COM (2006) 399 final  du 17/07/2006

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 26/07/2006
Examen : 23/10/2006 (délégation pour l'Union européenne)
Proposition retirée par la Commission européenne le 16 avril 2013


Justice et affaires intérieures - Subsidiarité

Communication de Mme Monique Papon sur la compétence
et les règles relatives à la loi applicable en matière matrimoniale
Examen au regard de la subsidiarité

(Texte E 3205)

(Réunion du mardi 19 septembre 2006)

M. Hubert Haenel :

Je rappelle que la communication de Mme Monique Papon s'inscrit dans le cadre de l'expérience conduite au sein de la COSAC en vue de mettre en place de manière pragmatique un contrôle par les parlements nationaux du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Tous les parlements nationaux de l'Union, en principe, vont se livrer à l'exercice consistant à examiner un même texte - la proposition de règlement visant à déterminer la loi applicable et le tribunal compétent en matière de divorce - sous l'angle de la subsidiarité et de la proportionnalité. Les résultats de cet examen seront envoyés directement à la Commission européenne et à la présidence de la COSAC.

Mme Monique Papon :

En avril dernier, je vous avais présenté une communication au sujet du Livre vert de la Commission européenne relatif au divorce. Dans ce document, la Commission européenne s'interrogeait sur l'opportunité d'une intervention européenne afin de résoudre les difficultés rencontrées par les couples dont les époux sont de nationalités différentes ou qui résident dans un État dont ils ne sont pas ressortissants.

En effet, actuellement, lorsque ces conjoints décident de divorcer ou de se séparer, plusieurs droits peuvent être invoqués. Certains États privilégient la loi du for (c'est-à-dire la loi du tribunal où la demande a été déposée), tandis que d'autres appliquent la loi de la nationalité des époux ou encore celle du pays avec lequel les conjoints ont les liens les plus étroits. Or, il existe de fortes différences entre les législations des États membres en matière de divorce. Ainsi, Malte ne reconnaît pas le droit au divorce et dans certains pays, comme la Pologne ou l'Irlande, la procédure de divorce est très encadrée. En revanche, d'autres pays, comme les pays scandinaves, connaissent un régime plus libéral, en autorisant par exemple le mariage entre les personnes de même sexe. Il en résulte une sorte de « forum shopping », c'est-à-dire une « course au juge » entre les époux, qui recherchent la loi la plus favorable. Ainsi, il est fréquent que certains maris britanniques cherchent à divorcer sur le territoire français, afin de contourner la rigueur de la loi et de la jurisprudence britanniques à leur égard.

Dans son Livre vert, la Commission européenne suggérait donc de fixer au niveau européen des règles précises pour déterminer le juge compétent et la loi applicable en matière de divorce transnational. Et c'est cette solution qui a finalement été retenue par la Commission, qui a présenté, le 17 juillet dernier, une proposition de règlement, qui fait aujourd'hui l'objet de ma communication.

Ma communication s'inscrit toutefois dans un contexte bien particulier. Elle ne porte pas sur le fond, mais uniquement sur l'examen de ce texte au regard du principe de subsidiarité. Cette proposition de règlement a, en effet, été retenue, avec le paquet sur les services postaux, lors de la réunion de la COSAC à Vienne, en février dernier, dans le cadre de la mise en place du mécanisme de contrôle de la subsidiarité par les parlements nationaux. Chaque Parlement des vingt-cinq États membres, ou chaque chambre de celui-ci, est donc appelé à examiner ce projet de règlement au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité. À l'issue de cet examen, dont le délai limite a été fixé au 27 septembre, il transmettra son avis aux différentes institutions européennes, ainsi qu'au secrétariat de la COSAC. Les différentes réponses seront alors compilées en vue de la prochaine réunion de la COSAC à Helsinki, où elles feront l'objet d'un échange de vues.

Avant de vous donner mon sentiment sur la conformité de la proposition de la Commission au principe de subsidiarité, je voudrais préciser que, malgré la brièveté du délai et l'interruption de nos travaux pendant l'été, j'ai été grandement aidée dans ma tâche par le fait que cette proposition de règlement avait été précédée par un Livre vert. J'ai, en effet, pu profiter du travail que nous avions réalisé en amont et prendre connaissance des nombreuses contributions au Livre vert, notamment celles des notaires et des avocats.

Un autre motif de satisfaction tient au fait que la Commission a présenté, en annexe de sa proposition, une étude d'impact qui présente différentes options (le maintien de la situation existante, le renforcement de la coopération entre les États ou l'harmonisation) et qui décrit les avantages et les inconvénients de chaque scénario. Je regrette, toutefois, que cette étude d'impact ne soit disponible qu'en anglais et que la justification au regard de la subsidiarité fournie par la Commission dans l'exposé des motifs soit très brève et peu détaillée.

J'en viens maintenant à l'examen du projet de règlement au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Pour ce faire, j'ai choisi de retenir trois critères sous la forme de trois interrogations.

 Première question : une harmonisation européenne des règles de conflit de loi est-elle réellement nécessaire ?

Sur ce point, les différentes réponses au Livre vert font apparaître des avis très partagés.

Pour la Commission européenne et pour une majorité d'États membres, dont la France, une harmonisation européenne est nécessaire car elle permettra de renforcer la sécurité juridique et de mettre un terme à la « course au juge » entre les époux. C'est aussi l'opinion des associations représentant les notaires et les avocats au niveau européen. A contrario, certains États membres, comme le Royaume-Uni, l'Irlande ou la Suède considèrent qu'une telle intervention n'est pas justifiée. Ainsi, pour le gouvernement britannique, le risque de « forum shopping » paraît assez limité.

Certes, il est difficile d'évaluer précisément ce risque ; lorsque j'avais demandé des informations à la Chancellerie, il m'avait été répondu que le ministère ne disposait d'aucune information statistique à ce sujet. On peut toutefois relever une tendance à l'augmentation du nombre de mariages mixtes et à la mobilité intracommunautaire. Or, cela va de pair avec l'augmentation des divorces ne se situant pas dans le seul cadre national. D'après la Commission, il y aurait ainsi chaque année près de 170 000 divorces internationaux dans l'Union européenne, soit 16 % de la totalité des divorces. La Commission considère donc qu'une intervention européenne dans ce domaine serait de nature à renforcer la sécurité juridique pour un nombre élevé de citoyens et à prévenir tout risque de « tourisme judiciaire ».

Pour ma part, je serais plutôt encline à suivre l'avis de la Commission européenne et donc à penser qu'une intervention européenne est nécessaire.

 Cela m'amène à la deuxième interrogation, qui peut s'énoncer de la manière suivante : l'Union européenne constitue-t-elle l'échelon le plus pertinent pour ce type d'intervention ?

Je ferai une réponse en deux temps.

Tout d'abord, il ne fait pas de doute qu'une action au niveau de chaque État membre, voire même au niveau bilatéral, serait insuffisante pour atteindre l'objectif fixé. En effet, la plus-value d'une intervention au niveau européen réside précisément dans une harmonisation des règles de conflit de loi, pour lesquelles il existe actuellement une forte disparité entre les États.

En revanche, on pourrait penser à première vue que l'Union européenne constitue un espace trop limité géographiquement et qu'il serait préférable d'agir au sein d'un espace plus vaste, comme le Conseil de l'Europe par exemple. Il existe d'ailleurs une enceinte, la « Conférence de droit international privé », dite Conférence de La Haye, qui compte une soixantaine de pays membres et qui a précisément pour objet de travailler à l'unification progressive des règles de droit international privé. Les conventions élaborées dans ce cadre bénéficient souvent d'un très grand prestige dans la communauté juridique et elles jouent un rôle important dans les relations internationales par leur universalité.

Pour autant, les « conventions de La Haye » restent la production d'une organisation intergouvernementale classique et souffrent de limites : nombre insuffisant de ratifications, qui limite leur application ; possibilité de déclarations et de réserves au moment des ratifications ; absence de contrôle juridictionnel. Plus fondamentalement, les conventions de La Haye sont adoptées par un groupe composite d'États, appartenant à des zones géographiques très diversifiées. Leur objet n'est pas la création d'un « espace judiciaire européen » à l'image de l'Union européenne. Il n'existe d'ailleurs aucune convention internationale portant sur la question de la loi applicable en matière matrimoniale.

L'Union européenne apparaît donc bien comme le niveau le plus approprié pour agir dans ce domaine.

 Troisième et dernière question : les moyens envisagés n'excèdent-ils pas ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif fixé ?

Il s'agit en fait ici du principe de proportionnalité.

Sur ce point, j'avancerai quatre arguments qui plaident en faveur de l'initiative de la Commission.

Premièrement, l'initiative de la Commission porte uniquement sur la détermination du droit applicable et de la compétence en matière de divorce. Elle ne vise en aucune manière l'harmonisation des règles nationales qui régissent le divorce. Si tel avait été le cas, le problème de la subsidiarité se serait sans doute posé.

Deuxièmement, la proposition de la Commission respecte les différences existantes entre les traditions et les systèmes juridiques des États membres. Ainsi, le champ d'application du règlement est limité au divorce et à la séparation de corps. Il ne concerne pas l'annulation du mariage, qui touche directement à l'ordre public de chaque État. De même, il est prévu une exception permettant au juge d'un État membre d'écarter une loi étrangère qui serait contraire à l'ordre public de cet État. On songe, par exemple, à la possibilité pour le juge français d'écarter une loi étrangère qui ne permettrait pas le divorce par consentement mutuel ou qui instituerait une inégalité entre les époux. Là encore, cette disposition manifeste le souci de la Commission de se limiter strictement à l'objectif fixé, puisque chaque État est le plus à même de définir ce qui relève de son « ordre public ».

Troisièmement, doit ici être privilégiée l'harmonisation des règles de compétence et du règlement des conflits de lois par rapport à d'autres formes d'intervention (comme la reconnaissance mutuelle ou la coordination par exemple), car il s'agit bien de fixer des règles précises permettant de déterminer la loi applicable ou le juge compétent.

Enfin, quant au choix de l'instrument, un règlement apparaît plus approprié qu'une directive ou une simple recommandation étant donné l'objectif d'assurer une véritable unification des règles de compétence.

En définitive, le dispositif tel qu'il est proposé par la Commission européenne me paraît conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

J'ajoute que le choix de la Commission d'accorder une large place à l'autonomie des parties, en permettant aux conjoints de se mettre d'accord sur la loi applicable ou le juge compétent, me semble d'ailleurs s'inscrire dans l'esprit même de la subsidiarité au sens philosophique du terme.

Je vous proposerai donc de conclure cet exercice par trois observations :

1. On peut regretter, tout d'abord, l'insuffisante motivation de la proposition de la Commission européenne au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité ;

2. Ensuite, la « valeur ajoutée » d'une intervention européenne réside essentiellement dans le souci de résoudre les difficultés rencontrées par les citoyens en matière de divorce dans les situations transfrontalières et par la réduction du risque de « course au juge », sur lequel la Commission européenne ne dispose pas d'éléments chiffrés, mais dont l'ampleur serait de nature à justifier une intervention dans ce domaine ;

3. Enfin, le dispositif tel qu'il est proposé par la Commission paraît conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Les conclusions proposées par le rapporteur ont été adoptées à l'unanimité.

Proposition de règlement sur la compétence et les règles relatives
à la loi applicable en matière matrimoniale

Texte E 3205

(Procédure écrite du 23 octobre 2006)

Cette proposition de règlement sur le droit applicable et la compétence en matière de divorce fait suite à un Livre vert de la Commission européenne (texte E 2846) qui avait donné lieu à une communication de Monique Papon et à des conclusions de la délégation le 11 avril 2006. Elle a également fait l'objet d'un examen au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité, lors de la réunion de la délégation du 19 septembre 2006, dans le cadre de l'expérience conduite au sein de la COSAC.

Tout en regrettant l'insuffisante motivation de la proposition de la Commission européenne, la délégation avait considéré que le dispositif proposé était conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

La délégation avait toutefois estimé préférable de dissocier la question du respect du principe de subsidiarité et de proportionnalité de l'examen du fond du texte. La présente note a donc pour objet de porter une appréciation sur le fond.

I. LE CONTENU DE LA PROPOSITION

La proposition de règlement a pour objet de renforcer la sécurité juridique dans les procédures de divorce et de séparation de corps (mais pas d'annulation du mariage) pour les couples dont la situation présente un caractère international, soit parce que les époux sont de nationalité différente, soit parce qu'ils résident dans un État dont ils ne sont pas ressortissants.

Pour ce faire, la Commission européenne propose deux séries de dispositions.

1. La mise en place de règles communautaires relatives à la loi applicable en matière de divorce et de séparation de corps

La proposition de règlement prévoit d'instaurer une règle de conflit de lois communautaire afin de mettre fin à la disparité actuelle des règles de conflits de lois existant au sein de l'Union européenne, qui favoriserait le « tourisme judiciaire » et serait source d'insécurité juridique.

Il est proposé que la loi applicable au divorce et à la séparation de corps soit déterminée de la manière suivante :

- il s'agirait de la loi choisie par les parties, à condition que celle-ci présente des liens étroits avec leur situation conjugale, ce choix devant s'effectuer selon des critères de rattachement précis ;

- à défaut de choix par les parties, il s'agirait de la loi qui présente le lien le plus étroit avec les parties, déterminée en fonction d'une échelle de critères de rattachement.

L'application de la loi ainsi déterminée pourrait toutefois être écartée par le juge national, si elle apparaissait manifestement incompatible avec l'ordre public de l'État où est rendu le jugement.

2. L'amélioration des règles de compétence en matière de divorce et de séparation de corps fixées par le « règlement Bruxelles II bis ».

La proposition de règlement, qui ne modifie pas les compétences générales fixées par le « règlement Bruxelles II bis », prévoit les dispositions suivantes :

- la possibilité, pour les époux, de choisir la juridiction compétente, à condition qu'elle présente des liens étroits avec leur situation conjugale ;

- l'instauration de règles de compétences résiduelles harmonisées au niveau communautaire, sans renvoi aux règles nationales applicables en la matière, afin de permettre aux conjoints résidant dans un État tiers, mais gardant des liens étroits avec un État membre, de divorcer devant une juridiction de cet État.

II. QUE PENSER DE CE TEXTE ?

La proposition de règlement tient largement compte des observations formulées par la délégation dans ses conclusions sur le Livre vert.

En particulier, elle comporte des exceptions pour tout ce qui relève de l'ordre public. Ainsi, le champ d'application est limité au divorce et à la séparation de corps et il ne concerne pas l'annulation du mariage.

Par conséquent, la délégation a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte.