COM (2004) 630 final  du 29/09/2004
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 15/11/2006

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 21/10/2004
Examen : 03/05/2006 (délégation pour l'Union européenne)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : voir le dossier legislatif


Politique étrangère et de défense

Communication de M. Serge Vinçon
relative à un instrument de stabilité

Texte E 2727 - COM (2004) 630 final

(Réunion du 3 mai 2006)

Dans le cadre des perspectives financières 2007-2013, la Commission européenne a proposé de modifier et de simplifier le cadre financier applicable à l'action extérieure de l'Union européenne. Parmi les nouveaux instruments proposés, le texte E 2727 vise à créer un « instrument de stabilité », destiné à agir dans les situations de crise et d'instabilité en complément des actions financées dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). L'adoption d'un instrument unique permet d'abroger huit règlements communautaires existants, mais très variés.

La proposition s'étend à l'ensemble des pays tiers et vise à « promouvoir la paix et la stabilité et à assurer la sûreté et la sécurité de la population civile ». Son objet consiste d'une part à fournir une aide financière, économique et technique afin de répondre aux situations de « post-crise » (soutien à des opérations de maintien de la paix, actions de déminage, reconstruction d'infrastructures...) et d'autre part à lutter contre les menaces transfrontalières et transnationales. Son champ d'application est donc extrêmement vaste : prévention et résolution des conflits (surveillance de frontières, mesures de confiance...), soutien à des opérations de maintien de la paix (aide logistique, formation...), lutte contre le terrorisme, la prolifération, la dissémination des armes légères et de petit calibre (ALPC), la criminalité organisée et soutien à l'État de droit et aux droits de l'Homme...

La Commission européenne a proposé à l'origine un budget total de 4,5 milliards d'euros pour la période 2007-2013, mais le montant qui sera retenu pour cet instrument dépend encore de la mise au point détaillée de l'accord sur les perspectives financières.

1. Les questions soulevées par la proposition

La proposition de la Commission a suscité de nombreuses et importantes questions lors de son examen au Conseil.

La base juridique choisie par la Commission était surprenante : l'article 308 du traité est en effet un article « balai » qui prévoit que, « si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l'un des objets de la Communauté, sans que le présent traité ait prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, prend les dispositions appropriées ». Le Conseil a décidé que la proposition s'appuierait plutôt sur les articles du traité concernant la coopération au développement, qui entraînent l'application de la procédure de codécision entre le Conseil et le Parlement européen.

La question la plus importante réside dans l'articulation entre le nouvel instrument de stabilité et la PESC. La proposition étend en effet très nettement les compétences du premier pilier (le pilier communautaire), au détriment du deuxième pilier (politique étrangère et de sécurité commune), voire du troisième pilier (justice et affaires intérieures), car la proposition cite le terrorisme et la criminalité organisée comme domaines d'actions possibles.

Au fil des années, une grande complexité s'est installée en ce qui concerne la délimitation entre les deux premiers piliers, notamment pour des raisons administratives et budgétaires ; la PESC dispose en effet de moyens humains et financiers faibles au regard de ceux que la Commission européenne consacre à l'action extérieure. Il est vrai que de nombreux actes pris dans le deuxième pilier sont complétés par un acte communautaire du premier pilier : par exemple, à la suite du recours à la violence en Ouzbékistan et du refus d'une enquête internationale, l'Union européenne (deuxième pilier) a adopté une position commune en novembre 2005 pour introduire des restrictions à l'entrée sur son territoire de personnes directement responsables de ces faits, tandis que la Communauté européenne (premier pilier) adoptait parallèlement un règlement relatif à la traduction dans l'ordre juridique communautaire des aspects économiques de la position commune de l'Union. De plus, la frontière entre la gestion de crise et de sortie de crise et les situations de retour aux politiques traditionnelles de coopération est parfois ténue.

Or, la Commission européenne a d'ores et déjà tendance à interpréter de manière extensive les compétences du premier pilier ; elle a notamment demandé, en février 2005, à la Cour de justice des Communautés européennes d'annuler une action commune du Conseil, prise en 2002 dans le cadre du deuxième pilier, relative à la contribution de l'Union européenne à la lutte contre l'accumulation et la diffusion déstabilisatrices des armes légères et de petit calibre. La Commission prend pour argument que l'accord de Cotonou, accord de partenariat entre la Communauté européenne (premier pilier) et les États ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique), inclut des dispositions visant à lutter contre la diffusion de telles armes ; en conséquence, l'action commune PESC viole, selon la Commission, l'article 47 du traité sur l'Union européenne, qui précise : « [...] aucune disposition du présent traité n'affecte les traités instituant les Communautés européennes ». La Commission considère que, à partir du moment où la Communauté a agi en la matière, l'action commune PESC affecte les pouvoirs de la Communauté dans le domaine de l'aide au développement : un « précédent » dans le pilier communautaire empêcherait ainsi de mener une action dans le deuxième pilier.

La Commission développe d'ores et déjà cette politique en ce qui concerne le troisième pilier : la délégation du Sénat pour l'Union européenne a notamment évoqué cette question lors de sa réunion du 22 février consacrée à la Cour de justice des Communautés européennes. Dans ces circonstances, créer un instrument communautaire large, tel que le E 2727 proposé par la Commission, peut donner le même prétexte à celle-ci pour déposer des recours devant la Cour de justice et vider presque totalement le deuxième pilier de son contenu opérationnel.

Cette complexité institutionnelle entre le premier et le deuxième pilier des traités européens explique d'ailleurs la création, dans le traité constitutionnel, d'un poste de ministre des affaires étrangères de l'Union, à la fois président du Conseil des affaires étrangères, « mandataire du Conseil », et vice-président de la Commission européenne, « veillant à la cohérence de l'action extérieure de l'Union ». En l'absence d'un tel ministre des affaires étrangères, la question de la capacité de contrôle exercée par les États membres et par le Parlement européen sur le futur instrument se révèle délicate en raison des sujets abordés (opérations de maintien de la paix, situations de crise...) et le bon équilibre entre l'efficacité de l'action européenne dans des situations de crise et le nécessaire contrôle du Conseil ne semble pas avoir été atteint dans la proposition initiale de la Commission.

2. Les négociations en cours dans les institutions européennes

Le Conseil et le Parlement européen se sont d'ores et déjà accordés sur le changement de base juridique, qui permet d'appliquer la procédure de codécision. Or, le rapporteur de la commission des affaires étrangères du Parlement européen, Mme Angelika Beer, a indiqué à sa commission qu'elle était en contact avec le Conseil pour aboutir à un accord dès la première lecture au Conseil et au Parlement ; cette attitude, de plus en plus fréquente, révèle clairement un dévoiement de la procédure de codécision prévue à l'article 251 du traité CE et ne renforce pas la transparence des travaux des institutions européennes. Pour prendre une comparaison avec le système parlementaire français, il s'agit en fait de réunir une commission mixte paritaire avant la première lecture à l'Assemblée nationale ou au Sénat !

Sur le fond, le projet de rapport de Mme Beer tend principalement à conforter le rôle du Parlement européen dans les phases d'exécution de l'instrument de stabilité. Un paragraphe de l'exposé des motifs est particulièrement éclairant : « Le rapporteur et la Commission n'ont pas le même avis que le Conseil sur les modalités d'appui aux opérations de paix et de désarmement, ainsi que sur la non-prolifération des armes non nucléaires. Le rapporteur soutient la Commission, qui demande une plus grande liberté d'action, aussi bien au niveau des missions que de leur mise en oeuvre. Il s'efforce également d'imaginer un système qui privilégierait à l'avenir un échange de vues régulier entre le Parlement et la Commission et associerait plus étroitement l'Assemblée aux décisions stratégiques prises au titre de l'instrument de stabilité, ainsi qu'au suivi de leur application ».

Il n'est pas certain que ce type de position favorise l'engagement des États membres dans des opérations de maintien de la paix ou dans des situations de crise internationale ; or, ce sont eux qui disposent des moyens humains et techniques pour intervenir concrètement sur le terrain.

Au Conseil, une nouvelle version du texte a été proposée par la présidence autrichienne en mars ; le gouvernement français considère qu'elle comporte des améliorations, mais que la question de la « clause de flexibilité » reste entière : un article de la proposition prévoit en effet que la Communauté « peut adopter des mesures de soutien à d'autres initiatives politiques, lorsque ces mesures contribuent à atteindre les objectifs généraux du règlement ». Cette clause élargit potentiellement à l'excès le champ d'application du règlement.

Enfin, le Conseil, la Commission et le Parlement ont décidé d'exclure de la proposition initiale tout ce qui touche au nucléaire. Ces aspects sont dorénavant traités dans un texte séparé, basé uniquement sur le traité Euratom. Le Gouvernement devrait nous transmettre ultérieurement ce texte dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution.

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En conclusion, toutes ces questions reviennent de fait à celle, centrale, de l'ampleur du champ d'application de la proposition. En l'absence de ministre des affaires étrangères disposant de la « double casquette » Conseil-Commission, il peut sembler prématuré d'élargir de manière aussi extensive le champ du premier pilier au détriment du deuxième. Si, d'une manière générale, on ne peut que soutenir la consolidation en un seul instrument de règlements disparates pour leur donner une cohérence d'ensemble, il ne semble pas souhaitable de créer un outil hybride et « fourre-tout » sur un champ d'application aussi vaste que le prévoyait la Commission européenne ou que le prévoit encore la version en cours de discussion.

En conséquence, si un tel « instrument de stabilité » s'avérait nécessaire, il semblerait raisonnable de limiter strictement son champ d'action à ce qui ne relève pas de la politique étrangère et de sécurité commune, qui doit continuer de relever pleinement des procédures du deuxième pilier.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Cette communication illustre parfaitement la situation de déséquilibre que connaît de plus en plus le triangle institutionnel de l'Union européenne : la Commission européenne, moins collégiale, ne réussit plus à être la véritable force de propositions ; les membres du Conseil, trop nombreux, se désintéressent des questions qu'ils abordent ; le Parlement européen saisit l'occasion de la relative faiblesse des deux autres institutions pour accroître sa présence et son rôle. C'est pourquoi il est nécessaire d'assurer la montée en puissance du rôle des parlements nationaux dans le processus de décision communautaire.

M. Robert Bret :

Je suis d'avis de développer la formulation de la proposition de résolution afin de préciser dans le dispositif les raisons pour lesquelles il est nécessaire de limiter le champ d'application de l'instrument de stabilité et les risques qu'il pourrait y avoir à ne pas le faire.

M. Jacques Blanc :

On voit bien qu'il existe une mécanique en faveur du Parlement européen ; en conséquence, je crois que nous devons renforcer nos liens avec les députés européens pour les sensibiliser aux problèmes qui nous semblent essentiels. Cette communication, qui illustre cette prégnance du Parlement européen, met justement l'accent sur un empiètement qui pourrait enlever leur capacité d'agir aux États.

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A l'issue du débat, et après avoir pris en compte les modifications proposées par M. Hubert Haenel et M. Robert Bret, la délégation pour l'Union européenne a conclu à l'unanimité au dépôt de la proposition de résolution qui suit :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Conseil instituant un instrument de stabilité (texte E 2727),

Demande au Gouvernement de veiller à ce que le champ d'application du futur instrument de stabilité soit strictement limité, afin qu'il ne soit pas possible, par un instrument du premier pilier régi par le processus de décision communautaire, d'empiéter sur le champ d'application du deuxième pilier consacré à la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne, ce qui pourrait avoir pour effet de décourager l'engagement des États membres dans des opérations de maintien de la paix ou dans des situations de crise internationale.