Date d'adoption du texte par les instances européennes : 16/12/1999

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 23/11/1999
Examen : 24/11/1999 (délégation pour l'Union européenne)


Budget communautaire

Projet de lettre rectificative n° 4 à l'avant-projet de budget
des Communautés européennes pour 2000

Proposition E 1343

(Réunion du 24 novembre 1999)

Communication de M. Denis Badré
sur la proposition E 1343 relative à la lettre rectificative n° 4
à l'avant-projet de budget des Communautés européennes
pour 2000

La lettre rectificative de la Commission européenne dont notre délégation est saisie constitue le plus récent développement de la discussion du projet de budget des Communautés pour l'exercice 2000. Je vous rappelle que le Sénat se prononcera en séance publique le 1er décembre prochain sur l'article 35 du projet de loi de finances initial, qui fixe le montant de la contribution française au budget européen.

Il faut bien avoir conscience que la discussion budgétaire européenne ne porte en fait que sur les dépenses, les recettes étant considérées comme données. En effet, les recettes du budget européen sont constituées pour une partie par les ressources propres de la Communauté, et pour le solde par les contributions des Etats membres.

Dans ce système, le Parlement européen vote les dépenses, tandis que les parlements nationaux votent les recettes. Cette procédure étonnante pose des difficultés très concrètes. Je crois que l'Union européenne est arrivée dans une impasse en matière budgétaire, et que la France doit faire des propositions de réforme pour en sortir.

Certes, les conditions de discussion du budget des Communautés européennes pour 2000 sont particulières, puisqu'il s'agit de la première année d'application des perspectives financières pour la période 2000-2006 et du nouvel accord interinstitutionnel sur la discipline budgétaire, tandis que la Commission Prodi a dû prendre la procédure en cours de route dès sa nomination.

Mais ces considérations conjoncturelles n'expliquent pas certaines difficultés permanentes.

Je pense au dérapage des crédits structurels, qui ont progressé de 16 % en 1999 pour solder le reliquat du Conseil d'Edimbourg et qui continuent à s'accumuler par report d'un exercice à l'autre. Le retard est désormais d'un an et demi, puisque le reste à liquider s'élève à 45 milliards d'euros, alors que le montant des crédits structurels exécutés chaque année n'est que de 30 milliards d'euros. Ces reports d'une année sur l'autre sont absurdes.

Je pense également aux incertitudes inhérentes aux dépenses agricoles. Pour avoir un ordre de grandeur, il faut savoir qu'une dépréciation du dollar de 10 % se traduit par une dépense supplémentaire de 450 millions d'euros pour la politique agricole commune. Cette année, le Parlement européen table plutôt sur une appréciation du dollar, mais il utilise la marge budgétaire ainsi prévue pour gager des dépenses supplémentaires.

Par ailleurs, le débat budgétaire européen reste pollué par la question des soldes nets des Etats membres. Le raisonnement en termes de solde net est non seulement injustifié sur le plan des principes, au regard des bénéfices collectifs retirés par tous les Etats membres de la construction européenne, mais aussi comptablement faux. Par exemple, les variations du cours de la livre se répercutent mécaniquement sur le solde budgétaire du Royaume-Uni. Les crédits du budget européen qui ne peuvent être rattachés à un Etat membre particulier ne sont pas pris en compte dans le raisonnement en termes de soldes. La destination finale des crédits dont bénéficie apparemment un Etat membre peut fort bien être une entreprise d'un autre Etat membre. Bref, la notion de « solde budgétaire national » n'a aucun sens dans un espace économique aussi intégré que la Communauté européenne.

Cette année encore, les rôles dans le débat budgétaire européen se sont distribués de manière classique : le Conseil s'est montré économe et le Parlement dépensier, tandis que la Commission a adopté une position intermédiaire.

Le projet de budget adopté par le Conseil le 16 juillet dernier s'établit à 92,360 milliards d'euros en crédits d'engagement et 87,944 milliards d'euros en crédits de paiement, en retrait par rapport à l'avant-projet de la Commission, dont les montants s'élevaient respectivement à 92,706 milliards d'euros et 89,585 milliards d'euros.

A l'issue de la première lecture, le Parlement européen a porté ces montants, respectivement, à 93,562 milliards d'euros et 91,289 milliards d'euros. La majoration de crédits de 3,343 milliards d'euros décidée par le Parlement est répartie sur l'ensemble des rubriques, et correspond à une augmentation des crédits de paiement de 7 % par rapport à 1999.

Concrètement, la contribution de la France serait de 98,5 milliards de francs dans la version du Conseil, retenue par hypothèse pour le projet de loi de finances soumis par ailleurs notre approbation, et de 101,5 milliards de francs dans la version du Parlement européen. Si le Parlement européen parvient à faire valoir son point de vue, il faudra une loi de finances rectificative pour ajuster le montant de la contribution de notre pays. Je rappelle que le prélèvement voté pour 1999 avait été estimé à 95 milliards de francs, mais ne sera que de 93,5 milliards de francs en exécution.

Tel est le contexte dans lequel intervient la lettre rectificative de la Commission, qui porte sur trois points principaux : un élément traditionnel, un élément consensuel, et un élément conflictuel qui constitue le point de blocage de la discussion budgétaire européenne.

1. Un élément traditionnel, l'actualisation de l'estimation des dépenses agricoles en fonction des évolutions constatées depuis le printemps. La Commission propose de réviser en baisse de 200 millions d'euros son estimation initiale, suite à l'évolution de la parité entre l'euro et le dollar depuis le printemps dernier.

2. Un élément consensuel, la création de 75 postes pour l'Office européen de lutte anti-fraude, pour un coût de 25,4 millions d'euros. L'OLAF a été juridiquement constitué en mai 1999. Il dispose d'ores et déjà d'un effectif de 119 personnes hérité de l'UCLAF, qui sera porté à terme à 300 personnes.

3. Un élément conflictuel, le financement de la reconstruction du Kosovo. Les trois institutions sont d'accord, depuis le printemps, sur un montant de principe de 500 millions d'euros en crédits d'engagement. Mais elles divergent sur les montants supplémentaires nécessaires en crédits de paiement, ainsi que sur la manière de les dégager. Le Conseil a évalué les besoins supplémentaires, compte tenu de divers crédits déjà provisionnés, à 360 millions d'euros, et propose de les financer par une coupe linéaire sur l'ensemble de la rubrique 4 consacrée aux politiques extérieures.

Le Parlement européen a refusé cette réduction des crédits, et demande un relèvement du plafond de la rubrique 4 fixé par les perspectives financières afin de couvrir la reconstruction du Kosovo, mais aussi l'aide au Timor oriental et à la Turquie suite au tremblement de terre.

Dans sa lettre rectificative, la Commission adopte une position intermédiaire en proposant, pour le seul Kosovo, le redéploiement de 180 millions d'euros à l'intérieur de la rubrique 4, une réduction de la marge budgétaire de 10 millions d'euros, le recours au nouvel « instrument de flexibilité », pour un montant de 60 millions d'euros, et une révision moindre des perspectives financières, pour un montant de 110 millions d'euros.

Grâce aux travaux du Comité budgétaire placé auprès du Coreper, nous connaissons déjà la teneur probable de la position du prochain Conseil Budget qui se tiendra les 25 et 26 novembre prochains. Le Conseil devrait avaliser l'attribution de 75 nouveaux postes à l'OLAF et accepter le redéploiement de crédits proposé en vue de financer la reconstruction du Kosovo, pour un montant de 180 millions d'euros. En revanche, il refusera toute révision des perspectives financières.

Nous devons approuver cette position de fermeté. Il serait dangereux de créer un précédent, en portant atteinte aux nouvelles perspectives financières dès leur première année d'application.

Le blocage de la discussion budgétaire sur ce point apparaît d'autant plus étonnant qu'il semblerait que le montant de 500 millions d'euros initialement attribué à la reconstruction du Kosovo en 2000 soit trop élevé, et que les besoins effectifs soient en fait plus proches de 300 millions d'euros. En toute hypothèse, il n'y a aucun doute sur le caractère prioritaire pour les Etats membres de l'implication de l'Union européenne au Kosovo.

Il serait regrettable de porter atteinte aux perspectives financières pour un sujet certes important, mais d'ampleur circonscrite, alors qu'un risque de dérapage réel existe sur les charges liées à l'élargissement futur de l'Union européenne.

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A l'issue de cette communication, la délégation a décidé de ne pas intervenir sur ce texte.