État civil :
Né le 14 novembre 1828
Décédé le 14 mai 1923
Profession :
Ingénieur
Département :
Seine
IIIème République

Ancien sénateur de la IIIe République

Elu le 30 janvier 1876
Elu le 8 janvier 1882
Elu le 4 janvier 1891
Elu le 28 janvier 1900
Elu le 3 janvier 1909
Fin de mandat le 11 janvier 1920 ( Ne se représente pas )

avant 1889  (Extrait du «Robert et Cougny»)
1889-1940  (Extrait du «Jean Jolly»)

avant 1889

FREYCINET (LOUIS-CHARLES DE SAULCES DE), membre du Sénat et ministre, né à Foix (Ariège) le 14 novembre 1828, appartient à une famille de marins et de savants, originaire du Dauphiné. Le contre-amiral Louis-Henri de Saulces de Freycinet (1777-1840) fut gouverneur de l'île Bourbon sous la Restauration, et son frère, Louis-Claude de Saulces de Freycinet (1770-1842), capitaine de vaisseau et navigateur célèbre, fut membre de l'Académie des sciences et l'un des fondateurs de la Société de Géographie. - M. de Freycinet entra, à dix-sept ans, à l'Ecole polytechnique, en sortit parmi les premiers en 1848, dans les mines, après avoir rempli, pour le gouvernement provisoire, diverses missions à Melun et à Bordeaux, et fut successivement ingénieur ordinaire à Mont de-Marsan, à Chartres (1854) et à Bordeaux (1855). Il s'adonnait alors spécialement à des études théoriques, tout en se montrant préoccupé du développement de l'industrie des transports. Choisi en 1856, par la compagnie des chemins de fer du Midi, comme chef de l'exploitation, il demeura cinq années dans ce poste important, et y fit preuve d'une rare capacité de travail en même temps que d'un solide esprit de méthode. Les règlements toujours en vigueur dans les chemins de fer du Midi sont de sa main. Mais certaines susceptibilités s'élevèrent alors contre lui dans le personnel : M. de Freycinet dut donner sa démission. Cette période de sa jeunesse paraît avoir été féconde en oeuvres intellectuelles. C'est alors qu'il composa plusieurs traités de science pure, aujourd'hui complètement épuisés : le Traité de mécanique rationnelle (1858), la Théorie mathématique de la dépense des rampes de chemins de fer (1860), et surtout son grand ouvrage intitule : Etudes sur l'analyse infinitésimale, ou Essai sur la métaphysique du haut calcul, dont il fit paraître plus tard une seconde édition, dans l'intervalle de deux ministères. Rentré comme ingénieur dans les services de l'Etat, M. de Freycinet fut chargé de diverses missions scientifiques et industrielles en France et à l'étranger. Les questions d'assainissement devinrent principalement l'objet de ses études, et il en consigna les résultats dans d'importants rapports adressés au ministère des Travaux publics sur l'Assainissement des industries en Angleterre (1854); sur l'Assainissement industriel et municipal en Belgique et en Suisse (1865); sur l'Assainissement industriel et municipal en France (1866); sur l'Emploi des eaux d'égout à Londres, sur le Travail des femmes et des enfants dans les manufactures de l'Angleterre (1867-1869). Ce dernier rapport fut couronné par l'Institut. M. de Freycinet résuma et définit l'année suivante (1870) toute la série de ses investigations dans deux ouvrages : Traité d'assainissement industriel et Principes de l'assainissement des villes. Nommé ingénieur ordinaire de 1re Classe le 11 avril 1864, et ingénieur en chef le 28 octobre 1865, il avait été promu officier de la Légion d'honneur le 8 août 1870. Conseiller général de Tarn-et-Garonne pour le canton de Nègrepelisse, M. de Freycinet ne s'était montré rien moins qu'hostile au gouvernement impérial, quand survinrent la guerre franco-allemande, puis la chute du second empire. M. de Freycinet ne souhaitait pas la République néanmoins il n'hésita pas à se rendre auprès du gouvernement de la Défense nationale, pour lui offrir, sans réserve, ses services. Il eut un long entretien avec Gambetta, lui expliqua l'idée qu'il se faisait de la direction des intérêts d'un Etat démocratique, et ce qu'il pensait de la situation du pays, de ses ressources et des moyens de salut qui lui restaient, gagna toute la confiance de son interlocuteur, et obtint, séance tenante, le poste de préfet du département de Tarn-et-Garonne. M. de Freycinet partit pour Montauban le 6 septembre 1870. Mais il ne devait pas rester longtemps dans les bureaux d'une préfecture. C'est au centre de l'action, au siège du gouvernement provincial qu'il brûlait de se transporter. Il s'y rendit bientôt, et Gambetta arrivant à Tours, le 7 octobre, l'y retrouva. Ayant réuni dans ses mains le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Guerre, le « dictateur » nomma M. de Freycinet délégué personnel au ministre au département de la guerre (10 octobre). M. de Freycinet a exposé lui-même dans son livre : la Guerre en province pendant le siège de Paris, les difficultés au milieu desquelles se débattit le gouvernement de Tours et les moyens qu'il mit en oeuvre pour les vaincre. L'installation du cabinet du ministre, la reconstitution des cartes par la photographie et l'autographie, la création d'un service des reconnaissances, la réforme des directions de l'infanterie, de l'artillerie, de l'intendance, des services médicaux, de la comptabilité, incombèrent au nouveau délégué. Ce fut lui qui prépara ou étudia dans leur application les différents plans de campagne par lesquels la Défense tenta de repousser l'invasion. Le plan de campagne de l'Est lui paraît dû pour la plus grande partie. Il contribua activement aux opérations de l'armement, et il se vanta plus tard dans son livre d'avoir pu, en moins de quatre mois, envoyer devant l'ennemi environ 600,000 hommes. « Je ne parle, dit-il, que des hommes réellement incorporés et mis en ligne, et non de ceux qui étaient restés en Algérie, dans les camps d'instruction ou dans les dépôts. Je ne parle pas davantage des forces organisées par nos prédécesseurs... Ce chiffre de 600,000 hommes pour la période de cent vingt jours (du 10 octobre au février) pendant laquelle nous sommes restés au pouvoir, représente une organisation moyenne de 5000 hommes ou deux régiments par jour. Ainsi l'administration a pu pendant toute sa durée, envoyer chaque jour à l'ennemi une brigade ou une demi-division. » M. de Freycinet tint de la sorte une place considérable dans l'oeuvre de la Défense nationale ; il y apporta surtout les connaissances techniques indispensables à la solution d'un grand nombre de problèmes spéciaux, l'esprit de méthode, l'activité tenace, et cette opiniâtreté froide et raisonnée qui est la marque des esprits scientifiques. Après l'armistice, M. de Freycinet se retira en même temps que Gambetta, avec qui il s'était constamment trouvé d'accord. Il passa cinq années dans le silence et dans les travaux techniques. Son nom ne reparut dans la presse et dans la politique que lors des élections sénatoriales de janvier 1876, Il posa sa candidature républicaine au Sénat dans le département de la Seine, sous les auspices de Gambetta, dont il se réclama directement dans sa profession de foi ; elle se terminait ainsi : « A côté des grands précurseurs, il y a les hommes qui se vouent à résoudre les problèmes d'administration et d'organisation que soulève l'application des idées nouvelles, Je serais un de ces hommes, et, pour tout résumer en un mot, je demande à être enrôlé par vous dans la phalange scientifique de la République. » Son discours du 21 janvier à la réunion des électeurs sénatoriaux eut un succès de persuasion des plus vifs. Il avait eu soin de se mettre bien au-dessous des autres candidats illustres, des Victor Hugo, des Louis Blanc, « Mon passé est plus modeste, disait-il ; je date politiquement de 1870. » Dans des termes fins et mesurés, il avouait cependant qu'une certaine tendance secrète l'avait porté depuis longtemps vers la République : « En 1848, j'ai été aide de camp du gouvernement provisoire. J'étais alors à l'Ecole polytechnique, et je figurais à la tête des vingt élèves que le gouvernement avait choisis pour établir la communication entre ses divers membres et porter d'un ministère à l'autre les missions confidentielles qu'on n'osait confier au papier. Mais je n'insiste pas sur cet épisode de ma jeunesse. Depuis lors, depuis l'établissement de l'Empire, je me suis renfermé exclusivement dans ma profession d'ingénieur, je me suis occupé d'administration, d'études économiques, de questions sociales. » Et plus loin : «Si je suis venu tard à la République, j'y suis entré par la grande porte et j'ai reçu le baptême, non de l'eau, mais du feu ; car c'est dans la fournaise ardente de la défense nationale que pendant cinq mois j'ai lutté pour mon pays avec mon coeur, avec mes facultés, avec toutes mes forces... » M. de Freycinet fut élu, au premier tour, sénateur de la Seine, le 30 janvier 1876, le 1er sur 5, par 142 voix (209 votants), avec M. Hérold et M. Tolain, tandis que Victor Hugo ne passait qu'au second tour, et M. Peyrat au troisième. Au Sénat il prit place dans la gauche républicaine et acquit vite une influence considérable. Rapporteur de la loi sur la réorganisation de l'armée (novembre 1876), il indiqua à l'Assemblée de la manière la plus lumineuse tous les détails du système nouveau, notamment la subordination de l'intendance au commandement. Malgré la faiblesse de son organe, on le regarda, dès ce jour, connue un orateur d'affaires de premier ordre. Il vota, en juin 1877, contre la dissolution de la Chambre des députés, compta parmi les adversaires du gouvernement du Seize-Mai, puis, le 14 décembre suivant, lorsque la pression des événements et de l'opinion imposa au maréchal de Mac-Mahon le ministère Dufaure-Waddington, M. de Freycinet fut appelé à y prendre le portefeuille des Travaux publics. Il donna, dans la direction de ce service, de nouvelles preuves de ses puissantes facultés d'assimilation et d'une activité incessante, et étendant la portée de son action, il passa bientôt, en fait, au premier plan parmi ses collègues du cabinet. A peine installé, il saisit les Chambres de ce hardi projet d'extension et d'amélioration de nos voies ferrées et de nos voies navigables qui excita une lutte si ardente de doctrines et d'intérêts. Il proposait d'exécuter, en dix ans, pour trois milliards de nouveaux chemins de fer et pour un milliard de canaux, s'efforçait de démontrer que cette tâche gigantesque était facile, et ralliait à son plan son collègue des finances, M. Léon Say. Le 7 mars 1878, la question d'ensemble fut engagée devant le parlement par un premier projet qui tendait au l'achat progressif des lignes de chemins de fer par l'Etat. La Chambre vota à une grande majorité la loi présentée, et, quelques jours plus tard, elle ouvrit au ministre des travaux publics un crédit de 330 millions. Pendant les vacances parlementaires, le ministre entreprit d'abord avec M. Léon Say, puis seul, des voyages dans les départements du Nord et du Sud-Uuest. Il alla inspecter les grands travaux des ports de la Manche et de l'Atlantique, et profita de ces tournées pour expliquer, dans ses discours du Havre, de Boulogne-sur-Mer, de Dunkerque, de Bordeaux, de Saint-Nazaire, de la Rochelle, les vastes plans qu'il avait conçus. La faveur publique lui souriait de plus en plus. A Bordeaux, en réponse à une harangue nettement libre-échangiste de M. Fourcand, il prononça un discours prudent, où, sans renier ses tendances protectionnistes, il s'attachait à établir une subtile distinction entre les principes de la science et les intérêts politiques et concilier. Dans la session qui suivit, M. de Freycinet présenta à M. de Mac-Mahon un rapport sur la réorganisation des voies navigables à compléter parallèlement avec le réseau des voies ferrées, et obtint un décret conforme, rendu le 15 janvier 1879, et qui instituait, en outre, cinq commissions techniques correspondant aux bassins de la France et chargées de dresser le programme et l'ordre des travaux à exécuter. Lorsque M. Jules Grévy fut nommé président de la République et que M. Dufaure eut donné sa démission, M. de Freycinet conserva dans le cabinet Waddington (4 févier 1879) le portefeuille des Travaux publics. Sa situation d'homme d'Etat s'accrut encore par le succès de son intervention dans plusieurs circonstances décisives, par exemple lorsqu'il entraîna le Sénat à voter le retour du parlement dans la capitale, et lorsqu'il obtint de la même assemblée son assentiment aux projets de modification des lois minières, malgré les conclusions contraires de la commission (18-22 février). A dater de cette époque, le nom de M. de Freycinet fut très fréquemment mis en avant comme celui d'un futur président du conseil. En effet, M. Waddington ayant cru devoir se retirer (décembre 1879), M. de Freycinet fut chargé de composer un cabinet. Président du conseil et ministre des Affaires étrangères, il dirigea pour la première fois la marche politique du pays, du 29 décembre 1879 au 19 septembre 1880. Sa première pensée fut de former un cabinet qui embrasserait les éléments de la majorité républicaine les plus éloignés les uns des autres, et il y fit entrer MM. Lepère, Cazot, Jules Ferry, l'amiral Jauréguiberry, le général Farre, M. Cochery, etc. Ministre des Affaires étrangères, il adressa aux représentants de la France à l'étranger une longue circulaire (16 avril 1880), dans laquelle il passait en revue toutes les questions pendantes depuis le congrès de Berlin. Président du conseil et chef du gouvernement intérieur, il prit parti d'abord contre la proposition d'amnistie plénière déposée par Louis Blanc, mais il réserva l'avenir, et, comme on approchait de la fête nationale du 14 juillet, il se décida, quoique sans empressement, à porter lui-même au parlement un projet d'amnistie, qu'il défendit avec succès devant la Chambre et devant le Sénat. D'autre part, il se trouva placé en face d'une question fort épineuse, qui n'aboutit pas aussi heureusement pour lui ; l'affaire des congrégations religieuses, auxquelles la Chambre voulut appliquer « les lois existantes », après le rejet de l'article 7, entraîna la chute de M. de Freycinet. Son esprit de finesse et d'analyse lui avait suggéré l'idée des deux décrets du 29 mars, dont l'un prononçait la dispersion absolue de la Compagnie de Jésus, taudis que l'autre offrait aux congrégations non autorisées d'hommes et de femmes divers moyens de salut, pourvu qu'elles demandassent et obtinssent la reconnaissance légale. L'élasticité de ce second décret et le très vif désir que M. de Freycinet avait d'en user avec une extrême modération, alors que le parti démocratique réclamait des mesures de rigueur contre les « cléricaux », furent les véritables causes de la démission du président du conseil le 19 décembre 1880. Dans un discours prononcé à Montauban, pendant les vacances parlementaires, il avait dit que « le second décret du 29 mars n'avait pu fixer l'heure de la dissolution des congrégations, que le gouvernement était maître de choisir sa date, qu'il réglerait sa conduite suivant les nécessités et les circonstances». Plusieurs membres du parti républicain accusèrent M. de Freycinet de suivre une politique personnelle, le cabinet se divisa en deux parties, et M. de Freycinet, à peine rentré à Paris, se retira spontanément, quelques jours après que la République française lui avait adressé cet avertissement significatif : Trop de villégiature nuit quelquefois. M. de Freycinet fut réélu sénateur de la Seine, aux élections sénatoriales du 8 janvier 1882, par 102 voix sur 202 votants, au 2e tour de scrutin, et, le même jour, fut également nommé sénateur, dans l'Ariège, en remplacement de M. Anglade, décédé, par 205 voix (378 votants), aux Indes françaises, par 43 voix (46 votants) ; et dans le Tarn-et-Garonne par 153 voix (246 votants). M. de Freyciuet opta pour la Seine. Après la chute du cabinet Gambetta (26 janvier 1882), dont il avait refusé de faire partie, il fut appelé à reprendre la direction des affaires, et fut de nouveau, le 30 janvier, président du conseil et ministre des Affaires étrangères. Le lendemain, il annonçait, dans la déclaration du gouvernement aux Chambres, sa résolution d'ajourner les questions constitutionnelles, qui venaient de troubler le parlement, et d'inaugurer la politique des réformes pratiques et des affaires, Un peu plus tard, les interpellations sur les affaires égyptiennes (23 février) lui fournirent l'occasion d'affirmer son éloignement pour toute politique d'aventures. M. de Freycinet se vit, dans ce second et court ministère, en butte à la sourde opposition des « gambettistes » purs, qui ne lui pardonnaient pas d'avoir accepté la succession de l'homme qu'il avait nommé son ami et son maître. Ils lui reprochèrent aigrement la « dislocation de la majorité parlementaire », la « ruine de l'influence française sur les rivages de la Méditerranée », et l'affaissement de la politique générale. Annonçant des intentions « libérales » qui contrastaient avec l'allure autoritaire du cabinet précédent, M. de Freycinet s'était efforcé de grouper autour de lui, dans le parlement, les éléments les plus divers, donnant certaines satisfactions à la droite, et promettant à l'extrême gauche, dont certains membres, tels que MM. Henry Maret et de Lanessan, le soutenaient ouvertement, la mise à l'ordre du jour de quelques-unes des réformes réclamées par les radicaux, par exemple l'établissement de la mairie centrale de Paris. Ce fut sur la question extérieure que le ministère tomba. Lorsqu'il eut donné l'ordre à la flotte ancrée devant Alexandrie de quitter le port, au moment du bombardement de la ville par les Anglais, et de se retirer à Port-Saïd (11 juillet), la Chambre consentit à voter un crédit de huit millions pour les augmentations de forces navales que les éventualités rendaient nécessaires, mais elle refusa d'accorder un nouveau crédit de 9,400,000 francs, pour les frais d'une occupation du canal de Suez, trouvant équivoque la politique de M. de Freycinet. Le cabinet alors donna sa démission, et le portefeuille des Affaires étrangères passa à M. Duclerc avec la présidence du conseil. Après la chute du cabinet J. Ferry (31 mars 1885), M. de Freycinet, vivement sollicité par le président de la République, tenta de former un ministère ; mais il ne réussit pas dans cette mission, qui échut définitivement à M. Henri Brisson ; il eut seulement dans la combinaison nouvelle (6 avril 1885) le département des Affaires étrangères. Malgré la conclusion de la paix de Tien-Tsin avec la Chine, l'expédition du Tonkin n'en restait pas moins au nombre des plus graves embarras du gouvernement. Dès l'ouverture de la session de la Chambre nouvelle, un débat extrêmement vif s'engagea sur une nouvelle demande de crédits de 70 millions destinés à la continuation de la politique coloniale au Tonkin et à Madagascar. M. de Freycinet dut soutenir, pour sa part, cette demande à la tribune : en dépit de la précaution qu'il prit d'y joindre l'annonce du traité qui se concluait au moment même à Madagascar et terminait la guerre avec les Hovas, les crédits réclamés ne furent adoptés qu'à une majorité excessivement faible, et dont les chiffres furent même contestés. M. H. Brisson se retira alors, avec tous ses collègues. M. de Freycinet fut chargé de reconstituer le cabinet ; il s'acquitta de cette tâche (7 janvier 1886) en reprenant pour collaborateurs plusieurs membres du ministère de la veille auxquels il adjoignit quelques députés d'une nuance plus avancée. Pour la troisième fois, il était investi du département des Affaires étrangères avec la présidence du conseil (7 janvier 1836). Les termes de sa déclaration aux Chambres, dont il donna lecture le 16 janvier, furent très remarqués et commentés : il insistait principalement sur la nécessité d'exiger des fonctionnaires de tout ordre un concours dévoué ; de maintenir la stricte observation des clauses du Concordat de suivre, en matière budgétaire, un système d'économies et d'éviter les emprunts comme les impôts nouveaux. Un des premiers et des principaux actes de M. de Freycinet à ce moment, fut l'organisation administrative des pays placés sous le protectorat de la France : cette organisation se trouva dès lors directement rattachée au département des Affaires étrangères. Peu après son entrée au ministère, la proposition Duché, relative à l'expulsion « des princes des dynasties déchues », lui créa des difficultés. Il exprima en vain le désir de la voir retirer, et il lui fallut se rallier à la proposition Rivet, qui laissait au cabinet, une certaine latitude, et qu'il réussit d'ailleurs très habilement à faire remplacer, au moment de la discussion, par un ordre du jour de confiance « dans la fermeté du gouvernement», voté (4 mars 1886) par 319 voix contre 179. Il fut moins heureux dans le débat motivé par la grève de Decazeville, et dut accepter un ordre du jour motivé qui semblait encourager les grévistes (11 mars). Après avoir fait voter à la Chambre et au Sénat le traité du 17 décembre 1885 avec la reine de Madagascar, il refusa de s'associer (avril) à l'ultimatum adressé par les grandes puissances à la Grèce en conflit avec la Turquie, et, lorsque revint, (juin) la discussion sur l'expulsion des princes, dans un discours plein de nuances discrètes et d'insinuations voilées, justifia l'initiative que le gouvernement avait été obligé de prendre, sans cependant appuyer les arguments de l'extrême gauche. Il se montra assez ferme (juillet) dans sa politique au Tonkin et à Madagascar, mais fit des concessions peut-être exagérées dans la question du Congo et des Nouvelles-Hébrides. Au cours de la discussion du budget de 1887, il défendit contre la majorité l'institution des sous-secrétaires d'Etat (novembre); il réussit même, le 2 décembre, à faire voter, à 24 voix de majorité, le traitement du sous-secrétaire d'Etat à l'intérieur ; mais, le lendemain, sur le crédit relatif au traitement des sous-préfets, M. Colfavru en demanda la suppression, M. de Douville-Maillefeu l'appuya, et le crédit fut rejeté par 262 voix contre 249. Le cabinet donna immédiatement sa démission. Redevenu simple sénateur, M. de Freycinet défendit (mai 1887) le projet de séparation du conseil général de la Seille et du conseil municipal de Paris, et, lors de la chute du cabinet Goblet, fut appelé, le 18 mai, par le président de la République, à former un nouveau ministère ; mais dès le 20, M. de Freycinet déclinait cette mission, sur le refus de M. Clemenceau de soutenir désormais des combinaisons hétérogènes. Rappelé huit jours après, il échoua une seconde fois dans sa mission, ayant refusé à son tour aux présidents des trois groupes de gauche du Sénat le renvoi du général Boulanger du ministère de la guerre. M. Grévy s'adressa encore à lui lors de la crise soulevé par les incidents Wilson (novembre 1887); mais M. de Freycinet répondit, comme les autres, que la démission de M. Grévy était la seule solution possible. Lorsqu'elle eut été donnée, il fut un moment le candidat des radicaux à la présidence de la République, et il obtint, à la réunion convoquée par ceux-ci, le 2 décembre, 190 voix coutre 83 à M. Brisson et 27 à M. Carnot. La réunion plénière des gauches, tenue le lendemain à Versailles, lui donna encore 192 voix, contre 200 à M. J. Ferry; mais M. Clemenceau, craignant le triomphe de M. Ferry, engagea ses amis à voter pour un plus modéré, et, à un troisième tour, M. de Freycinet n'eut plus que 109 voix, tandis que M. Carnot montait à 162. Quelques heures après, au Congrès, le 1er tour de scrutin donna 76 voix à M. de Freycinet, et 5 seulement au second tour ; M. Carnot était nommé par 616 suffrages. L'intervention de M. de Freycinet ne fut dès lors pas très active dans les débats parlementaires, jusqu'à son entrée (3 avril 1888) dans le cabinet Floquet, avec le portefeuille de la Guerre. Il adressa en cette qualité une circulaire aux commandants le corps d'armée, dans laquelle il déclarait vouloir que «l'armée de la France, l'armée du devoir, fut la gardienne des institutions républicaines et des lois »; il défendit au Sénat (mai) la loi sur le recrutement votée par la Chambre l'année précédente, annonça (octobre) à la commission du budget de 1889 que les travaux de fortification et d'armement absorberaient 500 millions, dont 138 millions pour l'année prochaine, et réussit (décembre) à faire voter ses propositions. Lors de la chute du cabinet Floquet (14 février 1889) sur la question de l'ajournement de la révision de la Constitution, il conserva dans le cabinet Tirard, qui vint, après, le portefeuille de la Guerre, et vota, au Sénat en dernier lieu, pour le rétablissement du scrutin d'arrondissement (11 février 1889), s'abstint sur le projet de loi Lisbonne restrictif de la liberté de la presse, et se prononça pour la procédure à suivre devant le Sénat contre le général Boulanger.

Un biographe, M. Hector Dépasse, a esquissé ainsi qu'il suit la physionomie parlementaire et politique de M. de Freycinet : « Entre les figures ondoyantes et diverses de ce temps, celle-ci a sa mobilité propre. M. de Freycinet réunit les contrastes, associe les extrêmes avec une facilité surprenante. Il est fait pour être berger d'un troupeau où les loups et les moutons sautent pêle-mêle sous la même houlette. Il compose une politique et un gouvernement avec des éléments d'extrême droite et d'extrême gauche chimie transcendante et miraculeuse. Où le prendre ? Par quel côté le saisir sans lui faire tort et sans méconnaître au moins la moitié de lui-même ? C'est un politique conservateur et modéré : élevé dans les principes et dans les habitudes de la science expérimentale, il ne met un pied devant l'autre qu'avec des précautions infinies, il s'avance avec des calculs savants, l'oeil sur la boussole, sa montre à la main ; tous les instruments de mathématique et de précision dont il connaît à fond les lois sont disposés autour de lui pour régler ses mouvements et ses pensées. Attendez un moment : le voilà emporté à corps perdu sur la ponte des aventures, parmi les impossibilités.... Quand M. de Freycinet est à la tribune, devant une assemblée politique, expliquant un budget ou un plan général de travaux, il coule de source, il a le charme. Sa pensée s'infiltre et se répand dans l'auditoire mêlé qui l'écoute, fait tout doucement le tour des esprits, détache celui-ci, puis celui-là, désagrège les groupes qui se tenaient d'abord sur la défensive et en emporte dans son cours tranquille les molécules insensiblement séparées...» - M. de Freycinet a été promu inspecteur général des mines de 2e classe le 24 septembre 1883. Il a été élu membre libre de l'Académie des sciences le 8 mai 1882.

Extrait du « Dictionnaire des Parlementaires français », Robert et Cougny (1889)

1889-1940

FREYCINET (LOUIS, CHARLES DE SAULCES de), né le 14 novembre 1828 à Foix (Ariège), mort le 14 mai 1923 à Paris.

Sénateur de la Seine de 1876 à 1920.

Ministre des Travaux publics du 13 décembre 1877 au 28 décembre 1879.

Président du Conseil et Ministre des Affaires étrangères du 28 décembre 1879 au 23 septembre 1880.

Président du Conseil et Ministre des Affaires étrangères du 30 janvier au 7 août 1882.

Ministre des Affaires étrangères du 6 avril 1885 au 7 janvier 1886.

Président du Conseil et Ministre des Affaires étrangères du 7 janvier au 11 décembre 1886.

Ministre de la Guerre du 3 avril 1888 au 17 mars 1890.

Président du Conseil et Ministre de la Guerre du 17 mars 1890 au 27 février 1892.

Ministre de la Guerre du 27 février 1892 au 11 janvier 1893.

Ministre de la Guerre du 1er novembre 1898 au 6 mai 1899.

Ministre d'Etat du 29 octobre 1915 au 12 décembre 1916.

(Voir première partie de la biographie dans ROBERT ET COUGNY, Dictionnaire des Parlementaires, t. III, p. 71.)

L'année 1889 marquait le centenaire de la Révolution. Les républicains au pouvoir avaient voulu faire de cette commémoration l'apothéose du régime en montrant que la IIIe République était digne de sa glorieuse devancière. Le 5 mai, anniversaire de la réunion des Etats-Généraux, le président Sadi Carnot, petit-fils de l'organisateur de la Victoire, présidait une cérémonie commémorative et, le lendemain, il se rendait sur le Champ-de-Mars, haut lieu de la fête de la Fédération, pour inaugurer l'Exposition universelle. De l'applaudissement universel, M. de Freycinet, ministre de la Guerre du cabinet Tirard, recueillait sa part de satisfaction personnelle. N'était-ce pas lui qui, ministre des Travaux publics dans les cabinets Dufaure et Waddington, avait lancé le mouvement par son fameux plan de développement des voies ferrées et des voies navigables ?

Charles de Freycinet venait d'atteindre la soixantaine. Il avait été trois fois président du Conseil et avait à ce moment une solide réputation d'habile manoeuvrier. Ingénieur issu de l'Ecole Polytechnique, il s'était révélé un remarquable technicien des moyens de communication et de ce que l'on appelle aujourd'hui l'aménagement du territoire. Mais c'est dans son oeuvre au ministère de la Guerre que Freycinet révélera ses très grandes qualités d'organisateur. L'oeuvre qu'il y accomplit, en effet, fut capitale ; Moltke lui en a rendu témoignage, déclarant qu'il avait largement contribué à la résurrection de l'armée française. Il y parvint par la modernisation de l'armée pourtant vouée alors à la vie de caserne et par sa démocratisation, la suppression des dispenses qui provoquaient tant d'inégalités dans l'exécution du service.

Après que le cabinet Tirard fut tombé sur le problème de la politique douanière, Freycinet va prendre la présidence du Conseil pour deux ans, du 17 mars 1890 au 27 février 1892 ; c'est de loin le plus long de ceux qu'il a présidés. Placé entre l'agitation boulangiste et le scandale de Panama, il connut des heures relativement paisibles et même quelques succès. Sur le plan social, il dut faire face aux premières manifestations du 1er mai. Celles de 1891, à Fourmies, dégénérèrent en une fusillade qui fit plusieurs victimes. Un début de législation sociale marque cette période : loi du 8 juillet 1890 sur les délégués mineurs, loi du 2 juillet 1890 sur la suppression des livrets ouvriers ; préparation de la loi du 31 octobre 1892 sur le travail des femmes et des enfants.

Le vote des tarifs douaniers en 1892 occupa longuement les Chambres pendant toute la durée du ministère.

Charles de Freycinet n'avait pas été, dans ses précédents cabinets, un grand ministre des affaires étrangères. Mais il faut lui rendre cette justice que c'est sous sa direction et en plein accord avec lui que Ribot réussit le coup de maître de l'alliance franco-russe. Désormais, la France cessait d'être isolée.

Le ministère tomba sur la question religieuse. Il avait cependant commencé sous d'heureux auspices à cet égard, en raison de la politique de ralliement, dont le cardinal Lavigerie, archevêque d'Alger, s'était fait le champion. Les incidents qui se produisirent lors de pèlerinages ouvriers à Rome, la circulaire de Fallières, ministre des Cultes, invitant les évêques à supprimer ces pèlerinages, la réplique cinglante de l'archevêque d'Aix envenimèrent de nouveau les rapports entre l'Eglise et l'Etat. Le gouvernement, pris entre les feux croisés de la droite et des radicaux, se retira.

Freycinet put cependant poursuivre son oeuvre au ministère de la Guerre pendant onze mois encore, sous deux cabinets différents. Mais sans que son nom soit jamais officiellement prononcé, il fut indirectement compromis dans l'affaire de Panama. Simplement, le 10 janvier 1892, il fut discrètement éliminé au cours du remaniement du cabinet Ribot.

Charles de Freycinet rentre dans le rang, entouré du respect de ses collègues. Il se tint quelques mois sur la réserve, mais il ne pouvait rester inactif. Il est élu en 1894 président de la commission de l'armée au Sénat, poste important et délicat en cette période où commence l'affaire Dreyfus.

Le 1er novembre 1898, il est de nouveau ministre de la Guerre, dans le quatrième Cabinet Dupuy. Freycinet est alors dans sa 70e année et l'acceptation d'un tel portefeuille, en de semblables circonstances, constitue une preuve de dévouement. Faire respecter l'armée, ce sera la mission de confiance que devra assumer Freycinet. Mais le climat politique est tel qu'il n'y pourra pas tenir plus de six mois et demi. « Je suis trop vieux pour la bataille », confiera-t-il à Raymond Poincaré.

Freycinet, apparemment, n'était pas très favorable à la cause de Dreyfus. L'opposition révélera après sa démission et malgré les dénégations gouvernementales, qu'un désaccord sérieux l'opposait à ce sujet à Delcassé. Mais officiellement, la raison de son départ fut l'extrême découragement qu'il ressentait après une interpellation des plus houleuses.

Ce départ était un adieu, ou presque. Freycinet retourna à la présidence de la commission sénatoriale de l'armée. Ses interventions en séance publique se raréfièrent au fil des années. Esprit universel et travailleur acharné, il écrivit alors, en dehors de quelques souvenirs politiques, comme son ouvrage sur La Question d'Egypte (1905) des oeuvres de hautes mathématiques : Les planètes télescopiques, application de la théorie de Laplace (1900), Sur les principes de la mécanique rationnelle (1902), De l'expérience en géométrie (1903).

Il fera une symbolique réapparition au gouvernement d'octobre 1915 à décembre 1916 comme ministre d'Etat dans un cabinet Briand. A 87 ans il faisait encore l'admiration de Poincaré par son énergie au travail et l'intelligence de ses vues.

En 1920, il se retirait définitivement de la vie politique après avoir été constamment réélu, dès le premier tour, les 4 janvier 1891, 28 janvier 1900 et 3 janvier 1909, avec 579 voix sur 667 votants, 456 sur 765 et 630 sur 934.

Il mourait à Paris le 14 mai 1923, dans sa 95e année. Comme il occupait à l'Académie française, depuis 1891, le fauteuil d'Emile Augier, son éloge y fut prononcé le 11 février 1926. Son successeur, Emile Picard, concluait ainsi : « Un homme n'a pas été mêlé pendant cinquante ans aux affaires de son pays sans être en butte à bien des critiques. Mais quelque jugement que l'Histoire prononce sur certains points de son oeuvre, le délégué de 1870 qui, en des circonstances désespérées, réussit à organiser la défense nationale, le ministre de la guerre qui mit notre armée au niveau de sa tâche nous apparaît dès aujourd'hui comme ayant bien mérité de la Patrie. »

Extrait du « Dictionnaire des Parlementaires français », Jean Jolly (1960/1977)

Extrait de la table nominative

Résumé de l'ensemble des travaux parlementaire
de Louis de SAULCES de FREYCINET

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