COM (1998) 621 final  du 11/11/1998
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 11/03/2002

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 08/12/1998


Emploi et travail

Communication de Mme Marie-Madeleine Dieulangard
sur la proposition d'acte communautaire E 1182
relative à l'information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne

(Réunion du 18 février 1999)

La proposition de directive E 1182 a pour objectif d'établir un cadre général relatif à l'information et à la consultation des travailleurs dans les entreprises situées dans la Communauté européenne.

La Commission estime en effet que « l'information et la consultation des travailleurs, en assurant une main-d'oeuvre qualifiée et motivée, peuvent être considérées comme un facteur de productivité ». Au surplus, les entreprises et leurs travailleurs doivent s'adapter à de constantes et multiples mutations d'ordre économique, social, financier ou autre. Dans ce contexte, une bonne consultation des travailleurs ne peut qu'aider chacun à anticiper les changements et donc à y faire face.

J'ajouterai, et je m'étonne que la Commission ne mentionne pas cette considération, que le dialogue social permet, tout particulièrement dans les grandes entreprises, d'améliorer les relations humaines, de remédier à ce que l'organisation moderne du travail peut avoir de déshumanisant.

Pour améliorer l'information et la consultation des travailleurs, la Commission nous propose un système souple puisque le document E 1182 se borne à fixer une ligne générale, laissant une appréciable marge de manoeuvre aux Etats et, au sein de ceux-ci, aux partenaires sociaux.

La ligne générale consiste en l'obligation pour les Etats d'assurer l'information et la consultation des travailleurs dans les entreprises, publiques ou privées, qui emploient au moins 50 travailleurs.

La proposition de directive définit l'information comme la transmission, par l'employeur aux représentants des travailleurs, d'informations à un moment, d'une façon, et avec un contenu qui assurent, je cite, « l'effet utile » de cette démarche. Il s'agit notamment de permettre aux représentants des travailleurs de procéder à un examen approprié desdites informations et de préparer, le cas échéant, la consultation.

Quant à la consultation, la proposition de directive la définit en substance comme l'organisation d'un dialogue et d'un échange de vues entre l'employeur et les représentants des travailleurs d'une façon et avec un contenu qui assurent l'effet utile de cette démarche. Il est notamment précisé que les représentants des travailleurs ont le droit de se réunir avec l'employeur et d'obtenir une réponse motivée aux avis qu'ils doivent pouvoir donner sur les informations reçues.

Telle est la ligne générale de la proposition E 1182.

Certes, ce texte contient des précisions sur le contenu de l'information et de la consultation des travailleurs, lesquelles doivent en principe couvrir trois séries de sujets :

- tout d'abord, je cite l'information - mais pas la consultation - sur « l'évolution récente et l'évolution raisonnablement prévisible des activités de l'entreprise et de sa situation économique et financière » ;

- deuxième point sur lequel doivent en principe porter l'information et la consultation : « la situation, la structure et l'évolution raisonnablement prévisible de l'emploi au sein de l'entreprise ». Toutefois, les Etats membres peuvent exclure les entreprises employant moins de 100 travailleurs de cette obligation d'information et de consultation sur l'emploi ;

- enfin, troisième point, l'information et la consultation doivent également porter, toujours en principe, sur « les décisions susceptibles d'entraîner des changements substantiels concernant l'organisation du travail ».

Mais ce contenu n'est donné qu'à titre indicatif car la proposition de directive permet aux partenaires sociaux de conclure des accords prévoyant des dispositifs différents. Ces accords doivent être conclus dans des conditions et limites fixées par les Etats et, ce qui paraît la moindre des choses, dans le respect des objectifs généraux de la directive. En d'autres termes, les partenaires sociaux pourront, si le droit national le permet, prévoir un contenu et des modalités d'information et de consultation différents de ceux indiqués par la directive sous réserve de ne pas vider l'information et la consultation de leur substance. Ce n'est qu'en l'absence d'accord que s'appliquera le cadre indicatif que je vous ai présenté.

Le dispositif général de la proposition de directive se caractérise ainsi par sa souplesse. Il contient cependant des dispositions auxquelles les Etats ne sauraient déroger.

Tel est le cas de l'article 5 qui prévoit la confidentialité des informations fournies aux représentants des travailleurs. Les Etats membres doivent en effet leur interdire de révéler à des tiers des informations qui leur ont été expressément communiquées à titre confidentiel.

Cet article 5 va jusqu'à conférer un droit de rétention au profit de l'employeur. Les législations nationales doivent en effet énumérer des « cas spécifiques » et fixer les conditions dans lesquelles l'employeur ne sera pas obligé de communiquer des informations ou de procéder à des consultations « lorsque leur nature est telle que, selon des critères objectifs, elles entraveraient gravement le fonctionnement de l'entreprise ou porteraient préjudice à celle-ci ».

Sont également obligatoires les dispositions destinées à assurer l'effectivité des droits reconnus aux travailleurs dans le domaine de l'information et de la consultation. L'article 6, s'inspirant de la directive de 1994 sur le comité d'entreprise européen, prévoit ainsi que : « les représentants des travailleurs jouissent, dans l'exercice de leurs fonctions, d'une protection et de garanties suffisantes leur permettant de réaliser d'une façon efficace les tâches qui leur ont été confiées ».

Complément de cette disposition, l'article 7 impose aux Etats de prévoir des procédures (administratives ou judiciaires) pour faire respecter les obligations découlant de la directive ainsi que des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives » applicables en cas de violation des dispositions de la directive.

L'article 7 prévoit également la « non-production d'effets juridiques » - ce qui, en droit français, paraît correspondre à la nullité - des décisions de l'employeur en cas de violation grave par celui-ci des obligations d'information et de consultation dans les domaines susceptibles d'entraîner des changements substantiels dans l'organisation du travail. Cette non-production subsiste « tant que l'employeur ne s'est pas acquitté de ses obligations ou, si ceci est devenu impossible, qu'une réparation adéquate n'a pas été établie (...) ».

*

Les réactions à la proposition de directive ont été diverses.

Selon certains, le principe de subsidiarité interdirait à la Communauté d'intervenir sur la question.

Cette thèse n'est pas la mienne.

Je vous rappelle en effet que le protocole sur la politique sociale, annexé au traité instituant la Communauté européenne, assigne expressément à la Communauté l'objectif de promouvoir le dialogue social. Il prévoit notamment qu'elle soutient et complète l'action des Etats membres dans le domaine de l'information et de la consultation des travailleurs.

La Communauté peut donc bien légiférer en la matière et j'observe qu'elle l'a déjà fait.

En effet, avant même l'adoption du protocole sur la politique sociale, elle était intervenue pour prévoir l'information et la consultation des travailleurs dans des cas particuliers tels que les transferts d'entreprises. Après l'entrée en vigueur du protocole, d'autres textes ont été adoptés portant soit, comme auparavant, sur des cas particuliers (directive du 20 juillet 1998 relative aux licenciements collectifs), soit sur le dialogue social en général. J'ai évoqué tout à l'heure la directive du 22 septembre 1994 concernant l'institution d'un comité d'entreprise européen.

Cela étant, le protocole sur la politique sociale insiste sur le rôle subsidiaire de la Communauté en matière de dialogue social. La Commission, je le rappelle, n'est appelée à intervenir que pour soutenir et compléter l'action des Etats. Aussi devons-nous nous demander si les législations nationales présentent des lacunes justifiant une intervention complémentaire de la Communauté.

Je crois que c'est le cas en l'espèce.

L'exposé des motifs de la proposition E 1182 résume en effet les conclusions d'un rapport récent sur l'Europe des représentants du personnels. Il précise, je cite : « La grande majorité des Etats membres (......) dispose d'un cadre juridique d'origine légale ou conventionnelle créant des procédures d'information et de consultation à différents niveaux de gestion (établissements, entreprises, groupes d'entreprises) ». Trois critiques sont cependant adressées aux législations nationales :

- tout d'abord, le respect des droits sociaux ainsi consacrés n'est pas toujours assuré effectivement ;

- ensuite, compte tenu notamment de l'intervention trop tardive des représentants des travailleurs, l'information et la consultation de ceux-ci ne permettent point d'agir de façon adéquate sur les décisions stratégiques ou économiques ;

- enfin, le dialogue social intervient souvent dans une optique de suppression de postes de travail alors qu'il devrait être permanent.

C'est pour obvier à ces lacunes que la Commission a présenté la proposition de directive E 1182 que j'estime donc justifiée dans son principe.

Qu'en est-il, maintenant, sur le fond ?

Pour me limiter à l'essentiel, je citerai quatre séries de critiques parmi celles qui ont été adressées à la proposition.

La première porte sur le champ d'application, à savoir le seuil de 50 salariés, que certains jugent trop élevé. Il est exact que l'immense majorité des entreprises comptent moins de 50 salariés. Cela étant, tout seuil est en soi arbitraire et celui de 50 salariés me paraît l'être moins qu'un autre, tout au moins pour la France, puisqu'il correspond au seuil à partir duquel doit être créé un comité d'entreprise. Je crois d'ailleurs qu'une proposition tendant à étendre le champ d'application de la directive se heurterait à l'opposition de certains Etats, hypothéquant ainsi les chances de voir le texte recueillir la majorité qualifiée nécessaire à son adoption. Enfin, en ce qui concerne le cas particulier de la France, l'information et la consultation des représentants des travailleurs sont d'ores et déjà prévues à partir de 11 salariés par établissement, seuil à partir duquel doivent être élus des délégués du personnel. Ces délégués exercent, en son absence, les attributions du comité d'entreprise ou d'établissement.

La deuxième série de critiques adressée à la proposition E 1182 porte sur le contenu de l'information et de la consultation, contenu jugé insuffisant par certains, trop détaillé par d'autres. Je crois que la portée de ces critiques doit être nuancée dans la mesure où la directive laissera une appréciable marge de manoeuvre sur ce point aux Etats et aux partenaires sociaux.

Il y a en revanche un vrai débat en ce qui concerne le droit de rétention d'informations reconnu à l'employeur. La Commission y voit la contrepartie nécessaire du droit d'accès de la part des représentants des travailleurs à des informations dont la divulgation publique prématurée entrerait en conflit avec d'autres obligations, telles celles découlant du droit boursier. Pour prendre un exemple d'actualité, on imagine mal que le président d'Air France ait dû annoncer en exclusivité aux représentants du personnel le prix de cession de l'action. Je constate par ailleurs que ce droit de rétention ne serait pas une nouveauté puisque la directive de 1994 concernant l'institution d'un comité d'entreprise européen le prévoit déjà.

Cela étant, je comprends que l'on puisse s'interroger sur l'opportunité de priver d'informations les représentants des travailleurs, même dans des hypothèses rares, dès lors que ceux-ci sont eux-mêmes tenus à garder le secret. Je sais que le Gouvernement réfléchit actuellement sur cette dialectique « information-secret ».

La troisième série de critiques porte sur les marges de manoeuvre laissées aux Etats et aux partenaires sociaux. Certains craignent que la future directive ne soit qu'une « coquille vide » dans la mesure où elle ne définit qu'un cadre général, les accords collectifs pouvant déroger aux dispositions concernant le contenu de l'information et de la consultation. Personnellement, cela ne me choque pas car je suis profondément attachée au dialogue social, à la négociation collective. Par ailleurs, la condition selon laquelle les accords devront respecter la ligne générale de la directive me paraît rassurante : même s'ils étaient d'accord pour le faire -ce qui me paraît d'ailleurs peu vraisemblable- les partenaires sociaux ne pourraient vider de sa substance l'information et la consultation des travailleurs, ni lui ôter tout effet utile.

La dernière critique de taille faite à la proposition de directive émane, à la différence des trois premières, des personnes qui estiment que le texte va trop loin. Ces personnes contestent en particulier l'obligation de rechercher un accord préalable sur les décisions relevant du pouvoir de direction de l'employeur et susceptibles d'entraîner des changements substantiels concernant l'organisation du travail. Elles considèrent que cette obligation introduirait en pratique un véritable mécanisme de co-décision étranger à notre droit national et, en permettant aux représentants du personnel d'obtenir le report de décisions tant que la négociation n'aurait pas abouti, paralyserait la prise de décisions relevant de la responsabilité de l'employeur.

Je crois que cette inquiétude n'a pas lieu d'être. D'abord, parce que la directive prévoit non pas un accord préalable, mais simplement la recherche d'un accord préalable ce qui, juridiquement, est tout à fait différent et ne saurait s'assimiler à de la co-décision. Ensuite, parce que, comme je l'ai dit précédemment, la directive prévoit une exception pour les informations ou consultations qui entraveraient le fonctionnement de l'entreprise ou lui porteraient préjudice.

*

En conclusion, je rappellerai que nous sommes dans un domaine éminemment sensible où l'on doit prendre en compte une multitude de critères. Il y a bien évidemment les points de vue divergents des travailleurs et des employeurs. Il y a aussi les différences de sensibilité des gouvernements, souvent tranchées en matière sociale. Je crois que chacun doit se montrer raisonnable et ne pas trop « charger la barque » sous peine de la faire couler. Or chacun a, me semble-t-il, intérêt à voir le dialogue social se développer. Dans ce contexte, la proposition de la Commission a au moins le mérite de traduire la recherche d'un dispositif globalement équilibré.

C'est pourquoi je considère que nous devons soutenir cette initiative.

Compte rendu sommaire

du débat consécutif à la communication

M. Emmanuel Hamel :

Je souhaiterais savoir si les principales organisations syndicales françaises et le Mouvement des Entreprises de France, le MEDEF, ont été consultés sur cette proposition. Si oui, quelle a été leur réaction ?

Mme Marie-Madeleine Dieulangard :

Ces organisations ont en effet été consultées et nous avons retrouvé au niveau national le clivage qui était apparu au niveau européen : d'un côté, les syndicats de travailleurs qui, dans les observations que certaines d'entre elles nous ont adressées, considèrent que la proposition ne va pas assez loin, par exemple en ce qu'elle n'a vocation à s'appliquer qu'aux entreprises de plus de cinquante salariés ; d'un autre côté, le MEDEF, qui estime que ce texte va trop loin et conteste même, au nom du principe de subsidiarité, la légitimité d'une intervention de la Communauté en cette matière.

Mme Marie-Claude Beaudeau :

Qu'en est-il de l'information et de la consultation des travailleurs en matière de conditions de travail, notamment en ce qui concerne la santé et la sécurité ?

Mme Marie-Madeleine Dieulangard :

Il faut savoir que ce texte a été élaboré après certaines affaires malheureuses, dans lesquelles des décisions particulièrement lourdes de conséquences avaient été prises sans véritable consultation des travailleurs. Ces décisions concernaient les activités de l'entreprise et l'emploi. C'est donc sur ces points que la Commission propose de mettre l'accent, ainsi que sur les décisions susceptibles d'entraîner des changements substantiels concernant l'organisation du travail. Les décisions concernant les conditions d'hygiène et de sécurité ne sont pas expressément mentionnées comme devant donner lieu à consultation. Bien entendu, les accords conclus au niveau national pourront le prévoir. Cela étant, il est exact que les organisations syndicales ont regretté le silence de la proposition sur de nombreux points. Mon attention a notamment été attirée sur les questions concernant la formation.

A l'issue de cette communication, la délégation a décidé de ne pas intervenir pour le moment sur la proposition E 1182. Elle a chargé Mme Marie-Madeleine Dieulangard de suivre l'évolution des négociations sur ce texte.