COM (1999) 719 final  du 12/01/2000

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 18/02/2000
Examen : 11/10/2000 (délégation pour l'Union européenne)
Texte rendu caduque (notification du 18 mars 2003).

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : voir le dossier legislatif


Politique agricole et de la pêche

Communication de M. Jean Bizet sur
le Livre blanc sur la sécurité alimentaire

Réunion du mercredi 11 octobre 2000

Des crises comme celles de l'encéphalite spongiforme bovine (ESB) ou de la dioxine, des scandales comme celui des boues d'épuration, et des interrogations liées par exemple aux organismes génétiquement modifiés ou aux hormones ont rendu le consommateur plus méfiant et plus exigeant en matière de sécurité alimentaire.

Dans ce contexte, la Commission européenne a fait de ce sujet l'une de ses principales priorités. C'est ce que traduit le Livre blanc publié en janvier dernier. Ce document est d'abord un message adressé à des citoyens inquiets. Il formule plus de 80 propositions pour assurer « un niveau élevé de protection de la santé humaine et des consommateurs ».

Il concerne tous les stades de la chaîne alimentaire, ce que résume une formule qui revient souvent dans les propos de la Commission : la sécurité de la ferme à la table.

Les propositions contenues dans ce document reposent notamment sur les principes directeurs suivants :

- le principe de responsabilité d'abord, qui doit conduire à définir clairement le rôle de toutes les parties prenantes à la chaîne alimentaire. C'est ainsi que les fabricants d'aliments pour animaux, les exploitants agricoles et les opérateurs doivent assumer la responsabilité primaire de la sécurité alimentaire, en assurant une production et une commercialisation de produits sains ; les Etats, et pas seulement ceux de l'Union européenne, doivent mettre en place des systèmes de surveillance et de contrôle que Bruxelles, en l'occurrence la Commission, évaluera par des inspections au niveau national. Enfin, on ne saurait oublier les consommateurs eux-mêmes qui, rappelle le Livre blanc, « doivent aussi être conscients qu'ils sont responsables des conditions dans lesquelles ils stockent, manipulent et préparent les aliments » ;

- autre principe directeur du Livre blanc : la traçabilité des aliments destinés aux humains et aux animaux ;

- la Commission insiste également sur l'analyse des risques, notion qui englobe l'évaluation (notamment par des avis scientifiques), la gestion (par la réglementation et le contrôle) et la communication des risques.

Ces principes étant posés, quelles sont les principales initiatives annoncées dans le Livre blanc ?

La plus remarquée lors de la publication du Livre blanc fut sans conteste la création d'une autorité alimentaire européenne. Outre ce point, les principales propositions formulées par la Commission dans son Livre blanc peuvent se résumer en trois impératifs : des aliments sains, des contrôles efficaces, des consommateurs éclairés.

1. La création d'une agence alimentaire européenne

On ne peut a priori que souscrire à cette proposition : un organisme dont l'excellence ne serait pas contestée et qui serait indépendant des intérêts industriels et nationaux permettrait, par des avis eux-mêmes incontestables, de rétablir la confiance du consommateur.

Encore faut-il éviter un transfert du pouvoir réglementaire à une autorité, aussi éminente soit-elle, dont la responsabilité ne pourrait être mise en jeu. Cela pose la question du champ de compétences de la future agence. Celle-ci devrait être appelée à donner des avis scientifiques, à communiquer avec le public, à récolter et analyser des informations (notamment pour permettre à la Commission et aux Etats de réagir efficacement en cas de crise), mais en aucun cas à gérer elle-même les risques. La gestion des risques doit continuer à relever des institutions européennes : c'est au Conseil, le cas échéant en codécision avec le Parlement européen, qu'il appartient de légiférer ; c'est à la Commission qu'il appartient d'exécuter la législation communautaire. Tout cela impose des choix, qui supposent certes une analyse scientifique, mais aussi une appréciation plus large des souhaits et des besoins de la société.

C'est pourquoi je vous propose de nous prononcer pour une délimitation des compétences de la future agence qui exclue la gestion des risques.

Autre problème soulevé par ce dossier : celui du siège de l'agence. Plusieurs villes sont déjà candidates : Helsinki, Parme, Barcelone. Plusieurs villes françaises sont également sur les rangs : Lyon, Lille, Rouen, Nantes. Je peux aujourd'hui vous annoncer que Caen devrait aussi faire acte de candidature. Je crois qu'il serait bon que le Gouvernement se prononce rapidement pour l'une des villes françaises candidates afin que notre pays ne perde pas toute chance d'accueillir l'agence. Cette idée est reprise dans la proposition de résolution que je vous soumets.

2. Des propositions pour garantir des aliments sains

Pour atteindre cet objectif, la Commission consacrera une part importante de son action à l'amélioration de la sécurité des aliments d'origine animale. Considérant que cette sécurité commence par une alimentation animale saine, elle formule les propositions suivantes :

- mettre en place un système d'agrément des installations de production de produits pour animaux ;

- mieux lutter contre les zoonoses, c'est-à-dire ces maladies telles que la salmonellose ou la listériose qui peuvent être transmises à l'homme par des aliments contaminés. Cela passe notamment par la poursuite et même le renforcement des programmes d'éradication existants. Cela suppose bien entendu que l'on s'en donne les moyens, car cela coûte cher d'abattre un troupeau ;

- définir clairement les matériaux qui peuvent ou ne peuvent pas être utilisés dans la production d'aliments pour animaux. Aujourd'hui, il existe déjà une liste de produits interdits. Il conviendrait à tout le moins de la compléter rapidement, ne serait-ce que pour la mettre à jour. Mais, la Commission propose d'aller ensuite plus loin en établissant, non plus une liste des produits interdits, mais une liste positive qui énumérerait les produits autorisés pour l'alimentation des animaux. Cette idée semble rencontrer un certain scepticisme de la part des Etats qui considèrent qu'une liste positive devrait sans cesse être complétée pour tenir compte de l'apparition de nouveaux produits. Je dois admettre ne pas comprendre cette perplexité. D'abord, parce que la question de la mise à jour se pose autant pour une liste négative que pour une liste positive : pour chaque nouveau produit, il faut se poser la question de ses conséquences sur la santé. Ensuite, parce qu'il me semble que, tant que l'on n'a pas la réponse à cette question, tant que l'on ne sait pas avec suffisamment de certitude si un produit est sain, il vaut mieux ne pas l'autoriser. S'abstenir lorsque l'on ne dispose d'aucun renseignement, n'est-ce pas le premier impératif du fameux principe de précaution ? D'où ma proposition d'appeler de nos voeux l'établissement, d'ici quelques années, d'une liste énumérant les produits susceptibles de composer les aliments pour animaux.

Sur un plan plus général que les seuls aliments d'origine animale, on peut également mentionner, toujours pour assurer des aliments sains, l'annonce dans le Livre blanc d'un projet de règlement sur l'hygiène alimentaire. Cette intention a d'ailleurs été concrétisée par l'adoption d'une proposition que nous avons reçue cet été, sur la base de l'article 88-4 de la Constitution, sous la référence E 1529. Au-delà d'une codification de multiples textes existants, le futur règlement devrait rendre les opérateurs totalement responsables de la sécurité des aliments qu'ils produisent. En d'autres termes, chaque opérateur devra identifier les points critiques pour la sécurité alimentaire et adopter des procédures prouvant qu'il en maîtrise les risques.

Lorsque je me suis rendu à Bruxelles, au printemps dernier, j'ai attiré l'attention de la Commission sur deux difficultés susceptibles de résulter de ce texte. La première concernait le sort des PME qui n'ont pas forcément la possibilité de s'auto-contrôler par la nomination d'un « Monsieur » ou d'une « Madame Qualité ». La seconde difficulté concernait les fabrications traditionnelles du type « fromages au lait cru » ou « rillettes » : l'opinion française aurait, à juste titre, mal accueilli un dispositif qui les aurait menacées. C'est donc avec soulagement que j'ai constaté que l'article 4 de la proposition de règlement prenait en compte ces objections en autorisant les Etats à accorder des exemptions, notamment pour prendre en considération les méthodes de productions traditionnelles. Il s'agit de deux points essentiels, sur lesquels nous devons, me semble-t-il, rester vigilants. Il ne serait pas mauvais que nous le mentionnions dans une proposition de résolution.

3. Des propositions pour améliorer les contrôles

Toutes les décisions que pourront prendre les autorités européennes et nationales se révéleront vaines si des contrôles efficaces ne sont pas mis sur pied. Tel est également l'un des objectifs de la Commission. Il s'agit de faire en sorte que tous les maillons de la chaîne de production alimentaire fassent l'objet de contrôles officiels. Pour ce faire, constatant les lacunes de certains systèmes nationaux de contrôle, la Commission envisage une harmonisation par la définition d'un cadre communautaire.

Pour l'heure, les choses n'ont guère avancé en ce domaine. Cela me paraît révélateur de l'optimisme de la Commission qui a prévu, pour la mise en oeuvre du Livre blanc, un calendrier certainement trop serré.

4.  Des propositions pour améliorer l'information des consommateurs

Enfin, la sécurité alimentaire passe par des consommateurs éclairés. Il importe donc que ceux-ci reçoivent des informations précises pour pouvoir choisir en toute connaissance de cause.

Cela soulève d'abord la question de l'étiquetage, et notamment de ce que l'on appelle l'étiquetage quantitatif des ingrédients. La Commission souhaite en effet que tous les ingrédients entrant dans la composition d'un aliment soient indiqués, ainsi que la part exacte qu'ils prennent dans la composition. Il n'y a pourtant pas de lien entre l'indication des quantités et la sécurité alimentaire : préviendra-t-on mieux les cas d'ESB en sachant que tel produit entre à hauteur de 1,2 % plutôt que de 1,5 % dans la composition d'un aliment ? Par ailleurs, la quantité d'un même ingrédient dans un aliment peut varier d'un jour à l'autre : ainsi, selon l'évolution des cours, le fabricant peut décider de substituer telle pulpe à telle autre. Enfin, une indication exacte du contenu d'un aliment poserait des problèmes au regard du secret de fabrication. Il faut donc se méfier de certaines fausses bonnes idées. Le mieux étant l'ennemi du bien, on peut se demander si une solution moins rigide ne serait pas préférable. Je pense à une indication par fourchette - sans jeu de mot - qui consisterait par exemple à citer les produits entrant dans la composition pour moins de 2 %, ceux contenus entre 2 et 5 %, entre 5 et 10 % etc. Je vous suggère donc que nous préconisions cette solution en demandant que l'étiquetage quantitatif des ingrédients se fasse par catégorie et ne conduise pas à l'obligation d'indiquer le pourcentage exact de chaque ingrédient.

Un autre aspect important de l'information des consommateurs a trait aux allégations. Il y a d'un côté les allégations dites fonctionnelles, sur les effets supposés bénéfiques d'un aliment pour une fonction corporelle (du genre « bon pour la digestion ») et, d'un autre côté, les allégations dites nutritionnelles, qui décrivent la présence, l'absence ou le niveau d'un aliment (du genre « sans gluten »). Il convient évidemment d'éviter que de telles allégations induisent le consommateur en erreur. D'où l'intention de la Commission de réfléchir à une éventuelle réglementation communautaire, mais, là encore, on attend des propositions concrètes.

*

J'en ai terminé avec la présentation des grandes lignes du Livre blanc. L'importance du sujet me paraît justifier que nous prenions une position officielle. Reste à savoir sous quelle forme. J'avais initialement pensé à des conclusions, lesquelles n'auraient porté que sur le Livre blanc. Mais les points sur lesquels je vous propose de nous prononcer ne seront pas tranchés avant plusieurs mois, pour ne pas dire plusieurs années (à l'exception du débat sur l'étiquetage quantitatif, qui pourrait être clos en novembre). La commission permanente compétente - la commission des affaires économiques - aurait donc, si nous la saisissions et si elle l'estimait utile, largement le temps d'instruire une proposition de résolution. Or, il me semble souhaitable que le Sénat bénéficie de son expertise. Par ailleurs, il est de notre devoir d'attirer l'attention de la commission des affaires économiques sur le fait que, contrairement aux apparences, le document E 1529 ne se limite pas à une codification à droit constant. C'est pour cela que je vous soumets une proposition de résolution, laquelle porte non seulement sur le Livre blanc, mais aussi sur le E 1529.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Je m'interroge sur votre proposition tendant à permettre aux Etats de prévoir des dérogations pour tenir compte des spécificités des PME et des exigences propres aux fabrications traditionnelles. Je comprends votre souci mais nous devons être sûrs que cela ne constituera pas une faille dans le dispositif.

M. Jean Bizet :

Dans mon esprit, cela vise surtout les productions traditionnelles bénéficiant de l'appellation d'origine contrôlée. Il y a une garantie dans la mesure où l'on précise bien que ces dérogations ne doivent pas remettre en cause l'objectif de sécurité alimentaire.

M. Lucien Lanier :

Prenons garde à ce que les exceptions ne deviennent si nombreuses que la règle en sera vidée de sa substance.

M. Simon Sutour :

Je suis extrêmement favorable à cette proposition de notre rapporteur. Il y a dans le Gard, comme dans tant de départements français, des petits producteurs, à l'instar de ceux qui font le pélardon, qui créent une véritable valeur ajoutée tout en travaillant dans des conditions géographiques difficiles. On leur a déjà imposé des contraintes qui ont conduit les plus âgés à cesser leur activité. Pourtant, nous savons tous ici que leurs fromages sont non seulement excellents, mais aussi sans danger pour la santé.

M. Aymeri de Montesquiou :

Je partage ce point de vue. On peut néanmoins se demander dans quelle mesure le souci de notre rapporteur n'est pas déjà pris en compte par la jurisprudence « Cassis de Dijon » selon laquelle la vente d'un produit est autorisée dans toute la Communauté dès lors qu'elle l'est dans un Etat.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard :

Cette proposition n'ouvre-t-elle pas la porte à de nombreuses dérogations qui poseraient problème au regard de l'hygiène ? Je ne suis pas sûre que les grands industriels menacent plus la sécurité alimentaire que les petits producteurs.

M. Jean Bizet :

Il me semble qu'une solution pourrait être trouvée dans une rédaction légèrement différente de celle que je vous propose. Peut-être pourrions-nous nous limiter à demander des dérogations pour prendre en compte les exigences propres aux fabrications traditionnelles qui sont faites dans les PME.

*

A l'issue du débat, la délégation a conclu au dépôt de la proposition de résolution dans les termes suivants.

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le Livre blanc sur la sécurité alimentaire adopté par la Commission européenne le 12 janvier 2000,

Vu le document E 1529 contenant notamment une proposition de règlement relative à l'hygiène des denrées alimentaires,

Approuve sans réserve l'objectif poursuivi par la Commission européenne de parvenir à un niveau élevé de protection de la santé humaine et des consommateurs,

Souhaite que la poursuite de cet objectif prenne en compte, dans toute la mesure du possible et sans remettre en cause la sécurité alimentaire, d'autres facteurs légitimes tels que la protection de l'environnement, le maintien des méthodes de production traditionnelles, l'approvisionnement alimentaire des régions soumises à des contraintes géographiques particulières ou la préservation de l'emploi,

Invite en conséquence le Gouvernement :

- à tout mettre en oeuvre pour qu'une agence alimentaire européenne soit créée dans les délais prévus par la Commission européenne, c'est-à-dire au plus tard en décembre 2001 ; à s'opposer cependant à ce que cette agence soit investie de la responsabilité de gérer elle-même les risques, laquelle doit continuer à relever des institutions européennes ; à proposer dans les plus brefs délais à ses partenaires de l'Union européenne la candidature d'une ville française susceptible d'accueillir le siège de cette agence ;

- à oeuvrer pour que la liste des produits ne pouvant être utilisés dans la production d'aliments pour animaux soit rapidement complétée ; à soutenir la Commission européenne dans son projet de substituer à terme à cette liste une liste énumérant limitativement les produits pouvant entrer dans la composition des aliments pour animaux ;

- à veiller à ce que le futur règlement relatif à l'hygiène des denrées alimentaires contienne une disposition permettant aux Etats, sans remettre en cause la sécurité alimentaire, de prévoir des dérogations pour prendre en considération les exigences propres aux fabrications traditionnelles faites par des petites et moyennes entreprises ;

- à défendre, sur la question de l'étiquetage quantitatif des ingrédients, une position qui ne menacerait pas la compétitivité des industries agro-alimentaires européennes, notamment par les risques qu'elle contiendrait au regard du secret de fabrication.