COM (2004) 487 final  du 14/07/2004

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 12/01/2005
Examen : 06/07/2005 (délégation pour l'Union européenne)


Budget communautaire

Communication de M. Serge Vinçon
sur les perspectives financières 2007-2013

Texte E 2800 - COM (2004) 487 final

(Réunion du 6 juillet 2005)

Je voudrais faire devant vous le point sur la négociation des perspectives financières pour la période 2007-2013. Dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, nous sommes saisis d'une communication de la Commission (texte E 2800) qui semble aujourd'hui un peu dépassée. Celle-ci a été adoptée le 14 juillet 2004 et n'a été transmise au Sénat, avec retard, que le 12 janvier 2005.

Mais, plus que de cette communication, c'est du Conseil européen des 16 et 17 juin dernier, et de ses suites, que je voudrais vous entretenir. Ce Conseil a été un échec annoncé. Dans les jours précédents, la presse spécialisée européenne titrait déjà : « Les chances d'un accord au sommet des 16 et 17 juin s'amenuisent ». Effectivement, l'échec des négociations sur les perspectives financières a été retentissant, aggravant la crise dans laquelle est plongée l'Union européenne depuis les « non » français et néerlandais au projet de traité constitutionnel. On a pourtant frôlé un accord. L'excellente présidence luxembourgeoise de Jean-Claude Juncker était parvenue à un compromis qui satisfaisait la plupart des États membres.

La France, pour sa part, a fait les concessions nécessaires pour parvenir à ce compromis. Notre pays a consenti à la perpétuation de la compensation britannique au niveau de 5,5 milliards d'euros, à une diminution des dépenses agricoles de 6 milliards d'euros sur la période (sans que soient toutefois affectées les aides directes), à une augmentation de sa contribution au budget communautaire de 12 à 13 milliards d'euros sur l'exercice des perspectives financières, et en conséquence à une dégradation de son solde net de - 0,21 % du PIB en 2006 à - 0,36 % du PIB en moyenne sur la période.

La France et le Royaume-Uni se seraient trouvées ainsi en situation de quasi-parité, avec même un léger avantage pour le Royaume-Uni (-0,36 % pour la France contre - 0,35 % pour le Royaume-Uni), comme Tony Blair l'avait demandé lors de sa visite à Paris à la veille du Conseil européen.

Il est intéressant de procéder à une comparaison entre les propositions initiales de la Commission et le « compromis Juncker ». La structure reste la même, ce qui change, ce sont les montants financiers. En ce qui concerne les montants globaux, ceux-ci s'élèvent à 1000 milliards d'euros, soit 1,27 % du RNB communautaire, dans le projet de la Commission. Ils s'établissent à 870 milliards d'euros, soit 1,06 % du RNB communautaire, dans le « paquet Juncker ».

Pour les dépenses agricoles de marché, le « paquet Juncker » prévoit une diminution de 6 milliards d'euros par rapport aux propositions de la Commission. C'était un effort majeur, qui n'a pas été reconnu.

Pour la politique de cohésion, la Commission prévoyait un montant de 336 milliards d'euros, alors que le « paquet Juncker » fixe ces dépenses à 310 milliards d'euros. Même ainsi revu à la baisse, ce montant demeurait compatible avec un taux de retour satisfaisant pour l'objectif 2 des régions françaises et pour les départements d'outre-mer.

Pour les dépenses de compétitivité, et notamment de recherche-développement, le « paquet Juncker » s'inscrit en retrait par rapport aux propositions de la Commission, mais représente néanmoins une forte augmentation, de 33 %, du budget consacré à la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne. Les autres rubriques restent inchangées.

Toutefois, comme vous le savez, le compromis mis au point sous la présidence de Jean-Claude Juncker s'est heurté dans la nuit du 16 au 17 juin, après quinze heures de négociations, à la ferme opposition du Royaume-Uni, qui a entraîné dans son refus quatre autres États membres, notamment les Pays-Bas. Tony Blair a refusé toute remise en cause, aussi partielle soit-elle, de la compensation budgétaire britannique obtenue en 1984 par Margaret Thatcher. Il s'est par ailleurs attaqué à la politique agricole commune, dont il estime la part dans le budget européen, soit 40 % des dépenses, trop importante.

Cet échec des négociations dans la dernière ligne droite est évidemment décevant. Il faut souligner que les dix nouveaux États membres s'étaient déclarés prêts à renoncer à une partie de leurs bénéfices attendus, si cela pouvait permettre de parvenir à un accord. Jean-Claude Juncker s'est montré assez amer de la tournure prise par les événements. Il a ainsi déclaré : « deux conceptions de l'Europe se sont affrontées et s'affronteront toujours. Il y a ceux qui, sans le dire, veulent le grand marché et rien que le grand marché, une zone de libre échange, et il y a ceux qui veulent une Europe politiquement intégrée. Ces derniers savent quelle Europe ils défendent, tandis que ceux qui nous proposent une autre Europe, n'arrivent pas à la décrire ».

Aussi ferme qu'elle puisse sembler, la position du Royaume-Uni, qui vient de prendre la présidence de l'Union européenne, n'apparaît guère tenable. En effet, il est d'usage que le pays qui assume la présidence fasse les concessions nécessaires pour dégager des compromis. Le maintien pur et simple de la compensation britannique apparaît de moins en moins légitime aux yeux des vingt-quatre autres États membres. Au passage, les projets d'écrêtement généralisé au profit des pays gros contributeurs nets ont été abandonnés, ce dont la France, qui s'y est toujours opposée, ne peut que se féliciter.

Tony Blair, qui a bien conscience des rapports de forces, a pris les devants en déclarant qu'il était prêt à renoncer au « chèque britannique » s'il avait gain de cause sur la politique agricole commune (PAC).

Il est permis de s'étonner de cet acharnement sur la PAC. Faut-il rappeler que celle-ci, contrairement à un argument caricatural qui l'on entend ici ou là, finance des hommes et non pas des vaches ? Faut-il aussi rappeler que, si les agriculteurs ne représentent effectivement plus qu'une part réduite de la population active, ils nourrissent tout le monde et remplissent des fonctions essentielles d'aménagement du territoire ? Faut-il aussi rappeler que la part optiquement importante des dépenses agricoles dans le budget communautaire s'explique par le fait que la PAC est la seule politique commune complètement intégrée ? Ainsi, si l'on prend en compte les dépenses nationales, l'Union européenne consacre 2 % de son PIB à la recherche (États membres + budget communautaire) et seulement 0,43 % de son PIB à l'agriculture (budget communautaire quasi exclusivement).

Enfin, on ne peut omettre sans mauvaise foi que des réformes de la PAC ont déjà été décidées en 1992, 1999 et 2003. Les prix garantis et les interventions sur les marchés ne représentent désormais plus que 20 % des financements de la PAC, le reste étant du développement rural ou des aides directes. En outre, la réforme de 2003, qui est mise en oeuvre progressivement, a prévu le découplage des aides directes.

Surtout, le gel en valeur absolue des dépenses agricoles décidée en 2002 jusqu'en 2013, à l'initiative de la France et de l'Allemagne, équivaut à une baisse programmée de leur part relative dans le budget communautaire : celle-ci passerait de 40 % aujourd'hui à 30 % en 2013. Elle était de 71 % en 1984, à l'époque où Margaret Thatcher a obtenu de haute lutte son «chèque » de compensation.

Au-delà des chiffres, la PAC doit également assurer la sécurité alimentaire au bénéfice des citoyens européens. Il est d'ailleurs permis de s'étonner que ce soit le pays à l'origine de l'épidémie de la maladie de la « vache folle » qui en remette en cause le bien fondé.

Quelle va être l'issue probable de cette crise ?

La position de Tony Blair n'apparaît pas confortable. Il est en train de faire la quasi unanimité contre lui. Les nouveaux États membres en particulier, qui d'ordinaire sont plutôt des admirateurs du modèle britannique, se rendent compte que le Royaume-Uni ne veut pas prendre sa part du financement de l'élargissement, alors qu'ils ont pu constater que la France était prête à faire des concessions. Ils sont aussi inquiets d'une remise en cause trop radicale de la PAC, alors que les versements des aides directes à leurs cultivateurs sont en train de monter en charge. Un pays comme la Pologne, par exemple, devrait absorber 6 % des dépenses agricoles en 2013. Pour mémoire, l'élargissement devrait coûter de 150 à 200 milliards d'euros sur la période 2007-2013.

Finalement, le refus de Tony Blair est d'autant plus étonnant qu'il avait obtenu avec le « paquet Juncker » l'essentiel de ce qu'il dit vouloir aujourd'hui : une baisse des dépenses agricoles, une hausse des dépenses « innovantes », une parité des soldes nets avec la France et une sanctuarisation de la compensation britannique. C'est pourquoi il est probable que la présidence britannique se contente de reprendre le « paquet Juncker » à son compte, en l'habillant un peu différemment. A moins qu'elle ne s'enferre dans une remise en cause générale de la structure des dépenses budgétaires de l'Union européenne, une sorte de « big bang » radical.

Il est finalement douteux que l'on parvienne à un accord sur les perspectives financières sous la présidence britannique. Dans cette hypothèse, la négociation ne déboucherait, au mieux, qu'au printemps 2006, sous présidence autrichienne. Les nouveaux États membres craignent alors de perdre une partie de l'enveloppe du fonds de cohésion dont ils doivent bénéficier, en raison du retard pris. Le gouvernement hongrois vient en conséquence d'avancer l'idée d'une programmation budgétaire intérimaire sur une période de trois ans. Ce projet devrait être débattu au sein du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie) et pourrait être présentée comme position commune.

Si l'échéance du printemps 2006 n'était pas tenue, les perspectives financières entreraient en vigueur trop tard pour couvrir la première année de la période 2007-2013. Il faudrait alors appliquer la clause de l'accord interinstitutionnel du 5 mai 1999 sur la discipline budgétaire, qui prévoit que, à défaut d'accord sur de nouvelles perspectives financières, on applique aux plafonds de la dernière année des perspectives financières existantes le taux d'augmentation moyen constaté sur la période précédente, hors les adaptations consécutives à un élargissement de l'Union.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Je crois qu'il ne faut pas négliger le professionnalisme de nos amis britanniques. Il serait faux de croire qu'ils sont le dos au mur.

M. Yann Gaillard :

Je pense que nous avons un intérêt politique à ce qu'il n'y ait pas d'accord sur les perspectives financières sous la présidence britannique.

M. Paul Girod :

La sécurité alimentaire n'est pas une notion abstraite. Les Britanniques qui, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, ont connu des tickets de rationnement pendant quatre à cinq ans de plus que nous, devraient s'en souvenir. La PAC garantit cette sécurité aux citoyens européens.

M. Denis Badré :

Je reste toujours réservé sur le système budgétaire européen, tant en ce qui concerne les recettes qu'en ce qui concerne les dépenses. Je conteste aussi le fait que l'on procède par perspectives pluriannuelles, sous plafonds de dépenses. La procédure budgétaire française est sans doute trop axée sur l'exercice de l'année en cours, mais celle de l'Union européenne va sans doute trop loin dans l'autre sens, entraînant un certain flou. Et l'on prend inévitablement du retard dans l'engagement des dépenses programmées.

Lors du sommet des 16 et 17 juin derniers, il y a eu une confrontation entre une approche excessivement budgétaire et une approche excessivement politique. La construction européenne n'est pas assez politique, tandis que le raisonnement en soldes nets est une aberration.

N'oublions pas que le « chèque britannique » est d'un montant supérieur à l'ensemble des crédits de recherche européens ! C'est aberrant. Si l'on veut que l'Europe envoie un message fort, il faut qu'elle ait une vraie politique, notamment dans les domaines de la compétitivité et de l'aide au développement. C'est la première chose à faire, si l'on veut lutter contre les délocalisations. C'est une erreur tactique de s'être laissé enfermer dans un débat PAC contre « chèque britannique ». Depuis des années, je dis qu'il faut revoir la PAC. Mais n'oublions pas que celle-ci est d'abord au bénéfice des consommateurs européens, tout en contribuant à une politique équilibrée de l'espace rural. La PAC est aussi fondée sur le principe de la préférence communautaire, qui est un vrai principe politique. En revanche, j'estime absurde de donner des aides directes aux agriculteurs des pays de l'Est, qui produisent déjà à des prix inférieurs aux prix mondiaux. La crise actuelle doit être l'occasion d'avoir une vraie réflexion sur la politique agricole.

M. Serge Vinçon :

On constate que la position britannique suscite de fortes réticences de la part d'un certain nombre d'États. Il ne faut pas croire que la France est isolée dans la défense de la PAC.