COM (1999) 348 final  du 14/07/1999
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 22/12/2000

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 19/10/1999
Examen : 30/11/1999 (délégation pour l'Union européenne)


Justice et affaires intérieures

Exécution des décisions judiciaires

Propositions E 1270 et E 1314
COM (99) 220 final et COM (99) 348 final

(Réunion du 30 novembre 1999)

Communication de M. Pierre Fauchon
sur les textes E 1270 et E 1314 relatifs à la reconnaissance
et à l'exécution des décisions judiciaires
en matière civile et commerciale

En lisant l'intitulé de cette communication, certains d'entre vous éprouveront peut-être une impression de déjà vu, déjà entendu. Il est exact en effet que je vous ai déjà présenté au mois de juin dernier une communication sur le document E 1225 rectifié, lequel portait sur la révision des conventions de Bruxelles et de Lugano, c'est-à-dire précisément sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Sur un plan plus général, nous avons déjà à plusieurs reprises discuté de la question de la réalisation d'un espace judiciaire européen. Si j'ai tenu à faire devant vous une nouvelle intervention sur ce sujet, c'est pour trois raisons essentielles :

- d'abord parce que la création d'un espace judiciaire européen constitue l'un des défis auxquels l'Union européenne doit aujourd'hui répondre. Je sais d'ailleurs que beaucoup d'entre vous, à commencer par le président de notre délégation, y attachent à juste titre une particulière attention. Aussi, me paraît-il utile de vous informer régulièrement des initiatives prises en ce domaine par la Commission ;

- la deuxième raison tient à l'objet du texte E 1270, qui s'applique aux décisions en matière matrimoniale. Il vise à répondre à des situations douloureuses qui ne laissent aucun de nous indifférent. Je crois qu'il est bon que vous sachiez ce qui est envisagé par l'Union européenne en la matière ;

- enfin, je vous avais fait part au mois de juin de certaines difficultés rencontrées pour l'adoption d'actes communautaires dans le domaine de la coopération judiciaire civile. L'avis que notre délégation doit émettre sur les textes E 1270 et E 1314 me fournit l'occasion de vous présenter l'évolution des choses depuis près de six mois.

Pour répondre à ce triple souci, j'articulerai ma communication en deux points : l'un, pour présenter ou rappeler le contenu des documents E 1270 et E 1314 ; l'autre, pour faire le point sur la communautarisation des conventions conclues dans le domaine de la coopération judiciaire.

1 - Le contenu des textes E 1270 et E 1314

Le texte E 1314 est une proposition de règlement qui vise à « communautariser » la convention de Bruxelles I, dont l'objet est de déterminer, lorsqu'un procès civil ou commercial présente un caractère transfrontalier, les règles de compétence judiciaire et d'exécution des décisions. Cette communautarisation ne se ferait pas à droit constant : elle prendrait notamment en compte des modifications sur lesquelles les Quinze s'étaient déjà mis d'accord et que reprenait le document E 1225 rectifié. Je vous renvoie donc, pour le texte E 1314, à ce que je vous avais indiqué au mois de juin.

En ce qui concerne le texte E 1270, il s'agit également d'une proposition de règlement visant à communautariser une convention, en l'occurrence celle dite de Bruxelles II, relative à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale, que les Quinze ont signé le 28 mai 1998. Avec cette nouvelle convention les Etats ont voulu combler une lacune de la convention de Bruxelles I, puisque les questions relatives à l'état des personnes sont exclues du champ d'application de cette dernière. La convention de Bruxelles II, et donc la proposition de règlement E 1270, posent les règles permettant notamment de déterminer la juridiction compétente en matière matrimoniale et de faciliter l'exécution des décisions.

Quand je parle de question matrimoniale, je fais référence aux procédures relatives au divorce, à la séparation de corps ou à l'annulation du mariage, ainsi qu'aux procédures relatives à la responsabilité parentale à l'égard des enfants que ces actions peuvent entraîner. Il importe en outre de préciser que seules les procédures civiles sont concernées, ce qui exclut par exemple les affaires pénales pour non-représentation d'enfant.

En ce qui concerne la compétence judiciaire, la proposition de règlement énumère les critères qui permettront de déterminer si une affaire relève des juridictions de tel Etat plutôt que de tel autre. Ces critères sont la nationalité des époux et, avec des variantes, le lieu de leur résidence habituelle. Ces critères ont un caractère exclusif, ce qui signifie qu'ils sont les seuls permettant de déroger à la règle selon laquelle un époux qui réside habituellement sur le territoire d'un Etat membre ou qui en est ressortissant ne peut pas être attrait devant les juridictions d'un autre Etat membre.

Il est possible que, malgré cette clarification des règles de compétence, l'affaire soit portée devant des juridictions d'Etats différents. En ce cas, la juridiction saisie en second lieu devra d'office surseoir à statuer jusqu'à ce que la première juridiction saisie ait statué sur sa compétence ; si la compétence de celle-ci est établie, la juridiction saisie en second lieu devra se dessaisir en sa faveur.

En ce qui concerne la reconnaissance des décisions, le texte de la proposition de règlement est on ne peut plus clair : « les décisions rendues dans un Etat membre sont reconnues dans les autres Etats membres sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure ». Je précise que ce principe s'applique aux décisions devenues définitives. Cela étant, toute règle connaît des exceptions. C'est ainsi que la proposition de règlement énumère des motifs dits « de non-reconnaissance », parmi lesquels on peut citer : le cas où la reconnaissance serait manifestement contraire à l'ordre public de l'Etat requis ; le cas où elle serait inconciliable avec une décision rendue dans une instance opposant les mêmes parties dans l'Etat membre requis...

Il est intéressant de noter que, selon l'article 17, la reconnaissance d'une décision rendue en matière de divorce, de séparation de corps ou d'annulation du mariage ne peut être refusée au motif que la loi de l'Etat requis ne permettrait pas, pour les faits en question, le divorce, la séparation de corps ou l'annulation du mariage.

Enfin, au-delà de la reconnaissance d'une décision de justice prise dans un Etat membre, se pose la question de son exécution, c'est-à-dire, en l'espèce, de la mise en oeuvre de la responsabilité parentale. Dans ce cas, il y aura lieu d'obtenir ce que l'on appelle l'exequatur, c'est-à-dire une décision dans l'Etat requis déclarant un jugement ou un arrêt exécutoire sur son territoire. En France, cette requête devrait être présentée devant le président du tribunal de grande instance. La requête ne pourra être rejetée que pour des motifs strictement énumérés par la proposition de règlement (ce sont les mêmes que ceux empêchant la reconnaissance d'une décision de justice : contrariété manifeste à l'ordre public, etc).

2 - Les problèmes touchant à la communautarisation de la coopération judiciaire civile

Au mois de juin, je vous avais indiqué que la « communautarisation » des conventions de Bruxelles se heurtait à certaines difficultés, juridiques et philosophiques.

Le fondement juridique de cette « communautarisation » est l'article 65 du traité, tel qu'issu du traité d'Amsterdam. Cet article autorise la Communauté européenne à prendre des mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière, « dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur ».

Les difficultés juridiques auxquelles je faisais précédemment allusion tiennent au statut privilégié de trois Etats membres au regard de cette disposition : le Royaume-Uni et l'Irlande, d'une part, qui, sauf s'ils en font la requête, ne participent pas aux actes communautaires pris sur le fondement de l'article 65 ; le Danemark, d'autre part, qui lui, est purement et simplement exclu de l'article 65 et ne peut donc même pas demander, au cas par cas, à ce que les actes pris sur cette base lui soient applicables. Seule une renonciation par ce pays à son statut spécifique, qui résulte d'un protocole annexé au traité, permettrait de revenir sur ce fait ce qui, à ma connaissance, n'est pas à l'ordre du jour.

En fait, ces difficultés d'ordre juridique ont été ou sont sur le point d'être surmontées, tant pour Bruxelles I que pour Bruxelles II : le Royaume-Uni et l'Irlande ont demandé à être intégrés dans le champ des futurs règlements ; quant au Danemark, il participe activement aux travaux et souhaite que les dispositions des règlements lui soient applicables par la voie conventionnelle. Il reste cependant à savoir si la ou les conventions seront signées entre le Danemark et les quatorze autres Etats ou entre le Danemark et la Communauté. A mon avis, dès lors qu'il y aurait eu communautarisation et conformément à la jurisprudence de la Cour de justice, le pouvoir de contracter relèverait de la Communauté.

Sous cette réserve, tout irait pour le mieux si, aux difficultés juridiques n'étaient pas venues s'ajouter des difficultés que j'ai qualifiées de philosophiques car elles sont liées à la conception que le Royaume-Uni se fait de la construction européenne. Ce pays préférerait en effet une harmonisation par voie de convention plutôt que par un acte communautaire car la première solution laisse intactes les compétences externes des Etats, alors que la communautarisation transfère à la communauté le pouvoir de conclure des conventions avec des Etats tiers. C'est pour cette raison que le Royaume-Uni avait défendu la thèse selon laquelle l'article 65 n'autoriserait pas la communautarisation des conventions de Bruxelles, tout au moins de Bruxelles II, car les questions matrimoniales n'auraient selon lui rien à voir avec la réalisation du marché intérieur.

En fait, les Britanniques se sont trouvés dès le début très isolés. Ils le sont encore plus aujourd'hui puisque le service juridique du Conseil de l'Union européenne vient de leur donner tort en considérant que l'article 65 fournissait bel et bien une base juridique à la communautarisation de Bruxelles I et de Bruxelles II.

Dans ces circonstances, on peut espérer que le Royaume-Uni, tout au moins dans un premier temps, cédera et donnera son accord à l'adoption des règlements. Dans ce cas, les choses pourraient se précipiter, tout au moins pour Bruxelles II et, pourquoi pas, donner lieu à un accord politique au sein du Conseil Justice et affaires intérieures de décembre. Pour Bruxelles I, il faudra un peu plus de temps, ne serait-ce que parce que le Parlement européen ne se prononcera pas avant le début de l'année 2000. Par ailleurs, l'article 15, en ce qu'il concerne le commerce électronique, pourrait donner lieu à discussion. Je ne manquerai pas d'attirer sur ce point l'attention de notre collègue qui, au sein de la commission des Lois, sera le rapporteur de la proposition de résolution que nous avons déposée sur le commerce électronique.

Bien entendu, on ne saurait exclure que le Royaume-Uni saisisse la Cour de justice des règlements dès leur adoption définitive. Au mois de juin, je vous avais dit que cette perspective ne devait pas décourager les partisans -dont je suis- de la communautarisation. L'avis du Service juridique du Conseil n'a fait que me renforcer dans ma conviction. J'ajoute que, tant que la proposition de règlement « Bruxelles II » n'aura pas été adoptée, les Quinze ne disposeront pas d'un instrument pour ces douloureuses questions matrimoniales -alors que, à défaut d'un règlement « Bruxelles I », ils disposeront toujours de la Convention de 1968. Voilà pourquoi je pense que nous devons non seulement approuver l'initiative de la Commission, mais aussi appeler de nos voeux une adoption rapide de ses propositions.

*

Cette communication a été adressée par voie écrite aux membres de la délégation qui avaient la possibilité d'intervenir sur ces textes lors de la réunion du 30 novembre. Aucun sénateur n'ayant souhaité formuler d'observations sur le sujet, la délégation a approuvé la communication de M. Pierre Fauchon.