COM (2006) 191 final  du 27/04/2006
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 19/04/2007

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 10/05/2006
Examen : 08/02/2007 (délégation pour l'Union européenne)


Justice et Affaires intérieures

Communication de M. Yves Pozzo di Borgo
sur l'accord de réadmission entre la Communauté européenne
et la Fédération de Russie

Texte E 3143

(Réunion du 8 février 2007)

Nous sommes saisis, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, d'un projet d'accord entre la Communauté européenne et la Fédération de Russie, qui concerne la lutte contre l'immigration clandestine. Il est accompagné d'un autre accord relatif aux visas. Ils devraient être adoptés la semaine prochaine par le Conseil. Ces deux accords s'inscrivent dans le cadre de la création des « quatre espaces communs » entre l'Union européenne et la Russie (un espace économique, un espace de liberté, de sécurité et de justice, un espace de sécurité extérieure et un espace de recherche, d'éducation et de culture), lancée lors du Sommet de Saint-Petersbourg en 2003.

Étant donné que je prépare actuellement un rapport d'information sur les relations entre l'Union européenne et la Russie, j'ai pensé utile d'intervenir aujourd'hui sur ces deux textes.

I - L'ACCORD SUR LA FACILITATION DE LA DÉLIVRANCE DES VISAS

Nous n'avons pas été saisis de ce texte au titre de l'article 88-4 de la Constitution, car il ne relève, ni du domaine de la loi en France, ni de la procédure de codécision européenne. Toutefois, cet accord est étroitement lié à l'accord de réadmission. En effet, il répond à une demande des autorités russes, alors que l'Union européenne est surtout attachée à la conclusion de l'accord de réadmission.

1. Le contexte

Il s'agit là du premier accord communautaire avec un pays tiers qui porte sur les visas. Je rappelle que la politique des visas, qui concerne les visas de court séjour (d'une durée inférieure à trois mois), relève, depuis le traité d'Amsterdam, de la compétence de la Communauté et du vote à la majorité qualifiée au Conseil en codécision avec le Parlement européen.

Il faut savoir que la Russie représente aujourd'hui pour la France le premier pays pour les demandes de visa. Sur près de 2,5 millions de demandes de visa adressées aux autorités françaises en 2005, plus de 300 000 concernaient des ressortissants russes, contre 545 000 pour l'ensemble des pays du Maghreb (dont 265 000 pour l'Algérie). Or, le taux de refus concernant la Russie est très faible puisqu'il n'est que de 2,4 %, contre une moyenne de 15 %. Dans certains pays, notamment en Afrique, le taux de refus est même supérieur à 50 %.

La France fait partie des destinations touristiques préférées des Russes, aussi bien des classes aisées que des classes moyennes. En effet, près de 70 % des demandes sont faites par des tours opérateurs qui organisent des voyages en autocar à partir de la Russie et des séjours en France pour un prix modique. En tant qu'élu de Paris, je ne peux d'ailleurs que me féliciter de l'augmentation du tourisme russe dans la capitale. Avec seulement deux consulats (l'un à Moscou, l'autre à Saint-Petersbourg) et des moyens limités (le consulat de Moscou ne dispose que d'une quarantaine d'agents), pour un pays très étendu de 140 millions d'habitants, nos postes consulaires peinent à traiter ce nombre très élevé de demandes. Nos consulats ont ainsi été submergés de demandes de visas à l'occasion des fêtes de fin d'année.

Cette situation est propice à toutes sortes de dérives. L'été dernier, des agents consulaires français et des recrutés locaux du consulat français de Moscou ont été licenciés après la découverte de malversations dans le traitement des demandes de visas. Parallèlement, de nombreux touristes ou hommes d'affaires français se plaignent de la longueur, de la complexité et du coût des formalités de visas exigées par les autorités russes pour effectuer un séjour en Russie.

Les autorités russes souhaitent obtenir à terme la levée de l'obligation de visas pour leurs ressortissants et la création d'un véritable espace de libre circulation des personnes entre l'Union européenne et la Russie. Le ministère des Affaires étrangères est plutôt ouvert à cette idée, alors que le ministère de l'Intérieur y est opposé. En effet, du point de vue du ministère de l'Intérieur, la Russie représente certes un faible risque migratoire. Mais, en revanche, elle présente une menace sérieuse en matière de terrorisme et de criminalité organisée. Or, la procédure de délivrance de visa permet aux policiers français de contrôler en amont la venue sur le territoire français de ressortissants russes soupçonnés d'appartenir à des organisations criminelles ou terroristes, en consultant notamment le système d'information Schengen. Il s'agit donc là d'un sujet délicat, sur lequel je reviendrai à l'occasion de la présentation de mon rapport d'information.

2. Le contenu de l'accord

Sans aller jusqu'à la suppression de l'obligation de visa, l'accord communautaire vise à simplifier la procédure de délivrance des visas, sur une base de réciprocité. Il prévoit notamment :

- une réduction des frais de visa à 35 euros pour l'ensemble des ressortissants russes (le coût normal du visa Schengen est passé, le 1er janvier dernier, à 60 euros) ;

- des exemptions de visas pour les ressortissants détenteurs d'un passeport diplomatique ;

- une simplification des justificatifs de voyage et une suppression des frais de visa pour certaines catégories de voyageurs, comme les membres des délégations officielles, les hommes d'affaires, les journalistes, les scientifiques, les artistes, les sportifs, les écoliers ou encore les membres des gouvernements et des parlements nationaux, mais pas pour les députés européens, ce qui a d'ailleurs provoqué l'irritation du Parlement européen.

3. Que penser de cet accord ?

Cet accord s'inspire largement de l'accord bilatéral conclu en juin 2004 entre la France et la Russie en matière de visas, à l'exception, toutefois, de la réduction du coût du visa, à laquelle les autorités françaises n'étaient pas favorables au départ. Il permettra ainsi de renforcer les échanges entre l'Union européenne et la Russie, en facilitant notamment les déplacements des hommes d'affaires, des élèves et des étudiants ou encore des chercheurs.

On peut toutefois regretter que la Commission européenne n'ait pas obtenu l'assouplissement des procédures d'enregistrement, héritées du système soviétique, actuellement exigées par les autorités russes. Celles-ci se traduisent souvent par de fortes contraintes pour les ressortissants européens, qui doivent ainsi se présenter régulièrement aux autorités locales et déposer leur passeport, ce qui limite leur possibilité de déplacement à l'intérieur du territoire russe. Sur ce point, l'accord se borne à mentionner l'engagement des autorités russes à prendre des mesures visant à simplifier les procédures d'enregistrement.

Le rapporteur de cet accord au Parlement européen (la députée portugaise Maria de Assunçao Esteves) a également critiqué les difficultés rencontrées par des journalistes, des prêtres et missionnaires étrangers ou des membres d'organisations non gouvernementales pour obtenir un visa de la part des autorités russes et la nécessité d'obtenir une autorisation complémentaire pour se rendre dans certaines régions, comme en Tchétchénie.

II - L'ACCORD SUR LA RÉADMISSION

Il s'agit du sixième accord communautaire portant sur la réadmission. Je rappelle qu'un accord de réadmission permet de faciliter l'éloignement des étrangers en situation irrégulière vers leur pays d'origine ou vers le pays par lequel ils ont transité. Il s'agit donc d'un instrument essentiel dans la lutte contre l'immigration clandestine. Chaque pays signataire s'engage, en effet, à réadmettre sur son territoire, et sans formalité, toute personne possédant sa nationalité ou tout ressortissant de pays tiers qui a franchi illégalement ses frontières pour se rendre dans l'autre État partie.

À ce jour, sur vingt mandats de négociation confiés à la Commission, seuls quatre accords sont entrés en vigueur (avec Hong Kong, Macao, le Sri Lanka et l'Albanie) et un cinquième a été signé récemment avec l'Ukraine. Les négociations menées par la Commission sur ce type d'accord sont, en effet, laborieuses car les États se montrent réticents à accepter d'accueillir les ressortissants d'autres pays tiers ayant simplement transité par leur territoire pour se rendre dans l'Union européenne. Les négociations avec la Russie sur cet accord ont d'ailleurs été longues et difficiles, puisqu'elles ont duré plus de cinq ans.

En définitive, cet accord comporte des avancées, même si la Russie a obtenu un certain nombre de dérogations.

1. Les avancées

La conclusion d'un accord de réadmission avec la Russie représente, en soi, un progrès car la France, à l'image de la quasi-totalité des autres États membres, ne dispose pas actuellement d'un accord bilatéral avec la Russie sur ce sujet.

Au titre des avancées, on peut également mentionner la simplification des procédures d'éloignement des ressortissants russes en situation irrégulière sur le territoire européen. En effet, les autorités russes conditionnent actuellement la délivrance des laissez-passer consulaires au consentement des personnes concernées. Ainsi, sur 146 demandes formulées par les autorités françaises en 2006, les autorités russes n'ont délivré que 29 laissez-passer, soit un taux de 20 % (le taux moyen est de 42 %). Or, les laissez-passer consulaires jouent un rôle important en matière d'éloignement des étrangers en situation irrégulière.

Je rappelle que, en 2006, le taux d'exécution des mesures d'éloignement des ressortissants russes en France n'a été que de 14 % (744 mesures d'éloignement prononcées et 106 exécutées) alors que le taux moyen d'exécution des mesures d'éloignement, toutes nationalités confondues, était de 30 %. L'accord communautaire prévoit que les laissez-passer consulaires seront délivrés sans tenir compte de la volonté des personnes concernées, ce qui devrait contribuer à simplifier la procédure d'éloignement.

2. Les difficultés

La Russie a toutefois obtenu un certain nombre de dérogations concernant en particulier la réadmission des ressortissants de pays tiers et les délais de réponse à une demande de réadmission.

a) La première difficulté a concerné la réadmission des ressortissants de pays tiers

La Russie a accepté le principe de réadmettre sur son territoire les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier qui sont passés par son territoire pour se rendre sur le territoire des États membres de l'Union européenne. Toutefois, la Russie a obtenu que cette disposition ne s'applique que trois ans après l'entrée en vigueur de l'accord, sauf pour les ressortissants de pays tiers avec lesquels elle a conclu des accords bilatéraux de réadmission. De plus, cette obligation de réadmission sera soumise à des conditions. Ainsi, elle ne jouera pas pour les étrangers ayant simplement transité par un aéroport international russe.

b) La deuxième difficulté a porté sur le délai de réponse à une demande de réadmission.

L'accord prévoit un délai maximal de 60 jours pour la réponse à une demande de réadmission. Or, ce délai est incompatible avec ce que prévoit notre législation en matière de délai de rétention des étrangers en situation irrégulière. Notre législation prévoit, en effet, une durée maximale de rétention administrative de 32 jours.

Je rappelle que les étrangers en situation irrégulière peuvent être placés en rétention par un arrêté préfectoral pour une durée ne pouvant excéder 48 heures. À l'issue de ce délai de deux jours, le juge judiciaire doit décider de la prolongation ou non de cette mesure pour une durée supplémentaire maximale de quinze jours. Enfin, le juge judiciaire peut décider d'une nouvelle prolongation de quinze jours de la rétention mais sous certaines conditions plus restrictives.

Cet accord n'apporte donc aucun progrès pour notre pays puisque le délai de réponse des autorités russes à une demande de réadmission formulée par la France excède de près du double le délai maximal de rétention des étrangers. En effet, malgré les demandes répétées de la délégation française, la Commission européenne a refusé de modifier le texte de l'accord.

Il est vrai que, dans cette affaire, la France est relativement isolée puisque, seuls l'Espagne (où le délai maximal de rétention est de 40 jours) et le Portugal (délai de 60 jours) sont confrontés à cette difficulté. Dans les autres États membres, le délai de rétention des étrangers est beaucoup plus long (18 mois en Allemagne) et dans certains pays, comme le Royaume-Uni, il n'existe même pas de limitation de durée.

En dépit de son isolement relatif, la France a toutefois obtenu la conclusion d'un protocole bilatéral avec la Russie sur ce sujet, de même que l'Espagne et le Portugal. Le protocole bilatéral avec la France, qui a été signé le 1er février dernier, prévoit que le délai de réponse des autorités russes à une demande de réadmission formulée par la France sera de vingt-cinq jours. Ce délai sera donc inférieur au délai maximal de rétention administrative des étrangers dans notre pays.

En définitive, on doit constater que l'accord de réadmission avec la Russie constitue le plus mauvais des six accords de réadmission négociés à ce jour par la Commission européenne. C'est d'autant plus surprenant que, contrairement aux accords précédents, l'Union européenne a accepté d'offrir à la Russie des contreparties en accédant à sa demande de faciliter la délivrance des visas pour les ressortissants russes.

Ces deux accords représentent néanmoins un progrès du point de vue du renforcement des relations entre l'Union européenne et la Russie. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai de prendre acte de ces deux textes.

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A l'issue de cette communication, la délégation a décidé de ne pas intervenir plus avant.