COM (2005) 237 final  du 31/05/2005
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 20/12/2006

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 09/06/2005
Examen : 13/12/2005 (délégation pour l'Union européenne)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : voir le dossier legislatif


Justice et affaires intérieures

Système d'information Schengen de deuxième génération
(textes E 2897, E 2898 et E 2899)

Communication de M. Robert Del Picchia

Le système d'information Schengen (le « SIS ») est une base de données informatique commune qui relie entre eux les États participants aux accords de Schengen (c'est-à-dire tous les anciens États membres de l'Union, à l'exception du Royaume-Uni et de l'Irlande, et deux États associés : l'Islande et la Norvège). Il est opérationnel depuis 1995. Il permet aux autorités compétentes (policiers, gendarmes, douaniers, autorités judiciaires) de disposer en temps réel des informations introduites dans le système par l'un des États membres grâce à une procédure d'interrogation automatisée. Ces informations peuvent concerner des individus (comme les personnes disparues ou recherchées et les étrangers signalés aux fins de non admission sur le territoire) ou des objets (véhicules volés, armes dérobées, faux billets, documents détournés ou égarés).

Près de quinze millions de données sont actuellement enregistrées dans le SIS (dont 90 % concernent des objets et 10 % des personnes). Elles sont soumises à des règles sévères de protection des données, avec notamment une autorité commune de contrôle, qui est un organisme indépendant composé de représentants des autorités nationales chargées de la protection des données personnelles (comme la CNIL pour la France).

Le SIS est composé d'une partie nationale dans chaque État membre et d'une structure de support centrale, installée à Strasbourg et dont la gestion technique est assurée par la France pour le compte des autres États membres. Chaque pays a la charge de réglementer son propre accès au SIS. Pour la France, environ 15 000 terminaux d'ordinateurs répartis entre police nationale, gendarmerie, douanes, préfectures et autres services du ministère de l'Intérieur ou des Affaires étrangères autorisent cet accès. L'interrogation du SIS, fichier européen, est un acte national quotidien (environ 34,5 millions d'interrogations du SIS ont été faites en France en 2004). Il donne toute son efficacité au système, en particulier en raison de sa rapidité. En effet, une inscription faite en Grèce peut être disponible en Finlande dans les cinq minutes qui suivent.

Sous sa forme actuelle, le SIS ne dispose cependant pas de capacités suffisantes pour assurer les services nécessaires à plus de dix-huit États membres. Cela d'autant plus qu'il est prévu que le SIS assure de nouvelles fonctions, comme la diffusion des mandats d'arrêt européens par exemple. C'est la raison pour laquelle il a été décidé de remplacer l'actuel système par un système de deuxième génération permettant de faire face à l'augmentation du nombre d'États résultant de l'élargissement.

La mise en place de ce système de seconde génération présente donc une grande importance pour les dix nouveaux États membres. En effet, c'est seulement lorsque ce système sera mis en place qu'il sera possible d'envisager leur participation pleine et entière aux accords de Schengen et la levée des contrôles aux frontières intérieures avec ces pays. L'objectif de la Commission européenne est de mettre en place ce système dès 2007. À terme, la Commission européenne envisage une interopérabilité entre le SIS II et les autres bases de données existantes au niveau européen, comme la base de données sur les empreintes digitales des demandeurs d'asile (EURODAC) ou encore le futur système d'information sur les visas (VIS).

Les trois textes dont nous sommes saisis sont relatifs à l'architecture, à la gestion et à l'utilisation de ce système de deuxième génération. Étant donné que l'acquis de Schengen a été intégré dans le cadre des traités et partiellement « communautarisé » par le traité d'Amsterdam, la Commission européenne propose de remplacer l'actuelle base juridique (la Convention d'application des Accords de Schengen) par trois instruments : un projet de décision pris sur la base du « troisième pilier » et deux règlements sur la base du « pilier communautaire », l'un fondé sur les articles du traité relatifs aux contrôles des frontières, l'autre sur celui relatif aux transports. Ces trois instruments font donc l'objet d'une procédure d'adoption différente. En effet, le projet de décision doit être adopté à l'unanimité par le Conseil, le Parlement européen étant simplement consulté, alors que, pour les deux règlements, le Conseil statue à la majorité qualifiée en codécision avec le Parlement européen.

La plupart des mesures envisagées ne soulèvent pas de difficultés particulières. Il en va ainsi des règles relatives notamment à la transmission des mandats d'arrêts européens par le SIS, de l'accès d'Europol et d'Eurojust au SIS, ou encore de l'inclusion de données biométriques (empreintes digitales et photographies numériques) pouvant permettre notamment de détecter les personnes ayant recours à une fausse identité. Seuls deux ou trois articles du projet de règlement sur une centaine d'articles posent véritablement problème. Il s'agit toutefois de difficultés majeures qui nécessitent, à mes yeux, une intervention de notre délégation.

Ces difficultés sont de deux ordres différents.

1. La première difficulté porte sur l'architecture et la gestion du futur système

Actuellement, notre pays assure l'exploitation et la supervision du système central du SIS. Bien que de l'avis de tous les États membres ce système fonctionne de manière satisfaisante, la Commission européenne propose que la gestion du SIS II soit assurée à l'avenir par une agence. Et pendant une période intermédiaire de trois années, la gestion du SIS II serait confiée à la Commission.

Or, l'idée de confier à une agence ou à la Commission la gestion d'une base de données telle que le SIS ne me paraît pas souhaitable. En effet, il me paraît dangereux de confier la gestion d'une telle base de données sensibles intéressant la sûreté de l'État, la défense et la sécurité publique à un organisme extérieur. En outre, le précédent d'Europol, dont le système d'information générale n'est toujours pas opérationnel plus de dix ans après sa création, n'incite guère à suivre cet exemple. De plus, je voudrais faire observer que la Commission européenne ne dispose ni des experts informatiques, ni des policiers, nécessaires au fonctionnement du système. Enfin, le coût financier ne serait pas négligeable, puisque la Commission européenne envisage un montant de 156 millions d'euros pour la période 2007 à 2013, financé par le budget de l'Union, et cela uniquement pour la partie centrale du SIS II, l'interface nationale étant gérée et financée par chaque État membre. D'ores et déjà, la Commission européenne a attribué un contrat d'un montant de 40 millions d'euros à un consortium d'entreprises privées spécialisées dans le domaine des nouvelles technologies, pour développer le nouveau SIS II. Je rappellerai que, actuellement, le budget de fonctionnement de la partie centrale du SIS est de l'ordre de seulement 2 millions d'euros par an. Étant donné que celui-ci fonctionne actuellement de manière satisfaisante, je ne vois pas très bien les raisons pour lesquelles il faudrait modifier l'architecture et la gestion du système.

2. La deuxième difficulté concerne plus spécifiquement la lutte contre la criminalité transnationale et l'immigration illégale

Le texte proposé par la Commission comporte trois éléments qui entraîneraient un véritable recul en matière de lutte contre la criminalité transnationale et l'immigration clandestine.

Tout d'abord, en ce qui concerne les données pouvant être enregistrées dans le système.

Actuellement, l'article 96 de la Convention d'application des accords de Schengen prévoit que les données relatives aux étrangers qui sont signalés aux fins de non admission sont intégrées au SIS sur la base d'un signalement résultant de décisions prises par les autorités administratives ou les juridictions compétentes. Et cet article précise que ces décisions peuvent être fondées sur la menace pour l'ordre public ou la sécurité et sûreté nationales que peut constituer la présence d'un étranger sur le territoire national, notamment lorsque cet étranger a été condamné pour une infraction passible d'une peine d'emprisonnement d'au moins un an ou lorsqu'il existe des raisons sérieuses de croire qu'il a commis des faits punissables graves. Il s'agit d'une disposition centrale puisque environ 850 000 étrangers sont actuellement signalés dans le SIS sur le fondement de cet article.

Or, le projet de la Commission européenne aboutirait, s'il était adopté en l'état, à vider de son contenu l'article 96. En effet, dans sa proposition, la Commission envisage de restreindre l'obligation de signalement aux seules personnes présentant une menace grave pour l'ordre ou la sécurité publics (les termes de « sécurité et de sûreté nationales » ayant disparu) et ayant été effectivement condamnées à une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à un an et cela uniquement pour l'une des trente-deux infractions visées par la décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen. Une telle mesure aboutirait donc à une baisse très significative du nombre de personnes signalées dans le SIS et limiterait par conséquent la possibilité pour les États membres de refuser l'entrée sur leur territoire d'individus présentant une menace pour l'ordre public et la sécurité nationales.

Ensuite, le nombre des autorités ayant accès aux signalements aux fins de non admission serait considérablement réduit.

Actuellement, tout policier peut avoir accès à ces données sur n'importe quel point du territoire. Dans son projet, la Commission européenne envisage de réserver cet accès aux seules autorités chargées des contrôles aux frontières extérieures de l'Union et à celles chargées de la délivrance des visas et des titres de séjour.

Or, cette mesure aboutirait à limiter considérablement l'efficacité de la lutte contre l'immigration illégale. En effet, dès lors qu'un étranger sera entré illégalement sur le territoire d'un État membre, il ne sera plus possible pour les policiers de savoir si cette personne a fait l'objet d'un signalement. Je rappellerai que, actuellement, 80 % des interrogations du SIS sont réalisées à l'intérieur du territoire des États membres, et que pour la France plus de 40 % des interpellations d'étrangers en situation irrégulière sont faites sur le territoire national.

Enfin, et c'est peut-être la disposition la plus saugrenue, la Commission européenne envisage de reconnaître à toute personne ayant fait l'objet d'un signalement dans le SIS le droit d'être informée de ce signalement.

Or, peut-on sérieusement envisager d'informer les personnes qui ont fait l'objet d'un signalement en raison de la menace qu'ils pourraient représenter pour l'ordre public ou la sûreté nationale ? On imagine sans peine que la première chose que feraient les terroristes ou les criminels serait de dissimuler leur vraie identité. Et il serait intéressant de savoir comment la Commission envisage de les informer. Faudrait-il, par exemple, envoyer un courriel à Oussama Ben Laden pour l'informer de son signalement dans le SIS ? Tout cela ne me paraît pas très sérieux.

Bien que les propositions de la Commission marquent un net recul par rapport à l'existant, peu d'États membres ont jusqu'à présent marqué leur opposition. En effet, seules la France, l'Espagne, la Grèce et le Portugal ont dénoncé ces reculs. Et la Commission est restée jusqu'à présent inflexible sur sa proposition. Or, la procédure d'adoption repose sur la majorité qualifiée au sein du Conseil. De plus, la présidence britannique ne paraît guère sensible à nos arguments, étant donné que le Royaume-Uni ne participe pas au SIS. En outre, pour les nouveaux États membres, la priorité est que le SIS II soit opérationnel le plus tôt possible afin de permettre la levée des contrôles aux frontières.

Dans ce contexte délicat, il me semble que nous pourrions utilement appuyer la position du Gouvernement en déposant une proposition de résolution qui reprendrait les préoccupations que je viens d'exprimer.

Compte rendu sommaire du débat

Mme Marie-Thérèse Hermange :

Comme j'ai eu l'occasion de le souligner dans le rapport d'information que je vous ai présenté sur les agences européennes, je suis extrêmement réservée devant la multiplication de ce type d'organismes au niveau européen. C'est la raison pour laquelle je pense que nous devrions nous opposer à l'idée de confier la gestion du futur système d'information Schengen de deuxième génération à une agence.

M. Roland Ries :

Pourriez-vous nous donner des éléments sur la gestion actuelle du système d'information Schengen ? Ce système fonctionne-t-il aujourd'hui de manière satisfaisante ?

M. Robert Del Picchia :

Depuis la mise en place du système d'information Schengen, chaque État est responsable de sa partie nationale, alors que la gestion de la structure de support centrale a été confiée à la France. De l'avis de tous les États membres, ce système fonctionne de manière satisfaisante. J'ajoute que le centre du système est situé à Strasbourg.

M. Robert Bret :

Les questions relatives au système d'information Schengen sont très complexes et sensibles. Je regrette d'ailleurs que nous n'ayons pas pu disposer de plus de temps pour les examiner. De manière générale, vous connaissez les fortes réserves de mon groupe à l'égard du système d'information de Schengen. C'est la raison pour laquelle je ne prendrai pas part au vote sur le dépôt de la proposition de résolution.

À l'issue de ce débat, la délégation a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui suit :


Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le projet de décision du Conseil sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II) (texte E 2897),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II) (texte E 2898),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur l'accès des services des États membres chargés de l'immatriculation des véhicules au système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II) (texte E 2899),

Approuve l'idée de remplacer le système d'information Schengen par un système d'information de deuxième génération permettant la participation d'un plus grand nombre d'États membres et de lui attribuer de nouvelles fonctionnalités ;

Considère cependant que ce nouveau système doit être au moins aussi performant que le système existant et que le texte proposé par la Commission ne répond pas à cet objectif ;

S'interroge sur la nécessité de modifier les bases juridiques actuelles de ce système au regard de la complexité résultant des initiatives présentées par la Commission ;

Demande, en particulier, au Gouvernement :

- de s'opposer à l'idée de confier la gestion du futur système à la Commission ou à une agence,

- de conserver les règles actuelles en matière de signalement des étrangers aux fins de non admission.