7797/00 COPEN 29  du 14/04/2000
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 15/03/2001

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 25/05/2000
Examen : 04/10/2000 (délégation pour l'Union européenne)


Justice et Affaires intérieures

Statut des victimes dans le cadre de procédures pénales


Texte E 1460

(Procédure écrite du 4 octobre 2000)

La présente proposition est un projet de décision-cadre lancé à l'initiative de la présidence portugaise.

Il convient de rappeler ici qu'en vertu de l'article 34 alinéa 2b du traité sur l'Union européenne, le Conseil peut arrêter à l'unanimité des décisions-cadres aux fins de rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres.

Les décisions-cadres lient les Etats membres quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales le choix quant à la forme et aux moyens. Elles ne peuvent entraîner d'effets directs. Cet instrument juridique est donc plus contraignant que les positions communes définissant l'approche de l'Union sur une question déterminée.

Ce projet s'inscrit dans le prolongement des conclusions du Conseil européen de Tampere, d'octobre 1999, qui estimait nécessaire d'établir des normes minimales pour la protection des victimes de la criminalité, notamment en ce qui concerne l'accès à la justice de ces victimes et leur droit à réparation, y compris au remboursement des frais de justice. En outre, il prévoyait que des programmes nationaux devraient être mis sur pied pour financer des mesures, tant publiques que non gouvernementales, d'assistance et de protection en faveur des victimes.

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I. Le contenu de la proposition de décision-cadre sur le statut des victimes

1. Les objectifs

L'objectif central poursuivi par cette décision-cadre est d'inciter les Etats membres à prendre des mesures afin de garantir aux victimes d'une infraction pénale un traitement préservant leur dignité personnelle et de leur reconnaître des droits à chacune des phases de la procédure pénale.

La victime est entendue au sens de la présente proposition comme « la personne physique qui fait l'objet d'une infraction de quelque nature que ce soit, sur le territoire de tout Etat membre de l'Union européenne. En cas de décès de la victime de l'infraction, peuvent être également considérées comme victimes les membres de sa famille ou les personnes assimilables à des membres de sa famille en tenant compte des dispositions de la législation nationale de l'Etat dans lequel se déroule la procédure ».

Selon le projet de la présidence, il importe de prendre pour point de départ les difficultés auxquelles sont confrontées les victimes et d'y répondre de manière complète, globale et coordonnée. Pour cette raison, la notion de procédure englobe les contacts de la victime avec les autorités, les services publics et les organismes d'aide aux victimes et dépasse donc le cadre strict de la procédure pénale.

Il convient en particulier, d'après cette proposition, de prendre en compte la situation des victimes particulièrement vulnérables ou résidentes dans un autre Etat membre que celui où elles ont été victimes.

2. Les moyens mis en oeuvre

Deux séries de dispositions sont censées concourir à l'objectif de la décision-cadre. Les premières visent à garantir des droits individuels aux victimes. Les secondes mettent en oeuvre une assistance directe à ces dernières.

a) La reconnaissance de droits individuels aux victimes d'une infraction pénale

Une série de droits sont reconnus aux victimes par la présente décision :

- le droit d'être entendu au cours de la procédure, ainsi que le droit à fournir des éléments de preuve ;

- le droit de recevoir des informations, dès le début de la procédure, et tout au long de celle-ci ;

- le droit de participer à la procédure en qualité de victime ;

- l'exonération des frais de justice ou la possibilité du remboursement de ces frais ainsi que l'accès à l'aide juridictionnelle .

- le droit des victimes à bénéficier d'une protection, en ce qui concerne leur sécurité et celle de leur famille et la protection de leur vie privée, dès lors qu'il existe une menace sérieuse que des actes de rétorsion soient commis ou de forts indices que leur vie privée soit intentionnellement perturbée ;

- l'existence d'espaces d'attente séparés pour les victimes dans les locaux judiciaires ;

- le droit de témoigner en privé, par enregistrement vidéo ou par un autre moyen approprié, lorsque les circonstances l'exigent ;

- le droit d'être indemnisé dans le cadre de la procédure pénale ;

- en ce qui concerne les victimes résidant dans un autre Etat membre, les Etats membres garantissent des modalités adéquates de participation à la procédure pénale, notamment en prévoyant la possibilité pour la victime de faire une déposition dès l'engagement de la procédure ou le recours à des moyens modernes de déposition, comme l'enregistrement vidéo.

b) Les mesures d'assistance aux victimes

Celles-ci sont les suivantes :

- les Etats membres favorisent l'adoption de mesures permettant aux personnels qui sont en contact avec les victimes de recevoir une formation appropriée, en particulier les policiers et magistrats ;

- les Etats membres veillent à garantir un accueil convenable aux victimes ;

- les Etats membres favorisent l'action de services d'aide aux victimes publics ou privés ;

- les Etats membres favorisent la mise en place de réseaux de coopération et la création d'un numéro vert européen correspondant à un service d'aide aux victimes.

II - Si le projet de décision-cadre répond à une nécessité légitime, il apparaît cependant qu'il soulève des difficultés.

1. La nécessité d'assurer une protection efficace des victimes dans le cadre de la procédure pénale

Comme « la justice des hommes arrive toujours trop tard » (Bernanos), il arrive souvent qu'elle renforce le traumatisme subi par la victime, que ce soit en raison de la lenteur de la procédure, de la confrontation avec le coupable ou, plus généralement du traitement réservé à la victime à chacune des étapes, par exemple au poste de police, à l'hôpital ou devant le juge.

Ce phénomène peut être désigné sous le nom de « victimisation secondaire » ou « double victimisation ».

Certaines victimes sont particulièrement exposées à ce type de phénomène, comme les mineurs victimes de violences sexuelles, ou encore les victimes d'infractions liées au crime organisé ou au terrorisme, appelées à témoigner.

La situation des ressortissants de l'Union européenne victimes d'infractions dans un autre Etat membre est également fragilisée.

Depuis le début des années 80, le Conseil de l'Europe a adopté plusieurs instruments visant à améliorer la situation des victimes. En ce qui concerne l'Union européenne, la Commission a adopté une communication, le 28 mai 1999, intitulée « Les victimes de la criminalité dans l'Union européenne - Réflexion sur les normes et mesures à prendre » dont s'inspire la présente proposition.

Le Parlement européen a adopté un rapport sur cette communication qui propose, notamment, une série de mesures pratiques, comme l'obligation d'enregistrer l'audition des mineurs sur vidéo et la création d'un réseau européen de fonds destinés au dédommagement des victimes.

Ce rapport demande également, d'une part, que soit accordée une attention particulière à la formation des personnels policier et judiciaire en ce qui concerne les délits et abus sexuels ainsi que la traite des êtres humains et, d'autre part, que soit établi un système européen coordonné de programmes de services aux victimes prévoyant des services de protection juridique, psychologique et physique pour les victimes de viols, de violences domestiques, de harcèlement, d'agressions.

2. Le projet de décision-cadre soulève, en l'état, des interrogations.

Tout d'abord, les définitions contenues dans la proposition paraissent trop larges par rapport à la force contraignante des décisions-cadres. Il en est ainsi des organisations d'aide aux victimes qui sont comprises comme un élément de la procédure pénale.

Ensuite, certains droits reconnus aux victimes sont également très généraux et abstraits. Ils pourraient par conséquent figurer plutôt dans les considérants.

D'autres de ces droits nécessitent, a contrario, des modifications de la procédure pénale au sein des Etats, ce qui soulève des difficultés. Par exemple, la législation française ne prévoit pas le droit des victimes au huis-clos.

Mais surtout, l'examen du projet de décision-cadre par les représentants des quinze Etats membres a donné lieu à un revirement paradoxal. En effet, la proposition initiale, qui était très ambitieuse puisqu'elle conduisait à l'harmonisation des procédures pénales des Quinze, s'est heurtée au refus manifeste d'un groupe de pays, en particulier l'Irlande, mais aussi le Danemark, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Devant ces oppositions, la présidence portugaise a alors commencé à modifier son texte de sorte qu'on a abouti à un texte dénué de toute valeur normative. Dès lors, la difficulté majeure de cette proposition était l'inadéquation entre son faible contenu et le niveau normatif que devrait revêtir une décision-cadre.

Le service juridique du Conseil a, d'ailleurs, recommandé, en juillet dernier, une refonte de la présente proposition pour la fonder sur une base juridique adéquate. Il s'est également interrogé sur sa compatibilité avec le principe de subsidiarité, étant donné que la proposition est centrée sur le traitement des victimes dans un contexte purement national, et ne concerne pas des phénomènes transnationaux.

Pour sortir de cette impasse, la Présidence française a réorienté ce texte de manière à ce qu'il garantisse des normes minimales sur les droits des victimes, tout en respectant la diversité des procédures pénales dans les quinze Etats membres. Une autre solution aurait pu consister à distinguer au sein de ce document deux types de dispositions : d'une part, celles qui touchent la place de la victime dans la procédure pénale, qui ne paraissent pas pouvoir déboucher sur une harmonisation et, d'autre part, certaines dispositions qui concernent les droits des ressortissants de l'Union européenne qui se trouveraient être victimes d'une infraction sur le territoire d'un autre Etat membre.

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Les problèmes auxquels s'est heurtée la présente proposition illustrent la difficulté d'une harmonisation des législations nationales en matière pénale, eu égard à l'hétérogénéité des procédures dans les quinze Etats membres.

Dans ces conditions, la position française permet de concilier le caractère contraignant d'une décision-cadre et la nécessaire protection des victimes de la criminalité, dans le respect des procédures pénales existantes.

Tout en soutenant la position française, la délégation n'a pas souhaité aller plus avant dans l'examen de ce texte.