COM (2003) 348 final  du 17/06/2003
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 05/06/2008

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 02/07/2003
Examen : 18/07/2003 (délégation pour l'Union européenne)


Justice et affaires intérieures

Décision autorisant les États membres à adhérer
à la Convention de La Haye de 1996
ou à ratifier cette Convention

Texte E 2326 - COM (2003) 348 final

(Procédure écrite du 18 juillet 2003)

Ce projet de décision du Conseil vise à autoriser les États membres à adhérer à la Convention de La Haye de 1996 ou à ratifier cette Convention.

Si ce texte ne soulève pas de difficultés sur le fond, puisque la ratification de cette Convention représente un progrès essentiel en matière de protection des enfants, en particulier contre les enlèvements transfrontaliers, il illustre cependant l'extrême complexité des questions liées aux compétences externes de la Communauté européenne dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile.

1. LE CONTEXTE DE LA PROPOSITION

La Convention en question est une convention internationale négociée dans le cadre d'une organisation intergouvernementale : la Conférence de La Haye sur le droit international privé. Cette organisation, dont la création remonte à 1893 et qui a son siège à La Haye, est composée de soixante-deux États, dont tous les États membres de l'Union. L'objectif poursuivi par cette Conférence est l'unification progressive des règles de droit international privé. Dans ce but, les États négocient des traités multilatéraux dans différents domaines, comme, par exemple, le droit des contrats ou le droit de la famille. Ces conventions portent principalement sur la détermination de la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des jugements étrangers et le règlement des conflits de lois ou de juridictions.

La Convention de 1996 porte ainsi sur la compétence, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants. Elle représente une avancée majeure du point de vue de la protection des mineurs. En effet, elle améliore sensiblement les mécanismes prévus par une précédente Convention de 1961. En particulier, la Convention de 1996 introduit une importante novation sur le plan de la détermination de l'autorité compétente pour prendre des mesures de protection de l'enfant. Afin d'éviter toute compétence concurrente d'autorités d'États différents, elle pose la compétence de principe de l'État de la résidence habituelle de l'enfant. De plus, elle unifie la loi applicable en matière de responsabilité parentale et concernant les mesures de protection de l'enfant. Elle s'efforce, enfin, de résoudre les problèmes soulevés par les déplacements illicites d'enfants. Cette Convention a été signée par vingt-cinq États, dont tous les États membres de l'Union. Seuls six États l'ont ratifiée à ce jour.

Au moment de la signature de cette Convention par les États membres, une difficulté est apparue concernant son articulation avec le droit communautaire. En effet, entre la fin des négociations et le moment de la signature de cette Convention, le cadre juridique de la coopération judiciaire civile a considérablement évolué au niveau communautaire. Le traité d'Amsterdam, signé en 1997 et entré en vigueur en 1999, a transféré la coopération judiciaire en matière civile dans le premier pilier. De ce fait, ces matières ont été « communautarisées » et la Communauté s'est vu reconnaître une compétence pour légiférer dans ces domaines. Sur cette base, le Conseil a adopté, le 29 mai 2000, un règlement communautaire, dit « règlement de Bruxelles II », relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale. Or, certaines dispositions de ce règlement couvrent exactement le même champ que la Convention de La Haye de 1996.

Aujourd'hui, la Communauté a donc une compétence en vertu des traités en matière de coopération judiciaire civile et elle a exercé cette compétence sur le plan interne. La Commission européenne a en conséquence considéré que les États membres n'étaient plus libres de ratifier eux-mêmes la Convention de La Haye en application de la jurisprudence AETR de la Cour de Justice de Luxembourg. Toutefois, étant donné que la Convention de La Haye contient des dispositions qui n'affectent pas les compétences communautaires, il a été admis que les États membres et la Communauté ont une compétence partagée pour participer à cette Convention, qui s'apparente donc à un « accord mixte ». Cette Convention devrait donc, en principe, être conclue par les États membres et par la Communauté. Toutefois, la Conférence de La Haye dispose expressément que seuls les États membres souverains peuvent être parties aux conventions conclues en son sein. La Communauté ne peut donc ratifier ou adhérer à ce traité. Afin de sortir de ce dilemme, le Conseil a adopté une décision le 19 décembre 2002 autorisant les États membres à signer cette Convention dans l'intérêt de la Communauté. Cette décision a été fondée sur l'article 300 du traité instituant la Communauté européenne. À l'exception des Pays-Bas, les États membres ont donc simultanément signé la Convention de La Haye, le 1er avril 2003, en souscrivant la même déclaration. Le Conseil et la Commission sont convenus que cette décision serait suivie d'une proposition de la Commission relative à une décision du Conseil autorisant les États membres à adhérer à la Convention, dans l'intérêt de la Communauté, ou à ratifier celle-ci en temps utile. C'est sur cette proposition que le Sénat a été saisi en application de l'article 88-4 de la Constitution.

2. LE CONTENU DE LA PROPOSITION

La Commission propose que le Conseil autorise exceptionnellement les États membres à adhérer à la Convention de La Haye ou à ratifier cette Convention dans l'intérêt de la Communauté européenne. Elle indique que cette dérogation à l'exercice normal de la compétence communautaire peut être exceptionnellement justifiée dans ce cas particulier, en raison de l'utilité de la Convention pour la protection des enfants et de la nécessité de s'assurer de l'entrée en vigueur rapide de ce texte. L'exposé des motifs se réfère explicitement à la jurisprudence AETR de la Cour de justice. De manière plus surprenante, il mentionne également le futur règlement, dit « règlement Bruxelles II bis » (texte E 2025, examiné par la délégation par une procédure écrite en date du 19 septembre 2002), appelé à se substituer au « règlement Bruxelles II », alors même que ce dernier n'a pas encore été adopté par le Conseil.

Cette autorisation de ratifier la Convention de La Haye est soumise à deux conditions, l'une sur la forme, l'autre sur le fond. D'une part, les États membres doivent déposer simultanément les instruments de ratification ou d'adhésion à la Convention avant le 1er janvier 2005. D'autre part, les États membres doivent souscrire lors de la ratification la déclaration suivante :

« Les articles 23, 26 et 52 de la Convention autorisent un certain degré de souplesse pour que les parties contractantes puissent appliquer simplement et rapidement un régime de reconnaissance et d'exécution des décisions judiciaires. La réglementation communautaire prévoit un système de reconnaissance et d'exécution qui est au moins aussi favorable que celui visé par les règles énoncées dans la Convention. En conséquence, toute décision rendue par une juridiction d'un État membre de l'Union européenne sur une question relevant de la Convention est reconnue et exécutée en application de la réglementation communautaire pertinente ».

3. LES QUESTIONS SOULEVÉES PAR CETTE PROPOSITION

Ce texte offre une illustration de la complexité des questions soulevées par la reconnaissance d'une compétence externe de la Communauté pour conclure des accords internationaux dans le domaine de la coopération judiciaire.

Si la Convention de La Haye de 1996 constitue, en effet, la première illustration concrète de ces difficultés, elle ne représente pas un cas isolé. Au contraire, plusieurs conventions internationales posent les mêmes difficultés, comme par exemple : la Convention internationale de 2001 sur la responsabilité civile pour des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de soute ; la Convention internationale de 1996 sur la responsabilité et l'indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses ; le nouveau protocole à la Convention internationale de 1992 portant création d'un Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL) ; ou encore la future Convention de Lugano sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. Cette dernière a même fait l'objet d'une saisine par la Commission de la Cour de justice d'une demande d'avis afin de déterminer si la Communauté dispose en l'espèce d'une compétence exclusive pour conclure seule cette Convention.

Il convient de souligner que la Commission européenne est par principe systématiquement favorable à une conception extensive des compétences externes de la Communauté et qu'elle considère généralement que de tels accords relèvent de la compétence exclusive de la Communauté. Or, cette conception a pour effet, d'une part, de réduire considérablement la capacité des États membres à conclure des accords, bilatéraux ou multilatéraux, portant sur ces domaines, et, d'autre part, de restreindre le rôle des parlements nationaux dans la procédure de conclusion de ces accords. Par ailleurs, elle entraîne des conséquences importantes sur la base juridique de ces accords et sur les modalités de vote au sein du Conseil.

Une clarification de l'étendue des compétences externes de la Communauté est donc nécessaire. D'autant plus qu'il s'agit désormais de matières sensibles qui touchent au droit civil ou au droit de la famille et qui concernent directement les droits individuels. Le gouvernement ne semble pas encore avoir de doctrine officielle sur cette question et il attend l'avis de la Cour de justice sur la Convention de Lugano révisée, qui ne devrait pas intervenir avant l'année prochaine. Il est assez regrettable que, sur cette question majeure, le gouvernement s'en remette ainsi à l'avis des juges communautaires. Ceux-ci ont toujours encouragé l'extension des compétences communautaires, comme l'illustre la jurisprudence AETR.

On ne peut donc que se féliciter de la solution retenue à propos de la Convention de La Haye de 1996, consistant à considérer qu'il s'agit d'un « accord mixte » devant être conclu par la Communauté et par les États membres. Cette solution préserve, en effet, la capacité des États membres à conclure des accords internationaux portant sur les mêmes domaines, ainsi que les prérogatives des parlements nationaux.

À ce sujet, on ne peut manquer d'établir un parallèle avec les difficultés soulevées par les projets d'accords entre l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique en matière d'extradition et d'entraide judiciaire pénale, négociés sur la base de l'article 24 du traité sur l'Union européenne (texte E 2210). S'interrogeant, au regard des compétences attribuées à l'Union par les traités, sur la possibilité de conclure de tels accords au nom de l'Union seule, le Sénat a adopté une résolution, le 23 avril 2003, demandant au gouvernement de considérer ces accords comme des « accords mixtes », devant être conclus par l'Union européenne et par les États membres. En outre, cette solution aurait permis de soumettre ces accords à une procédure de ratification parlementaire. Il est remarquable que l'on retienne la solution de l'« accord mixte » s'agissant de la coopération judiciaire civile, qui a été communautarisée par le traité d'Amsterdam, et que l'on refuse cette solution en ce qui concerne la coopération judiciaire pénale, qui relève pourtant du domaine intergouvernemental. Il y a là une contradiction majeure.

La principale difficulté du texte dont nous sommes saisis tient au statut juridique de la déclaration que doivent souscrire les États membres. En effet, étant donné que le futur « règlement de Bruxelles II » doit permettre en principe aux États membres de l'Union de déroger à certaines dispositions de la Convention de La Haye de 1996 pour prévoir un mécanisme basé sur la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires au sein de l'Union européenne, il est essentiel que la primauté du droit communautaire soit établie. Il aurait donc été préférable de prévoir un protocole à la Convention de La Haye plutôt qu'une déclaration dont la portée juridique n'est pas évidente. La création d'un espace judiciaire européen justifie, en effet, la mise en place au niveau européen de règles plus favorables fondées sur la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires, en particulier pour lutter contre les enlèvements transfrontaliers d'enfants.

Sous réserve de ces observations, la délégation a décidé de ne pas intervenir plus avant dans l'examen de ce texte.