14546/01  du 27/11/2001

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 29/01/2002
Examen : 04/04/2002 (délégation pour l'Union européenne)


Justice et affaires intérieures

Communication de M. Hubert Haenel sur le texte E 1920
relatif à Europol (participation aux équipes communes d'enquête, procédure de révision de la Convention Europol)

Texte E 1920 - COM 14546/01 EUROPOL 97

(Réunion du 4 avril 2002)

Le texte E 1920 traite de deux questions totalement distinctes qu'il nous faut examiner successivement.

La première concerne la participation d'Europol aux équipes communes d'enquête. Je vous rappelle que la création d'équipes communes était déjà prévue par le traité d'Amsterdam et qu'elle a été inscrite à l'article 13 de la Convention relative à l'entraide judiciaire en matière pénale qui a été conclue le 29 mai 2000. L'absence de ratification par tous les États membres de cette Convention a d'ailleurs entraîné le dépôt d'un projet de décision-cadre que nous avons examiné par procédure écrite en décembre dernier.

Le texte E 1920 propose de modifier la Convention Europol afin de permettre à cet organisme, d'une part, de participer à titre d'appui aux équipes communes d'enquête, et, d'autre part, de demander aux autorités compétentes des États membres concernés de mener ou de coordonner des enquêtes dans des affaires précises.

Les agents d'Europol seront habilités à prêter leur concours à toutes les activités et à échanger des informations avec tous les membres de l'équipe commune d'enquête. Toutefois, ils ne pourront exercer eux-mêmes des mesures coercitives liées à l'arrestation et à la détention. En outre, au cours des opérations d'une équipe commune d'enquête, et par dérogation aux dispositions sur leurs privilèges et immunités, les agents d'Europol seront assimilés aux agents de l'État membre d'intervention en ce qui concerne les infractions dont ils seraient victimes ou qu'ils commettraient. Europol devrait d'ailleurs rembourser les dommages que ses agents pourraient causer sur le territoire d'un État membre.

La participation d'Europol aux équipes communes d'enquêtes permettra à l'0ffice européen de Police de gagner en efficacité en collectant et en répercutant davantage d'informations directement opérationnelles. Nous ne pouvons donc qu'être favorables à cette disposition.

La deuxième modification à la Convention Europol qui est proposée par le texte E 1920 pose des problèmes d'une toute autre nature. Il s'agit en effet de changer la procédure de révision de la Convention Europol.

Europol a été créée par une Convention établie par le Conseil, en application de l'article 34 du traité sur l'Union européenne. Cette Convention est un accord international qui n'a pu entrer en vigueur qu'après adoption par les États membres, selon leurs règles constitutionnelles respectives. En conséquence, la Convention Europol a fait l'objet en France d'une loi autorisant sa ratification. L'article 43 de cette Convention, qui régit sa procédure de modification, prévoit que toute révision de la Convention nécessite une décision du Conseil à l'unanimité, puis une ratification par chaque État membre. Il y est cependant adjoint une procédure simplifiée, dispensant de la ratification pour les modifications portant sur la définition des formes de criminalité entrant dans le domaine d'Europol. Le texte E 1920 propose purement et simplement de supprimer l'exigence de ratification par les États membres pour toute modification de la Convention Europol.

De ce fait, toute modification de la Convention, quelle que soit son importance ou sa nature, pourrait être opérée par la seule unanimité au Conseil, sans que les parlements nationaux aient à donner leur accord. Un des considérants du texte E 1920, invoquant la nécessité de réagir plus rapidement aux évolutions de l'environnement international, déclare d'ailleurs sans fard qu'il s'agit de remédier aux « net désavantage » que constitue l'exigence de ratification qui « réduit considérablement la marge de manoeuvre ».

Il me semble que nous devons examiner cette disposition sous deux angles différents :

- d'abord sous l'angle de sa régularité juridique ;

- ensuite sous l'angle de son opportunité politique.

Du point de vue juridique, je me suis interrogé sur la conformité de cette disposition à notre Constitution.

En effet, la Constitution de 1958 donne, dans son article 53, compétence au législateur pour autoriser la ratification de certains traités et accords internationaux dont la Convention Europol fait partie. C'est pourquoi cette dernière a fait l'objet d'une loi autorisant sa ratification. La modification de sa procédure de révision proposée par le texte E 1920 devra, elle aussi, être soumise à cette autorisation parlementaire. Mais, en adoptant cette proposition, le Parlement français serait amené à renoncer, par une loi simple, à l'exercice d'une compétence qui lui est accordée par la Constitution.

Or, les jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État s'accordent à juger non conforme à la Constitution la renonciation par le législateur à une compétence que lui a explicitement conférée la Constitution. Afin d'éclaircir ce point, j'ai demandé au Jurisconsulte du Sénat d'examiner plus attentivement cette question. Sa réponse n'a pu que me conforter dans mon impression première.

Le Jurisconsulte du Sénat fait en effet valoir :

- que la compétence conférée au législateur en application de l'article 53 de la Constitution est « protégée avec rigueur par le juge administratif, que ce soit dans les avis du Conseil d'État sur les projets de loi ou à l'occasion d'instances contentieuses » ;

- que « le Conseil d'État retient, le plus souvent, une conception extensive de cette compétence, notamment quand sont en cause des modalités de révision » ; en cas de procédure simplifiée pour la révision de certains articles, le Conseil d'État rappelle « qu'une loi de ratification resterait nécessaire si les dispositions en cause étaient de nature législative ».

Le Jurisconsulte ajoute que « ce souci de préserver la compétence législative est particulièrement marqué quand des engagements internationaux touchent, comme c'est le cas pour Europol, aux libertés publiques ou au droit pénal ».

Du point de vue de l'opportunité politique, les motifs de s'interroger sur le bien fondé de cette proposition ne sont pas moins nombreux.

Europol est un organisme qui a connu une forte croissance. Ses effectifs ont été portés à 280 personnes et son budget pour l'année 2002 dépasse à présent 50 millions d'euros. Cette croissance a trop longtemps privilégié l'image extérieure de l'organisation sans que l'on se préoccupe des attentes des États membres et sans que l'on cherche à leur rendre compte. Beaucoup d'États membres se plaignent d'ailleurs de n'avoir jamais connaissance des résultats obtenus par Europol, qui, ne l'oublions pas, est actuellement une police au service des États membres et non une police européenne intégrée.

Disons, pour résumer et pour simplifier, que le sentiment prévaut aujourd'hui qu'Europol n'est pas suffisamment contrôlé par les États membres. Or, les parlements nationaux ont déjà quelque peine, dans la situation actuelle, à suivre l'activité d'Europol. Il paraît pour le moins étrange de leur demander de renoncer par avance à leur droit de regard sur les évolutions de l'institution et de les priver de leurs prérogatives.

D'une manière générale, les questions policières sont d'une nature suffisamment sensible pour que les parlementaires nationaux n'en soient pas écartés. Europol est appelé à évoluer dans les années à venir et des choix décisifs devront être effectués. On voit mal pourquoi les parlements nationaux ne seraient pas partie prenante à ces choix.

La Convention sur l'avenir de l'Europe devra réexaminer le fonctionnement de l'Union européenne en matière de justice et d'affaires intérieures. Mais, tant que l'on se situe dans le cadre actuel, on voit mal comment on pourrait, du point de vue démocratique, légitimer la mise à l'écart des parlements nationaux pour une matière fondamentale au regard des libertés publiques.

En conséquence, tant pour des raisons de régularité juridique que pour des raisons d'opportunité politique, il me semble que la proposition formulée par le texte E 1920 n'est pas acceptable. Cette proposition a d'ailleurs été fortement critiquée lors de l'examen du texte par les représentants des États membres. De ce fait, la Présidence a proposé trois options :

- la première est celle qui figure dans le texte E 1920 ;

- la seconde consiste à ne retenir cette procédure de modification simplifiée, sans ratification parlementaire, que pour certains articles de la Convention. La procédure de modification sans intervention des parlements nationaux ne concernerait que les éléments les moins importants de la Convention, tandis que la révision des autres continueraient de requérir une ratification parlementaire ;

- enfin, la troisième option consiste à remplacer la Convention Europol par une simple décision du Conseil.

Cette dernière option, qui aurait pour effet de supprimer toute procédure d'autorisation de ratification par les parlements nationaux, emporterait en outre quelques autres conséquences non négligeables. D'une part, elle ne permettrait pas de rendre immédiatement exécutoires les décisions prises par le Conseil puisque ces dernières ne peuvent entraîner d'effet direct. Il serait donc nécessaire, dans un certains nombre de cas, d'adopter dans chaque État membre une législation d'application, ce qui relativise le gain de souplesse et de rapidité qui est recherché. D'autre part, elle aurait pour effet de modifier la conception même d'Europol. Les compétences de la Cour de justice sur Europol en seraient modifiées, dans des conditions qu'il serait d'ailleurs utile de mieux déterminer. De plus, le budget d'Europol pourrait en être communautarisé dès lors qu'un seul État membre le souhaiterait. Enfin, il serait nécessaire de procéder d'abord à l'abrogation de la Convention Europol.

Là encore, il semble préférable, avant de songer à prendre des décisions de ce genre, d'attendre que la Convention ait achevé ses travaux. Des changements d'une telle importance devraient être soumis à la Conférence intergouvernementale qui suivra la Convention.

Dans ces conditions, je vous propose :

de faire connaître au Gouvernement que nous estimons que l'option à privilégier est celle qui consiste à n'envisager une procédure simplifiée que pour les dispositions techniques et secondaires de la Convention Europol ;

et de lui demander de saisir sans tarder le Conseil d'État afin qu'il détermine les éléments de la Convention Europol qui pourraient, au regard des exigences constitutionnelles et de nos traditions en matière de libertés publiques, faire l'objet d'une telle procédure simplifiée.

Je dois ajouter, à titre personnel, que je regrette que le Gouvernement n'ait pas cru bon jusqu'ici de demander au Conseil d'État son sentiment sur la conformité à la Constitution des trois options soumises au Conseil.

Et je pense que, lorsque nous aurons davantage d'informations sur les modalités de cette deuxième option proposée, il sera utile de déterminer si cette procédure simplifiée pour une partie de la Convention Europol est réellement opérationnelle, car rien ne permet aujourd'hui d'en être certain.

Compte rendu sommaire du débat

M. Pierre Fauchon :

Je suis en plein accord avec votre proposition. La seconde option est manifestement la meilleure. Et il reste à déterminer, au sein de la Convention Europol, ce qui appartient au domaine législatif et ce qui appartient au domaine réglementaire.

M. Serge Lagauche :

C'est là un domaine d'une grande complexité et je ne suis pas en mesure de me prononcer sur tous les considérants que vous avez évoqués à l'appui de votre argumentation. Je suis réservé, à titre personnel, à l'égard de tout ce qui peut entraver le fonctionnement d'Europol ou son efficacité ; ce qui ne veut pas dire que je suis opposé à votre souci d'assurer le respect des règles constitutionnelles.

M. Bernard Angels :

Le problème de constitutionnalité est clair et la consultation du Conseil d'État paraît appropriée.

La délégation a alors approuvé la proposition du rapporteur.