COM (97) 357 final  du 24/07/1997
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 29/04/1999

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 30/09/1997
Examen : 04/12/1997 (délégation pour l'Union européenne)


Communication et proposition de conclusions de M. Denis Badré

(proposition d'acte communautaire E 925)

Communication de M. Denis Badré

La proposition d'acte E 925 a pour objet de doter d'une base juridique les lignes budgétaires du chapitre B 7-70 du budget communautaire intitulé « Initiative européenne pour la démocratie et la protection des droits de l'homme » relative au développement et à la consolidation de la démocratie et de l'Etat de droit ainsi qu'au respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

L'objectif affiché par la Commission est de « renforcer l'action communautaire dans ce domaine ainsi que de créer les conditions d'une action plus efficace, mieux articulée aux besoins des partenaires et mieux coordonnée aux initiatives prises par les Etats membres dans ce domaine ». Le texte précise ainsi les conditions dans lesquelles les actions communautaires dans ce domaine peuvent être engagées, les objectifs vers lesquels celles-ci doivent tendre, ainsi que les procédures applicables à la mise en oeuvre, à la gestion et au contrôle de ces actions.

Les lignes budgétaires concernées par la proposition de règlement E 925 représentent, au total, pour l'année 1997, plus de 78,6 millions d'Ecus (519,5 millions de francs).

Cette proposition appelle plusieurs remarques.

1. L'origine de l'engagement communautaire

L'engagement communautaire dans le domaine de la démocratie, de l'état de droit, des droits de l'homme et des libertés fondamentales est récent. En effet, le traité de Rome n'avait fait aucune référence explicite aux droits de l'homme ; cette référence n'apparaît que trente ans plus tard dans le Préambule de l'Acte Unique Européen. Le traité sur l'Union européenne représente une nouvelle étape puisque, pour la première fois, la nécessité pour l'Union européenne de respecter les droits de l'homme est stipulée non seulement dans le Préambule, mais aussi dans le dispositif du traité : il prévoit que le respect des droits de l'homme constitue l'un des éléments essentiels de l'appartenance à l'Union européenne et est un principe de base de son action.

L'article F paragraphe 2 du traité sur l'Union européenne stipule en particulier que "l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'il sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes généraux du droit ». De son côté, l'article 130 U paragraphe 2 indique que « la politique de la Communauté européenne dans le domaine de la coopération au développement contribue à l'objectif général de développement et de consolidation de la démocratie et de l'état de droit ainsi qu'à l'objectif du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

Le Parlement européen a décidé en 1994 de regrouper les différentes lignes budgétaires spécifiquement affectées à la promotion des droits de l'homme en un chapitre distinct du budget (B7-70) intitulé "Initiative européenne pour la démocratie et la protection des droits de l'homme".

Les rapports "sur la mise en oeuvre des actions de promotion des droits de l'homme et de la démocratisation" (1992-1993, 1994, 1995 et 1996 en voie d'élaboration) ont fait le point sur l'utilisation de l'ensemble des ressources du chapitre B7-70. Ils ont mis en évidence d'une part l'accroissement considérable des ressources spécifiquement affectées à la promotion des droits de l'homme (qui ont doublé entre 1993 et 1996) ; d'autre part l'extension de la portée des interventions aussi bien du point de vue thématique que géographique.

Dans une communication du 6 juillet 1994 à l'autorité budgétaire sur les bases légales et les montants maximaux, la Commission s'est engagée, conformément à l'Accord interinstitutionnel du 29 octobre 1993, à proposer une base juridique pour un certain nombre de lignes budgétaires. Le Parlement européen a renforcé cette exigence en insérant un commentaire introductif à la Partie B qui fait état de l'obligation pour toute action communautaire significative d'être dotée d'une base juridique adéquate.

La nécessité d'une réflexion d'ensemble sur ces actions a conduit la Commission à adopter à nouveau, le 22 novembre 1995, une communication sur "L'Union européenne et les aspects extérieurs de la politique des droits de l'homme: de Rome à Maastricht et au-delà » (Com (95) 567 final) ; cette communication à caractère très général, adressée au Conseil et au Parlement, a fait le bilan global des premières années d'intervention dans ce domaine et esquissé à grands traits des priorités pour l'avenir dans le but de renforcer la cohérence et l'efficacité de ces actions.

2. L'aspect budgétaire de la proposition communautaire

L'utilité des actions engagées sur la base de ce règlement n'est cependant pas assurée.

On peut en effet s'interroger sur l'efficacité réelle des initiatives communautaires dans le domaine des droits de l'homme en raison de la variété des actions engagées, de leur éparpillement géographique et du faible montant alloué à chacune elles. Il est en outre particulièrement regrettable que la Commission ne dresse pas un bilan des initiatives prises dans ce domaine, alors que la proposition de règlement envisagée conduit, en les encadrant, à pérenniser de telles actions.

Pour 1997, les lignes budgétaires concernées sont :

- le soutien à la démocratie dans les pays de l'Europe centrale et orientale ainsi que dans l'Europe balkanique (10 millions d'écus) ;

- l'action communautaire d'aide à la démocratie et d'appui au processus de pacification pour les républiques issues de l'ancienne Yougoslavie (5 millions d'écus) ;

- le soutien à la démocratie dans les nouveaux Etats indépendants et la Mongolie (10 millions d'écus) ;

- les droits de l'homme et la démocratie dans les pays en développement (17 millions d'écus) ;

- le processus de démocratisation en Amérique latine (12,625 millions d'écus) ;

- d'autres actions de défense des droits de l'homme (7 millions d'écus) ;

- le programme Meda pour la démocratie (8 millions d'écus) ;

- le soutien aux centres de réhabilitation pour les victimes de tortures et aux organisations offrant une aide concrète aux victimes de violations des droits de l'homme (6 millions d'écus) ;

- le soutien aux activités des tribunaux pénaux internationaux et à la constitution d'un tribunal pénal international permanent (3 millions d'écus) ;

- l'appui et la surveillance des processus électoraux (pm).

Pour l'exercice 1998, un crédit identique de 78,625 millions d'écus est proposé portant sur :

- le soutien à la démocratie dans les pays de l'Europe centrale et orientale ainsi que dans l'Europe balkanique, y compris les républiques issues de l'ancienne Yougoslavie (15 millions d'écus) ;

- le soutien à la démocratie dans les nouveaux Etats indépendants et la Mongolie (10 millions d'écus) ;

- les droits de l'homme et la démocratie dans les pays en développement (17 millions d'écus) ;

- le processus de démocratisation en Amérique latine (12,625 millions d'écus) ;

- d'autres actions en faveur des activités de défense des droits de l'homme et de la démocratie (16 millions d'écus) ;

- le programme Meda pour la démocratie (8 millions d'écus).

Ont disparu de la liste :

- le soutien aux centres de réhabilitation pour les victimes de tortures et aux organisations offrant une aide concrète aux victimes de violations des droits de l'homme ;

- le soutien aux activités des tribunaux pénaux internationaux et à la constitution d'un tribunal pénal international permanent.

Certaines de ces actions sont redondantes avec d'autres engagements de l'Union : par exemple celles portant sur l'Europe centrale et orientale avec les programmes PHARE et TACIS et celles concernant les pays méditerranéens avec le programme MEDA ; elles sont également redondantes avec les actions de la PESC pour ce qui est de l'ancienne Yougoslavie.

3. Les aspects juridiques de la proposition

Si la proposition E 925 paraît mal justifiée d'un point de vue strictement financier, la base juridique de l'article 130 W retenue par la Commission pour justifier ces actions ne paraît pas non plus fondée.

En effet, cette base juridique n'est pas adaptée dans la mesure où l'article 130 U paragraphe 2 ne confère à la Communauté que certaines compétences d'attribution dans le domaine de la politique de coopération au développement, politique qui ne peut se voir limitée à la seule consolidation des droits de l'homme et de la démocratie.

Ce texte va donc bien au-delà des compétences d'attribution dont dispose la Communauté. En l'état actuel de sa rédaction, ce projet de règlement paraît donc dépourvu de toute base juridique ; à tout le moins, la base juridique devrait se limiter à l'article 130W du traité et elle ne pourrait donc pas concerner les actions portant sur les PECOS, les Etats de l'ex-Union soviétique ou celles relevant de la PESC.

La question est juridiquement d'autant plus délicate que la Cour de Justice des Communautés européennes, dans son avis 2/94 du 28 mars 1996, a rappelé que la Communauté n'est pas compétente, en l'état actuel des textes, pour adhérer à la Convention européenne des droits de l'homme pour les raisons suivantes :

- l'ordre juridique communautaire repose sur le principe des compétences d'attribution dont le respect s'impose tant pour l'action interne que pour l'action internationale de la Communauté ;

- aucune disposition du traité ne confère aux institutions communautaires le pouvoir d'édicter des règles en matière de droit de l'homme ;

- l'article 235 du traité ne permet pas d'élargir le domaine des compétences de la Communauté au-delà du cadre général défini par le traité ;

- l'article 235 ne saurait constituer une voie permettant d'amender le traité sans respecter l'article N de ce traité.

Au cours du COREPER du 30 octobre dernier, le problème juridique a divisé les délégations nationales, certaines comme celle de la France contestant la possibilité de fournir une base juridique suffisante par le seul recours à l'article 130 U, d'autres au contraire étant prêtes à suivre la Commission pour des raisons de principe. Une solution a été envisagée sur la base de deux règlements fondés respectivement sur les articles 130 W et 235. Le premier s'intitulerait « règlement fixant les modalités de mise en oeuvre des actions de coopération au développement », et le second « coopération avec des pays tiers autres que celles de coopération au développement ».

La présidence a tenté d'accélérer l'adoption de ces deux règlements dans le cadre du conseil développement du 28 novembre 1997 ; mais cet accord n'a pas été trouvé, faute de temps pour la mise au point des deux règlements, d'autant que le Parlement européen a été saisi sur la base d'un règlement unique dans le cadre de la procédure de coopération ; or le nouveau règlement sur la base de l'article 235 conduit à une simple consultation du Parlement européen. On peut penser que le Parlement européen prendra le temps d'asseoir sa compétence dans le cadre de la procédure de coopération plutôt que dans la procédure de consultation.

Au-delà de l'aspect juridique -certes particulièrement excitant intellectuellement- de la question, il convient surtout de souligner le caractère contestable, et de la procédure suivie jusqu'à présent, et de la nature des actions financières engagées dans le domaine des droits de l'homme et de la démocratie. Il est pour le moins étrange que la Commission ait pu subventionner pendant des années des organisations dans le monde entier sans aucune base juridique et que le Conseil ne s'en soit pas ému.

Compte rendu sommaire

du débat consécutif à la communication

M. Michel Caldaguès :

L'examen de la proposition d'acte communautaire s'adresse certes au Gouvernement, mais il porte également sur une affaire politique grave car il s'agit des prérogatives parlementaires : en effet, ne serait-il pas utile de saisir de ce sujet la Conférence des Organes Spécialisés dans les Affaires Communautaires (COSAC) ? Les interventions financières de l'Europe dans ce domaine ont des incidences politiques qui ne sont actuellement contrôlées par personne.

Mme Danièle Pourtaud :

Je comprends le souci de M. Badré sous l'angle budgétaire, mais s'agissant de l'objet précis de cette proposition de règlement, j'exprime des réserves sur les conclusions qu'il propose.

Je m'interroge en particulier sur l'intention du rapporteur concernant les fonds déjà budgétés pour les actions en faveur des droits de l'homme. Ces actions correspondent à une finalité essentielle de la construction européenne.

Je pense qu'il est utile d'engager des réflexions d'ordre institutionnel pour l'avenir, mais je crains que les conclusions que nous pourrions adopter ne soient ressenties d'abord comme des critiques à l'égard de l'action menée par la Communauté dans ce domaine.

M. Denis Badré :

Je suis très attaché à la construction européenne et aux droits de l'homme. La proposition de règlement qui nous est soumise comporte à la fois un aspect intérieur et un aspect extérieur. Il est indispensable que la Communauté fasse tout son possible pour asseoir son action sur des bases légales incontestables. Si une difficulté venait à survenir dans l'action menée par la Communauté, il serait préférable que les problèmes aient été soulevés dès à présent par nous-mêmes plutôt que beaucoup plus tard, par d'autres qui pourraient alors à juste titre critiquer ces actions et en contester la légitimité. L'intervention européenne en la matière doit être incontestable. Notre intervention sur cette proposition n'est dirigée ni contre le Gouvernement, ni contre l'Europe, ni contre la défense des droits de l'homme.

M. Michel Caldaguès :

Je dois dire qu'au-delà des questions de procédure, la valeur de cette action peut poser problème. Nous ne sommes pas informés des actions menées par la Commission ; c'est pourquoi je ne suis pas choqué par le dernier paragraphe des conclusions proposées par notre rapporteur et qui, d'une certaine manière, constitue pour nous un gage en vue d'améliorer la situation actuelle.

M. Yann Gaillard :

Je suis perplexe devant les conclusions proposées par notre rapporteur car elles mêlent à la fois des questions de procédure et des questions de fond. Je crains qu'on suppose que, par delà la procédure, nous puissions nous prononcer contre la défense des droits de l'homme alors que nous sommes à l'évidence tous en leur faveur.

M. Denis Badré :

Pour que l'action de la Communauté européenne puisse faire autorité dans ce domaine, il faut qu'elle reste inattaquable. Faute de bases juridiques, on peut craindre que l'Europe ne s'engage d'une manière qui peut prêter le flanc à la critique. En tout état de cause, il me semble que notre Délégation devrait élargir cette réflexion à l'ensemble des engagements budgétaires européens qui s'effectuent sans bases légales. C'est pourquoi je vous propose de poursuivre cet examen, dans le cadre d'un rapport d'information parlementaire, non plus sur une action précise comme celle-ci, mais sur l'ensemble des actions budgétaires qui, au sein des dépenses obligatoires de la Communauté, sont dépourvues de base juridique.

En fonction des remarques formulées notamment par Mme Danièle Pourtaud et M. Michel Caldaguès, le rapporteur a apporté plusieurs modifications à son projet de conclusions. La délégation a alors adopté les conclusions dans le texte suivant :

Conclusions

La Délégation du Sénat pour l'Union européenne, prenant à juste titre en compte l'importance des actions engagées pour consolider la démocratie et assurer le respect des droits de l'homme :

- constate que l'Union européenne a pu financer sans base juridique depuis plusieurs années des actions de développement et de consolidation de la démocratie et de l'état de droit ainsi que de respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales;

- souhaite connaître l'efficacité réelle des actions financées par l'Union européenne en la matière et se demande si ces actions entrent toujours dans le champ des compétences couvert par les articles 130 W et 130 U du traité ;

- demande que la Commission dresse un bilan des initiatives prises dans ce domaine, alors que la proposition de règlement envisagée conduit, en les encadrant, à pérenniser de telles actions ;

- considère qu'une partie des actions envisagées au titre de la ligne budgétaire B7-70 (initiative européenne pour la démocratie et la protection des droits de l'homme) devrait mieux répondre à la notion « d'Etat en développement » (notamment les lignes budgétaires B7-7000 : soutien à la démocratie dans les pays de l'Europe centrale et orientale ainsi que dans l'Europe balkanique et B7-705 : Programme MEDA pour la démocratie) et devrait relever des programmes existants tels que PHARE, TACIS et MEDA ;

- estime en outre que d'autres actions (telles celles portant sur la ligne B7-7001 : action communautaire d'aide à la démocratie et d'appui au processus de pacification pour les républiques issues de l'ancienne Yougoslavie) relèvent du titre V du traité relatif à la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ;

- considère enfin que l'adoption éventuelle d'un règlement portant sur les actions « de coopération avec des pays tiers autres que celles de coopération au développement » basé sur l'article 235 pourrait se heurter à l'avis 2/94 de la Cour de justice du 28 mars 1996 qui a arrêté que l'article 235 du traité ne permet pas d'élargir le domaine des compétences de la Communauté au-delà du cadre général défini par le traité et qu'il ne saurait constituer une voie permettant d'amender le traité en dehors du recours à l'article N.