COM (2003) 427 final  du 22/07/2003
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 11/07/2007

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 04/08/2003
Examen : 24/06/2004 (délégation pour l'Union européenne)


Justice et Affaires intérieures

Obligations non contractuelles (Rome II)

Texte E 2347 - COM (2003) 427 final

(Procédure écrite du 24 juin 2004)

L'objectif de cette proposition de règlement est de déterminer la loi applicable aux obligations non contractuelles, en matière civile ou commerciale, dérivant d'un délit ou d'un fait autre qu'un délit, lorsqu'il existe un conflit de lois.

Il s'agit de compléter les dispositions de la Convention de Rome de 1980 qui visait les seules obligations contractuelles (Rome I).

La proposition de règlement fait référence aux matières civile et commerciale et exclut donc les litiges relatifs aux matières fiscales, douanières et administratives. Elle exclut également les questions relatives au droit de la famille, aux successions, aux obligations liées aux instruments négociables, aux trusts, à la responsabilité des associés et auditeurs de sociétés et aux dommages nucléaires.

La règle générale pour les obligations non contractuelles dérivant d'un délit est posée à l'article 3 de la proposition de règlement : la loi applicable est la loi du pays où le dommage direct s'est produit ou risque de se produire (lex loci delicti). Par exemple, s'agissant d'un accident de voiture, la loi applicable serait la loi du pays où s'est produit la collision. L'objectif est de dissuader le « forum shopping » c'est-à-dire que pour un même dommage, quel que soit le juge saisi, la même loi serait appliquée. Il y a deux exceptions à cette règle générale : si les deux parties résident dans un même pays, auquel cas la loi de ce pays s'applique, ou si le juge décide qu'une loi d'un autre pays a des liens plus étroits avec le cas d'espèce (critère de proximité).

Cette règle serait de caractère universel, c'est-à-dire que la loi d'un pays extérieur à l'Union européenne pourrait s'appliquer si le dommage s'est produit dans un pays tiers. Toutefois, les tribunaux pourraient invoquer des considérations d'ordre public pour écarter l'application d'une loi.

La proposition de règlement prévoit de nombreuses dérogations à la règle générale posée à l'article 3 pour des domaines spécifiques : produits défectueux, actes de concurrence déloyale, atteintes à la vie privée ou aux droits de la personnalité, atteintes à l'environnement, atteintes aux droits de propriété intellectuelle.

Par ailleurs, des règles spécifiques sont prévues pour les obligations non contractuelles dérivant d'un fait autre qu'un délit (ex : enrichissement sans cause).

Le principe de la liberté de choix est posé : sauf pour les atteintes à un droit de propriété intellectuelle, les parties ont le droit de convenir de la loi applicable, postérieurement à la naissance de leur différend.

Les principales questions que pose ce texte sont les suivantes :

1 - Faut-il prévoir une règle de caractère universel ? L'article 65 du traité instituant la Communauté européenne (TCE) vise les mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière, « dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur ». La Chambre des Lords estime ainsi que l'Union européenne ne peut intervenir en matière de coopération judiciaire civile dans les cas de dommages survenant à l'extérieur de l'Union. Le gouvernement français est toutefois attaché au caractère universel pour des questions de sécurité juridique et soutient qu'il n'y a pas de contradiction entre l'universalité des règles de conflit de lois et les dispositions de l'article 65 du TCE.

2 - La disposition générale de l'article 3 (loi du pays où le dommage se produit) est-elle adaptée aux délits complexes ? Pour certains cas ayant des incidences dans plusieurs états-membres, il pourrait être utile d'appliquer la loi du pays du fait générateur du dommage, plutôt que d'appliquer la loi de chacun des pays où un dommage est survenu. La disposition générale de l'article 3 pourrait en effet être interprétée comme une consécration de la théorie dite de la « mosaïque » selon laquelle le juge devra appliquer chacune des lois du dommage à proportion du dommage subi sur chacun des territoires, ce qui serait particulièrement délicat.

3 - Toutes les règles spécifiques sont-elles nécessaires ? Les interrogations portent notamment sur les dommages environnementaux (la loi applicable pourrait être, à la demande du plaignant, la loi du pays du fait générateur du dommage), les cas de concurrence déloyale (la loi applicable serait celle du pays dont le marché est perturbé de façon directe et substantielle) ou encore les produits défectueux (la loi applicable serait celle du lieu de résidence du plaignant si le produit a été commercialisé avec l'autorisation de la personne mise en cause). Certaines de ces règles posent des problèmes d'application.

4 - Sans nier la nécessité de règles spécifiques, de fortes interrogations apparaissent sur la manière de traiter deux domaines « sensibles » : les atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité, et les atteintes aux droits de propriété intellectuelle.

a) S'agissant des atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité (ex : diffamation par voie de presse), il s'agit de trouver un équilibre entre la liberté de la presse et les droits des victimes.

La proposition de règlement prévoit que la règle générale s'applique (loi du lieu du dommage direct) sauf si elle heurte les principes fondamentaux du for en matière de liberté d'expression et d'information, auquel cas le juge peut appliquer la loi du for, c'est-à-dire la loi de son propre pays. Il s'agit, par exemple, de permettre à un juge britannique d'écarter l'application d'une loi qui serait contraire aux principes de liberté de la presse de son pays. La loi applicable au droit de réponse serait dans tous les cas la loi du lieu où est établi l'éditeur de la publication ou l'organisme de radiodiffusion.

Certains plaident, et notamment la Chambre des Lords, pour aller plus loin dans le sens des représentants de la presse, c'est-à-dire que la loi applicable soit dans tous les cas la loi du lieu de résidence de l'éditeur ou du radiodiffuseur. Ils mettent en avant la difficulté pour les éditeurs de publications internationales de connaître toutes les législations nationales et le problème des publications par Internet qui pourraient se voir appliquer des lois différentes selon les États-membres.

La France a, pour le moment, réservé sa position sur ce point. La jurisprudence française a généralement privilégié la loi du lieu de l'édition, en soumettant l'atteinte et le droit de réponse à la même loi, ce qui nous rapprocherait de la proposition britannique. Mais les experts gouvernementaux évoquent aussi une solution de compromis, qui pourrait s'inspirer par exemple de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (arrêt Fiona Shevill du 7 mars 1995) : dans ce cas, la loi de l'éditeur serait compétente pour la réparation de l'intégralité du préjudice subi, tandis que la loi de la résidence de la victime serait compétente pour la réparation des dommages soufferts sur ce territoire seulement.

b) Le deuxième point concerne les dispositions spécifiques aux droits de propriété intellectuelle.

Le champ d'application des dispositions concernant les droits de propriété intellectuelle n'est pas clairement délimité dans la proposition de règlement. La distinction entre l'atteinte à ces droits et les dispositions relatives aux actes de concurrence déloyale (par exemple, le piratage d'une oeuvre en ligne) n'est pas claire.

Par ailleurs, le texte est ambigu : la loi applicable serait la loi du pays pour lequel la protection est revendiquée. Par coordination avec les dispositions de la Convention de Berne sur les droits d'auteur, il faudrait préciser le domaine de la loi applicable, notamment les questions liées à l'existence de l'oeuvre, à son originalité et au titulaire initial des droits. Enfin, la règle énoncée serait d'application difficile pour les cas d'atteintes aux oeuvres transmises par voies numériques. Un avis du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique de décembre 2003 détaille ces difficultés techniques.

5 - La proposition de règlement comprend des dispositions ayant pour objet de régler le conflit entre, d'une part, la loi applicable désignée par la règle de conflit de lois et, d'autre part, des normes communautaires (traité et actes de droit dérivé). Ces dispositions posent problème en ce sens qu'elles laissent apparaître l'idée qu'il existerait des lois de police communautaires ou un ordre public communautaire, ce qui serait une notion nouvelle en l'absence d'harmonisation du droit matériel de la responsabilité civile des États membres.

6 - Enfin, le dernier point concerne des dispositions introduites dans la proposition de règlement et qui vont au-delà de la détermination des règles de conflit de droits. L'article 24 dispose en effet que les juges ne pourraient plus appliquer des dommages-intérêts non compensatoires, c'est-à-dire présentant un caractère exemplaire ou punitif. Cette disposition, qui limiterait les pouvoirs d'appréciation des juges nationaux, ne devrait pas être acceptée. 

En conclusion, cette proposition de règlement soulève de nombreuses questions juridiques. Certaines de ses dispositions, en particulier celles relatives aux atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité, nécessitent un débat politique approfondi. La délégation a donc décidé, sans intervenir davantage sur ce texte à ce stade, d'attirer l'attention de la commission des lois sur l'importance des questions soulevées par cette proposition de règlement.