COM (2007) 743 final  du 20/11/2007

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 05/12/2007
Examen : 22/01/2008 (délégation pour l'Union européenne)


Élargissement

Communication de Mme Monique Papon
sur l'accord de stabilisation et d'association avec la Serbie

Textes E 3717 et E 3718

(Réunion du 22 janvier 2008)

M. Hubert Haenel :

Le Sénat a été saisi, le 5 décembre dernier, d'une part, de deux propositions de décisions visant à la signature et à la conclusion de l'accord de stabilisation et d'association (ASA) avec la République de Serbie (document E 3717) et, d'autre part, d'une proposition de décision relative à la signature et à la conclusion de l'accord intérimaire qui, comme c'est l'usage pour ce type d'accord, permettra que les dispositions commerciales et les mesures d'accompagnement entrent en vigueur sans attendre la ratification de l'ASA (document E 3718).

Jusqu'à présent, il ne m'avait pas semblé utile d'inscrire ce sujet à l'ordre du jour de notre délégation. En effet, dans un contexte régional marqué par les élections présidentielles serbes et la perspective d'une proclamation d'indépendance du Kosovo, il me semblait peu opportun de donner un feu vert immédiat à la signature d'un accord de stabilisation et d'association avec la Serbie sans attendre au moins le dénouement des élections nationales serbes.

Cependant, la présidence slovène de l'Union européenne a récemment affirmé son intention d'inscrire à l'ordre du jour du Conseil affaires générales, dès le 28 janvier prochain, la signature de l'ASA avec la Serbie. Le gouvernement français nous a avertis de cette intention car, si la question devait être soulevée au prochain Conseil, il devrait nous saisir en urgence pour pouvoir lever la réserve parlementaire.

C'est la raison pour laquelle, alors que nous allons entendre aujourd'hui l'ambassadeur de Slovénie, j'ai souhaité que nous puissions évoquer brièvement cette question avant son audition. Notre débat permettra d'éclairer la réponse que je serais amené à faire au Gouvernement si celui-ci devait nous demander de nous prononcer sur cet accord dans les jours qui viennent. Notre collègue Monique Papon, spécialiste de la région, a bien voulu préparer une communication sur la Serbie afin d'éclairer nos débats. Je lui donne donc immédiatement la parole.

Mme Monique Papon :

Comme vous venez de l'indiquer, le Sénat a été saisi récemment de l'accord de stabilisation et d'association (ASA) entre les Communautés européennes et leurs États-membres, d'une part, et la République de Serbie, d'autre part.

Je rappelle que la négociation de l'ASA entre l'Union européenne et la Serbie a débuté en octobre 2005 avant d'être suspendue en mai 2006 quand la Commission européenne a estimé que la Serbie ne remplissait pas la condition de coopération avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). Constatant certains progrès, la Commission européenne a ensuite décidé de reprendre les négociations en juin 2007. Celles-ci se sont achevées en septembre 2007 et l'accord a été paraphé en novembre 2007. C'est le texte de cet accord, que la Commission européenne transmet pour approbation et signature au Conseil, tout en soulignant que la signature de l'ASA doit encore être subordonnée à la coopération pleine et entière avec le TPIY. Après sa signature, l'ASA devra encore être conclu avec l'avis conforme du Parlement européen avant d'être ratifié par l'ensemble des États membres pour pouvoir entrer en vigueur. Pendant cette période, l'accord intérimaire s'appliquera.

En quoi consiste l'accord ?

L'ASA traite des questions suivantes : le dialogue politique avec la Serbie, le renforcement de la coopération régionale, l'établissement d'une zone de libre-échange dans les cinq ans suivant la date d'entrée en vigueur de l'accord, la libre circulation des travailleurs, la liberté d'établissement, et la prestation de services, l'engagement de la Serbie d'aligner sa législation sur celle de la Communauté européenne (notamment dans le domaine du marché intérieur), la coopération en matière de justice, liberté et sécurité, enfin la création d'un conseil de stabilisation et d'association chargé de superviser la mise en oeuvre de l'accord.

L'ASA n'est pas seulement un instrument technique, il est le premier élément de la politique de l'Union européenne à l'égard des Balkans occidentaux en vue de leur intégration européenne. Un accord de stabilisation et d'association constitue l'étape préalable à la reconnaissance du statut de candidat à l'adhésion.

Quelle appréciation porter sur la signature de l'ASA ?

Notre délégation s'est toujours attachée à suivre précisément le dossier des Balkans occidentaux. En novembre dernier, notre collègue Didier Boulaud présentait une communication sur ce thème, appelant l'Union européenne à s'impliquer davantage dans la région. Nous avons rappelé à plusieurs reprises « la perspective européenne des pays des Balkans », affirmée par le sommet de Zagreb en 2000. Il n'y a donc pas de doute que nous souhaitons que la Serbie rejoigne, dès lors que les conditions seront remplies, l'Union européenne.

Pourtant, faut-il signer immédiatement l'ASA avec la Serbie ? Je ne rentrerai pas dans les considérations techniques de l'accord, qui est dans la ligne de celles qui ont déjà été négociées avec les autres pays de la région, et qui n'appellent pas, à ce stade, d'observations particulières. Les deux questions fondamentales sont, d'une part, celle relative aux conditions qui étaient jusqu'à présent posées pour la signature de l'accord et, d'autre part, celle du moment qui serait choisi pour le signer.

Sur la première question, à savoir les conditions posées à la signature de l'accord, il faut rappeler les termes des conclusions du Conseil affaires générales du 3 octobre 2005, qui restent la référence : « Rappelant les résolutions 1503 et 1534 du Conseil de sécurité des Nations unies, le Conseil a souligné qu'il souhaitait que la Serbie-et-Monténégro agisse à présent avec détermination pour faire en sorte que tous les inculpés en fuite, et en particulier Ratko Mladic et Radovan Karadzic, soient enfin traduits en justice. Une coopération sans réserve avec le TPIY est indispensable pour parvenir à une réconciliation durable dans la région et lever un obstacle majeur à l'intégration européenne. ».

Après avoir, depuis des années, réclamé les arrestations de Mladic et Karadzic, l'Union européenne abandonnerait-elle ses principes en signant l'ASA avec la Serbie sans avoir obtenu ces arrestations ? On peut rappeler que les négociations d'adhésion avec la Croatie ont été ouvertes en octobre 2005 avant l'arrestation du général Ante Gotovina, qui a eu lieu seulement en décembre 2005. Il serait donc possible, pour la Serbie, de progresser dans le rapprochement avec l'Union européenne avant d'avoir atteint le résultat final, à savoir une arrestation de Mladic et Karadzic, d'autant que le pays n'en est pas au stade de l'ouverture de négociations, mais à un stade bien moins avancé. Pour autant, il faudrait au moins que l'intention de la Serbie de les arrêter soit claire pour que l'Union européenne ne donne pas l'impression de faire un pas en arrière. Pour cela, il faudrait par exemple que le nouveau procureur du TPIY, le belge Serge Brammertz, fasse publiquement état d'éléments permettant de conclure à la coopération « sans réserve » de la Serbie avec le TPIY, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Le sujet est extraordinairement sensible et au moins deux États, la Belgique et les Pays-Bas, en font un élément central, en refusant de signer un accord avec la Serbie en l'absence d'avancées substantielles. J'aurais aimé avoir vos éventuelles observations sur ce point.

La seconde question qui se pose à nous est le moment qui serait choisi pour la signature de l'ASA.

La Présidence slovène estime qu'en signant l'ASA le 28 janvier, soit entre les deux tours de l'élection présidentielle serbe, un message positif serait adressé à la Serbie qui la pousserait dans le camp « pro-européen », voire la lierait à l'Union européenne, de telle manière que ses réactions à une future indépendance du Kosovo seraient moins fortes que prévues.

Faut-il approuver l'idée d'une signature de l'ASA entre les deux tours d'une élection nationale ?

La question de l'intégration européenne est déjà un enjeu important dans la campagne présidentielle en Serbie, dont le premier tour a eu lieu le 20 janvier et le second tour aura lieu le 3 février prochain. Le président sortant Boris Tadic, pro-européen, est confronté au nationaliste Tomislav Nikolic. Il est certain qu'une signature de l'ASA aurait, du point de vue de l'Union européenne, l'intérêt de soutenir l'approche « pro-européenne » de M. Tadic en montrant que l'Union européenne est prête à faire des gestes en direction du pays.

Cependant, le risque est aussi grand que cette signature soit perçue comme une ingérence négative dans le débat national serbe. Dans ce cas, loin d'être un atout pour le président Tadic, la signature de l'ASA pourrait provoquer une réaction d'opinion nationaliste.

Par ailleurs, certains nationalistes expliquent que derrière l'accord avec l'Union européenne se cache l'abandon du Kosovo. Le porte-parole de la Commission a dû réaffirmer début janvier que « l'accord de stabilisation et d'association et son contenu ont été négociés entre l'Union européenne et la Serbie en tant que partenaires égaux, sans préjuger du statut futur du Kosovo ».

De fait, l'idée que la signature de l'ASA aurait comme conséquence d'arrimer durablement la Serbie à l'Union européenne en l'empêchant d'avoir des réactions trop brusques après la proclamation d'indépendance du Kosovo, me semble particulièrement illusoire. Il faut rappeler que le Parlement serbe a adopté le 26 décembre dernier, à une très large majorité, une résolution « sur la sauvegarde de la souveraineté et de l'intégrité territoriale du pays » qui précise que seront réexaminées les relations diplomatiques avec tous les pays qui reconnaîtraient une éventuelle indépendance du Kosovo.

J'aurais aussi aimé connaître vos éventuelles observations sur ce second point, à savoir le moment qui serait choisi pour la signature de l'accord.

En conclusion, tout en soulignant la nécessité de garder un dialogue approfondi avec la Serbie, alors même que se prépare une mission PESD de l'Union européenne au Kosovo qui n'est d'ailleurs pas encore inscrite à l'ordre du jour du Conseil, il me semble, à titre personnel, que la signature de l'ASA devrait pouvoir attendre le résultat des élections présidentielles serbes et ne pas être précipitée, au risque d'ajouter à la confusion. En revanche, dès lors que le nouveau Président sera en place, et à la condition de clarifier la volonté de coopération avec le TPIY, la signature de l'accord avec le gouvernement serbe pourra être accélérée afin de témoigner de l'attachement de l'Union européenne à l'intégration de la Serbie. Encore faudra-t-il évidemment que le pouvoir en place à Belgrade accepte cette démarche, mais cela relève évidemment de la seule décision des dirigeants serbes.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Vous avez parfaitement posé les deux questions fondamentales : faut-il intervenir au milieu des élections, donc avant le 3 février, d'une part, et que doit-on exiger des Serbes concernant la capture des généraux, d'autre part. Il me semblerait logique qu'il revienne au nouveau procureur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), M. Brammertz, de déterminer si la Serbie coopère ou non avec le tribunal.

M. Pierre Bernard-Reymond :

Oui, Monsieur le Président, nous sommes dans la plus brûlante actualité. Je partage tout à fait les conclusions de notre rapporteur. Je pense qu'il n'y a pas lieu de se précipiter sur une signature, car les conditions générales pour la signature de l'Accord de stabilisation et d'association (ASA) avec la Serbie ne sont pas encore totalement réunies. En outre, la conjoncture actuelle, avec les élections présidentielles en Serbie, n'est guère favorable. Le seul élément qui pourrait faire hésiter serait la possibilité de pouvoir influencer positivement le résultat des élections en faveur du candidat pro-européen, mais la Serbie pourrait s'indigner contre une tentative d'ingérence de la part de l'Union européenne. De plus, je doute que l'électeur serbe de base soit parfaitement informé et influencé par les décisions qui seraient prises. Il ne faut donc rien faire pour l'instant. D'autant qu'il nous faut également nous méfier d'un éventuel camouflet, si la décision de signer l'ASA entre les deux tours de l'élection ne menait pas au résultat escompté. La Serbie pourrait très bien nous dire que l'Europe ne l'intéresse plus.

M. Hubert Haenel :

Lors du débat préalable au Conseil européen, j'ai insisté sur les conséquences que pourrait avoir le redécoupage des Balkans. On n'a pas assez conscience des répercussions que pourrait avoir l'indépendance du Kosovo pour la stabilité de la région. Cela pourrait donner de mauvaises idées à d'autres. Notamment, qu'en serait-il de la Bosnie-Herzégovine ? La partie serbe ne demandera-t-elle pas aussi son indépendance ? Et ne fera-t-on pas ensuite une nouvelle Albanie ? Et la Macédoine ? On ne sait pas où cela pourrait s'arrêter. Je redoute les conséquences d'une éventuelle victoire du candidat ultranationaliste pour la région. Je crains qu'il ne fasse une partie de ce qu'il annonce, même si ses propos comportent une part de menaces.

M. Pierre Bernard-Reymond :

Il est également question de la construction d'un pipeline avec la Russie dans la région.

M. Hubert Haenel :

Il est indéniable que la Russie exploite la situation au mieux de ses intérêts.

M. Christian Cointat :

Je crois que l'affaire est loin d'être réglée. Ce n'est quand même pas un hasard si les personnes recherchées par le Tribunal pénal international de l'ex-Yougoslavie arrivent à échapper à toute investigation. En plus, le flirt que l'on vient d'évoquer avec la Russie montre bien qu'il y a d'autres enjeux derrière. Et je crois que l'Europe a tout intérêt à ne pas se précipiter et à faire attention à la définition des politiques qu'elle mène à l'égard des Balkans. Il faut aussi veiller à ce que la Russie ne nous mette pas dans une situation difficile pour l'avenir. Donc, prudence, mais aussi présence. J'espère que le résultat des élections ne mettra pas l'Europe derrière le mur. Il vaut mieux qu'elle soit au pied du mur que derrière le mur.

M. Hubert Haenel :

Je constate que les orientations dégagées par Mme Papon recueillent l'approbation générale de la délégation. En tout état de cause, il nous faudra suivre de près ces questions dans les mois qui viennent.