COM (2009) 338 final  du 08/07/2009

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 20/07/2009
Examen : 16/10/2009 (commission des affaires européennes)


Justice et affaires intérieures

Droit à l'interprétation et à la traduction
dans le cadre des procédures pénales

Texte E 4597 - COM (2009) 338 final

(Procédure écrite du 16 octobre 2009)

Ce texte a été retenu par la COSAC au titre du contrôle de subsidiarité, dont les résultats ont été présentés lors de la réunion qui s'est tenue à Stockholm les 5 et 6 octobre 2009. Après examen, la commission des affaires européennes avait conclu que la proposition de décision-cadre respectait les principes de subsidiarité et de proportionnalité. On précisera que, dans le cadre de ce contrôle de subsidiarité, le secrétariat de la COSAC a reçu les réponses de 30 parlements/chambres de 24 États membres au total. Seulement, trois participants au test - le Bundesrat autrichien, la House of the Oireachtas irlandaise et la Kamra tad-Deputati maltaise - ont considéré que la proposition manquait au principe de subsidiarité.

Il revient à la commission d'examiner également ce texte au titre de l'article 88-4. Toutefois, avant de donner des éléments d'appréciation sur le fond du texte, il est nécessaire de rappeler le contexte dans lequel il est présenté ainsi que son contenu.

1°/ Le choix d'une approche graduelle après l'échec des discussions sur un précédent texte plus global présenté par la Commission européenne en 2004

Le Conseil de Tampere des 15 et 16 octobre 1999 a fait de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice la pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière tant civile que pénale au sein de l'Union. Ce principe suppose une confiance mutuelle des États membres dans leurs systèmes judiciaires respectifs et en particulier leur procédure pénale. C'est pourquoi, après un livre vert élaboré en février 2003, la Commission européenne avait présenté, en 2004, une proposition de décision-cadre pour définir un socle minimal de droits procéduraux accordés aux personnes soupçonnées d'avoir commis des infractions pénales. Outre le droit de bénéficier gratuitement des services d'interprétation et de traduction, ce texte prévoyait le droit à l'assistance d'un avocat, le droit d'être informé de ses droits, le droit à une attention particulière pour les personnes mises en cause vulnérables, le droit de communiquer avec les autorités consulaires et avec la famille.

Après l'échec des négociations sur ce texte, la Commission européenne a décidé de retenir une approche graduelle qui contribuerait à instaurer et à renforcer progressivement un climat de confiance mutuelle. Dans cette perspective, la nouvelle proposition de décision-cadre, qu'elle a présentée le 8 juillet 2009, tend à définir des normes minimales communes concernant le droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales conduites dans l'Union européenne. Elle est présentée par la Commission européenne comme le premier volet d'une série de mesures destinées à remplacer la proposition de décision-cadre de 2004.

En choisissant d'axer sa nouvelle proposition sur le droit à l'interprétation et à la traduction, la Commission européenne privilégie le droit qui a été le moins controversé lors des discussions sur sa proposition de 2004. Ce droit trouve son origine dans la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CEDH) qui, prévoit, dans son article 5, que « toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle. » et, dans son article 6 qui pose le principe du droit à un procès équitable, que « tout accusé a droit notamment à être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et de manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui » et de « se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. » Ces droits sont repris aux articles 6 et 47 à 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, auquel le traité de Lisbonne confère une valeur obligatoire. La portée de ces droits a été explicitée dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

2°/ Que prévoit la proposition de décision-cadre ?

Concrètement, ces droits à l'interprétation et à la traduction s'appliqueraient à toutes les personnes suspectées dans le cadre d'une infraction pénale jusqu'à la condamnation finale (y compris les recours éventuels). Ils seraient mis en oeuvre à compter du moment où la personne est informée qu'elle est soupçonnée d'avoir commis une infraction (par exemple, au moment de son arrestation ou lors de son placement en garde à vue). Les affaires donnant lieu à un mandat d'arrêt européen seraient également prises en compte.

L'interprétation devrait être assurée pendant la phase d'instruction et la phase judiciaire de la procédure, c'est-à-dire durant les interrogatoires menés par la police, le procès, les audiences en référé et les recours éventuels. Ce droit s'étendrait aux conseils juridiques prodigués au suspect, si son avocat parle une langue qu'il ne comprend pas. En outre, le suspect aurait le droit de recevoir la traduction des documents essentiels afin que le caractère équitable de la procédure soit préservé. Le mandat d'arrêt européen ferait l'objet d'une traduction. La Cour européenne des droits de l'homme a déjà eu l'occasion de spécifier que le droit à l'assistance d'un interprète vaut aussi pour les pièces écrites.

Les États membres devraient supporter les frais d'interprétation et de traduction. Il s'agit là de l'application du droit de bénéficier gratuitement des services d'un interprète, même en cas de condamnation, consacré par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. En outre, la proposition établit l'obligation d'assurer la qualité de l'interprétation et de la traduction. Elle précise, enfin, que cette définition de normes minimales communes n'aura pas pour effet d'abaisser les normes en vigueur dans certains États membres ou d'écarter les protections résultant de la convention européenne des droits de l'homme. Les États membres pourront toujours décider d'adopter des normes plus élevées que celles résultant de la proposition de décision-cadre

3°/ Quelle appréciation peut-on porter sur le fond ?

Sur le rapport de Pierre Fauchon au nom de la commission des lois, le Sénat avait jugé nécessaire, dans une résolution du 24 mars 2007, une harmonisation des droits procéduraux reconnus aux suspects sans attendre une modification des traités en vigueur. Le Sénat avait souhaité que les principes posés dans la décision-cadre présentent un caractère contraignant et général tout en préservant les régimes procéduraux particuliers applicables à certaines infractions tels que le terrorisme et la criminalité ou la délinquance organisées. Il avait aussi considéré que si l'opposition d'une minorité d'États membres ne permettait pas d'aboutir, il serait souhaitable de procéder par la voie d'une coopération renforcée ou, à défaut, d'accords interétatiques. Il avait, enfin, jugé utile d'établir un mécanisme de contrôle indépendant. On précisera qu'au cours des négociations, la proposition de 2004 avait été recentrée autour de quatre droits principaux (droit à un avocat, droit à l'information, droit à l'interprétation et à la traduction, droit à l'aide juridictionnelle).

La présente proposition traitant de l'un des volets du dispositif proposé en 2004 - celui concernant l'interprétation et la traduction - le soutien de principe que le Sénat avait apporté à la démarche d'harmonisation des garanties procédurales accordées aux suspects ne paraît pas devoir être remis en cause.

Toutefois, la proposition mériterait d'être précisée afin de lever toute ambiguïté quant à son champ d'application. Tout en approuvant la nouvelle approche proposée par la Commission européenne, le Gouvernement a ainsi relevé, qu'en l'état, le texte donnerait une conception très extensive du droit à l'interprétation. Or un lien devrait être établi entre ce droit et les actes de procédure auxquels la personne concernée est tenue d'assister (interrogatoires, audiences,...). En outre, le droit à la traduction des pièces de procédure devrait être clairement restreint aux hypothèses dans lesquelles la personne a accès au dossier, ce qui exclurait la phase préalable à la mise en examen. Enfin, une alternative entre traduction écrite et traduction orale devrait être prévue. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (Hermi c/ Italie, 18 octobre 2006) considère, en effet, qu'une traduction orale est suffisante, dès lors qu'elle permet au mis en cause d'avoir une connaissance suffisante du dossier pour organiser sa défense.

Au cours des négociations engagées dans le cadre du groupe de travail « droit pénal matériel » du Conseil, la présidence suédoise a tenu compte des observations de la France sur le lien entre le droit à l'interprétation et les actes de procédure. Le droit à la traduction pourrait ne s'exercer que dans la mesure où la personne a déjà accès aux pièces concernées « conformément au droit national ». Enfin, le principe d'une traduction écrite pourrait être atténué par la possibilité d'une traduction orale, à titre exceptionnel, « lorsqu'il n'est raisonnablement pas possible » de faire autrement.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte qui constitue une avancée dans l'harmonisation des droits procéduraux.