COM (2007) 51 final  du 09/02/2007
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 19/11/2008

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 21/02/2007
Examen : 17/07/2007 (délégation pour l'Union européenne)


Justice et affaires intérieures

Communication de M. Hubert Haenel sur les propositions de directives établissant des sanctions pénales :
- pour la protection de l'environnement (Texte E 3451)
- à l'encontre des employeurs de ressortissants
des pays tiers en séjour irrégulier (Texte E 3534)

(Réunion du mardi 17 juillet 2007)

Les deux textes que nous devons examiner sont très différents puisque l'un concerne la protection de l'environnement tandis que l'autre vise à sanctionner les employeurs de ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier. Toutefois, ce qui réunit ces deux textes, c'est une question d'ordre juridique qui leur est commune et qui touche la compétence de la Communauté européenne en matière de droit pénal.

De manière traditionnelle, les États membres considéraient que le traité ne reconnaissait pas de compétence à la Communauté européenne en matière pénale et que seule l'Union européenne était en mesure de procéder à une harmonisation des législations pénales nationales. En jargon européen, on disait que le rapprochement du droit pénal relevait du troisième pilier et non du premier pilier.

Toutefois, la Commission européenne a contesté cette répartition des compétences, estimant que la Communauté pouvait procéder à une harmonisation des législations pénales nationales lorsqu'il s'agissait d'atteindre un objectif sectoriel précis pour lequel elle disposait d'une compétence.

Il ne s'agit pas là d'un débat juridique purement théorique. Les conséquences pratiques de cette question sont en effet importantes. Selon que la compétence s'exerce dans le premier ou dans le troisième pilier, il existe en effet des régimes différents :

- pour l'initiative des textes ;

- pour le processus de décision, et notamment pour le rôle du Parlement européen ;

- pour l'introduction en droit interne ;

- enfin, pour le contrôle que peut exercer la Cour de justice.

En septembre 2005, la Cour de justice a tranché cette question dans un sens favorable à la Commission européenne à propos de la protection de l'environnement. Elle a en effet, dans une interprétation très volontariste et peu évidente des traités, reconnu une compétence de la Communauté européenne pour édicter des normes dans le domaine pénal dès lors que celles-ci paraissaient « nécessaires » pour atteindre l'objectif poursuivi en matière de protection de l'environnement. Mais la portée de la décision de la Cour reste incertaine sur deux points :

 premier point : elle est incertaine d'abord quant à sa portée. Le cas d'espèce tranché par la Cour concerne la protection de l'environnement qui est, souligne-t-elle, un objectif « essentiel, transversal et fondamental » de la Communauté. Mais la Cour n'a pas précisé si sa jurisprudence se limitait au secteur de l'environnement, en raison même de ce caractère essentiel, transversal et fondamental, ou si elle devait s'appliquer également à d'autres matières pour lesquelles la compétence reconnue à la Communauté ne revêt pas les mêmes caractéristiques.

 deuxième point : la décision de la Cour est également incertaine quant à l'étendue de l'harmonisation à laquelle peut procéder la Communauté. Cette harmonisation se limite-t-elle à l'obligation pour les États membres de prévoir des sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives ou bien touche-t-elle aussi la qualification des infractions, voire l'harmonisation des peines d'emprisonnement ?

Je ne vous surprendrai pas en vous annonçant que la Commission et le Conseil ont formulé des interprétations tout à fait différentes de cette jurisprudence. Vous trouverez, dans le document qui vous a été distribué :

- les grandes lignes de l'arrêt de la Cour de justice du 13 septembre 2005 ;

- l'interprétation extensive qu'en a faite la Commission européenne ;

- l'interprétation plus restrictive que Jean-Pierre Puissochet, ancien juge français à la Cour de justice, a exposée devant nous lorsque nous l'avons entendu en février 2006 ;

- enfin, la position adoptée par les ministres de la justice réunis en Conseil informel, puis en Conseil formel, en janvier et février 2006.

Cette présentation générale liminaire constitue une introduction pour les deux propositions de directives qui nous sont soumises aujourd'hui. Maintenant, il est préférable que nous prenions séparément chacun de ces deux textes.

*

* *

La proposition E 3451 est relative à la protection de l'environnement par le droit pénal. Elle tire les conclusions de l'arrêt de la Cour de justice de 2005. À cette fin, elle définit un ensemble minimal d'infractions graves en matière d'environnement qui doivent être considérées comme des infractions pénales dans toute la Communauté. Elle établit une norme minimale communautaire relative aux éléments constitutifs de ces infractions. Elle fixe par ailleurs des niveaux de sanction pour les infractions environnementales particulièrement graves.

Ce texte, dont l'objectif n'appelle pas de discussion, me paraît soulever quelques observations.

Venons-en d'abord aux points d'accord. La liste des infractions énoncées à l'article 3 de la proposition de directive est presque exactement la reprise du texte de la décision-cadre qui avait été adoptée et qu'a annulée la Cour de justice par son arrêt de septembre 2005. Pour ce qui concerne le domaine en cause, à savoir la protection de l'environnement, l'arrêt de la Cour de Justice a clairement habilité le législateur communautaire dans ce sens, précisant que les articles de la décision-cadre qui fixaient ces définitions auraient pu être valablement adoptés dans le cadre du pilier communautaire. Il n'y a donc aucune critique à formuler à ce propos.

Mais le détail du texte peut donner lieu à quelques remarques. Il est clair que, pour être réellement opérationnelle, la « norme minimale communautaire » que souhaite établir la proposition de directive doit être à la fois précise et uniforme. Or, la définition des actes « illicites » susceptibles d'être incriminés que donne la directive me paraît soulever un double problème :

- d'une part, est « illicite », au sens de la directive, ce qui viole la législation communautaire dans un certain nombre de domaines ; mais il n'y a pas d'énumération précise des textes européens concernés ; à cette fin, l'établissement, en annexe de la directive, d'une liste des textes communautaires pertinents, comme le prévoyait d'ailleurs la décision-cadre annulée par la Cour de Justice, serait utile ; dans le cas contraire, il existerait une regrettable incertitude qui pourrait gêner à la fois la lisibilité du droit et son application ;

- d'autre part, les actes illicites sanctionnables devraient se limiter à la violation de la législation communautaire ; en prenant en compte, en outre, la violation de la législation des États membres, la proposition de directive, qui paraît aller au-delà de la compétence communautaire, a pour résultat de sanctionner par une norme communautaire uniforme des obligations différentes selon les États.

Premier point donc : je vous propose de demander au Gouvernement de veiller à ce que la définition des infractions par la directive soit clarifiée et à ce que celles-ci ne visent que la violation de la législation communautaire et non la violation de la législation des États membres.

J'en arrive au deuxième point qui concerne la définition des seuils de sanctions par la directive. Dans son article 5, la proposition fixe des peines d'emprisonnement, de 2 à 5 ans pour certaines infractions, de 5 à 10 ans pour d'autres. Et, dans son article 7, la proposition fixe des amendes allant de 300 000 euros à 1 500 000 euros. Je précise qu'il s'agit là de minima fixés au niveau communautaire pour les peines maximales.

En agissant ainsi, la Commission interprète de la manière la plus large l'arrêt de la Cour de justice de septembre 2005. Si on adopte ce point de vue, le législateur communautaire n'établit pas seulement l'obligation de sanctions, mais en fixe la nature et le niveau. Nous sommes là devant une véritable question de principe. Chaque État membre a été amené, au fil du temps, à construire un régime de sanctions pénales qui a une cohérence globale. Ce régime comprend notamment une échelle des peines qui prend naturellement en compte la gravité des infractions commises et qui s'applique tant à des infractions couvertes par le droit communautaire qu'à des infractions purement nationales. Si le législateur communautaire devait définir lui-même les seuils de sanctions, inévitablement il risque de perturber fortement la cohérence globale de l'ordre juridique de chaque État membre.

C'est pourquoi je vous propose de demander au Gouvernement de veiller à ce que la directive se limite à prévoir l'établissement de sanctions, mais n'en précise ni la nature, ni le niveau.

Compte rendu sommaire du débat

M. Pierre Fauchon :

Au-delà des analyses juridiques, le fond du problème est de savoir si on veut ou si on ne veut pas faire avancer l'Europe. Pour ma part, je suis partisan d'un renforcement des politiques communautaires sur les questions d'intérêt commun dans le domaine judiciaire. Je ne peux en conséquence m'associer à ce genre de réserves, qui relèvent en définitive d'un état d'esprit non communautaire. Autant je suis d'accord pour que les infractions définies par la directive ne visent que la violation de la législation communautaire et non la violation de la législation des États membres, autant il me semble nécessaire qu'une législation pénale - dès l'instant où l'on en accepte le principe - comporte des sanctions minimales. La construction européenne exige de l'efficacité. Ce serait enlever toute efficacité à cette réglementation en lui retirant son dispositif de sanctions. C'est pourquoi je m'abstiens sur le dernier paragraphe du projet de conclusions. Je trouve par ailleurs que prendre des décisions, qui ont une grande portée politique, dans les conditions où nous les prenons aujourd'hui n'est pas totalement satisfaisant.

*

À l'issue de ce débat, la délégation a adopté les conclusions suivantes :

Conclusions

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection de l'environnement par le droit pénal (COM (2007) 51 final),

La délégation pour l'Union européenne du Sénat demande au Gouvernement de veiller :

- à ce que les dispositions du droit communautaire dont la violation serait constitutive d'une infraction soient précisées par la directive elle-même,

- à ce que les infractions définies par la directive ne visent que la violation de la législation communautaire et non la violation de la législation des États membres,

- à ce que la directive se limite à prévoir l'établissement de sanctions, mais non leur nature ni leur niveau.

M. Hubert Haenel :

J'en viens maintenant à la proposition E 3534 qui prévoit des sanctions à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, que ces employeurs soient des personnes morales ou des personnes physiques. Outre des sanctions de nature administrative, la proposition de directive prévoit des sanctions pénales. Celles-ci seraient infligées dans quatre cas, considérés comme graves : les infractions répétées (troisième infraction commise en deux ans) ; l'emploi d'au moins quatre ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ; des conditions de travail particulièrement abusives ; les situations dans lesquelles l'employeur sait que le travailleur illégal est victime de la traite des êtres humains. Là encore, l'objectif paraît incontestable.

Toutefois, nous retrouvons là le débat de principe sur la compétence de la Communauté en matière pénale. Nous ne sommes plus dans le domaine de la protection de l'environnement, objectif « essentiel, transversal et fondamental » de la Communauté. Nous sommes dans le domaine de l'immigration, dont la base juridique figure à l'article 63 du traité instituant la Communauté européenne. Peut-on admettre que, dans un tel domaine, la Communauté dispose d'une compétence pénale ? Il ne semble pas que cela découle de l'arrêt de septembre 2005.

Même si l'on admettait que le législateur communautaire puisse prévoir des mesures de nature pénale dans le domaine de la lutte contre le travail irrégulier, cette compétence ne pourrait être conçue que de manière stricte.

Certes, conformément à l'arrêt de la Cour, la proposition de directive se borne à exiger que les États membres prévoient des sanctions de nature pénale « effectives, proportionnées et dissuasives » sans en fixer la nature ni le niveau (comme des peines d'emprisonnement, par exemple). C'est là une différence notable avec le texte précédent. Toutefois, en déterminant les quatre motifs pour lesquels l'employeur est passible d'une sanction pénale, la Commission contribue à la définition de l'incrimination, ce qui ne découle pas de manière évidente de l'arrêt de la Cour de justice dès lors que l'on est en dehors de la protection de l'environnement. Cette incursion du législateur communautaire sur ce terrain me paraît empiéter sur les prérogatives du législateur national. Elle peut aussi être source de difficultés d'application au moment de la transposition. Il faudra, en effet, adapter au corpus juridique des États membres des notions qui ne sont pas toujours bien définies.

Nous sommes là devant une véritable question de principe. Et je crois qu'il serait bon que nous en débattions avec le Gouvernement. Je vous propose donc de demander à la Garde des Sceaux de venir nous exposer la position du Gouvernement sur ce point et d'engager un dialogue avec nous à ce sujet.

Par ailleurs, ce texte me paraît soulever quelques difficultés au regard de la proportionnalité.

Il impose en effet aux États membres l'obligation d'inspecter chaque année au moins 10 % des sociétés implantées sur leur territoire, dans le but de contrôler l'emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Après avoir pris l'attache des ministères concernés, je dois dire que cette proposition ne me paraît pas réaliste au regard des pratiques d'inspection actuelles et des capacités des services dans ce domaine.

La Commission prévoit, en outre, d'organiser, en complément des mesures proposées, des campagnes de sensibilisation à l'intention des employeurs sur les conséquences du recrutement de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Cette décision apparaît d'autant plus surprenante qu'il ressort de l'analyse d'impact que l'organisation de tels campagnes n'aurait qu'un « effet réduit » et « ne mènerait pas à une diminution de l'emploi illégal à moyen ou à long terme, les employeurs étant déjà au courant des conséquences négatives de l'emploi illégal ». On peut donc s'interroger sur l'utilité d'engager des dépenses, aussi mineures soient-elles, pour des mesures dont l'effet apparaît plus qu'incertain.

Dans le cadre de notre dialogue avec la Commission européenne au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité, je vous propose en conséquence d'adresser des observations à la Commission sur ces deux points.

Compte rendu sommaire du débat

M. Bernard Frimat :

Je trouve que l'approche de la Commission européenne est réductrice. Comme souvent, on a très vite tendance à assimiler travail clandestin et immigration clandestine, deux éléments qui ne se recoupent pas forcément. Il peut y avoir des travailleurs en situation irrégulière qui travaillent clandestinement. Mais il peut aussi y avoir des nationaux en situation régulière qui travaillent clandestinement. Il peut encore y avoir des étrangers européens qui sont en situation régulière et qui travaillent clandestinement. C'est un phénomène beaucoup plus vaste que celui de l'immigration clandestine. Nous en avons l'exemple avec les bidonvilles de Bondy, qui sont actuellement occupés par des Bulgares qui séjournent régulièrement en France, mais qui exercent chez nous des activités clandestines. C'est pourquoi une approche communautaire non réductrice me conviendrait mieux. Le problème européen est complexe puisqu'il désorganise la concurrence et les marchés du travail et qu'il a des effets sur les filières d'immigration clandestine auxquelles participent non seulement des ressortissants de pays tiers, mais aussi d'États membres. Il faudrait donc que la question du travail clandestin, même si ce dernier est parfois en liaison avec l'immigration, ne soit pas limitée au cas des ressortissants des pays tiers en situation irrégulière. Il faudrait surtout que la directive reconnaisse à ces hommes et ces femmes, qui sont exploités par les employeurs, un minimum de droits sociaux et salariaux, par exemple d'être payés pour le travail effectué clandestinement. Pour que les filières d'immigration clandestine soient dénoncées, ne faut-il pas en particulier donner des protections à ces gens ? Il me semble par ailleurs totalement illusoire de fixer des pourcentages d'employeurs à contrôler par les services de l'inspection du travail.

M. Hubert Haenel :

L'article 7 de la proposition de directive répond à votre préoccupation puisqu'il prévoit automatiquement le paiement par les employeurs des arriérés de salaires, des cotisations sociales, impôts et amendes administratives, sans que les travailleurs concernés soient obligés d'introduire une demande. Il prévoit également la garantie du report de l'exécution de toute décision de retour jusqu'à ce qu'ils aient reçu tous leurs arriérés de salaires.

M. Bernard Frimat :

Il me semble que nos observations doivent souligner l'importance de ces dispositions, car - pour rester dans l'esprit de l'intervention de notre collègue Pierre Fauchon tout à l'heure - l'Europe ne se déshonore pas quand elle se penche sur le sort des gens qui sont, au premier chef, des victimes.

M. Hubert Haenel :

À cette fin, je vous propose d'introduire un nouvel alinéa au début de nos observations.

Il en est ainsi décidé.

*

À l'issue de ce débat, la délégation a adopté les observations suivantes qui seront adressées à la Commission européenne :

Observations

- Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil prévoyant des sanctions à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (COM (2007) 249 final) ;

- Document de travail des services de la Commission accompagnant cette proposition de directive - Résumé de l'analyse d'impact (SEC (2007) 604) ;

*

La délégation du Sénat pour l'Union européenne se félicite que la proposition de directive comporte des dispositions permettant aux ressortissants de pays tiers employés illégalement de recevoir tous les arriérés de salaire qui leur sont dus et de bénéficier à cette fin, le cas échéant, d'un report temporaire de l'exécution d'une décision de retour.

Au regard du principe de proportionnalité, la délégation pour l'Union européenne du Sénat :

- juge disproportionnée l'obligation faite aux États membres d'inspecter chaque année au moins 10 % des sociétés implantées sur leur territoire, dans le but de contrôler l'emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier,

- doute de l'utilité d'une intervention communautaire en vue d'organiser des campagnes de sensibilisation à l'intention des employeurs.

L'ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE DU 13 SEPTEMBRE 2005

I. LES GRANDES LIGNES DE L'ARRÊT

Par un arrêt, rendu le 13 septembre 2005, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en grande chambre, a tranché un point de droit longuement débattu au sein des instances de l'Union européenne sur la base juridique des instruments de rapprochement du droit pénal intervenant dans les matières communautaires.

Un débat récurrent opposait jusqu'à présent la Commission européenne et les États membres sur le point de savoir si, lorsqu'un texte procède à une harmonisation des législations pénales nationales pour atteindre un objectif sectoriel précis pour lequel la Communauté dispose d'une compétence, la base juridique de ces dispositions pénales relève du « troisième pilier », relatif à la coopération policière et judiciaire pénale, en raison de leur contenu pénal, ou bien du « premier pilier », en raison de leur objectif sectoriel.

Il convient de rappeler, à cet égard, que le choix de la base juridique peut emporter d'importantes conséquences pour la procédure d'adoption d'un texte, le contrôle de sa mise en oeuvre, ainsi que du point de vue de l'équilibre des pouvoirs entre le Conseil et le Parlement européen.

Le « premier pilier » se caractérise, généralement, par la méthode communautaire, où la Commission européenne dispose d'un monopole d'initiative et où le Conseil décide à la majorité qualifiée en co-décision avec le Parlement européen, sous le contrôle plein et entier de la Cour de justice. Le « troisième pilier » repose, en revanche, sur le modèle intergouvernemental, où le droit d'initiative est partagé entre la Commission et les États membres, où le Parlement européen est simplement consulté, où le contrôle de la Cour de justice est limité et où le Conseil statue, en règle générale, à l'unanimité.

Pour les États membres, tout rapprochement du droit pénal relevait exclusivement du « troisième pilier », tandis que, pour la Commission, la compétence communautaire permettait également l'adoption de telles mesures dans le cadre du « premier pilier ».

Cette question s'était notamment posée à propos de la protection pénale de l'environnement. En effet, le Danemark avait proposé en février 2000 un projet de décision-cadre relatif à la protection de l'environnement par le droit pénal, fondé sur le « troisième pilier ». Or, la Commission avait, en juin 2001, opposé sa propre proposition de directive ayant le même objet, fondée sur le « premier pilier ». En définitive, les États membres avaient adopté la décision-cadre le 27 janvier 2003. La Commission européenne avait toutefois déposé un recours auprès de la Cour de justice.

Dans son arrêt du 13 septembre 2005, la Cour de justice a donné raison à la Commission européenne, soutenue par le Parlement européen, contre le Conseil, soutenu par onze États membres dont la France, en jugeant que, lorsqu'il est nécessaire d'harmoniser les législations pénales des États membres pour garantir la pleine efficacité de normes sectorielles édictées par la Communauté, c'est la base juridique sectorielle du « premier pilier » qui doit prévaloir et non celle du « troisième pilier ». En conséquence, la Cour de justice a annulé en toutes ses dispositions la décision-cadre du 27 janvier 2003 relative à la protection de l'environnement par le droit pénal.

La Cour considère, en effet, que, en vertu de son article 47, le traité sur l'Union européenne, dont relève le « troisième pilier », a un caractère subsidiaire par rapport au traité instituant la Communauté européenne, dont relève le « premier pilier », dans la mesure où il ne saurait porter atteinte aux compétences reconnues à la Communauté.

Or, bien que le contenu de la décision-cadre soit essentiellement de nature pénale et même si la Communauté ne dispose pas, en principe, de compétence dans ce domaine, la Cour considère que « cette dernière constatation ne saurait cependant empêcher le législateur communautaire, lorsque l'application de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives par les autorités nationales compétentes constitue une mesure indispensable pour lutter contre les atteintes graves à l'environnement, de prendre des mesures en relation avec le droit pénal des États membres et qu'il estime nécessaires pour garantir la pleine effectivité des normes qu'il édicte ».

Par cette motivation :

- la Cour adopte une vision large de la protection de l'environnement, en tant qu'objectif « essentiel, transversal et fondamental » de la Communauté. Ainsi, dans l'appréciation de la finalité et du contenu de l'instrument, elle fait prévaloir une finalité lointaine (la protection de l'environnement) sur un objectif plus immédiat (l'harmonisation du droit pénal) ;

- concernant son contenu, si la Cour reconnaît que les articles contestés comportent une harmonisation partielle des législations pénales (qui ne relève pas, en tant que telle, des compétences de la Communauté), elle fait prévaloir l'exigence d'effectivité des normes communautaires pour justifier une compétence du « premier pilier » autorisant l'adoption de mesures « en relation avec le droit pénal des États membres » ;

- elle n'impose au législateur communautaire aucune limite quant à la portée des normes pénales qu'il pourrait édicter, contrairement à ce que soutenait l'avocat général, M. Colomer. On peut dès lors se demander si non seulement l'obligation d'incriminer et de sanctionner pénalement certains comportements, mais également le choix de la nature des sanctions, voire l'harmonisation des seuils de répression, ne pourraient pas relever de la compétence communautaire.

Cet arrêt revêt donc une importance majeure pour le domaine pénal. La Cour de justice est, en effet, allée très loin dans l'interprétation de la compétence communautaire, puisqu'elle a considéré que la compétence pour édicter des normes dans le domaine pénal pouvait relever de la méthode communautaire, c'est-à-dire du vote à la majorité qualifiée au Conseil en codécision avec le Parlement européen, contrairement à ce que soutenaient la grande majorité des États membres.

Toutefois, la portée exacte de cet arrêt est incertaine à deux niveaux différents :

- d'une part, quant à sa portée : cette jurisprudence est-elle uniquement applicable au domaine environnemental ou bien est-elle susceptible d'être étendue à d'autres matières pour lesquelles la Communauté s'est vue reconnaître une compétence ?

- d'autre part, la Cour de justice n'indique pas clairement dans son arrêt l'étendue exacte de cette harmonisation. On peut dès lors s'interroger sur le point de savoir si cette harmonisation devrait se limiter à l'obligation de prévoir des sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives, ou bien si elle s'étend à la qualification de ces infractions, voire à l'harmonisation des peines d'emprisonnement.

II. LA POSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

La Commission européenne a présenté, le 23 novembre 2005, une communication sur l'interprétation qu'elle entend donner de l'arrêt du 13 septembre 2005. Cette interprétation est très extensive et vise, sans surprise, à étendre au maximum les compétences de la Communauté en matière pénale. Cela à trois niveaux différents.

Tout d'abord, la Commission considère que la portée de l'arrêt dépasse largement la matière en cause et que la Communauté pourrait imposer des sanctions pénales dans toutes les matières communautaires, comme par exemple les transports, l'agriculture ou la pêche. Cette interprétation de la Commission va très au-delà de la lettre de l'arrêt qui se fonde sur le caractère « essentiel », « transversal » et « fondamental » de la protection de l'environnement, qui distingue clairement cet objectif des autres politiques communes.

Ensuite, la Commission européenne omet, dans sa communication, l'une des deux conditions posées par la Cour à l'intervention communautaire. Alors que la Cour fixe comme condition que l'imposition de sanctions pénales soit « nécessaire » et « indispensable », la Commission européenne ne retient, dans sa communication, que le seul critère de la nécessité de telles sanctions.

Enfin, la Commission européenne considère que le législateur communautaire pourra non seulement poser le principe du recours à des sanctions pénales, mais aussi déterminer la définition de l'incrimination, c'est-à-dire les éléments constitutifs de l'infraction, ainsi que la nature et le niveau des sanctions applicables (comme les peines d'emprisonnement par exemple) ou d'autres éléments en relation avec le droit pénal. Là encore, la Commission européenne va au-delà de la lecture de l'arrêt.

C'est donc une interprétation très large que retient la Commission européenne dans sa communication, qui revient à dire que l'adoption de toute norme pénale relèvera en principe du « premier pilier », dès lors que la Communauté est compétente pour agir dans le domaine concerné.

III. L'INTERPRÉTATION DE JEAN-PIERRE PUISSOCHET, ANCIEN JUGE FRANÇAIS À LA COUR DE JUSTICE

Interrogé sur la portée de cet arrêt lors de son audition au Sénat, le 22 février 2006, Jean-Pierre Puissochet, a relativisé l'interprétation extensive faite par la Commission européenne dans sa communication.

Il a ainsi déclaré : « Mon sentiment est que l'arrêt est strictement cantonné à la protection de l'environnement et se fonde expressément sur la spécificité de cette matière. Contrairement à ce que semble penser la Commission dans sa communication du 23 novembre 2005, l'arrêt du 13 septembre 2005 ne saurait être considéré comme un précédent permettant de dire que la Cour pourrait transposer dans d'autres matières cette solution spécifique à la protection de l'environnement ».

De plus, il a ajouté : « L'arrêt se borne à dire que la Communauté européenne peut exiger des États membres que leur législation prévoie des sanctions de nature pénale en cas d'atteinte à l'environnement. Mais la Communauté européenne ne peut pas elle-même déterminer ces sanctions. Les États membres sont toujours libres du choix des sanctions pénales applicables, sous réserve bien entendu du caractère effectif, proportionné et dissuasif de ces sanctions ».

Enfin, d'après lui : « L'arrêt ne revient pas sur la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle ne relèvent de la compétence de la Communauté ni la législation pénale, ni les règles de la procédure pénale ».

Cette interprétation restrictive semble d'ailleurs confirmée par la Cour de justice avec l'arrêt du 30 mai 2006, rendu en grande chambre, par lequel elle a annulé les décisions de la Commission européenne et du Conseil relatives à l'accord entre la Communauté et les États-Unis autorisant le transfert, par les compagnies aériennes, des informations sur les passagers contenues dans leurs systèmes de réservation (PNR). En effet, par cet arrêt, la Cour a, conformément aux conclusions de l'avocat général, Philippe Léger, annulé ces décisions pour défaut de base légale en retenant le critère de la finalité poursuivie. Dans cet arrêt, elle a estimé que cet accord ne pouvait pas être fondé sur les dispositions relatives au marché intérieur, qui relèvent du « pilier communautaire », en raison de la finalité de cet accord, qui vise à renforcer la lutte contre le terrorisme et les formes graves de criminalité. En effet, pour le juge communautaire, « le transfert des données PNR constitue un traitement ayant pour objet la sécurité publique et les activités de l'État relatives à des domaines du droit pénal ». A la suite de cet arrêt, un nouvel accord a donc été conclu avec les États-Unis sur la base de l'article 24 du traité sur l'Union européenne, relatif aux accords internationaux dans les domaines relatifs à la coopération policière et à la coopération judiciaire en matière pénale, c'est-à-dire sur la base du « troisième pilier ».

IV. LA POSITION DU CONSEIL

Lors d'une réunion informelle à Vienne, le 13 janvier 2006, les ministres de la justice ont évoqué la question des conséquences de l'arrêt de la Cour de justice. Au cours de cette réunion, ils sont parvenus à un consensus sur les trois principes suivants :

- en principe, la législation pénale, tout comme les règles de procédure pénale, ne relèvent pas de la compétence de la Communauté. Il importe donc que la Communauté interprète et applique toute exception à cette règle générale de manière stricte ;

- le législateur communautaire a le droit de prendre les mesures législatives en relation avec le droit pénal des États membres qu'il estime nécessaires pour garantir la pleine effectivité des normes qu'il édicte. Cela implique que le législateur communautaire ne peut pas obliger les États membres à prévoir des sanctions pénales pour la violation de règles que la Communauté n'a pas, ou pas encore, établies ou qui l'ont été uniquement en vertu du droit national ;

- le législateur doit laisser aux États membres le choix des sanctions pénales applicables, dès lors qu'elles sont effectives, proportionnées et dissuasives. En conséquence, les actes communautaires ne peuvent pas fixer de manière détaillée et exclusive le niveau des sanctions à instaurer ; ils doivent laisser une certaine latitude aux États membres.

En ce qui concerne les actes déjà adoptés, les ministres sont convenus qu'il était nécessaire de faire preuve de prudence, et que les questions liées à l'adoption de dispositions de droit pénal dans les futurs instruments communautaires devaient être examinées au cas par cas.

Enfin, tous les ministres ont estimé que la compétence du Conseil « Justice et Affaires intérieures » pour adopter des dispositions de droit pénal au niveau européen ne devrait pas être affectée.

Le Conseil « Justice et affaires intérieures » du 22 février 2006 a confirmé cette approche.