du 12/11/2004
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 22/12/2004

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 10/12/2004
Examen : 15/12/2004 (délégation pour l'Union européenne)


Communication de M. Hubert Haenel sur l'adoption
de la procédure de codécision pour les mesures relatives
aux contrôles aux frontières et à l'immigration clandestine

Texte E 2788

(Réunion du 15 décembre 2004)

Le projet qui nous est soumis vise à modifier la procédure d'adoption des actes relatifs notamment aux contrôles des frontières et à l'immigration illégale, en permettant un vote à la majorité qualifiée au Conseil en codécision avec le Parlement européen.

Je rappellerai d'abord l'origine de cette initiative. Je présenterai ensuite ses principaux éléments. Je ferai, enfin, quelques observations d'ordre général sur ce texte au regard notamment de la Constitution européenne.

I - L'ORIGINE DE CE PROJET

Depuis l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, en 1999, les mesures relatives à l'asile, à l'immigration et aux contrôles des frontières relèvent du « premier pilier ». Elles ne sont, toutefois, pas pour autant entièrement soumises à la procédure de codécision. En effet, le traité d'Amsterdam, puis le traité de Nice, ont prévu un passage progressif de la méthode intergouvernementale à la méthode communautaire. Ainsi, ce n'est que depuis cette année que la Commission européenne dispose d'un monopole d'initiative dans ces domaines.

En ce qui concerne le passage de l'unanimité à la majorité qualifiée au Conseil et à la codécision avec le Parlement européen, il faut distinguer selon les matières. Actuellement, la procédure de vote à la majorité qualifiée au Conseil en codécision avec le Parlement européen s'applique à la plupart des mesures relatives à la politique des visas. En matière de libre circulation des personnes, seules les mesures fixant les conditions dans lesquelles les ressortissants de pays tiers peuvent circuler librement sur le territoire des États membres pendant une durée maximale de trois mois relèvent encore de l'unanimité. Pour l'asile, le traité de Nice a prévu que le passage au vote à la majorité qualifiée au Conseil et à la codécision avec le Parlement européen serait automatique dès lors que le Conseil aura arrêté une législation communautaire définissant les règles communes et les principes essentiels régissant ces matières, ce qui devrait intervenir très prochainement. Les mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir des réfugiés ou des personnes déplacées (comme le fonds européen pour les réfugiés par exemple) ne sont toutefois pas concernées. En revanche, les mesures relatives à l'immigration, tant légale qu'illégale, et aux contrôles des frontières, tant intérieures qu'extérieures, restent aujourd'hui entièrement soumises à la règle de l'unanimité.

Le traité d'Amsterdam a, toutefois, prévu une « clause-passerelle » (article 67 § 2, deuxième tiret du traité instituant la Communauté européenne) permettant au Conseil de décider à l'unanimité, après consultation du Parlement, de passer au vote à la majorité qualifiée au Conseil et à la codécision avec le Parlement européen pour l'ensemble des matières transférées dans le « premier pilier ».

En outre, lors du traité de Nice, les gouvernements des États membres se sont engagés, par une déclaration annexée au traité (déclaration n° 5), à recourir à cette « clause-passerelle » pour appliquer, à partir du 1er mai 2004, la procédure de codécision aux mesures relatives à l'immigration clandestine ainsi que, sous réserve d'un accord sur le champ d'application, aux mesures relatives aux contrôles aux frontières extérieures. Toutefois, en dépit de cet engagement, la décision n'a pas été prise au moment de l'élargissement, en raison notamment des discussions sur le traité constitutionnel au sein de la Conférence intergouvernementale.

C'est dans ce contexte que la présidence néerlandaise a proposé, au moment de l'élaboration du nouveau programme pluriannuel relatif à l'« espace de liberté, de sécurité et de justice », d'utiliser cette « clause-passerelle » pour appliquer, au plus tard au 1er avril 2005, la procédure de codécision à l'ensemble des questions relatives à l'asile, à l'immigration, aux contrôles des frontières et aux autres mesures relatives à la libre circulation des personnes. Cette proposition a reçu le soutien de la Commission européenne, du Parlement européen et d'une majorité d'États membres, dont la France. Cependant, certains États membres, et en particulier l'Allemagne, se sont montrés réticents à l'abandon de leur droit de veto, notamment pour les questions liées à l'immigration légale.

En définitive, les chefs d'États et de gouvernement ont décidé, lors du Conseil européen des 4 et 5 novembre derniers, de recourir à « la clause passerelle » pour passer, au plus tard au 1er avril 2005, de l'unanimité à la majorité qualifiée au Conseil et à la codécision avec le Parlement européen pour l'ensemble des mesures relatives à l'asile et à la libre circulation des personnes, aux contrôles des frontières, tant intérieures qu'extérieures, ainsi qu'à l'immigration clandestine.

Ainsi, seules les mesures relatives à l'immigration légale devraient continuer à relever de la règle de l'unanimité au Conseil et de la consultation simple au Parlement européen. En outre, la levée des contrôles aux frontières intérieures avec les nouveaux États membres nécessitera toujours une décision unanime des États participants aux accords de Schengen.

II - LES PRINCIPAUX ÉLÉMENTS DU PROJET DE DÉCISION

Le projet qui nous est soumis vise donc à répondre au souhait du Conseil européen en permettant de recourir à « la clause passerelle » et cela même avant le 1er avril 2005.

Ce texte se présente sous la forme d'une décision du Conseil comprenant des considérants et trois articles. Les considérants rappellent l'historique de ce texte. Le premier article mentionne les articles concernés du traité. Le second article prévoit que la procédure de codécision s'appliquera non seulement à l'égard des initiatives futures, mais également vis-à-vis des textes qui font actuellement l'objet de discussions, comme par exemple le « code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes », qui nous a été présenté récemment par notre collègue Robert Del Picchia. Enfin, le troisième article prévoit le passage de l'unanimité à la majorité qualifiée du Conseil pour certaines mesures d'exécution concernant le Manuel commun des frontières extérieures et l'instruction consulaire commune.

A cet égard, deux questions importantes sur le champ d'application de la « clause passerelle » ont été soulevées lors des discussions sur ce texte au sein du Conseil. D'une part, la présidence néerlandaise a proposé d'étendre la procédure de codécision aux mesures relatives au séjour et à la mobilité des réfugiés ou des personnes déplacées. En effet, elle considérait que ces questions relevaient davantage de l'asile que de l'immigration régulière. Toutefois, plusieurs États membres, dont l'Allemagne, se sont opposés à cette proposition en considérant que ces questions relevaient bien de la politique migratoire et qu'elles étaient par conséquent exclues du champ de la « clause-passerelle ». Il a donc été décidé de supprimer la disposition en cause dans le dispositif. D'autre part, la présidence néerlandaise proposait également d'introduire une base juridique spécifique pour permettre l'adoption de programmes communautaires de financement en matière d'intégration des ressortissants de pays tiers en séjour régulier. Là encore, de nombreux États membres ont contesté cette démarche au motif que l'introduction, de manière un peu subreptice, d'une nouvelle base juridique pourrait constituer un dangereux précédent. Cette question ne figure donc plus aujourd'hui dans le dispositif du texte, mais fait seulement l'objet d'un considérant dépourvu de valeur normative.

Enfin, je rappelle que, conformément à son protocole, le Danemark n'est pas lié par cette décision. En revanche, le Royaume-Uni et l'Irlande ont notifié leur souhait de participer à l'adoption et à l'application de cette décision.

III - TROIS OBSERVATIONS D'ORDRE GÉNÉRAL

1. Le passage de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée au Conseil et à la codécision au Parlement européen représente une garantie d'efficacité dans une Europe élargie.

Les textes européens adoptés jusqu'ici en matière d'asile, d'immigration et de contrôles des frontières se caractérisent par leur faible degré d'harmonisation. Or, cette faible harmonisation résulte surtout de l'exigence d'unanimité, qui revient à accorder un droit de veto à chaque État membre, et qui se traduit souvent par des blocages ou par des compromis a minima. En veut-on quelques exemples ? La Commission européenne a présenté en 2001 une proposition de directive sur l'immigration économique. Or, ce texte est toujours bloqué en raison notamment de l'opposition de l'Allemagne. La directive sur les procédures d'asile contient pas moins d'une cinquantaine de dérogations diverses et variées, de telle sorte que ce texte n'aboutit pas à une véritable harmonisation européenne des procédures d'asile, mais représente une simple compilation des différentes législations nationales. Le passage de l'unanimité à la majorité qualifiée au Conseil permettra donc de faciliter la procédure d'adoption des textes dans ces domaines, a fortiori dans une Europe à vingt cinq États membres.

L'appréciation de la codécision au Parlement européen est plus délicate. Si elle vise à remédier au « déficit démocratique » dans ces matières sensibles, qui actuellement ne font l'objet que d'une simple consultation des députés européens, elle présente toutefois le risque d'alourdir et de ralentir la procédure d'adoption des textes, étant donné qu'elle suppose un accord complet entre le Conseil et le Parlement européen.

2. Lorsque la Constitution européenne entrera en vigueur, l'ensemble de la matière fera l'objet d'une adoption à la majorité qualifiée au Conseil en codésision avec le Parlement européen.

Je rappelle, en effet, que la Constitution européenne contient des avancées importantes sur les questions d'asile, d'immigration et de contrôles aux frontières. Elle prévoit notamment que ces sujets feront l'objet de véritables politiques communes au niveau européen. Elle étend les compétences de l'Union dans ces matières, avec notamment l'objectif de parvenir progressivement à un « système européen commun d'asile » et à une « gestion intégrée des frontières extérieures », comprenant éventuellement la création d'un « corps européen de gardes frontières ». Et surtout, elle prévoit que l'ensemble de ces questions, passera au vote à la majorité qualifiée au Conseil et à la codécision du Parlement européen, y compris les mesures relatives à l'immigration régulière.

3. Enfin, le rôle des parlements nationaux à l'égard des « clauses passerelles » sera à l'avenir renforcé.

Le mécanisme de la « clause passerelle », tout à fait ponctuel dans les traités actuels, est généralisé dans la Constitution européenne. En effet, l'article IV-444 du traité constitutionnel prévoit une procédure de révision simplifiée du traité permettant de faire passer dans le champ de la procédure législative ordinaire un domaine relevant d'une procédure législative particulière, et donc de passer de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée au Conseil.

Cette nouvelle procédure de révision simplifiée présente toutefois plusieurs différences avec la procédure qui est utilisée aujourd'hui :

- elle a un champ beaucoup plus large puisqu'elle a vocation à s'appliquer à l'ensemble de la partie III de la Constitution ;

- l'initiative et la décision relèveront désormais du Conseil européen ;

- le Parlement européen disposera d'un droit de veto, alors qu'actuellement il est simplement consulté ;

- enfin, tout parlement national pourra s'opposer dans un délai de six mois à cette décision.

Ces différences prennent un relief particulier au regard des conditions dans lesquelles nous sommes appelés à nous prononcer aujourd'hui sur ce texte.

Ce projet, qui a été présenté par la présidence néerlandaise le 12 novembre dernier, a fait l'objet d'un accord politique au Conseil « Justice et affaires intérieures » du 2 décembre. Il devrait être adopté en point A (sans débat) lors du Conseil « Agriculture » du 22 décembre, car la présidence néerlandaise souhaite absolument le mettre à l'actif du bilan de sa présidence. Or, ce projet n'a été transmis à l'Assemblée nationale et au Sénat que le 10 décembre. De plus, il n'a été transmis qu'au titre de la clause facultative ; le Conseil d'État a en effet estimé que ce texte ne rentrait pas dans le cadre strict de l'article 88-4 de la Constitution, même s'il a pris soin d'ajouter que, compte tenu de l'importance de ce texte, il pourrait être jugé opportun de le soumettre au Parlement, ce qu'a fait le Gouvernement.

Nous sommes donc appelés à nous prononcer dans l'urgence sur un texte qui a déjà fait l'objet d'un accord et qui présente pourtant une importance politique majeure. Le Parlement européen, qui sera appelé à donner son avis très rapidement, est d'ailleurs dans la même situation.

Je trouve qu'il y a là une sorte de négligence vis-à-vis de l'institution parlementaire. La Constitution européenne ne permettra plus, fort heureusement, ce type de situation puisqu'elle renforcera à la fois le rôle du Parlement européen et des parlements nationaux dans la procédure de révision simplifiée du traité.

Sous le bénéfice de ces observations, la délégation a approuvé ce projet de décision.