COM (1998) 717 final  du 01/12/1998
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 25/05/1999

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 24/12/1998
Examen : 12/05/1999 (délégation pour l'Union européenne)


Réunion du mercredi 12 mai 1999

Budget communautaire

Communication de M. Jacques Oudin
sur la proposition de règlement E 1198 instituant
un office européen d'enquêtes antifraude

Le Parlement a été saisi, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, le 24 décembre 1998, d'une proposition de règlement du Conseil instituant un office européen d'enquêtes antifraude (E 1198). Le Conseil d'Etat a en effet estimé que, en tant qu'il organise l'information du Parlement européen et du Conseil sur les fonds communautaires, ce texte relèverait en droit interne du domaine législatif.

Cette proposition de règlement fait suite au rapport spécial de la Cour des comptes européenne qui a procédé à l'audit, l'année dernière, de l'Unité de Coordination de la Lutte Antifraude de la Commission européenne (UCLAF) et critiqué, entre autres, le travail de la Commission dans sa lutte contre la corruption interne. Elle répond en outre à une demande qui avait été formulée par le Parlement européen.

Toutefois, la proposition d'origine de la Commission a été elle-même très fortement critiquée, -et avant même la démission de la Commission- par le Parlement comme par le Conseil.

Le Parlement a en effet estimé qu'elle marquait un pas en arrière du fait, d'une part, qu'elle fragmenterait les compétences en matière de lutte contre la fraude et, d'autre part, qu'elle ne permettrait pas un droit d'enquêtes autonomes en matière de contrôle interne. De plus, l'ensemble des délégations des Etats a manifesté, au sein du Conseil, une nette opposition au texte proposé par la Commission.

Lors de sa réunion du 15 mars 1999, le Conseil ECOFIN a ainsi approuvé des conclusions dans lesquelles il a estimé que les fraudes et irrégularités commises à l'intérieur comme à l'extérieur des institutions européennes doivent « faire l'objet d'une tolérance zéro » et il a appelé à ce que les moyens les plus efficaces d'améliorer la lutte contre la fraude soient recherchés.

Le Conseil a également indiqué qu'il estimait urgent que l'efficacité de l'Unité de Coordination de la Lutte contre la Fraude (UCLAF) soit renforcée et qu'il était d'avis que les pouvoirs d'enquête de l'UCLAF soient étendus à toutes les institutions européennes.

La négociation entre le Conseil et le Parlement européen a alors repris sur la base d'un nouveau projet (COM (1999) 140 final) en date du 17 mars 1999 et comportant une proposition modifiée de règlement du Conseil relatif aux enquêtes effectuées par l'Office de lutte antifraude, un projet d'accord interinstitutionnel relatif aux enquêtes internes effectuées par l'Office de lutte antifraude, et un projet de décision de la Commission instituant un Office de lutte antifraude, (OLAF).

A la suite d'un accord intervenu le 15 avril 1999 dans le cadre d'un groupe à haut niveau réunissant le Conseil, la Commission et le Parlement européen, le comité budgétaire du Conseil et la commission du contrôle budgétaire du Parlement, ont entériné, le 20 avril dernier, un texte de compromis sur l'Office de lutte antifraude. La commission du contrôle budgétaire du Parlement européen a également adopté à l'unanimité, le 20 avril, le rapport de M. Herbert Bösch (PSE, député autrichien), et donné son feu vert à la création rapide d'un office de lutte antifraude.

Le collège des commissaires a entrepris, le 21 avril, la mise au point d'une proposition modifiée de règlement ainsi qu'un projet de décision interne instituant l'Office. La Commission a adopté ces deux textes lors de sa réunion du 28 avril en vue de son approbation par le Parlement européen en assemblée plénière lors de sa session de mai, puis par le Conseil Ecofin le 25 mai prochain.

Cette adoption rapide est maintenant rendue possible par le nouvel article 280 du Traité d'Amsterdam qui est entré en vigueur à compter du 1er mai 1999, et qui porte sur la nouvelle procédure de codécision entre le Parlement européen et le Conseil.

En outre, pour compléter le dispositif, un accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne sera adopté. Toutes les autres institutions et organes sont invités à adhérer à cet accord, qui précisera les modalités d'enquêtes de l'OLAF en leur sein. Le cadre nécessaire pour le démarrage de l'OLAF devrait être prêt pour le 1er juin 1999.

Je voudrais sur ce point souligner les inconvénients de la nouvelle procédure de codécision. Si le Parlement européen, comme c'est le cas en l'espèce, décide d'adopter la proposition communautaire en une seule lecture, dès l'instant où un compromis est intervenu en amont entre les trois institutions dans le cadre d'un groupe à haut niveau, la capacité d'intervention des Parlements nationaux est réduite considérablement du fait de l'accélération des procédures.

En l'occurrence, la nouvelle version -radicalement différente de la version d'origine, qui est datée du 20 avril- nous a été communiquée le 23 avril ; le Conseil devant l'adopter formellement le 25 mai, le temps qui nous était laissé pour l'examen de cet acte par ailleurs très important, aura été d'un mois. Mais, dans la réalité, la situation est encore plus grave puisque l'accord s'est conclu entre les représentants du Conseil, de la Commission et du Parlement européen le 20 avril, c'est-à-dire avant la publication de l'acte lui-même.

Nous sommes donc dans une situation où notre capacité d'intervention est rigoureusement inexistante. Je pense que ce cas risque maintenant de se renouveler fréquemment avec la nouvelle procédure de codécision. Il me semble que nous pourrions faire connaître au Gouvernement notre émotion sur ce contournement de fait des dispositions de l'article 88-4 de la Constitution.

Concernant la nouvelle version du 20 avril relative à la création d'un Office européen de lutte antifraude (OLAF), avant d'aborder le contenu même du projet et de vous faire part des remarques qu'il m'inspire, je crois nécessaire de rappeler le bilan de la lutte contre la fraude qui a été établi par le comité d'experts indépendants et préciser les orientations qu'a fixées le Conseil pour ce nouvel organe.

I - Le bilan de la lutte contre la fraude établi par le comité d'experts indépendants désigné par le Parlement européen

Le 15 mars 1999, un Comité d'experts indépendants désigné par le Parlement européen a rendu public un premier rapport très sévère sur « les allégations de fraude, de mauvaise gestion et de népotisme à la Commission européenne ». Ce rapport a entraîné la démission de la Commission.

Concernant les enquêtes administratives et disciplinaires, le Comité d'experts indépendants a conclu de la manière suivante :

« Afin de découvrir des irrégularités ou des fraudes, les enquêtes administratives sont une procédure informelle que la Commission utilise souvent, surtout lorsque des fonctionnaires de rang élevé sont en cause. Elles sont en général confiées à un Directeur Général en exercice, parfois à un groupe de trois. Bien que conscient de l'intérêt qu'il peut y avoir à rassembler de cette façon des éléments solides en vue d'une éventuelle procédure disciplinaire, le Comité met en garde contre leur multiplication et l'usage qui en est fait. En effet, il a constaté qu'elles étaient souvent déclenchées trop tard et duraient trop longtemps, pour des résultats parfois faibles. Parfois même elles dissuadent de passer à la procédure disciplinaire.

Les procédures disciplinaires sont rares, bien que le Comité ait constaté un accroissement récent de leur nombre. Il a rencontré des cas où elles auraient dû être engagées, et ne l'ont pas été. Cela concerne notamment des fonctionnaires de rang très élevé, auxquels a été appliqué, généreusement et sans hésitations, l'article 50 du statut (retrait d'emploi dans l'intérêt du service), ce qui leur a permis de partir la tête haute, munis d'une confortable indemnité.

En deuxième lieu, les poursuites disciplinaires sont tardives et lentes. Cette constatation rejoint ce qui est écrit plus haut au sujet des faiblesses du contrôle financier, de l'audit interne, de l'UCLAF, des enquêtes administratives, et du mélange de leurs activités. Le repérage des responsabilités individuelles est mal assuré au sein de la Commission et de ses services.

Enfin, les conseils de discipline proposent des sanctions trop légères, que l'AIPN hésite à aggraver, comme elle en a pourtant le droit. Le Comité considère que l'impossibilité dans laquelle l'Administration se trouve de présenter son point de vue au sein du Conseil de discipline, et la grande complexité du barème des sanctions prévues par le statut mériteraient d'être examinées.

La Commission manque d'une procédure interne, simple, rapide et pratique pour fixer les responsabilités en matière d'irrégularités, et de fraudes éventuellement consécutives, commises par ses propres fonctionnaires. Le Comité a constaté cette lacune dans la plupart des dossiers qu'il a examinés. Il serait donc souhaitable que, dans leurs conclusions, les rapports d'audit fassent plus systématiquement place à l'avenir à l'évaluation des performances individuelles. Si cette évaluation était franchement négative, un comité administratif indépendant, comprenant un représentant de l'audit interne, pourrait proposer à l'AIPN les suites appropriées.

La responsabilité des commissaires, ou de la Commission dans son ensemble, ne peut être une idée vague, une notion irréaliste dans la pratique. Elle doit aller de pair avec un exercice permanent de « responsabilisation ». Chacun doit se sentir comptable de ce qu'il gère.

A travers les études menées par le Comité, il a été trop souvent constaté que le sens de la responsabilité est dilué dans la chaîne hiérarchique. Il devient difficile de trouver quelqu'un qui ait le moindre sentiment d'être responsable. Or, ce sentiment de responsabilité est essentiel. On doit le trouver, en premier lieu, auprès des commissaires et de leur collège. La tentation de vider la notion de responsabilité de tout contenu effectif est dangereuse. Cette notion constitue la manifestation ultime de la démocratie. »

II - La position de principe du Conseil

Après avoir écarté le premier projet d'Office qui avait été présenté le 24 décembre 1998 par la Commission, le Conseil Ecofin a précisé, dans les conclusions de sa séance du 15 mars 1999, sa conception de ce que devait être le nouvel Office de lutte antifraude.

· L'Office sera chargé d'exercer les compétences d'exécution conférées à la Commission dans le domaine de la lutte antifraude et de la protection des intérêts financiers des Communautés. Ainsi, l'Office effectuera les contrôles et vérifications sur place prévus par l'article 9 paragraphe 1 du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95, par les réglementations sectorielles visées à l'article 9 paragraphe 2 du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 et par le règlement (Euratom, CE) n° 2185/96 ;

· Le règlement relatif à l'Office de lutte antifraude ne modifiera en rien les conditions et modalités de ces contrôles et vérifications, qui resteront déterminées strictement par la réglementation qui les organise. L'Office procédera également aux contrôles et vérifications dans les pays tiers, conformément aux accords de coopération en vigueur ;

· En outre, l'Office sera chargé d'effectuer les enquêtes administratives contre la fraude et les autres activités illégales à l'intérieur de toutes les institutions, ainsi que de tous les organes et organismes communautaires. A ce titre, toutes les institutions, tous les organes et organismes devront lui communiquer automatiquement et sans délai toute information relative à d'éventuels cas de fraude ou d'autres activités illégales ;

· L'Office aura un droit d'accès sans préavis et sans délai aux bâtiments occupés par les institutions et les organes institués par les Traités ainsi que par les organismes institués sur la base de ceux-ci, et aux informations relatives à d'éventuels cas de fraude que ces institutions, organes ou organismes, ainsi que les autres personnes concernées, détiendraient. L'Office aura la faculté de contrôler la comptabilité et tous documents, d'en prendre copie ou d'en obtenir des extraits. L'Office pourra demander des informations orales aux membres et au personnel des institutions, organes et organismes ;

· Les pouvoirs de l'Office, lors d'enquêtes administratives internes aux institutions, organes et organismes communautaires seront définis dans le règlement relatif à l'Office et, pour autant que de besoin, dans le statut des fonctionnaires, en ce qui concerne les obligations et la protection des fonctionnaires concernés. Dans l'attente d'une modification du statut, des mesures seront prises par chaque institution et organe au titre de son autonomie administrative. Les institutions et les organes devront se concerter à ce sujet et concluront à cet effet, simultanément à l'adoption du règlement, un accord interinstitutionnel permettant immédiatement l'exécution d'enquêtes en leur sein par l'Office. Le règlement relatif à l'Office stipulera l'obligation pour toutes les institutions, organes et organismes communautaires de donner aux enquêtes internes les suites disciplinaires ou judiciaires que leurs résultats appelleraient.

· L'Office de lutte antifraude sera doté de la plus large autonomie opérationnelle. Son directeur ne pourra solliciter ni recevoir d'instructions de quiconque dans l'exercice de ses fonctions d'enquête. Son indépendance à l'égard des institutions sera confortée par le contrôle régulier qu'exercera un comité, composé de personnalités extérieures indépendantes, désignées par le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Le directeur transmettra au comité, notamment, le programme des travaux et des enquêtes de l'Office, ainsi que les cas nécessitant la transmission d'informations aux autorités judiciaires nationales. Le directeur exercera sur le personnel de l'Office les pouvoirs, principalement de recrutement, de mutation et de promotion, dévolus à l'autorité investie du pouvoir de nomination ;

· Le directeur de l'Office sera nommé par la Commission, après concertation avec le Parlement et le Conseil, pour une période de cinq ans renouvelable une fois. En vue de la nomination du directeur, après un appel à candidatures, qui sera, le cas échéant, publié au Journal officiel, et après avis favorable du comité de surveillance, la Commission établira la liste des candidats ayant les qualifications nécessaires. Par ailleurs, avant de prononcer à l'égard du directeur une éventuelle sanction disciplinaire, la Commission consultera le comité de surveillance. En outre, le directeur bénéficiera en matière disciplinaire des mêmes garanties que le contrôleur financier de la Commission. Le directeur sera responsable des enquêtes. Il décidera d'ouvrir les enquêtes, conduira leur exécution et en formulera les conclusions ;

· Le directeur assortira ses conclusions de recommandations sur la saisine des autorités disciplinaires ou judiciaires et les adressera à l'institution concernée. Il transmettra également, directement aux autorités judiciaires de l'Etat membre concerné, les informations que l'Office aura recueillies lors d'enquêtes internes aux institutions européennes sur des faits graves susceptibles d'incrimination pénale. Il devra faire rapport régulièrement au Parlement européen et au Conseil sur les résultats et les suites des enquêtes et contrôles effectués par l'Office ;

· Le comité de surveillance pourra présenter des rapports au Parlement et au Conseil, notamment dans le cas où l'institution concernée ne donnerait pas suite aux conclusions et recommandations ;

· Le Conseil a encore demandé à la Commission de présenter rapidement une proposition visant à réformer le statut des fonctionnaires des institutions et à établir les règles relatives aux droits et obligations des fonctionnaires dans le cadre d'une enquête. Il a souhaité que soient introduites, notamment, l'obligation pour tout agent qui aurait connaissance d'éléments de fait relatifs à d'éventuelles fraudes de la communiquer directement à l'Office de lutte antifraude, ainsi que l'obligation d'appliquer des sanctions disciplinaires aux agents qui auraient causé un préjudice aux intérêts financiers de la Communauté ;

· Le Conseil a enfin demandé que la Commission affecte à l'Office de lutte antifraude des postes supplémentaires, notamment d'agents temporaires issus des autorités nationales compétentes, bénéficiant de contrats de longue durée et renouvelables. Les crédits de l'Office, comprenant notamment ses dépenses administratives et de personnel, figureront en annexe à la partie A du budget de la Commission.

III - Le projet actuel relatif a la création d'un Office de lutte antifraude

Le projet du 20 avril 1999, tel qu'il résulte des dernières négociations conduites par le groupe à haut niveau du Conseil, de la Commission et du Parlement européen, porte sur les principaux points suivants.

· L'OLAF conduit des enquêtes administratives dans les institutions et organismes des Communautés. Le but de ces enquêtes est la protection des intérêts financiers de la Communauté contre les fraudes et autres irrégularités ou activités illégales ;

· En matière d'« enquêtes externes », c'est-à-dire conduites dans les Etats membres ou les pays tiers, l'OLAF reprend les attributions de l'UCLAF, elles-mêmes définies par des règlements antérieurs ;

· En matière d'« enquêtes internes », l'OLAF a le pouvoir d'enquête sans préavis et sans délai sur pièces et sur place le plus large ; il a le droit de visite et de saisie ; il a la faculté de contrôler la comptabilité des institutions, organes et organismes. Les fonctionnaires et agents des Communautés ont à son égard une obligation d'information. L'Office peut effectuer des contrôles sur place auprès d'opérateurs économiques afin d'avoir accès aux informations relatives à d'éventuelles irrégularités que ces opérateurs détiendraient ;

· L'Office peut s'autosaisir, les enquêtes étant ouvertes par une décision du directeur de l'Office. Il peut aussi agir à la demande d'un Etat membre (enquêtes externes) ou d'une institution ou organisme (enquêtes internes) ;

· Dans le cadre des obligations d'information, les Etats membres (si leur législation le permet) et les institutions et organismes doivent communiquer les informations qu'ils détiennent, sur demande ou spontanément.

· Les informations obtenues sont soumises au principe de confidentialité, soit dans le cadre du secret professionnel, soit selon les dispositions communautaires et nationales relatives à la protection des données à caractère personnel ;

· Les rapports de l'OLAF ont valeur de preuve judiciaire dans les pays où le système judiciaire fonctionne à base de preuves.

· Les rapports sont communiqués aux Etats membres, aux institutions ou aux organismes concernés, qui y donnent la suite qu'ils veulent.

· Le Parlement et le Conseil sont destinataires de rapports réguliers résumant les enquêtes tout en protégeant les secrets et les personnes.

· Le directeur est nommé par la Commission après concertation avec le Parlement et le Conseil, pour une période de cinq ans renouvelable une fois, après appel à candidatures publié « le cas échéant » au Journal Officiel des Communautés européennes (JOCE).

· Il existe un Comité de surveillance de cinq membres nommés d'un commun accord pour trois ans, et renouvelables, par la Commission, le Parlement et le Conseil, et qui réunissent les conditions dans leurs pays respectifs de hautes fonctions en rapport avec les domaines d'activité de l'Office.

IV - Les observations sur le contenu du projet

Après les auditions de MM. Pierre Joxe, premier président de la Cour des Comptes, Jean-Pierre Bonin, conseiller référendaire, et Jean-François Bernicot, membre français de la Cour des Comptes des Communautés européennes, je crois important de souligner quelques observations de fond. Elles portent sur les enquêtes externes, sur les conditions de nomination du directeur et sur la composition du comité de surveillance, sur l'intervention de l'Office dans les institutions autres que la Commission et sur le risque de chevauchement des compétences entre la Cour des Comptes des Communautés européennes et l'Office.

a) Les enquêtes externes

Le projet de règlement permet à l'Office d'exercer l'ensemble des compétences dévolues à la Commission pour effectuer des contrôles et vérifications sur place dans les Etats membres, en vue de rechercher les irrégularités conformément au règlement du Conseil du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes.

Déjà à l'occasion de l'examen de ce règlement du 18 décembre 1995, la délégation avait émis un certain nombre de remarques sur les enquêtes menées dans les Etats membres par les enquêteurs de la Commission. Ces remarques s'inscrivaient dans une préoccupation de respect de la subsidiarité. C'est pourquoi -et pour rester en cohérence avec notre position de 1995-, nous ne pouvons que souligner la nécessité que les enquêtes externes menées par l'OLAF s'effectuent en liaison avec les autorités nationales. Cette remarque concerne plusieurs considérants du projet actuel de règlement où la prise en compte de la subsidiarité est insuffisante (considérants n° 9, 13, 16).

Certes le dernier considérant (n° 21) indique « que le présent règlement ne diminue en rien les compétences et responsabilités des Etats membres pour prendre les mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés ; que, dès lors, l'attribution de la fonction d'effectuer des enquêtes administratives externes à un Office indépendant respecte pleinement le principe de subsidiarité énoncé à l'article 3B du traité CE... ». Mais cette déclaration n'est étayée par aucune preuve, ni par aucun mécanisme qui permettrait de faire jouer le principe de subsidiarité.

Je regrette ainsi que l'article 3 du règlement - qui porte sur les enquêtes externes - ne mentionne pas expressément que les contrôles et vérifications sur place dans les Etats membres sont effectuées en liaison avec les Etats. A tout le moins, le respect du principe de subsidiarité devrait conduire à l'inscription dans le texte du principe de la collaboration de l'OLAF avec les organismes de contrôle compétents des Etats membres (cours des comptes ou organes d'investigations financières nationaux), ne serait-ce que pour éviter la mise en oeuvre de contrôles parallèles débouchant sur des enquêtes qui se chevaucheraient et pourraient aboutir à des incohérences de procédure et de résultat.

De même, concernant les enquêtes dans les Etats membres (paragraphe 6 de l'article 6), je trouve insuffisante la rédaction qui se borne à mentionner que « les Etats membres veillent à ce que leurs autorités compétentes, en conformité avec les dispositions nationales, prêtent le concours nécessaire aux agents de l'Office pour l'accomplissement de leur mission » ; dans le cadre de la subsidiarité, l'accord préalable des Etats membres me semble indispensable.

De même, dans ce même article 6, la formule selon laquelle « les agents de l'Office adoptent, au cours des contrôles et des vérifications sur place, une attitude en accord avec les règles et usages qui s'imposent aux fonctionnaires de l'Etat membre concerné » me semble peu fidèle à notre conception de l'Etat de droit. Il me semblerait plus conforme aux règles juridiques qui s'imposent dans nos Etats de faire référence aux principes du droit en vigueur dans l'Etat membre concerné. D'ailleurs l'article 9 qui porte sur le rapport d'enquête et les suites des enquêtes va, lui, plutôt dans le sens de mes observations, puisqu'il indique que « ces rapports sont établis en tenant compte des exigences de procédure prévues par la loi nationale de l'Etat membre concerné ».

b) La nomination du directeur et la composition du comité de surveillance

Le projet de règlement prévoit que le directeur est nommé après appel à candidatures, mais que cet appel est publié, « le cas échéant », au Journal Officiel. Cette rédaction est pour le moins étonnante, car c'est la publication au Journal Officiel de l'appel à candidatures qui seul peut garantir que la nomination du directeur ne résulte pas d'une manoeuvre au sein d'une ou de plusieurs institutions.

Concernant le comité de surveillance, le projet indique « qu'il est composé de cinq personnalités extérieures indépendantes, réunissant les conditions d'exercice dans leurs pays respectifs de hautes fonctions en rapport avec les domaines d'activité de l'Office. Ils (elles) sont nommé(e)s d'un commun accord par le Parlement européen, le Conseil et la Commission ». Cette formule me semble peu rigoureuse ; cette habitude du Parlement européen de désigner des « personnalités extérieures indépendantes » me semble critiquable, car elle affaiblit les dispositions du traité et peut conduire à de vraies dérives.

Il pourrait sembler plus conforme à la rigueur qui est recherchée, par le Conseil comme par le Parlement européen, d'indiquer clairement que ce comité est composé, par exemple, de représentants de la Cour des Comptes des Communautés européennes, de la Cour de Justice des Communautés européennes et des Cours des comptes ou organismes de contrôle des Etats membres.

c) L'intervention de l'Office de lutte antifraude dans les institutions autres que la Commission européenne

Il est prévu que l'Office pourra, de sa propre initiative ou sur demande des institutions et organismes concernés, opérer dans lesdites institutions et organismes.

Mais il se trouve que l'OLAF est un organe de la Commission, et que le dernier alinéa du paragraphe 1 de l'article 7 du traité d'Amsterdam  dispose que : « Chaque institution agit dans la limite des attributions qui lui sont conférées par le présent traité ».

Si rien ne s'oppose à ce qu'une institution demande à une autre d'intervenir dans ses propres affaires, il paraît difficile qu'un organe dépendant d'une institution puisse intervenir dans les affaires d'une autre, a fortiori contre son gré. Or c'est ce que permet la procédure d'autosaisine.

A la rigueur, dans la mesure où la création de l'OLAF est effectuée en vertu de la procédure de codécision, on peut soutenir que, en adoptant la proposition de la Commission, le Conseil et le Parlement ont implicitement, mais nécessairement, autorisé celle-ci, via l'OLAF, à venir les inspecter sans leur consentement. Mais la Cour de Justice et la Cour des Comptes ne sont pas impliquées par la procédure de codécision (sinon par le moyen d'un simple avis de la Cour des Comptes), et le règlement met donc en cause leur indépendance sans qu'elles aient eu à y consentir.

Ne serait-il pas plus simple de dire que si l'Office a l'intention de mener une enquête dans une institution autre que la Commission et les organismes qui en dépendent, il en fait part à cette institution par un courrier motivé, lequel, s'il reçoit une réponse négative ou s'il ne reçoit pas de réponse dans un délai d'un mois, est publié (avec la réponse négative le cas échéant) dans le rapport annuel de l'OLAF ?

d) Le risque de chevauchement des compétences entre la Cour des Comptes des Communautés européennes et l'Office de lutte antifraude

Le règlement ne règle pas la question du partage des compétences entre la Cour des Comptes des Communautés européennes et l'OLAF. Faute de dispositions dans ce sens qui risqueront de perturber le travail d'audit de la Cour des Comptes, il serait sans doute souhaite que l'OLAF s'intéresse à des dossiers ponctuels, sur la base de présomptions de fraude dont il a eu connaissance.

*

En définitive, le projet de règlement sur l'OLAF est un règlement très important et je ne peux à nouveau que regretter la précipitation avec laquelle il sera adopté par le Conseil.

Compte tenu des délais que le Conseil a retenu, nous n'avons donc plus aucune possibilité de nous prononcer dans le cadre d'une proposition de résolution. Il me semble cependant que nous devons faire connaître notre insatisfaction.

C'est pourquoi je vous propose d'adopter des conclusions reprenant les remarques que je viens d'exposer.

Compte rendu sommaire du débat

consécutif à la communication

M. Michel Barnier :

Les conclusions que nous propose le rapporteur insistent à juste titre sur la nécessité de respecter la lettre et l'esprit du traité d'Amsterdam. Comme le rapporteur vient de le préciser, la délégation ne peut, compte tenu des délais, qu'adopter des conclusions, faute de disposer des possibilités matérielles de proposer au Sénat d'instruire une proposition de résolution. Ces conclusions nous permettent cependant de faire des observations qui seront transmises, dès aujourd'hui, au Gouvernement.

M. Lucien Lanier :

Ce n'est pas la première fois que les dispositions de l'article 88-4 de la Constitution ne sont pas appliquées. Cette situation me navre profondément. Concernant le fond de la question, la communication de notre rapporteur souligne la grande difficulté à laquelle nous nous heurtons maintenant qui est celle de la diversité des systèmes juridiques des Etats membres. C'est ainsi qu'on assiste actuellement à une forte pression des anglo-saxons pour imposer leurs règles juridiques de manière uniforme au détriment du droit latin.

M. Jean-Pierre Fourcade :

L'OLAF est chargé de lutter contre le grave problème de la corruption ; c'est une mission que la Cour des Comptes des Communautés européennes ne pourra jamais remplir car la corruption n'apparaît pas dans les comptes. C'est pourquoi je trouve que les conclusions proposées par notre rapporteur soulèvent deux problèmes. Tout d'abord je ne crois pas que le principe de subsidiarité doive conduire à faire en sorte que les enquêtes ne puissent être menées qu'après l'accord préalable des Etats membres. Le maintien de cet accord préalable risquerait de vider de sa substance le système envisagé. Par ailleurs je ne crois pas non plus au risque de chevauchement entre les enquêtes menées par l'OLAF et les audits réalisés par la Cour des comptes, parce que les enquêtes de l'OLAF, dans leur forme et dans leur objet, seront différentes des investigations de la Cour. En revanche, concernant le comité de surveillance, il me semble que ce comité sera redondant par rapport aux institutions existantes. Enfin il faut insister sur le droit de réponse et les garanties à accorder aux personnes soumises aux enquêtes de l'OLAF.

M. Michel Barnier :

Grâce à la vigilance de notre rapporteur Jacques Oudin, grâce aussi aux auditions auxquelles a procédé la délégation du Sénat et même si nos travaux ont un caractère rétrospectif puisque l'accord politique date du 20 avril dernier, je ne crois pas que ceux-ci auront été inutiles, contrairement à la crainte exprimée par Lucien Lanier. Il me semble en effet important que les ministres et leurs fonctionnaires sachent qu'il y a au Sénat un suivi, un contrôle, et parfois des protestations, sur les conditions des négociations européennes. C'est ainsi que, à l'avenir, ces négociateurs seront amenés à tenir compte de l'existence de la délégation du Sénat, et à agir différemment. Notre travail est utile même s'il est parfois frustrant.

M. Jacques Oudin :

Sur le premier point abordé par Lucien Lanier, Michel Barnier a fort bien exprimé mon sentiment. Nous ne pouvons plus nous exprimer du fait de cette nouvelle procédure de codécision qui accélère l'adoption des textes modifiés dès l'instant où un groupe à haut niveau réunissant le Conseil, la Commission et le Parlement européen se met d'accord et conduit à supprimer tout débat ultérieur. Sur le second point, l'observation de Lucien Lanier rejoint celle de Jean-Pierre Fourcade sur la question du respect des règles de droit propres à chaque pays. Faut-il les respecter ou bien faut-il recourir à une pratique nouvelle, pratique nouvelle qui est la tentation permanente des instances communautaires ?

Cette tentation de mettre en place une espèce de « FBI européen », nous l'avons déjà connue avec les douanes alors que l'Europe peut parfaitement fonctionner dans le cadre des règles nationales existantes. C'est pourquoi, sur ce sujet comme sur d'autres, le respect des règles juridiques nationales est un préalable incontournable. La question de l'accord préalable des Etats est au coeur du sujet ; je donnerai comme exemple les conditions dans lesquelles a eu lieu il y a quelques années une enquête de l'UCLAF sur l'utilisation des fonds communautaires en Corse ; l'accord préalable de la France n'a pas empêché l'enquête de l'UCLAF. Loin de retirer toute efficacité à ces enquêtes, l'accord préalable peut au contraire les renforcer en mettant à la disposition des enquêteurs les moyens des polices et des douanes.

Sur le chevauchement des enquêtes entre l'OLAF et la Cour des Comptes, mon souci est d'éviter que la mise en oeuvre d'un contrôle supplémentaire n'arrive à gêner un contrôle déjà existant. Si on prend l'exemple des « mini-budgets », la Cour des comptes va s'intéresser à la pratique de ceux-ci, tandis que l'OLAF s'intéressera au népotisme ou à la corruption qui peut s'ajouter à la dérive structurelle du système.

Concernant le comité de surveillance, la question est de savoir s'il convient que le directeur de l'OLAF dépende directement de la Commission, sans la protection d'un échelon intermédiaire comme le comité de surveillance ; l'autre question est de savoir si cet échelon intermédiaire doit être ou non totalement indépendant des institutions communautaires. L'indépendance totale n'est pas sans risque ; on le voit bien avec les exemples français où ces organes sont souvent opaques, sans contrôle démocratique et échappant la plupart du temps aux instructions du Gouvernement. Mon sentiment est qu'il vaut mieux prendre des personnalités expérimentées dans le contrôle, connaissant en outre parfaitement les rouages communautaires et disposant d'une totale indépendance. C'est le sens des remarques contenues dans les conclusions que je propose à la délégation. Il faut surtout qu'il n'y ait pas de lien hiérarchique trop direct entre ceux qui sont contrôlés et ceux qui exercent le contrôle.

Après la prise en compte de deux amendements proposés par MM. Jean-Pierre Fourcade et Yann Gaillard concernant, d'une part, la nécessité d'une concertation avec les autorités nationales et, d'autre part, la composition du comité de surveillance, la délégation a adopté à l'unanimité les conclusions suivantes :

Conclusions

La délégation du Sénat pour l'Union européenne,

Considérant que la proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux enquêtes effectuées par l'Office européen de lutte antifraude (OLAF), le projet d'accord interinstitutionnel relatif aux enquêtes internes effectuées par l'Office de lutte antifraude et la décision modèle relative aux conditions et modalités des enquêtes internes en matière de lutte contre la fraude, la corruption et toute activité illégale susceptible de poursuites administratives ou pénales sont le résultat d'une négociation menée par le Conseil et le Parlement européen dans le cadre d'un groupe à haut niveau ;

Considérant que l'Office peut s'autosaisir, les enquêtes étant ouvertes par une décision du directeur de l'Office, qu'il peut aussi agir à la demande d'un Etat membre (enquêtes externes) ou d'une institution ou organisme (enquêtes internes) ;

Considérant que l'Office peut mener des enquêtes externes dans les Etats membres, sans que ceux-ci puissent être directement associés à ces enquêtes et sans que les membres de l'Office soient strictement tenus aux règles légales en vigueur dans ces Etats ;

Considérant en outre que le règlement ne règle pas la question du partage des compétences entre la Cour des Comptes des Communautés européennes et l'OLAF ;

Considérant enfin que la proposition de règlement prévoit que le directeur est nommé après appel à candidatures publié, « le cas échéant », au Journal Officiel et que les membres du comité de surveillance sont nommés d'un commun accord par le Parlement européen, le Conseil et la Commission parmi « des personnalités extérieures indépendantes » ;

Se réjouit des efforts menés au sein des institutions européennes pour remédier aux cas de fraudes et de corruption analysés dans le récent rapport du comité d'experts indépendants du 15 mars 1999 ;

Estime que la proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux enquêtes effectuées par l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) est une tentative sérieuse pour renforcer l'efficacité des enquêtes internes ou externes ;

Regrette cependant que les délais que s'est fixés le Conseil pour l'adoption de ce règlement daté du 20 avril 1999 et sa mise en vigueur au 1er juin 1999 conduisent à vider pratiquement de son contenu l'article 88-4 de la Constitution ;

Attire par ailleurs l'attention du Gouvernement :

·  sur la nécessité de veiller à l'application du principe de subsidiarité dans le déroulement des enquêtes externes, en particulier en obtenant que les enquêtes externes menées par l'OLAF s'effectuent en liaison avec les autorités nationales, après accord préalable des Etats membres ;

·  sur les risques de chevauchement des enquêtes de l'Office avec les audits de la Cour des Comptes des Communautés européennes, chevauchement qui pourrait nuire à l'efficacité de cette dernière et sur l'indispensable complémentarité entre les enquêtes menées par l'Office de lutte antifraude avec celles des organismes de contrôle nationaux ;

·  sur les risques de dérives que comporte la nomination, par le Parlement européen, le Conseil et la Commission, de « personnalités extérieures indépendantes » au sein du conseil de surveillance de l'OLAF, alors qu'il aurait été plus conforme à la rigueur, qui est recherchée par le Conseil comme par le Parlement européen, d'indiquer clairement que ce comité est composé, par exemple, de représentants de la Cour des Comptes des Communautés européennes, de la Cour de Justice des Communautés européennes et des Cours des comptes ou organismes de contrôle des Etats membres ;

Demande au Gouvernement :

·  de faire respecter, par les institutions communautaires, le principe de subsidiarité à l'occasion de toutes modifications qui pourraient désormais intervenir dans la mise au point définitive des projets de règlement, d'accord interinstitutionnel ou de décision concernant l'Office de lutte antifraude ;

·  de faire en sorte que les enquêtes externes de l'Office antifraude soient menées en liaison avec les Etats membres et que les agents de l'Office adoptent, au cours des contrôles et vérifications sur place, une attitude en accord, non seulement avec les règles et usages qui s'imposent aux fonctionnaires de l'Etat membre concerné, mais aussi avec les règles de droit applicables dans l'Etat membre considéré ;

·  d'obtenir que l'appel à candidatures pour la nomination du directeur de l'Office soit publié au Journal Officiel des Communautés.