages que pour certains secteurs économiques, dont la compétitivité et la pérennité en Europe seraient menacées en l'absence de mesures adaptées,

Estime qu'il convient de modifier les règles de taxation de l'énergie afin d'encourager l'efficacité énergétique et la consommation de produits plus respectueux de l'environnement mais que deux écueils majeurs doivent cependant être évités : premièrement que le renchérissement de l'énergie entraîne des distorsions de concurrence entre les États membres et entre l'Union européenne et le reste du monde, et deuxièmement, que ce renchérissement rende plus sensible encore la précarité énergétique ;

Fait valoir que, quelle que soit la structure de taxation de l'énergie adoptée, cette taxation doit respecter le signal-prix, c'est-à-dire qu'il faut que le consommateur sache, grâce au prix et avec exactitude, quelle que soit l'énergie qu'il utilise, le niveau d'empreinte carbone qu'il laisse sur l'environnement, selon le principe que les prix sont faits pour refléter l'ensemble des coûts et en conséquence, le coût environnemental ;

Considère que l'augmentation annoncée du coût de l'énergie et de sa taxation doit être compensée par des baisses proportionnées des autres prélèvements obligatoires ;

Souligne que d'une manière générale, il conviendrait, en cas d'augmentation importante du coût de l'énergie, d'opter en faveur de la compensation plutôt que de l'exonération des ménages et des secteurs d'activités qui seraient menacés par cette augmentation, sur le modèle de ce qui existe en Suède où la mise en place des taxes sur l'énergie et le carbone est allée de pair avec une réforme générale du système des prélèvements et des prestations compensatoires ;

Estime que plus le prix de l'énergie se rapprochera de son coût véritable comprenant donc le coût environnemental, meilleur sera le signal envoyé aux entreprises et aux ménages de manière à les inciter à des gains accrus d'efficacité et d'innovation ;

Souhaite que le Gouvernement, tant que les principes énoncés plus haut ne sont pas respectés, veille au maintien du régime particulier des transports locaux de passagers existant au profit des taxis ;

Souhaite également que le Gouvernement, tant que ces mêmes principes ne sont pas respectés, veille au respect de la libre administration des collectivités territoriales pour la taxation locale de l'électricité comme pour la différenciation régionale de la Taxe intérieure de consommation des produits énergétiques et soutient le Gouvernement dans sa demande du maintien de la  dérogation existant en matière de modulation régionale de la taxation des carburants jusqu'à fin 2016 ;

Souligne qu'en tout état de cause, la directive révisée devra mentionner explicitement que, dès lors que les minima sont respectés, il reste loisible aux États membres de moduler ces taxes à un niveau infranational, de faire voter leur tarif  et de les faire percevoir par leurs collectivités territoriales ;

Demande au Gouvernement d'empêcher la création d'une distorsion de concurrence pour le transport routier en maintenant la faculté de découplage de la taxation du gaz professionnel et du gaz particulier pendant une période de transition suffisamment longue ;

Demande au Gouvernement de mesurer les difficultés que risque de provoquer l'alignement tarifaire du gazole sur l'essence pour le secteur automobile ;

Réitère son inquiétude sur l'incertitude des aménagements obtenus afin de reconnaître la spécificité du secteur agricole et celle du secteur de la pêche ;

Recommande au Gouvernement d'exercer la plus grande vigilance afin de s'assurer que des mécanismes adéquats sont mis en place pour les « entreprises électro-intensives » ;

Appelle le Gouvernement à exiger toutes les garanties nécessaires, en termes de périodes transitoires, avant la mise en oeuvre d'un texte qui, certes, est bon dans ses intentions mais qui serait susceptible de remettre en cause les grands équilibres économiques et sociaux dans le cas d'une application trop rapide et trop peu différenciée.