COM (2007) 530 final  du 19/09/2007
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 13/07/2009

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 28/09/2007
Examen : 17/10/2007 (délégation pour l'Union européenne)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : voir le dossier legislatif


Énergie

Communication de M. Aymeri de Montesquiou
sur le troisième paquet de libéralisation
du marché intérieur du gaz et de l'électricité

Textes E 3642, E 3643, E 3644, E 3645 et E 3646

(Réunion du 17 octobre 2007)

Lors de ma précédente communication sur les questions énergétiques, le 13 février 2007, j'ai présenté à la délégation le plan d'action énergétique adopté par la Commission le 10 janvier en vue du Conseil européen de printemps. Ce plan d'action pour l'énergie comportait plusieurs communications portant notamment sur le marché intérieur du gaz et de l'électricité, les énergies renouvelables et la production d'électricité durable à partir des combustibles fossiles. Ces documents ne faisaient pas encore, à l'époque, l'objet de propositions législatives formelles. Soumis au Conseil européen des 8 et 9 mars 2007, ils ont fait l'objet d'un accord des chefs d'État et de gouvernement et ils constituent maintenant le « Plan d'action européen dans le domaine de l'énergie ».

Pour la mise en oeuvre de ce plan d'action, la Commission a adopté, le 19 septembre dernier, un premier ensemble de propositions législatives sous la forme d'un troisième paquet législatif de libéralisation du marché intérieur du gaz et de l'électricité. Il se compose de cinq textes : deux projets de directives et deux projets de règlements modifiant les précédentes directives et règlements sur le marché intérieur de l'électricité et du gaz et un autre projet de règlement portant création d'une Agence pour la coopération des régulateurs de l'énergie. D'autres actes législatifs devraient suivre dans les prochains mois avec, dès décembre, plusieurs autres projets de directives portant notamment sur les énergies renouvelables, la séquestration du carbone et la répartition des efforts entre États membres en matière de réduction des gaz à effet de serre.

Comme il fallait s'y attendre et comme je l'avais déjà souligné dans ma précédente communication, le point le plus délicat de ce troisième paquet législatif de libéralisation des marchés de l'électricité et du gaz est la séparation patrimoniale au sein des entreprises d'énergie entre les activités de production et de fourniture, d'une part, et les activités de transport, d'autre part. C'est ce point qui a soulevé la plus forte polémique avant même l'adoption de ces textes par la Commission. C'est ainsi que, dès juillet, neuf États membres constituant une minorité de blocage au Conseil - notamment la France, l'Allemagne, l'Autriche et le Luxembourg - ont adressé à la Commission une lettre commune rejetant par avance la séparation patrimoniale entre ces deux types d'activités. La Commission continue néanmoins à estimer qu'un actionnaire qui dispose de pouvoirs de contrôle dans une entreprise de production ne peut avoir d'intérêts dans un gestionnaire de transport - et réciproquement - et qu'une entité (par exemple un État actionnaire) qui dispose du pouvoir de nomination dans un gestionnaire de transport ne doit pas avoir d'intérêt dans une entreprise de production.

Je pense que la Commission, sur cette affaire, fait fausse route. On peut tout d'abord se demander si la séparation patrimoniale - et finalement le démantèlement des principales entreprises d'énergie européenne - est bien la meilleure et la seule réponse aux dysfonctionnements des marchés. Est-il si évident que l'insuffisance des investissements dans les secteurs de l'énergie soit uniquement liée à l'intégration verticale des entreprises ? Si on prend l'exemple des réseaux britanniques, la réalité semble beaucoup plus contrastée et elle n'appelle pas une réponse aussi tranchée, car l'un des déterminants fondamentaux de l'investissement dans le secteur du transport de l'énergie est plutôt celui de la rémunération escomptée par l'opérateur de réseau.

On peut ensuite s'interroger sur le fait de savoir si la séparation patrimoniale entraîne réellement une baisse des prix de l'énergie : dans les pays où existe une séparation patrimoniale complète - comme en Italie, aux Pays-Bas ou au Danemark - les prix ont eu plutôt tendance à augmenter. Les baisses de prix constatées - notamment en France - ne proviennent-elles pas plutôt de la mise en place de régulateurs disposant de pouvoirs importants et de réseaux de transport et de distribution indépendants, s'appuyant sur des outils performants de production en matière d'électricité ou sur des contrats d'approvisionnement en énergie de long terme pour le gaz ?

L'interdiction des participations - y compris minoritaires - entre entreprises, selon leurs types d'activités, se heurte également à de sérieuses réserves et elle pourrait surtout aller à l'encontre du but poursuivi en excluant les fournisseurs et les producteurs d'énergie des investissements dans les infrastructures de transport et de distribution.

La situation est en outre très différente selon qu'il s'agit du transport de l'électricité ou de celui du gaz, car la part patrimoniale des réseaux est très faible dans le cas de l'électricité, mais très importante dans le cas du gaz. Or, les projets de directive traitent de la même manière les deux types d'énergie.

Devant ces critiques, la Commission propose une solution faussement alternative dans laquelle l'entreprise de production pourrait conserver la propriété du réseau, ce dernier devant être géré par un opérateur totalement indépendant de l'entreprise ; l'indépendance de l'opérateur s'ajouterait à l'indépendance du régulateur.

De l'avis de la plupart des professionnels que j'ai consultés, les relations entre cet opérateur indépendant, les régulateurs - eux-mêmes indépendants - et les propriétaires des actifs semblent trop complexes pour pouvoir déboucher sur un système viable.

Le renforcement de la concurrence au sein d'un marché européen de l'énergie de l'électricité et du gaz me semble en revanche plutôt passer par une plus grande convergence des méthodes et des pratiques des autorités de régulation nationale, par la mise en place de mécanismes d'investissements transparents et par l'établissement de règles opérationnelles communes entre les États membres.

C'est pourquoi je ne peux que soutenir les propositions faites dans ce sens par la Commission dans ses projets : harmonisation et renforcement des pouvoirs des régulateurs nationaux, établissement d'un plan de développement européen des réseaux à 10 ans, mise en place d'une Agence de régulation européenne de l'énergie chargée d'encadrer la coopération des gestionnaires de réseaux de transport et de s'assurer que ces gestionnaires disposent bien de pouvoirs de décision spécifiques pour traiter les problèmes transfrontaliers.

En définitive, et comme cela était prévisible, les premières propositions législatives de la Commission en matière d'énergie confirment le déséquilibre de l'approche européenne. La politique de la concurrence reste prédominante. La politique étrangère inexistante. Or, c'est bien sur les marchés mondiaux que se joue maintenant l'avenir de l'approvisionnement de l'Europe en énergie.

La Commission a commencé à mesurer le danger de son approche. En matière de gaz, l'Europe est dépendante à 50 % de Gazprom et de la Sonatrach. Consciente des risques que le dispositif de séparation patrimoniale pourrait présenter au regard des fournisseurs extérieurs, la Commission a finalement inséré un dispositif « anti-Gazprom » dans les deux directives.

Ce dispositif prévoit que les opérateurs de pays tiers ne pourront investir ou prendre le contrôle des réseaux de l'Union européenne que s'ils respectent les mêmes exigences que celles qui s'appliquent aux opérateurs communautaires. Lorsqu'ils demanderont à la Commission la certification européenne qui est prévue par les directives, ils devraient alors apporter la preuve de leur conformité aux obligations de séparation patrimoniale pour pouvoir intervenir sur le marché européen.

Ce dispositif n'est pas totalement convaincant non plus. Outre des considérations tenant aux règles commerciales internationales, est-on certain que les pays exportateurs d'énergie sont prêts à se voir imposer des règles que nous autres, Européens, auront décidées à leur place et sans concertation ? Ne risque-t-on pas de les inciter à se tourner vers d'autres marchés plus compréhensifs, comme les marchés asiatique et nord-américain ?

N'y aurait-il pas d'autres priorités de partenariat plus intelligentes à engager sans tarder, en particulier dans le domaine de l'efficacité énergétique avec la Russie (qui exporte 60 % de son pétrole et 50 % de son gaz vers l'Europe), que celles qui consistent à imposer unilatéralement des mesures juridiques, au demeurant susceptibles d'être contournées d'une manière ou d'une autre ?

Pour votre rapporteur, il est grand temps que l'Union européenne se dote d'une véritable politique européenne de l'énergie dans laquelle le volet « approvisionnement externe » est traité avec la même priorité que le volet « concurrence » sur le marché interne.

Compte rendu sommaire du débat

M. Bernard Frimat :

Je veux remercier le rapporteur pour la clarté de son rapport et dire combien il est important que notre délégation se soit saisie dès maintenant de ce troisième paquet de libéralisation des marchés du gaz et de l'électricité. Vous ne serez pas surpris de l'hostilité de mon groupe à ces propositions, qui me semblent obéir à un principe simple : tout est dans la concurrence.

Cet ensemble de propositions constitue le type même d'exaltation insensée des bienfaits du libéralisme qui nous conduit tout droit à la catastrophe. Ces textes illustrent parfaitement le principe éculé selon lequel la concurrence apporte toujours le bonheur aux peuples.

L'essentiel de ces propositions tourne autour de la séparation patrimoniale des activités de production des activités de transport des entreprises du secteur de l'énergie. Or, les exemples cités par notre rapporteur montrent bien qu'il n'y a aucune automaticité entre séparation des actifs industriels et baisse des prix pour les consommateurs. Nous sommes en fait confrontés à la même tactique d'érosion que mène systématiquement la Commission quand elle rencontre une hostilité à ses projets.

La directive postale en est un autre exemple. Toutes les questions posées par notre délégation sur le financement du service universel ont été étouffées sous le dogme de la concurrence. Nous ne pouvons pas être d'accord avec cette approche, d'autant plus que les projets de la Commission mettent à la portion congrue le service universel de l'énergie. Nous verrons bien comment la Commission définira les catégories de personnes concernées, mais il est déjà certain que la notion de service public sera aussi quasiment inexistante pour l'énergie qu'elle l'est pour la poste. Il faut qu'on sache dès maintenant tout le mal que nous pensons de ces propositions de directive. Il faut aussi que le Gouvernement sache que nous l'encourageons à rester ferme - pour une fois - avec les partenaires qui partagent la position française.

M. Aymeri de Montesquiou :

Les monopoles sont mauvais pour l'économie et la concurrence peut être une bonne chose. Mais elle ne doit pas passer par le démantèlement des groupes industriels de l'énergie. Ces grandes entreprises de dimension mondiale doivent rester puissantes pour être des interlocuteurs valables des grands fournisseurs étrangers d'énergie. Conservons en Europe de grands groupes énergétiques et n'excipons pas du prétexte de la concurrence pour les affaiblir.

M. Bernard Frimat :

Je rejoins totalement notre rapporteur dans son analyse. L'absence de concurrence n'est pas plus la panacée que l'excès de concurrence. Il me semble que la position de la Commission est en revanche fondamentalement idéologique. Pour elle, tout doit venir de la concurrence, qui est l'alpha et l'oméga. Or, nous avons suffisamment de recul et d'expérience pour savoir que, dans un certain nombre de domaines, la gestion du long terme ne peut être assurée par la concurrence. Le marché est aveugle sur le long terme. C'est pourquoi il faut garder des éléments de régulation qui viennent conforter une approche garantissant aux citoyens européens l'accès à une énergie dans des conditions proches de celles d'un service public.

Nous devons rester très vigilants face à la détermination de la Commission et au manque de fermeté du gouvernement français pour défendre le service universel, comme le montre encore une fois l'exemple de la directive postale. À un moment où nous allons bientôt revenir sur les questions institutionnelles, ce type de directive risque d'être l'outil idéal pour créer de nouveaux obstacles pour la construction européenne en France.

M. Pierre Fauchon :

Je crains que notre collègue Frimat n'ait pas tout à fait tort.

M. Hubert Haenel :

Sur la directive postale, notre délégation a fait un travail en profondeur. Nous avons posé des questions à la Commission européenne. Nous n'avons jamais eu de réponse satisfaisante, notamment pour savoir comment sera financé le service universel. L'annexe à la directive pour en traiter qui nous est annoncée ne me rassure pas spécialement. Je crains bien des difficultés - notamment en milieu rural - quand il faudra la transposer en droit français. Faute de solution satisfaisante, il est quasiment certain que, le jour où nous financerons des bureaux de poste en milieu rural, la France se retrouvera devant la Cour de justice de Luxembourg.

Je constate que nous sommes tous en accord avec la communication de notre collègue Montesquiou. La commission des affaires économiques va sans doute poursuivre l'examen de ce troisième paquet de libéralisation des marchés du gaz et de l'électricité. Si elle ne le faisait pas, alors naturellement notre délégation en reprendrait l'examen plus au fond. De toute façon, notre délégation va rester mobilisée, avec son rapporteur, sur le dossier de l'énergie, puisque d'autres textes législatifs sont annoncés dans les prochains mois.