COM (2006) 105 final  du 08/03/2006

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 20/03/2006
Examen : 14/03/2006 (délégation pour l'Union européenne)


Énergie

Rapport de M. Aymeri de Montesquiou
sur la politique européenne de l'énergie

Textes E 2914 et E 3101
COM (2005) 265 final et COM (2006) 105 final

(Réunion du 14 mars 2006)

M. Aymeri de Montesquiou :

Nous avons été saisis du Livre vert sur l'efficacité énergétique présenté par la Commission européenne au mois de juin dernier (texte E 2914). En travaillant sur ce document, qui évoque l'objectif tout à fait fondamental des économies d'énergies, il m'est apparu opportun d'élargir le sujet et d'examiner la politique européenne de l'énergie dans son ensemble.

En effet, alors que les Européens semblent prendre conscience seulement maintenant de leur grande vulnérabilité en la matière, la politique européenne de l'énergie apparaît tout à fait insuffisante. Il serait temps de passer à la vitesse supérieure. Le Sommet européen de printemps, qui doit se tenir à Bruxelles la semaine prochaine, a justement mis les questions énergétiques à son ordre du jour. C'est dans ce contexte que je vous propose d'adopter le présent rapport d'information.

I - LA GRANDE VULNÉRABILITÉ DE L'EUROPE

1. Une forte dépendance énergétique

L'Union européenne prend place dans un monde qui est véritablement boulimique d'énergie. On estime que la consommation mondiale d'énergie devrait croître de près de 52 % à l'horizon 2030 par rapport au niveau de 2003. L'Europe représente environ 17 % de la consommation énergétique mondiale, et l'Asie en développement l'a déjà dépassée, avec une part de 20 %, dont 11 % pour la seule Chine.

Schématiquement, on peut dire que l'on passe d'un monde où un quart de la population, celle des pays développés, consommait les trois quarts de l'énergie, à un monde où la consommation énergétique sera de plus en plus équitablement répartie en fonction des populations des différents pays.

L'Europe est dépendante énergétique, et le sera de plus en plus. Selon les prévisions de l'Agence internationale de l'énergie, l'Europe devra importer près de 70 % de ses besoins en énergie en 2030, contre 50 % actuellement. L'Union européenne sera alors dépendante à 90 % pour le pétrole, 70 % pour le gaz et 100 % pour le charbon.

2. Vers un troisième choc pétrolier ?

Le monde est à nouveau entré en 2005 dans une ère de pétrole cher. Le baril de pétrole a franchi les seuils historiques de 60 dollars le 23 juin 2005 et de 70 dollars le 30 août 2005. En dollars constants, cette hausse ne correspond encore qu'à 65 % du prix effectivement atteint par les cours pétroliers lors du deuxième choc pétrolier en 1979. On estime que le baril pourrait atteindre un niveau de 105 à 110 dollars, comparable à celui de 1979.

Au-delà des tensions immédiates sur le marché du pétrole, c'est vers un véritable tarissement des réserves d'hydrocarbures que le monde se dirige. Les réserves prouvées de pétrole représentent aujourd'hui entre 1 000 et 1 200 milliards de barils, soit 40 années de consommation au rythme actuel. Pour le gaz naturel, les ressources estimées sont plus importantes que pour le pétrole, soit une soixantaine d'années.

3. Une dépendance géostratégique accrue

Une directive européenne de 1968 oblige les États membres à maintenir des stocks stratégiques de pétrole correspondant à 90 jours de consommation intérieure. Mais ces stocks stratégiques ne sont qu'une réponse partielle au risque de rupture des approvisionnements pétroliers. Ces réserves limitées en volume ne permettraient pas de faire face à une rupture majeure et durable des approvisionnements énergétiques. Elles peuvent, au mieux, servir à lutter contre la spéculation quand les cours flambent.

Les voies d'approvisionnement du continent européen sont également un facteur de vulnérabilité. Certains navires pétroliers sont dangereux car trop anciens, et les accidents se multiplient, qui constituent une menace sérieuse pour le milieu marin. Ces navires sont également exposés à la menace du terrorisme, tout comme les gazoducs qui alimentent le marché européen. Un acte terroriste entraînerait une perturbation des marchés mondiaux du pétrole et du gaz et renchérirait le coût de l'énergie.

Un autre facteur de vulnérabilité est la grande concentration géographique des importations énergétiques de l'Union européenne, qui proviennent très majoritairement de deux régions seulement du monde. L'Europe importe environ 3 millions de barils par jour en provenance du Golfe persique, soit 45 % de ses importations pétrolières. Par ailleurs, la Russie fournit près de 50 % du gaz naturel et 20 % du pétrole consommés dans l'Union européenne.

Enfin, L'Europe s'en est largement remise au leadership américain dans le grand jeu énergétique mondial. Or, les États-Unis ne placent pas l'Europe au coeur de leurs préoccupations. L'aventure irakienne et l'émergence d'une rivalité commerciale accrue entre entreprises européennes et américaines changent les perspectives. Si l'Europe apparaissait comme un concurrent ou un obstacle à la défense des intérêts stratégiques et énergétiques américains, la course aux ressources pourrait devenir un nouveau point de friction dans les relations transatlantiques.

4. L'Europe tiendra-t-elle ses engagements de Kyoto ?

Dans le cadre du protocole de Kyoto sur la lutte contre le changement climatique, l'Union européenne s'est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 8 % en 2012 par rapport à 1990. En pratique, ce sont les États membres faiblement émetteurs de gaz à effet de serre, comme la France grâce au développement de sa production électronucléaire, qui contribueront davantage à atteindre l'objectif global auquel l'Union européenne s'est engagée.

L'Union européenne, qui s'est voulue la promotrice du protocole de Kyoto, doit désormais donner le bon exemple au reste du monde. Mais les tendances de ces dernières années n'incitent guère à l'optimisme sur la capacité de l'Europe à faire face à ses engagements. En effet, si l'Union a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 3,3 % entre 1990 et 2000, celles-ci ont augmenté de 0,3 % entre 1999 et 2000 et de 1 % entre 2000 et 2001. La diminution globale s'explique essentiellement par les efforts de l'Allemagne, qui est parvenue à une diminution de 18,3 % cette dernière décennie, notamment grâce à la restructuration économique de l'ancienne RDA.

La décision prise par le précédent gouvernement allemand de « sortir du nucléaire » est d'autant plus inquiétante. Elle ne pourra avoir qu'un impact très défavorable au regard des émissions de CO2, dans la mesure où les centrales nucléaires allemandes seront progressivement remplacées par des centrales thermiques au gaz ou à charbon.

II - UNE POLITIQUE DE L'ÉNERGIE EMBRYONNAIRE

Le contexte ainsi posé, examinons la politique européenne de l'énergie, telle qu'elle s'est développée depuis bientôt 40 ans. Celle-ci apparaît tout à fait embryonnaire.

1. Des bases juridiques fragiles

Le projet communautaire initial se fondait sur des préoccupations de politique énergétique. Le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) du 18 avril 1951 fait figure de précurseur du traité de Rome de 1957 et le traité instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom) lui est contemporain. Mais la CECA s'est éteinte en même temps que l'extraction charbonnière en Europe, tandis que l'énergie nucléaire s'est développée dans certains des États membres seulement, et sur des bases essentiellement nationales. Aujourd'hui, il s'agit d'un secteur peu consensuel, où les intérêts nationaux sont particulièrement marqués.

Les traités CECA et Euratom ainsi marginalisés, il n'apparaît pas dans le traité de Rome de disposition spécifique concernant la politique de l'énergie. Jusqu'à maintenant, les mesures communautaires prises dans ce domaine l'ont été sur la base de la « clause de flexibilité » générale prévue à l'article 308.

Le projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe visait à consolider la base juridique d'une politique européenne de l'énergie. En effet, l'énergie figure dans son article I-14, qui énumère les domaines de compétences partagées entre l'Union et les États membres. En conséquence, l'article III-256 du projet de traité constitutionnel précise les modalités de mise en oeuvre de la politique commune de l'énergie. La consolidation de la base juridique de la politique européenne apparaît donc suspendue au sort final du projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe, dont la ratification paraît bien compromise à la suite de son rejet par plusieurs États membres, dont la France.

2. Une priorité donnée à la libéralisation du gaz et de l'électricité

Comme dans d'autres domaines, la Commission européenne a donné la priorité à la libéralisation du marché intérieur du gaz et de l'électricité. Cette libéralisation s'est faite par étapes depuis les directives de 1996 et 1998, et sera en droit complète au 1er juillet 2007.

Dans les faits, les marchés nationaux restent largement monopolistiques. Par ailleurs, les infrastructures énergétiques demeurent en retard. Le montant nécessaire afin de compléter le réseau transeuropéen d'électricité et de gaz est estimé à environ 28 milliards d'euros pour les seuls projets prioritaires, dont 20 milliards dans l'Union européenne et 8 milliards dans les pays tiers.

Jusqu'à présent, la libéralisation du gaz et de l'électricité a surtout accéléré la concentration du secteur aux mains de quelques grands groupes. L'année 2006 débute d'ailleurs en France par la fusion, annoncée le 27 février, de Gaz de France et de Suez. Mais les flux transfrontaliers d'électricité sont restés marginaux. Le volume total des échanges dans le secteur de l'électricité ne représentait en 2004 qu'environ 10,7 % de la production de la Communauté, soit une hausse de deux points seulement par rapport à 2000.

3. Des initiatives parcellaires

A côté des directives de libéralisation du marché européen de l'énergie, la Commission a présenté un certain nombre de directives à caractère technique qui tendent à renforcer l'efficacité énergétique : directive de 2002 sur la performance énergétique des bâtiments ; directive de 2004 concernant la promotion de la cogénération dans le marché intérieur de l'énergie ; directive-cadre de 2005 sur l'écoconception des produits consommant de l'énergie.

Ces directives à caractère technique sont bienvenues, car il n'y a pas de petites économies. Mais elles sont difficilement négociées et souvent dépourvues de caractère vraiment contraignant. Bref, elles manquent de souffle et ne sauraient tenir lieu de politique européenne de l'énergie. Du reste, elles doivent encore être transposées dans la plupart des États membres.

On peut également verser au crédit de la politique européenne de l'énergie une directive de 2003, non encore transposée en droit interne français, qui restructure le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité. Elle élargit le système des minima communautaires de taxation, qui a longtemps été réservé aux seules huiles minérales, au charbon, au gaz naturel et à l'électricité.

4. Une prise de conscience récente

On peut observer toutefois une prise de conscience récente de la nécessité de donner plus de consistance à la politique européenne de l'énergie. Ainsi, le Livre vert présenté par la Commission européenne en novembre 2000 et intitulé « Vers une stratégie européenne d'approvisionnement énergétique » a posé les premiers jalons.

Plus récemment, en juin 2005, la Commission a présenté un Livre vert sur l'efficacité énergétique, ou « Comment consommer mieux avec moins », dans lequel elle estime que l'Union européenne pourrait économiser au moins 20 % de sa consommation énergétique, soit 60 milliards d'euros par an, et que cet objectif pourrait créer directement ou indirectement un million d'emplois en Europe.

Pour contribuer au débat sans attendre la publication de ces deux documents, le gouvernement français a présenté au Conseil économique et financier (ECOFIN) du 24 janvier 2006 un mémorandum pour une relance de la politique énergétique européenne dans une perspective de développement durable. Ce mémorandum se prononce en faveur d'une politique européenne de l'énergie intégrée, qui trouverait un équilibre entre les trois objectifs que sont la sécurité d'approvisionnement, la prise en compte de l'impact environnemental et la compétitivité.

Enfin, conformément au voeu exprimé par les chefs d'État et de gouvernement lors des Conseils européens d'Hampton Court et de décembre 2005, la Commission européenne vient d'adopter le 8 mars dernier un nouveau Livre vert, intitulé « Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable ». Ce document pose les bases de ce que pourrait être une politique européenne de l'énergie plus ambitieuse, et rejoint très largement les propositions déjà faites par la France dans son mémorandum.

III - LES VOIES D'ACTION

1. Économiser l'énergie : un impératif trop souvent négligé

L'efficacité énergétique de l'Union européenne s'est incontestablement améliorée depuis le premier choc pétrolier. On observe cependant, ces dernières années, un relâchement des efforts d'économies d'énergie. L'amélioration de l'efficacité énergétique plafonne désormais à 0,5 % par an, alors qu'elle progressait avant au rythme de 1 % par an.

Le secteur industriel représentait 28,3 % de la consommation finale d'énergie de l'Union européenne en 2002. Il fait figure de « bon élève de la classe », car il est naturellement porté à économiser l'énergie dans la mesure où il a l'habitude de tenir compte de ses coûts. Une tendance d'avenir est le développement des sociétés de services énergétiques, qui prennent en charge la consommation d'énergie globale d'un client industriel et se rémunèrent pour partie sur les économies réalisées. La France a joué un rôle pionnier dans ce domaine, et exporte aujourd'hui son savoir-faire ailleurs en Europe.

Le bâtiment résidentiel et tertiaire représentait 40,4 % de la consommation d'énergie finale de l'Union européenne en 2002. Il mérite l'appréciation « peut mieux faire », car c'est un secteur où les gisements d'économies d'énergie sont importants : à elle seule, la mise en oeuvre de la directive de 2002 sur la performance énergétique des bâtiments devrait permettre un gain de 40 millions de tep (tonnes équivalent pétrole) pour l'Union européenne d'ici à 2020.

Les technologies modernes permettent aujourd'hui de construire des bâtiments économes, voire « à coefficient énergétique positif », c'est-à-dire générant plus d'énergie qu'ils n'en consomment. Les nouvelles réglementations thermiques peuvent donc être plus exigeantes que les précédentes. Mais le parc des bâtiments ne se renouvelle qu'au rythme de 1 % par an. La priorité doit donc être donnée à la rénovation des bâtiments existants, qui devrait être l'occasion d'une mise aux normes systématique.

Le secteur du transport représentait 31,3 % de la consommation finale d'énergie de l'Union européenne en 2002. Ce secteur fait figure de « cancre de la classe », dans la mesure où il absorbe 66 % de la consommation finale de produits pétroliers, qui croît au rythme de + 1 % par an. La part du transport dans la consommation finale d'énergie de la France est ainsi passée de 20 % à 31 % entre 1973 et 2004.

Une amélioration limitée peut être attendue du progrès technologique des véhicules. Certes, les moteurs classiques sont sans cesse plus économes et plus propres. Mais les gains de rendement énergétique ainsi obtenus sont en pratique absorbés par l'augmentation de la puissance des véhicules et par l'accroissement du trafic. Les véhicules hybrides, fonctionnant à l'essence et à l'électricité, sont déjà au point, mais leurs capacités restent limitées par le problème du stockage de l'électricité. Quant aux véhicules propulsés par une pile à hydrogène, ils existent déjà au stade de prototypes. Mais la phase de production industrielle semble encore lointaine, tant que les coûts n'auront pas été suffisamment abaissés et que la question de la production de l'hydrogène n'aura pas trouvé de solution viable.

Les plus grands progrès doivent être espérés, à court et moyen terme, du développement des transports collectifs urbains, pour les personnes, et du transport combiné ou du ferroutage, pour le fret (rentable économiquement pour les trajets massifiés supérieurs à 500 kilomètres). La politique de l'énergie rejoint ici la politique des transports.

Le secteur public, qui représente environ 10 % de la consommation d'énergie nationale dans la plupart des États membres, se doit d'être « l'élève modèle » en matière d'efficacité énergétique. Les bâtiments administratifs ont vocation à servir d'exemples pour la mise en oeuvre des techniques d'économies d'énergie les plus récentes et les plus efficaces. Les pouvoirs publics doivent également avoir un rôle de démonstrateurs, en mettant en service des flottes de véhicules propres et économes, que ce soit pour leurs besoins propres ou pour les transports publics. Les collectivités locales ont un rôle particulier à jouer, en tant que responsables de réseaux de chaleur et de transport urbain. Elles ont également une fonction de prescription des comportements, à travers les documents d'urbanisme.

Aucun progrès significatif en matière d'efficacité énergétique ne pourra être fait sans mobiliser les citoyens en tant que consommateurs. L'information sur les produits fournie aux citoyens est tout à fait essentielle, qu'il s'agisse du label énergétique des véhicules ou des appareils électroménagers, ou encore du diagnostic énergétique des bâtiments.

On pourrait par ailleurs envisager que les tarifs de l'électricité ne soient plus dégressifs, mais au contraire progressifs, afin de ne pas encourager la surconsommation. D'une manière générale, les tarifs du gaz et de l'électricité sont régulés en France, et fixés à un niveau qui ne permet pas un amortissement normal des investissements productifs. La vérité des prix de l'énergie serait déjà un bon indicateur pour le citoyen-consommateur.

Enfin, il ne faut pas hésiter à faire appel au civisme, à travers l'éducation et les campagnes d'information grand public. Les citoyens européens sont aujourd'hui mûrs pour modifier leurs comportements, indépendamment des incitations fiscales ou financières qui peuvent exister par ailleurs.

2. Perspectives et limites des énergies renouvelables

Depuis 1997, l'Union européenne s'est fixé pour objectif ambitieux de porter à 12 % d'ici 2010 la part de l'énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation intérieure brute. En 1997, cette part était de 5,4 %. En 2001, elle n'était encore que de 6 %. La faiblesse relative des énergies renouvelables à l'échelle globale de l'Europe fait apparaître un écart entre un discours européen officiel très environnementaliste et une réalité économique toujours basée sur les énergies fossiles. Il existe des limites techniques et pratiques à l'exploitation rentable des énergies renouvelables.

Physiquement, le potentiel d'équipement hydroélectrique est arrivé à saturation dans la plupart des pays européens. Les énergies éolienne et solaire connaissent d'importantes variations géographiques et sont intermittentes. La production de biomasse est en concurrence avec d'autres utilisations du sol, principalement à des fins agricoles. Les sources d'énergie renouvelables ne sont pas non plus dépourvues d'impacts environnementaux localisés : impact paysager pour l'éolien, émissions atmosphériques pour le bois combustible, présence de contaminants dans le biogaz de décharge, perturbation de l'écosystème local pour l'hydraulique...

Techniquement, les sources d'énergies renouvelables, surtout lorsqu'elles sont intermittentes et imprévisibles (6 à 7 % seulement de la capacité énergétique d'une éolienne est utilisable en moyenne), ne peuvent que servir d'appoint à des sources d'énergies « classiques » fonctionnant en base.

Financièrement, les seules lois du marché ne suffisent pas au développement des énergies renouvelables. Leur développement demandera donc un soutien financier public continu. Le total des investissements nécessaires dans l'Union européenne pour atteindre l'objectif d'un doublement des énergies renouvelables entre 1997 et 2010 est estimé par la Commission européenne à 165 milliards d'euros, ce qui correspondrait à une augmentation de 30 % du montant des investissements dans le secteur de l'énergie.

Une directive de 2003 a fixé pour norme européenne l'incorporation de 5,75 % de biocarburants dans l'essence et le diesel. L'objectif de la Commission européenne est de porter la part des biocarburants à plus de 20 % de la consommation européenne d'ici à 2020. L'Allemagne est aujourd'hui le premier producteur européen, avec 450 000 tonnes par an ; la France arrivant en seconde position, avec 360 000 tonnes. Les biocarburants étaient jusqu'à tout récemment handicapés par des coûts trop élevés, mais le passage du baril de pétrole à plus de 60 dollars les rend relativement compétitifs. Ils doivent toutefois être soutenus par des avantages fiscaux consistants.

Les biocarburants n'apparaissent toutefois pas comme la panacée. Leur développement nécessitera de lourds investissements de la part des constructeurs automobiles et des raffineurs. Le rendement énergétique des biocarburants de première génération, qui transforment des plantes à usage agricole comme le colza ou la betterave, est encore médiocre car il faut des hydrocarbures pour les produire (environ une demi-tonne de pétrole est nécessaire pour produire une tonne d'éthanol), alors que ces plantes ne sont pas utilisées dans leur totalité. Enfin, la production de biocarburants est consommatrice d'espace : un calcul théorique montre que, si l'on devait convertir toute la consommation d'essence de l'Europe en biocarburants, il faudrait planter en colza six fois la surface agricole utile européenne.

3. Le nucléaire : une solution incontournable

L'énergie nucléaire ne fait pas l'objet d'un consensus dans l'Union européenne. Mais le traité Euratom a été conçu de façon suffisamment souple pour permettre à chaque pays européen de mener un programme nucléaire en toute autonomie s'il le souhaite. Seuls 12 des 25 États membres ont développé une filière électronucléaire, et les opinions publiques oscillent entre la méfiance et la franche hostilité.

Pourtant, le point fort de l'énergie nucléaire reste sa contribution à la lutte contre le changement climatique. En effet, à la différence des énergies fossiles, les centrales nucléaires ne produisent aucun CO2 lors de leur fonctionnement. A l'échelle mondiale, le nucléaire permet d'éviter le rejet de 2,1 milliards de tonnes de CO2 par an, dont 800 millions de tonnes en Europe occidentale. Le nucléaire peut donc aider l'Europe à atteindre ses objectifs de Kyoto, tout en diversifiant ses approvisionnements énergétiques.

Récemment, le renchérissement des hydrocarbures et la crise du gaz déclenchée par la Russie ont relancé le débat nucléaire en Europe. La nouvelle coalition CDU-SPD arrivée au pouvoir en Allemagne envisage, sinon de revenir sur le principe de la sortie du nucléaire, du moins d'en repousser les échéances ; tandis que des pays comme l'Italie ou l'Espagne reconsidèrent la pertinence de leur moratoire sur l'énergie nucléaire.

Signe des temps, la Pologne a décidé en avril 2005 de se lancer pour la première de son histoire dans le développement d'un parc nucléaire civil. La première centrale polonaise, dont la construction pourrait être confiée à Areva, devrait fonctionner en 2020. Cette décision est très largement motivée par l'obligation qu'a la Pologne de réduire de 30 % ses émissions de gaz à effet de serre.

Par ailleurs, la Finlande a décidé de lancer, en commun avec la France, un programme de centrales nucléaires de nouvelle génération, l'European Pressurized Reactor (EPR), préservant ainsi pour l'avenir la capacité technologique de la France dans ce domaine.

4. La coopération internationale : une dimension à développer

L'Union européenne a dans le domaine de l'efficacité énergétique une expérience à faire valoir au niveau international, puisqu'elle est trois à quatre fois plus efficace en terme d'intensité énergétique que les pays de l'ex-Union soviétique ou du Moyen-Orient. L'efficacité énergétique fait partie des actions de coopération internationale que l'Union européenne doit mener avec ses partenaires, qu'il s'agisse de pays industrialisés tels que les États-Unis, ou de pays en voie de développement, tels que la Chine et l'Inde.

Je crois qu'une attention particulière doit être prêtée au partenariat avec la Russie. L'Europe est très largement dépendante pour son approvisionnement énergétique de la Russie, qui lui fournit 50 % de son gaz et 20 % de son pétrole. Mais cette dépendance est réciproque, puisque l'Union européenne représente 30 % en volume et 70 % en valeur des recettes de Gazprom. Près de 40 % des recettes de l'État russe et 75 à 80 % des recettes d'exportation de ce pays dépendent directement du seul marché de l'énergie européen.

Un partenariat Russie-Union européenne a été lancé en octobre 2000, qui a vocation à être le cadre privilégié du dialogue entre chacun des États membres de l'Union et la Fédération de Russie. Mais ce partenariat ne progresse que lentement. Ainsi, certains projets d'intérêt commun, comme le gazoduc transeuropéen septentrional, le gazoduc Yamal Europe, la mise en exploitation de champs pétroliers ou gaziers et l'interconnexion des réseaux électriques n'ont que peu avancé au cours des dernières années. De même, la mise en place au niveau européen d'un fonds européen visant à garantir les risques non commerciaux de certains projets de production et de transport d'énergie de grande ampleur n'a toujours pas eu lieu.

Globalement, les besoins d'investissements du secteur énergétique russe ont été évalués par la Commission européenne à 715 milliards d'euros d'ici 2020. Cet investissement est nécessaire pour éviter que des installations énergétiques existantes, par ailleurs très polluantes, n'arrivent à un degré de vieillissement qui mettrait en cause la stabilité sociale de la Russie et l'approvisionnement de ses clients. Les progrès de la Russie dans l'efficacité énergétique sont vitaux : selon la Commission européenne, elle pourrait économiser jusqu'à 430 millions de tep d'ici 2020. Mais, sans amélioration dans ce domaine et compte tenu de sa croissance, la capacité exportatrice de la Russie risque de disparaître à l'horizon 2015. L'efficacité énergétique devrait donc constituer un thème privilégié de la coopération entre les pays de l'Union européenne et celle-ci.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

En ce qui concerne les économies d'énergie, je me souviens qu'à une époque on cherchait à faire acquérir de bons réflexes aux jeunes et aux citoyens. J'ai le sentiment qu'aujourd'hui il n'en est plus rien. Nous devrions préconiser qu'une campagne soit lancée au niveau national et européen.

Je voudrais savoir si vous avez senti chez vos différents interlocuteurs une véritable volonté de dégager une politique européenne de l'énergie ?

M. Aymeri de Montesquiou :

Je crois qu'il y a effectivement une prise de conscience. On l'a constaté encore en début d'année, avec la crise du gaz entre la Russie et l'Ukraine. Soit dit en passant, il ne me paraît pas scandaleux que la première veuille désormais vendre son gaz à la seconde au prix du marché international, et non plus aux prix artificiellement bas de l'époque soviétique.

M. Denis Badré :

Je crois que la politique européenne de l'énergie reste à faire, même si l'on a défini quelques objectifs communs. Il y a pour l'instant beaucoup de discours et peu de réalisations. Ainsi, l'affaire de la fusion entre Suez et GDF relève plus d'un étroit patriotisme économique français que d'une vision européenne. De même, la question des centrales nucléaires dans les pays nouveaux entrants a été gérée en dépit du bon sens.

Aujourd'hui, alors que l'on a trop souvent des oppositions d'intérêts nationaux, il faut retrouver en Europe le sens de l'intérêt commun. La politique de l'énergie est précisément un domaine où il existe un puissant intérêt commun européen. La construction de l'Europe pourrait repartir sur de tels sujets.

M. Aymeri de Montesquiou :

Je partage cette analyse. L'énergie devrait inspirer un axe politique qui me paraît majeur. Or, il n'existe pas encore de politique européenne de l'énergie au niveau mondial, comme le montrent les divergences quant à la guerre en Irak, ou la conception purement bilatérale des projets de pipelines et de gazoducs alimentant le continent.

On ne peut que regretter également les discordances sur la question du nucléaire, même si une évolution se fait jour dans un sens plus favorable à cette source d'énergie. Je crois que la France a une carte politique et économique majeure à jouer à travers Areva, qui voit s'ouvrir des marchés mondiaux avec les besoins de pays tels que l'Inde ou la Chine.

M. Jean Bizet :

Il nous faut un discours clair sur le nucléaire, domaine où il y a beaucoup d'hypocrisie. L'Allemagne met en avant son effort sur l'énergie éolienne et sa renonciation au nucléaire, mais n'hésite pas à acheter à la France de l'électricité d'origine nucléaire. Le récent discours de l'Union du président américain George Bush a repositionné favorablement la filière électronucléaire.

Plus généralement, l'efficacité énergétique se trouve au coeur de la stratégie de Lisbonne.

M. Hubert Haenel :

N'oublions pas que la politique de l'Union dans le domaine de l'énergie était prévue dans le projet de traité constitutionnel !

M. Aymeri de Montesquiou :

En ce qui concerne la pertinence du nucléaire au regard du changement climatique, j'ai coutume de dire que l'on a le choix entre une catastrophe assurée et un risque contrôlé.

M. Jean Bizet :

Vous avez rappelé que le projet français d'European Pressurized Reactor (EPR) sera implanté dans mon département, la Manche. Tous les parlementaires du département soutiennent ce projet. Cela n'empêche pas que sa mise en oeuvre soit difficile. Le nucléaire continue de cristalliser les inquiétudes, et s'y ajoute la volonté politique de certains de saper la filière électronucléaire française.

M. Bernard Frimat :

Votre rapport montre que l'on touche les limites d'une stratégie qui s'est contentée de libéraliser le marché de l'énergie, en considérant que ce serait la solution à tous les problèmes. Mais la libéralisation se trouve remise à sa juste place dès lors que l'on se fixe des objectifs de sécurité d'approvisionnement.

M. Aymeri de Montesquiou :

Je ferai néanmoins observer que la libéralisation permet davantage de souplesse dans les échanges transfrontaliers d'électricité, même si ceux-ci demeurent encore marginaux. Cette flexibilité interne à l'Union européenne ne me paraît pas contradictoire avec la définition d'une stratégie commune.

M. Roland Ries :

Je partage votre analyse du secteur du transport comme « cancre de la classe » en ce qui concerne l'efficacité énergétique. Mais vous restez au niveau des généralités en préconisant le développement des transports publics. Je suis pour ma part favorable à une politique de contrainte de l'usage privatif de l'automobile.

M. Aymeri de Montesquiou :

Je peux vous indiquer que le seul renforcement des limitations de vitesse en France a permis des économies de carburant de l'ordre de 5 %.

Un autre fait intéressant me paraît être le développement du transport maritime entre les pays de l'Union européenne, qui assure 40 % du trafic de fret, soit autant que la route.

M. Roland Ries :

Il reste néanmoins trop de camions sur les routes. On a une révolution à faire en matière de transport routier, qui passe sans doute par des mesures fiscales.

*

À l'issue du débat, la délégation a décidé d'autoriser la publication de ce rapport d'information, qui paraîtra prochainement sous le numéro 259. Il sera disponible également sur Internet à l'adresse suivante :

www.senat.fr/europe/rap.html