COM (2005) 113 final  du 06/04/2005

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 11/05/2005
Examen : 28/02/2006 (délégation pour l'Union européenne)


Environnement - Questions sociales et santé

Rapport de M. Paul Girod sur la protection civile
dans l'Union européenne

Texte E 2874 - COM (2005) 113 final

(Réunion du 28 février 2006)

M. Paul Girod :

Je souhaitais faire le point devant vous sur la question de la protection civile dans l'Union européenne. Mon rapport se fonde notamment sur les enseignements que j'ai tirés :

- d'un déplacement auprès des institutions européennes à Bruxelles,

- d'une mission d'une journée à Londres auprès des services du Premier ministre, du ministère de l'intérieur et des affaires étrangères,

- et d'une enquête auprès de nos ambassades dans les pays de l'Union européenne.

Je passerai brièvement sur l'organisation de la protection civile dans les pays membres de l'Union européenne. L'enquête que j'ai menée montre que l'organisation varie d'un État à l'autre, avec un rattachement tantôt au ministère de l'intérieur, tantôt au ministère de la défense, mais surtout que la tendance est au renforcement de la coordination interministérielle, avec parfois un rattachement direct au Premier ministre, comme j'ai pu le constater en Grande-Bretagne.

L'enquête a également montré que la protection civile était d'abord perçue comme une affaire de coopération entre États membres, fondée sur la proximité géographique, mais aussi la nature des enjeux, qui varient sensiblement suivant les pays. Ainsi, les pays du Sud coopèrent entre eux, notamment dans le domaine de la lutte contre les feux de forêts et des tremblements de terre. Mais des coopérations formalisées existent également entre les États du Nord (Finlande, Estonie, Suède, Danemark), les États du Benelux (Pays-Bas, Belgique, Luxembourg) et l'Allemagne, et entre les États d'Europe centrale (République Tchèque, Hongrie, Autriche, Slovénie, Pologne), ces derniers étant plus touchés par les risques d'inondation.

La protection civile est donc d'abord une affaire de coopérations bilatérales entre États membres et le rôle de l'Union européenne se limite essentiellement à une action de soutien. Les mesures en matière de protection civile sont en effet prises sur le fondement de la clause de flexibilité de l'article 308 du traité instituant la Communauté européenne.

Ce soutien prend d'abord la forme d'un programme d'action communautaire en faveur de la protection civile mis en place en 1997. Il comporte une série de projets, échanges d'experts, séminaires et autres actions appuyant la coopération et l'assistance mutuelle entre les services de protection civile des États membres. Ce programme d'action a pour objet de soutenir et de compléter les efforts déployés par les États membres au niveau national, régional et local, par une procédure de cofinancement. L'enveloppe de crédits est de quelques millions d'euros par an.

Par ailleurs, une décision du Conseil du 23 octobre 2001 a institué un mécanisme communautaire. Il s'agit de faire face aux cas d'urgence majeure (catastrophe naturelle, technologique, radiologique ou environnementale) survenant à l'intérieur ou à l'extérieur de la Communauté. La Commission a ainsi mis en place un centre de suivi et d'information (nommé « MIC ») accessible et prêt à intervenir vingt-quatre heures sur vingt-quatre, elle gère un système commun de communication et d'information d'urgence, elle prévoit les moyens nécessaires pour mobiliser de petites équipes d'experts. Ce centre associe aujourd'hui 30 États (les États membres de l'Union européenne, la Bulgarie, la Roumanie, l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège).

Cette action communautaire est-elle suffisante ?

A priori, non. L'Union européenne manque en effet de coordination et de visibilité dans son action en matière de protection civile.

Le centre de suivi et d'information à Bruxelles devrait disposer de moyens supplémentaires pour assurer une véritable veille opérationnelle. Par ailleurs, des insuffisances se sont révélées lors de la gestion de crises externes à l'Union (tsunami, tremblement de terre au Pakistan). Lors de ces crises, la réponse européenne est en effet apparue morcelée, peu visible, avec un manque de coordination dans le déploiement sur le terrain et l'acheminement des secours. Aujourd'hui, on a le sentiment que le dispositif européen face à l'épizootie d'influenza aviaire, qui pourrait déboucher sur une pandémie, n'est pas à la hauteur. Or, nous sommes tous confrontés, en Europe, à des risques technologiques majeurs, surtout si l'on tient compte du danger terroriste. Saurions-nous y faire face ensemble ?

Des propositions ont été faites par les États membres, et en premier lieu la France, qui souhaite donner une plus grande visibilité à l'action européenne. Le Président de la République a exprimé le souhait, au lendemain du tsunami, de créer une force d'intervention rapide européenne (FIRE) et de s'appuyer sur les capacités militaires de l'Union. Des propositions précises ont été faites par lettre du ministre de l'intérieur au Président de la Commission européenne en novembre 2005 et par lettre du ministre de la défense au Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, Javier Solana, en décembre 2005, afin de décliner ces propositions, avec notamment le recours à des capacités militaires dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense.

En dépit des initiatives françaises, de nombreux États membres mettent cependant l'accent sur la coordination des moyens et le retour d'expérience, et non sur la « communautarisation » des moyens. La création d'une véritable force de protection civile européenne est largement soutenue par les pays méditerranéens soumis à de nombreux risques communs (Espagne, Italie, Portugal, Slovénie, Chypre et Malte), mais aussi par la Belgique et le Luxembourg. En revanche, un groupe de pays souhaite restreindre ces initiatives, au profit d'un réseau d'experts qui seraient mis à la disposition des Nations unies, sans réelle visibilité européenne. Les pays nordiques (Danemark, Suède) préfèrent en effet inscrire leur action dans le cadre des Nations unies, organisation avec laquelle ils travaillent parfaitement. Les Pays-Bas, et à un degré moindre la Grande-Bretagne, privilégient le cadre de l'OTAN. Le Royaume-Uni plaide davantage pour la responsabilité des États membres.

Il existe en revanche un certain consensus sur le besoin d'échanges d'expérience et de formation et sur le refus d'une trop forte réglementation. Les exercices communs sont considérés comme une partie indivisible du mécanisme communautaire de protection civile et de nombreux États membres estiment utile de les multiplier comme les Pays-Bas, ou l'Italie. Le Royaume-Uni souhaiterait d'abord favoriser une prise de conscience des enjeux communs en matière de protection civile en parvenant à identifier une demi-douzaine de risques majeurs sur lesquels travailler ensemble. Des retours d'expériences plus structurés au niveau européen seraient également les bienvenus. Par contre, d'une manière générale, il y a peu de demande des États membres pour davantage de réglementation européenne. Plusieurs États membres ont clairement mis en valeur le principe de subsidiarité : ainsi le Danemark juge inacceptable la définition des infrastructures nationales sensibles au niveau communautaire.

Quelles sont les réformes en cours ?

Des initiatives ont d'abord surgi après l'évènement du tsunami et le manque de coordination des interventions de l'Union européenne. Un plan d'action a été adopté par le Conseil affaires générales du 31 janvier, visant à une meilleure information mutuelle, à une meilleure coordination des moyens (analyses, planification des moyens, conduite opérationnelle). Ce plan ne concerne cependant que les crises extérieures à l'Union.

Par ailleurs, d'ici juillet 2006, un dispositif de gestion intégrée des crises externes et internes à l'Union européenne présentant une incidence transfrontalière devrait être mis en oeuvre. Les évènements visés sont plus particulièrement des actes terroristes (multiples attentats de type conventionnel perpétrés de manière coordonnée, attentat NRBC - nucléaire, radiologique, biologique et chimique -, destruction d'infrastructures européennes essentielles) ou des crises sanitaires majeures. Il s'agit de définir un groupe directeur de crise, qui pourrait être convoqué très rapidement, et où la responsabilité de chacun serait clairement définie. La Commission a également proposé des dispositions relatives à un système général d'alerte rapide dénommé ARGUS. Il s'agit d'interconnecter les divers réseaux d'alerte rapide et de détection, qui existent essentiellement pour les risques sanitaires et de santé. La mise en place de ce système devait commencer en janvier 2006.

Enfin, un livre vert sur la protection des infrastructures critiques (texte E 3016) a été présenté le 17 novembre 2005, avec une procédure de consultation ouverte jusqu'au 15 janvier 2006. Une des priorités de ce livre vert est de trouver une définition des infrastructures critiques de niveau européen.

Par ailleurs, tout récemment, le 26 janvier dernier, la Commission européenne a déposé une proposition de décision du Conseil refondant le mécanisme communautaire de protection civile créé en 2001. Ce projet est peu ambitieux. Il dispose que « dans la mesure du possible » les États membres doivent s'efforcer de partager leurs ressources en matière de transports. Dans un chapitre intitulé « vers une capacité de réaction rapide européenne », la Commission invite les États à inclure des informations sur la disponibilité de moyens militaires dans leurs réponses aux demandes d'aide en matière de protection civile, à mettre en place des « modules de protection civile », c'est-à-dire le recensement d'équipement et de personnel qui pourraient être déployés dans des situations d'urgence à la demande de la Commission, et à créer des unités spécialisées en matière logistique. Fait nouveau, en revanche, la Commission envisage de compléter l'assistance des États membres par des moyens supplémentaires, qui pourraient prendre la forme de la location, sur une base temporaire, d'équipements spécifiques (avions d'évacuation sanitaire, pompes à grande capacité en cas d'inondation, avions de lutte contre les incendies de forêt, etc), mais sans que le financement soit précisé. Enfin, un chapitre est consacré à la coordination des interventions dans les pays tiers. La Commission propose de clarifier les rôles et responsabilités de l'État membre qui assume la présidence du Conseil de l'Union européenne, de l'équipe de coordination de la protection civile sur le terrain et de la Commission.

Compte tenu de la réticence de nombreux États membres, les initiatives prises par la Commission européenne sont aujourd'hui mesurées. Pourtant, des projets nouveaux pourraient voir le jour.

Je pense à la diversité des risques en matière de protection civile et à la nécessité de mieux se préparer à des menaces terroristes très spécifiques, de nature biologique ou chimique notamment. Les services du coordinateur européen en matière de lutte contre le terrorisme, M. Gijs de Vries, ne semblent pas suffisamment mobilisés sur ces sujets, faute de moyens suffisants. Certes, la Commission européenne a élaboré un rapport restreint concernant le mécanisme communautaire de protection civile en cas d'attaque terroriste majeure dans l'Union et des recommandations devraient être faites dans certains secteurs clefs (transport, grands brûlés, décontamination en cas d'attaque terroriste de nature NRBC) mais le travail de coordination dans ce domaine reste encore insuffisant. L'idée, formulée notamment par la Grande-Bretagne, d'identifier une série de risques majeurs pour travailler conjointement, devrait être reprise, particulièrement sur ces sujets de lutte contre les conséquences d'attaque terroriste.

Pour ce faire, j'estime qu'il devrait être créé un pôle européen en matière de protection civile dans un site déterminé. Ce pôle pourrait regrouper des actions de formation, d'échanges d'expériences, disposer d'une banque de données, et même devenir le centre opérationnel de gestion des crises majeures dans l'Union européenne. Autant la création d'une force communautaire de protection civile ne fait pas l'unanimité, autant la nécessité d'entraînements supplémentaires et de formations conjointes revient comme un leitmotiv dans les demandes des États membres. Aujourd'hui, des exercices sont organisés de manière sporadique dans divers pays de l'Union, mais il manque une « école » permanente permettant d'instaurer un véritable esprit communautaire en matière de protection civile.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Votre analyse nous permet de mesurer la lenteur de la construction européenne dans ce domaine dont l'importance ne peut pourtant échapper à personne. Il faudrait s'inspirer de ce qui a été fait dans le domaine de la défense, et ne pas attendre d'être confronté à une catastrophe pour se réveiller.

M. Robert Del Picchia :

Le coordinateur britannique a-t-il été mis en place avant ou après les attentats de Londres ? Par ailleurs, quelle suite a-t-elle été donnée au projet de Michel Barnier de créer une force européenne ?

M. Paul Girod :

Le coordinateur britannique a été nommé bien avant les attentats. En réalité, le Royaume-Uni comme l'Espagne ont l'expérience d'un terrorisme national, avec l'IRA et l'ETA, ce qui explique l'efficacité de leurs réactions dans les circonstances difficiles. L'avance anglaise tient aussi à ce que ce pays n'a pas les mêmes structures administratives que les nôtres, ce qui fait qu'il a été possible de créer un coordinateur doté de très larges pouvoirs. Quant au projet de Michel Barnier, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions. En effet, il vient de se voir confier par la présidence autrichienne et le président de la Commission européenne la mission d'identifier les moyens pour améliorer les capacités de l'Union en matière de gestion de crise civile. Il va sans dire que j'examinerai avec attention ses propositions.

M. Jacques Blanc :

Une fois de plus, nous pouvons regretter que le traité constitutionnel n'ait pas été approuvé, car il donnait une base juridique à l'action européenne en matière de protection civile. Je crois que vous avez eu raison de faire le lien avec l'action en matière de santé publique. Je regrette que l'action européenne face à l'influenza aviaire ne soit pas plus décidée. L'Europe avait pourtant là une occasion de montrer son utilité et son efficacité.

M. Paul Girod :

En effet, nous sommes devant un problème qui forme un tout : risques sanitaires, risques naturels, risques industriels, risques terroristes sont différents, mais ils se combinent. Par exemple, une attaque terroriste bactériologique provoquerait non seulement des problèmes de santé, mais aussi de maintien de l'ordre.

M. Jean Bizet :

Aujourd'hui, l'image de l'Union n'est pas ce qu'elle devrait être. La protection civile serait un bon angle pour montrer que l'Europe peut renforcer la sécurité des citoyens. Une force européenne multidisciplinaire serait très utile.

M. Hubert Haenel :

Le problème est finalement le même que dans le domaine de la coopération judiciaire et policière : l'Europe ne s'engage pas assez dans l'opérationnel. Les Européens veulent être protégés contre certains risques : l'Union doit montrer qu'elle agit efficacement et concrètement dans ce sens. C'est ainsi qu'elle suscitera à nouveau la confiance.

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À l'issue du débat, la délégation a décidé d'autoriser la publication de ce rapport d'information, paru sous le numéro 237 et disponible sur Internet à l'adresse suivante :

www.senat.fr/europe/rap.html.