COM (2002) 17 final  du 23/01/2002
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 21/04/2004

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 20/03/2002
Examen : 06/11/2002 (délégation pour l'Union européenne)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : voir le dossier legislatif


Environnement

Communication de M. Marcel Deneux
sur la responsabilité environnementale

Texte E 1966 - COM (2002) 17 final

(Examen en réunion du 6 novembre 2002)

Le problème de la prévention et de la réparation des atteintes portées à l'environnement constitue un sujet de réflexion qui préoccupe, depuis longtemps, les institutions nationales et communautaires de l'Union européenne.

Le texte que je vous présente aujourd'hui propose d'établir un cadre commun pour réparer les dommages causés aux milieux naturels par les activités professionnelles. Il vise les atteintes à la biodiversité, aux eaux, au sol et sous-sol, ainsi qu'à leurs conséquences sur la santé humaine, par rejets de substances polluantes, absorption par les plantes, contacts avec les personnes, incendies, explosions... Son champ d'application est donc considérable, d'autant que l'on estime à 300 000 environ les sites européens déjà pollués ou soupçonnés de l'être.

L'utilité d'une intervention communautaire n'est ici pas contestable :

- d'abord en raison du caractère potentiellement transfrontalier de ce type de pollution ;

- ensuite, parce que, si la plupart des États membres disposent déjà d'une réglementation, souvent récente d'ailleurs, le seul fait que certains d'entre eux (Grèce, Portugal par exemple) ne couvrent pas encore l'ensemble du champ d'application potentiel suffit à affaiblir tout le dispositif, en permettant de profiter de l'existence de vides juridiques ;

- enfin, parce que, pour être opérant, le texte doit s'articuler avec d'autres dispositions communautaires, en l'espèce la directive-cadre sur l'eau, ainsi que les directives « oiseaux sauvages » et « habitats naturels ». Il aborde ainsi, pour la première fois, le problème de la protection de la biodiversité sous l'angle de la responsabilité du pollueur.

La proposition souligne qu'elle n'a pour objet que de définir des principes généraux et de laisser aux États membres toute latitude pour en organiser les modalités d'application, conformément aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Le moyen d'action retenu par le texte consiste à favoriser les comportements préventifs en rendant financièrement coûteuse la réparation des dommages causés à l'environnement.

Le principe de base est bien connu désormais : c'est celui du pollueur-payeur tel qu'inscrit à l'article 174-2 du traité. En vertu de ce principe, l'exploitant qui se trouve à l'origine du dommage environnemental doit supporter le coût final de la réparation, qu'il y procède lui-même ou non, de son plein gré ou sur ordre des autorités compétentes, celles-ci devant assumer la surveillance et le contrôle des opérations. A fortiori, l'obligation d'agir prévaut aussi lorsque des mesures de prévention sont envisageables avant qu'il ne soit porté atteinte à l'environnement.

La responsabilité de l'exploitant serait donc désormais engagée sans faute de sa part et du seul fait de la survenance du dommage. Si ce principe de base paraît simple, le texte propose dans son dispositif une multitude d'exceptions, d'exonérations et de limitations de responsabilités qui rend sa compréhension difficile, pour ne pas dire impossible.

1. Le cas des activités professionnelles à risque

Le texte fixe, en annexe, une liste - que l'on peut trouver confuse - des activités professionnelles porteuses de risque pour l'environnement ; il s'agit notamment des exploitations d'installations soumises à un permis de rejet dans l'air ou le milieu aquatique, des activités de captage ou d'endiguement d'eau, de gestion des déchets, de fabrication, usage, stockage ou transport de substances ou préparations dangereuses, phytopharmaceutiques et biocides et d'utilisation ou transport d'organismes génétiquement modifiés.

Dans tous ces cas de figure, l'exploitant sera tenu de prévenir ou de réparer les dommages, mais il pourra s'exonérer de sa responsabilité en cas d'événements indépendants de sa volonté (guerre, insurrection, phénomène naturel).

Par ailleurs, si les connaissances scientifiques et techniques de l'époque ne pouvaient laisser prévoir la réalisation du dommage ou lorsque les émissions polluantes ont été autorisées en vertu d'un permis ou de dispositions législatives et réglementaires, sa responsabilité ne sera engagée qu'en cas de négligence de sa part. Contrairement au principe affirmé au départ, on se retrouve donc ici sur le terrain de la responsabilité pour faute, ce qui affaiblit considérablement la portée du texte.

Enfin, l'exploitant se trouvera dégagé de sa responsabilité en cas d'acte de malveillance de tiers ou s'il a agi en vertu d'un ordre des autorités publiques.

2. Le cas des atteintes à la biodiversité

Le même fondement de la responsabilité pour faute est également retenu pour toutes les autres activités professionnelles, c'est-à-dire celles non répertoriées comme dangereuses. Si celles-ci ont dans les faits porté atteinte à la biodiversité, l'exploitant ne sera tenu pour responsable qu'en cas de faute ou négligence de sa part.

3. Le cas de l'inexistence ou de l'insolvabilité de l'exploitant

Si aucun exploitant ne peut être tenu responsable, ou dans l'hypothèse de son insolvabilité, c'est aux États membres qu'il appartiendra de prévoir et d'assumer financièrement le dispositif de réparations. Toutefois, d'après la Commission, le risque d'insolvabilité devrait pouvoir être limité grâce à l'instauration d'un mécanisme d'assurance adapté à la réparation des dommages environnementaux, tel qu'il existe notamment aux États-Unis.

Enfin, je crois utile de préciser que le dispositif proposé ne vaut que pour l'avenir. De ce fait, la dépollution des sites actuellement touchés devra sans doute être exécutée sur fonds publics, la responsabilité passée des pollueurs étant difficile à établir. Il faut d'ailleurs souhaiter que la perspective d'entrée en vigueur du présent texte ne conduise pas certains exploitants peu scrupuleux à polluer par anticipation pour ne pas être tenus à réparation plus tard. Pour information, l'Agence européenne de l'environnement estimait en juin 2000 la dépollution partielle de l'Union - quelques États membres, sites ou régions seulement - à une somme comprise entre 55 et 106 milliards d'euros, soit environ 0,6 à 1,2 % de son produit intérieur brut total.

*

Que faut-il penser du dispositif singulièrement complexe de ce texte ? Sa lecture me conduit à être très critique sur la proposition qui nous est soumise.

1. On observera d'abord que son champ d'application est curieusement circonscrit.

Après avoir affirmé la règle générale - réparation des dommages potentiels ou avérés causés à l'environnement ou à la santé humaine -, le texte aligne toute une série d'exemptions qui en limite largement la portée. Sont ainsi exclus :

- en premier lieu, et à juste titre, les dommages qui ne pouvaient être prévus sur la base des connaissances techniques et scientifiques au moment des émissions ou des activités à l'origine des atteintes environnementales ;

- les dommages résultant de conflits armés, insurrections, phénomène naturel et exceptionnel ;

- les dommages résultant d'émissions autorisées par les lois ou par un permis spécifique, ce qui paraît singulier car on pourrait en conclure que le seul fait de détenir un permis d'émissions dégage de facto de toute responsabilité ;

- les dommages prévus et indemnisables par différentes conventions internationales spécifiques (pollution par les hydrocarbures, par les hydrocarbures de soute, par les substances nocives transportées par mer, par les marchandises dangereuses transportées par route, rail et bateaux de navigation intérieure), y compris les accidents d'origine nucléaire relevant des textes Euratom et autres conventions ;

- les dommages causés par des activités liées à la défense nationale ;

- les dommages dus à une « pollution à caractère étendu et diffus, lorsqu'il est impossible d'établir un lien de causalité entre les dommages et les activités de tel ou tel exploitant ».

2. Deuxième observation : ce texte mélange les régimes de responsabilité, empêchant ainsi la compréhension claire du système qu'il propose.

Nous l'avons vu, le texte juxtapose deux types de responsabilité du pollueur :

· une responsabilité sans faute, pour un certain nombre d'activités professionnelles dûment répertoriées (avec le risque, d'ailleurs, d'établir une énumération incomplète, dépassée ou erronée) ;

· une responsabilité pour faute, et seulement dans le cas d'atteintes à la biodiversité, pour toutes les autres activités professionnelles. On observera d'ailleurs à ce sujet que n'importe quelle activité pouvant causer un dommage, les autorités publiques seront amenées à intervenir elles-mêmes ou à susciter l'intervention de l'exploitant dans un nombre infini de situations : les États auront-ils la capacité technique et financière de faire face à une charge aussi lourde, et notamment d'assurer en toutes circonstances une mission de veille permettant d'organiser la prise de mesures préventives avant la survenance du dommage ?

3. Troisième critique : les définitions retenues par le texte manquent de précision.

Les définitions proposées par le texte - pour des concepts certes délicats à cerner comme « l'état initial » des ressources naturelles ou leur « état de conservation » - semblent insuffisamment précises, donc susceptibles de donner prise à des contestations.

Par exemple, il est indiqué que l'estimation de l'état initial des ressources naturelles et des services qui auraient existé en l'absence de dommage doit se faire « à l'aide de données historiques, de données de référence, de données de contrôle ou de données relatives aux évolutions à la hausse, seules ou combinées selon le cas ». L'appréciation de la réalité de la situation risque d'être parfois bien délicate à opérer.

Plus grave encore, on peut s'interroger sur la manière dont est ici définie la « biodiversité ». En effet, il est fait référence aux habitats naturels et espèces énumérés par les directives « habitats naturels » et « oiseaux sauvages », auxquels s'ajoute tout autre habitat ou espèce « que les États membres choisissent, de désigner à des fins équivalentes à celles exposées dans ces deux directives » (1(*)). Or, nous savons les difficultés d'application de ces deux textes dans l'ensemble du territoire de l'Union européenne et notamment celles tenant à la définition des zonages nationaux de protection relevant du réseau Natura 2000. Est-il judicieux de faire ici référence à des législations nationales, par définition différentes ? Faut-il en conclure que seuls les espèces et habitats présents sur les territoires compris dans les zonages sont couverts par la présente proposition de directive et non ceux présents dans l'ensemble du territoire de l'Union ? L'appréciation de la biodiversité est-elle la même suivant que l'on se place sur le terrain de la responsabilité sans faute, dans le cadre des activités classifiées dangereuses, ou sur le terrain de la responsabilité pour faute, dans le cadre de toutes les autres activités ? Les dispositions actuelles ne permettent pas de répondre à ces questions.

4. Quatrième élément contestable : la charge financière susceptible d'incomber aux pouvoirs publics paraît excessivement lourde.

J'ai indiqué le nombre important d'exceptions, d'exemptions, d'excuses, permettant d'exonérer le pollueur de sa responsabilité. Si on précise en outre que le texte ouvre un droit d'action auprès des pouvoirs publics aux personnes affectées par un dommage environnemental, aux associations et autres « entités qualifiées », la charge susceptible de reposer en définitive sur les États membres est considérable. Le risque est donc grand de voir le principe du « pollueur-payeur » se transformer en « État-payeur », donc en « contribuable-payeur », contredisant ainsi les dispositions du traité et les intentions des parties.

5. Enfin, dernière observation : l'incitation à la conclusion de contrats d'assurance ne semble pas pertinente.

On peut en effet s'interroger sur l'utilité d'inscrire, au sein du dispositif d'une directive, une incitation faite aux États membres de favoriser la conclusion de contrats d'assurances contre les dommages environnementaux. D'abord, ce type de recommandation, qui n'entraîne pas de conséquences juridiques,  ne devrait figurer que dans l'exposé des motifs, à mon sens ; ensuite, les contrats visés ne sont probablement pas encore parfaitement définis, ni disponibles dans l'ensemble de l'Union, ce qui risque d'entraîner des distorsions de concurrence entre les États membres. La question pourrait être plus complexe encore si l'on sait qu'en l'état actuel des débats, il est envisagé de rendre obligatoire ce dispositif d'assurance, et non plus facultatif, pour les activités professionnelles présumées dangereuses.

*

Les éléments d'interrogation restent donc nombreux sur ce texte, même si nous sommes tous conscients de l'importance de l'enjeu et du bien-fondé de ses motivations.

Le débat s'est ouvert en mars dernier, au sein du Conseil Environnement, et les discussions montrent que les travaux risquent d'être longs et difficiles avant d'envisager la conclusion d'un accord. Les espoirs d'aboutir, que la présidence espagnole avait un temps caressés, ont été déçus, en raison des profondes divergences opposant les États membres.

On pouvait s'attendre à ce que la présidence danoise fasse de ce texte l'une de ses priorités, sachant la sensibilité très prononcée du Danemark à la protection des milieux naturels, mais les travaux n'ont guère progressé au cours de ce semestre. Pour sa part, le Parlement européen ne s'est pas encore prononcé à son sujet et la proposition pourrait ne pas être étudiée en séance plénière avant mars 2003.

Le moment me semble donc opportun pour faire connaître notre sentiment sur ce texte, par la voie d'une proposition de résolution qui relaie les inquiétudes et les réticences que vous avez perçues dans mon propos introductif.

Compte rendu sommaire du débat

M. Jacques Bellanger :

Ainsi que vous nous l'avez exposé, ce texte paraît fort complexe et j'ai peur de ne pas disposer des connaissances techniques suffisantes pour en mesurer la portée. En bonne logique, si nous en décidons le dépôt, notre proposition de résolution devrait être instruite par la commission des Affaires économiques pour qu'elle en approfondisse l'analyse. C'est pourquoi je souhaite m'abstenir sur la proposition qui nous est soumise, dans l'attente du rapport qui nous sera présenté par la commission permanente compétente.

M. Marcel Deneux :

C'est, en effet, un dispositif particulièrement compliqué sur lequel, d'ailleurs, les Etats membres peinent à élaborer un système commun. La proposition, déposée par la Commission européenne en mars dernier, n'a que peu progressé et la commission des Affaires économiques disposera, je crois, du délai d'instruction permettant de suivre l'évolution de la réflexion. Pour information, je vous signale que la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale n'a pas encore fait connaître sa position pour des motifs sans doute semblables d'extrême complexité des mesures présentées.

M. Hubert Haenel :

Notre proposition de résolution sera effectivement transmise à la commission des Affaires économiques, où j'espère qu'elle pourra être examinée en temps utile. Malheureusement, certaines de nos précédentes propositions y sont encore en sommeil et j'ai appris que la ministre déléguée aux affaires européennes avait attiré l'attention de la commission sur ce point.

M. Marcel Deneux :

En tant que Vice-président de la commission des Affaires économiques, je puis vous assurer que je me montrerai particulièrement vigilant sur le suivi de cette proposition de résolution. Nous savons combien le calendrier de travail de cette commission est lourd pendant la période budgétaire, mais la longueur prévisible du délai d'adoption de cette directive devrait nous laisser le loisir d'étudier la proposition de résolution que je vous propose de déposer d'ici janvier ou février de l'année 2003.

M. Philippe François :

Quelle est l'attitude des autres États membres sur ce texte ?

M. Marcel Deneux :

Ainsi que je vous l'ai indiqué, les discussions ne progressent que très lentement car de nombreux points font l'objet de désaccords parmi lesquels l'étendue du champ d'application du texte, la responsabilité incombant aux pouvoirs publics et l'élaboration des différentes définitions.

M. Hubert Haenel :

Il relève de notre mission, en vertu de l'article 88-4 de la Constitution, de signaler les difficultés résultant, pour notre pays, des propositions européennes. J'ai pu constater, au sein de la Convention, l'intérêt porté au rôle à confier aux parlements nationaux pour le bon fonctionnement des institutions de l'Union. La réflexion s'oriente actuellement vers la place qu'il conviendrait de leur reconnaître dans le contrôle du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. L'affaire est délicate car, pour dire les choses franchement, le Parlement européen se méfie des parlements nationaux et de l'influence qu'ils pourraient se voir accorder.

M. Jean-Paul Émin :

J'ai le sentiment que le Parlement européen devrait plutôt se méfier de la Commission européenne qui, parfois, et je l'ai constaté récemment, ne prend pas en compte les amendements qu'il a lui-même adoptés.

*

À l'issue de ce débat, la délégation a conclu au dépôt de la proposition de résolution ci-après :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive E 1966 relative à la responsabilité environnementale en vue de la prévention et de la réparation des dommages environnementaux,

Considère que l'application du principe pollueur-payeur tel qu'il est inscrit dans le Traité doit être aussi rigoureuse que possible ;

En conséquence, demande que le texte prévoie :

- l'engagement de responsabilité de l'exploitant même lorsqu'il détient un permis d'émissions de substances polluantes ;

- l'engagement de responsabilité de l'exploitant même s'il démontre avoir respecté les lois et réglements en vigueur ;

- la limitation de l'étendue de la responsabilité qui peut finalement incomber à l'État lorsqu'il est amené à se substituer au pollueur, soit en cas de défaillance ou d'insolvabilité, soit dans certains cas d'atteintes à la biodiversité ;

- une définition détaillée et opérationnelle de la notion de biodiversité qui conditionne, pour une large part, l'application du dispositif de responsabilité proposé ;

- la suppression, dans le corps même de la directive, de l'incitation à instaurer un système spécifique d'assurance, dont les modalités restent encore largement à définir.

A défaut, demande au Gouvernement de s'opposer à l'adoption de cette proposition dans sa rédaction actuelle.


* (1) Cette rédaction est une version simplifiée du texte initial et résulte des discussions entre États membres de juillet dernier.