Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Daniel Breuiller. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, penser l’avenir, c’est l’idée que l’on se fait d’une loi de programmation. Je ne parle pas ici de boucliers nécessaires, même lorsqu’ils sont mal ciblés, ni d’orthodoxie budgétaire réaffirmée et amplifiée sous le nom de « sérieux budgétaire ». Je parle bien de penser l’avenir, notamment le bouleversement climatique et les désordres qu’il induira, ainsi que les moyens de l’indispensable mutation pour y répondre.

Cela n’est pas possible en poursuivant le désarmement financier de l’État et la mise au pain sec des collectivités. Entendez les scientifiques, messieurs les ministres : la dette climatique coûte et coûtera plus cher que la dette financière !

Chaque année d’inaction ou de petits pas nous condamne à devoir faire face à des sécheresses durables et étendues, à des inondations, canicules, incendies ou tempêtes qui détruisent des villages entiers : Bihucourt dans le Pas-de-Calais, Osani en Corse, après la Roya, et avant qui ? Ce sera de plus en plus dur et de plus en plus douloureux, mais d’abord pour les plus modestes d’entre nous.

Sur le plan social, cette loi de programmation est libérale. Elle est encore durcie par la volonté de la majorité sénatoriale de procéder à des coupes massives dans les dépenses publiques et d’accélérer la réduction de la dette, au risque de faire basculer le pays dans la récession, d’aggraver le sentiment d’injustice et de poursuivre l’effondrement continu des services publics.

L’hôpital, l’école, les universités, l’Office national des forêts (ONF)… tant de services publics sont déjà à la peine ; les cinq minutes qui me sont accordées ne suffiraient pas à tous les citer.

Pourtant, cet entêtement à vouloir baisser les prélèvements obligatoires a réussi sur un point par le passé : il a entraîné la hausse record des dividendes, dont nous détenons le – triste à mon sens – record d’Europe.

Quand la France entière fait des kilomètres de queue à la pompe pour payer un carburant trop cher au détriment d’autres dépenses essentielles, comment accepter qu’une entreprise comme TotalEnergies dégage 6,6 milliards d’euros de bénéfice au troisième trimestre 2022 ? C’est indécent pour les salariés comme pour les citoyens, comme le sont les presque 60 milliards d’euros de dividendes versés par le CAC 40 l’an passé dans notre pays. Car oui, il y a de l’argent !

Total est l’illustration ultime et caricaturale du système que vous soutenez mordicus. La baisse de la contribution des plus aisés n’est pas plus acceptable, car l’impôt reste l’outil indispensable d’une société juste et civilisée.

C’est pourquoi les écologistes refusent la suppression de la CVAE, revendiquent une taxation des dividendes supérieure à celle du travail et proposent un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) climatique. Cet encouragement à être vertueux et solidaire repose sur l’inclusion, dans le calcul de l’impôt des plus fortunés, d’un malus assis sur l’empreinte carbone de leur patrimoine financier.

Nous vous proposons aussi la création d’une loi de programmation pluriannuelle des financements de la transition écologique qui assurerait une meilleure visibilité aux entreprises, aux ménages, aux investisseurs comme aux collectivités territoriales.

Pour les entreprises, il serait de bon sens que l’octroi des aides publiques soit systématiquement conditionné à des contreparties sociales et écologiques.

Il y a urgence aussi pour les collectivités. Vous ne cessez de diminuer leur autonomie et la capacité à agir des communes. Vous ne les protégez pas ou pas assez face à l’inflation et au coût spéculatif de l’énergie.

Vous et vos prédécesseurs leur avez retiré la quasi-totalité de leurs pouvoirs fiscaux. Cela ne vous suffit pas : vous voulez aussi contrôler leurs dépenses. La réduction des charges de fonctionnement relève non plus, chez vous, du domaine de l’entêtement, mais de l’obsession, surtout quand il s’agit des charges de fonctionnement des autres !

Baisser les charges de fonctionnement signifie-t-il cesser d’accueillir les tout-petits dans les crèches, les enfants à la cantine, fermer des médiathèques, des espaces culturels, des équipements sportifs, des centres de loisirs ou encore les centres de santé, que vous étiez bien heureux de voir transformés en centres de vaccination pour tous voilà quelques mois ?

Rien ne le justifie, car les collectivités sont gérées sainement, sans déficit, contrairement à notre État jacobin. Elles investissent massivement et utilement pour l’ensemble du pays. Vous devriez au contraire les soutenir. Elles sont le laboratoire innovant de nombreuses politiques publiques nécessaires pour la transition. Elles sont enfin, en cette période de crise, un rempart démocratique que, sur toutes les travées, nous devrions soutenir et respecter. Il faut miser sur elles. Avec résilience, elles gèrent le quotidien et construisent l’avenir.

C’est ce que nous attendons des lois de programmation. C’est pourquoi nous ne voterons pas celle-ci. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées des groupes SER et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Didier Rambaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui devant un choix décisif qui engagera notre responsabilité pour les cinq prochaines années. En cela, c’est même de l’avenir de notre pays et de ses finances que nous sommes amenés à discuter.

Cela fait des mois que le Haut Conseil des finances publiques nous affirme qu’il sera nécessaire de modifier les règles communes du pacte de stabilité européen. Quelle que soit cependant la souplesse qui sera accordée aux États pour affronter les crises au moyen d’une politique contracyclique ambitieuse, il est impératif que nous gardions le cap des 3 % de déficit.

Réduire la dette doit également être un cap prioritaire en sortie de crise, car, depuis le début des années 2000, celle-ci n’a jamais décru, tous gouvernements confondus.

L’ampleur des deux crises survenues depuis 2007 n’y est pas étrangère. Lorsque le monde s’est arrêté, en 2020, l’État a soutenu l’économie, les collectivités locales et les Français au prix d’un effort budgétaire sans précédent, dont nous ne devons pas oublier le poids.

Ce poids considérable appelle à redresser le cap en sortie de crise. Nous avons une trajectoire, fixée dans le cadre du programme de stabilité, qui nous engage vis-à-vis de nos partenaires européens. Les élus locaux connaissent bien le devoir de responsabilité qui doit nous animer. C’est celui qui anime les maires au quotidien dans la gestion de leurs comptes.

Si nous suivons la trajectoire fixée par le Gouvernement, nous tiendrons l’objectif de 5 % de déficit l’an prochain, après avoir tenu l’objectif pour cette année, et nous serons revenus sous les 3 % en 2027.

La trajectoire présentée par le Gouvernement prévoyait de diminuer la dépense publique de 2,6 % en volume en 2023. En part de PIB, elle doit passer de 57,6 % à 56,6 % l’an prochain et tomber à 53,8 % en 2027. C’est l’effort le plus soutenu depuis vingt ans.

Certains, à ma droite, affirment pourtant que l’effort n’est pas suffisant et que les réformes structurelles qui l’appuieront ne sont pas assez documentées. (M. Vincent Segouin sexclame.) Permettez-moi de vous rappeler que ce n’est pas à une loi de programmation d’inscrire dans le marbre ni le calendrier ni les modalités des réformes à venir. C’est frustrant, j’en conviens, mais nous devons fixer un cap, et non préempter ce qu’il appartiendra au Gouvernement et à la discussion parlementaire de fixer en temps voulu.

J’ajoute également que nous avons des éléments sur les réformes à venir. La réforme des retraites devrait aboutir dès l’été 2023. Pour ce qui est de l’assurance chômage, il appartient désormais à la commission mixte paritaire de se prononcer.

Monsieur le rapporteur, je tenais à vous citer : « L’ensemble des réformes structurelles évoquées par le Gouvernement sont absolument nécessaires. Nous avons besoin d’une réforme des retraites. Nous avons besoin de renforcer le taux d’activité des seniors. Nous avons besoin de réformer le fonctionnement de l’assurance chômage et du service public de l’emploi pour réduire le taux de chômage. »

Vous réclamez une réforme des retraites plus importante que celle qui a été annoncée par le Président de la République sans nous dire au juste ce que vous entendez par là. L’instant d’avant, vous nous disiez que les contours du projet présidentiel n’étaient pas clairs… Il faudrait savoir !

Je m’interroge aussi sur vos propos en commission. Vous avez affirmé, à grand renfort de chiffres et de graphiques, que les effets des réformes du Gouvernement sur la croissance et le déficit étaient surestimés et sous-documentés. L’instant d’après, vous jugiez la trajectoire peu ambitieuse…

Chers collègues de la majorité sénatoriale, pourriez-vous alors nous expliquer comment vous comptez procéder pour aller plus loin ?

En réalité, toute cette apparente radicalité vole en éclats lorsqu’il s’agit des collectivités locales. Vous validez la trajectoire des concours financiers aux collectivités locales prévue par le Gouvernement, et c’est tant mieux ! Vous nous dites que les collectivités territoriales ont pris leur part dans le redressement des comptes publics au cours des derniers quinquennats ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. C’est vrai !

M. Didier Rambaud. C’est exact ! Au cours du précédent quinquennat, l’État a pris plus que sa part pour protéger les collectivités face à la crise. En 2020, le déficit des collectivités s’élevait à 0,15 point quand celui de l’État et de la sécurité sociale s’est envolé à 8,8 points.

Dès 2021, certaines collectivités ont retrouvé des marges excédentaires quand l’État a continué d’absorber le choc. C’est le choix courageux que nous avons fait. Dans le contexte actuel, chacun doit prendre sa part des erreurs du passé et contribuer au rétablissement des comptes de la Nation.

M. Jean-François Husson, rapporteur. Nous l’avons fait !

M. Didier Rambaud. Je partage cependant votre inquiétude face aux fortes incertitudes dues à l’inflation et à la crise énergétique. Les dépenses de fonctionnement des collectivités sont terriblement contraintes, et nous pouvons nous interroger sur la soutenabilité d’une trajectoire à cinq ans si l’inflation venait à dépasser les seuils de référence.

Monsieur le ministre, je compte sur vous pour nous rassurer, dans cette hypothèse, sur la souplesse du mécanisme que vous réintroduisez à l’article 23.

Le dispositif permet par ailleurs de répondre aux principales critiques qui ont été formulées à propos des contrats de Cahors. Sous réserve de cette précision, je soutiendrai son rétablissement.

Avec ce nouveau dispositif, qui concerne uniquement – je le rappelle – les collectivités dont le budget dépasse les 40 millions d’euros, soit les quelque 500 plus grandes collectivités de notre pays, les objectifs seront fixés par strate. Au bout d’un an, nous vérifierons si la strate a atteint son objectif.

M. Jean-François Husson, rapporteur. C’est stratosphérique !

M. Didier Rambaud. Tout cela repose donc a priori sur une relation de confiance, puisque les mesures de correction qui s’imposent n’interviendront que si les objectifs ne sont pas atteints.

Je rappelle qu’Intercommunalités de France a salué le dispositif, tout comme l’Assemblée des départements de France, sous réserve de certains aménagements qui devraient être retenus.

Le Gouvernement aurait pu, comme sous le quinquennat Sarkozy, rogner peu à peu sur la DGF, jusqu’à son gel brutal en 2011. Nous aurions pu, comme sous le quinquennat Hollande, sabrer la DGF, qui, je le rappelle, avait baissé de 12,5 milliards d’euros.

Au contraire, en proposant pour la première fois depuis treize ans d’augmenter la DGF de 320 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2023, le Gouvernement fait le choix de la confiance : un choix que le groupe RDPI soutiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Rémi Féraud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà cinq ans, notre collègue Thierry Carcenac intervenait au nom du groupe socialiste sur le texte traçant les perspectives budgétaires du précédent quinquennat. Il alertait alors sur plusieurs points essentiels : l’injustice fiscale et sociale des mesures annoncées, les relations déjà dégradées de l’État avec les collectivités territoriales et le manque criant de soutien aux services publics de notre pays.

À la lecture de la loi de programmation des finances publiques soumise à notre examen, rien ne semble avoir fondamentalement changé dans la politique menée, à la différence près que, cette fois, monsieur le ministre, vous n’avez pas trouvé de majorité à l’Assemblée nationale pour l’approuver. Surtout, la loi de programmation présentée ne tire pas les enseignements des cinq années écoulées. Ainsi, la crise des « gilets jaunes » a montré – et avec quelle acuité ! – la nécessité de renforcer la présence des services publics sur l’ensemble du territoire, ainsi que l’enjeu crucial du pouvoir d’achat et de la justice sociale.

La crise sanitaire a mis en lumière les défaillances de notre système de santé et bouleversé l’économie mondiale. Le retour de la guerre en Europe a entravé la reprise de l’activité et amplifié l’inflation, qui pousse nombre de nos concitoyens dans la difficulté ou dans la pauvreté.

La remontée des taux d’intérêt a commencé, et personne ne sait où elle s’arrêtera. Enfin, la politique du ruissellement est de plus en plus largement reconnue comme un échec, jusqu’à la Maison Blanche désormais.

Malgré l’accumulation de crises et l’accroissement des inégalités dans notre pays, malgré l’impréparation écologique, malgré les alertes sur l’état de nos finances publiques, ce projet de loi de programmation confirme l’orientation libérale choisie par le Gouvernement depuis cinq ans, une orientation – il faut le reconnaître – totalement assumée.

Il poursuit le mouvement de désarmement fiscal et une « maîtrise » de la dépense publique qui est la conséquence de l’appauvrissement de l’État, tout en restant pourtant toujours insuffisante aux yeux de la majorité sénatoriale.

Monsieur le ministre, la politique budgétaire que vous prévoyez pour les cinq prochaines années met en péril, à notre avis, à la fois le redressement de nos services publics et les marges de manœuvre des collectivités locales, déjà fortement mises à mal.

Qu’il s’agisse des collectivités territoriales ou de l’hôpital public, les Ségur ou le pacte de confiance que vous proposez ne suffiront pas à leur sortir la tête de l’eau. Qu’en est-il, en outre, des salaires des enseignants et de leur augmentation si urgente ? Qu’en est-il des investissements dans le ferroviaire ? Qu’en est-il de l’investissement dans la rénovation énergétique ?

La liste des besoins est longue, et le tableau que dresse le Gouvernement des différentes missions budgétaires reste entièrement centré sur les missions régaliennes. Ces dernières nécessitent, certes, des moyens supplémentaires, mais les chiffres sont d’autant plus inquiétants sur l’ensemble des autres missions, surtout si l’on tient compte de l’inflation.

Au contraire, pour sortir par le haut des crises, économique, sociale, écologique et démocratique actuelles, notre pays devrait répondre avec volontarisme à trois grands enjeux : réduire les inégalités de revenus et, surtout, de patrimoine, redonner de la force à nos services publics qui se sont tant dégradés et accélérer la transition écologique en mobilisant beaucoup plus de moyens à cet effet.

Pourquoi n’en avez-vous pas les moyens ? Pourquoi la dette budgétaire et la dette climatique continuent-elles de gonfler toutes les deux parallèlement ? Parce qu’en dix ans, les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron auront organisé la perte de près de 400 milliards d’euros de recettes pour l’État si on intègre les annonces qui sont faites pour ce quinquennat.

Cela représente une moyenne de 39 milliards d’euros par an, soit, à titre de comparaison, si l’on se fonde sur le chiffre du projet de budget pour 2023, deux fois et demie le budget du ministère de l’écologie.

Votre politique de baisse des impôts se révèle un puits sans fond. Le ministre Bruno Le Maire l’a d’ailleurs dit lui-même tout à l’heure à demi-mot : il en faut toujours plus.

Et qui devra payer les nouvelles mesures fiscales favorables aux entreprises, comme la suppression de la CVAE, synonyme de dépense supplémentaire de l’État ? Ce sont les Français, ceux-là mêmes qui ont déjà compensé depuis cinq ans la baisse des impôts de production, la suppression de l’ISF, la mise en place de la flat tax pour les revenus du capital, etc.

Pour équilibrer le budget après toutes ces réductions d’impôts au profit des entreprises, des plus aisés et des détenteurs du capital, le Gouvernement est bien contraint de mettre à contribution tous les Français, mais aussi les collectivités territoriales, les bailleurs sociaux ou encore les chômeurs, en faisant passer une réforme de l’assurance chômage qui pénalise les plus fragiles.

Surtout, le Gouvernement engage à présent une réforme du régime des retraites que nous considérons à la fois comme inutile et injuste.

Monsieur le ministre, vous souhaitez ainsi reporter l’âge de départ à la retraite dans le seul but de réaliser des économies, 8 milliards à 9 milliards d’euros estimés sur cinq ans. Finie la réforme des retraites dite systémique, que l’on nous présentait sous le quinquennat précédent comme une mesure d’équité et de progrès. Elle n’a plus aujourd’hui qu’un seul objectif comptable : boucher les trous de votre politique de l’offre menée à marche forcée.

Ce sera le rôle de la gauche que de dire, tout au long du quinquennat, qu’une autre politique est possible : une politique remettant les choses à l’endroit, ne privant pas l’État de recettes indispensables et redonnant à notre pays les moyens de ses ambitions sans aggraver le déficit public, par le rétablissement d’une fiscalité équitable entre les revenus du capital et du travail, par la réduction progressive des niches fiscales, qui devraient être évaluées et conditionnées pour être maintenues, par l’arrêt des baisses d’impôts, dont nous avons encore moins les moyens du fait de la remontée rapide des taux d’intérêt, et par la mise en place, sans attendre, d’une taxation exceptionnelle sur les superprofits.

Enfin, cette loi de programmation souffre d’un manque de crédibilité. Beaucoup diront que c’est la loi du genre et qu’aucune loi de programmation des finances publiques n’est jamais respectée. En l’occurrence, dans son entêtement à vouloir réduire le taux de prélèvements obligatoires et, surtout, à refuser de faire participer les plus riches et les grandes entreprises à l’effort national, le Gouvernement ne parvient pas, dès le départ, à établir une stratégie convaincante de rétablissement des comptes publics.

Le Haut Conseil des finances publiques le dit lui-même, en qualifiant la trajectoire de « peu ambitieuse » et de « particulièrement fragile », car s’appuyant sur des hypothèses très, et donc trop optimistes.

En commission, la majorité sénatoriale a, certes, modifié la trajectoire à la marge, en l’aggravant – de notre point de vue – sur les dépenses, mais elle n’a pas révélé de désaccord majeur sur le fond avec le Gouvernement.

Il reste même, chers collègues, une certaine ambiguïté sur la question des collectivités locales : si l’article 23 a été supprimé, l’objectif de baisse des dépenses des collectivités – sur lequel vous alignez l’État lui-même – a été maintenu. Vous comprendrez que nous ne pouvons pas nous y reconnaître davantage.

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, vous l’avez compris, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne soutiendra pas ce texte, ni dans sa version gouvernementale ni dans sa version sénatoriale.

Nous avons des propositions à faire en matière de justice fiscale ; je les ai présentées tout à l’heure. Nous avons considéré que l’appel à l’aide de Bruno Le Maire n’était pas un trait d’humour. Mais il faut tout de même nous aider à vous aider, plutôt que d’appeler simplement à la rescousse le côté droit de l’hémicycle.

Nous ne soutiendrons pas ce texte, parce que l’effort de justice fiscale n’a pas été fait. Votre projet de loi est trop fragile dans ses hypothèses, contestable, de notre point de vue, dans ses orientations idéologiques, déséquilibré dans la répartition de l’effort, inapte à répondre aux besoins du pays en matière sociale et écologique dans les prochaines années et risqué aussi – il faut le dire – quand on connaît le mécontentement social qui couve dans notre pays face aux injustices. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérémy Bacchi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)

M. Jérémy Bacchi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous venons d’apprendre le déclenchement d’un nouveau 49.3 par la Première ministre.

La première année de la programmation aura donc été enjambée par le Gouvernement, et nous continuons de débattre, ici, au Sénat, comme si de rien n’était.

J’aurais aimé vous dire que j’ai accueilli ce projet de loi de programmation des finances publiques avec enthousiasme, tant il aurait répondu à l’urgence dans laquelle se trouve le pays. Mais il n’en est rien.

J’aurais aimé a minima pouvoir dire que ce projet de loi de programmation des finances publiques comprenait la gravité de ce qui traverse la vie de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Mais, une fois de plus, il n’en est rien.

En réalité, vous avez choisi de verrouiller l’ensemble des échelons de la puissance publique, l’ensemble des parties prenantes des politiques publiques au service de nos concitoyennes et concitoyens.

Alors que les Françaises et les Français sont de plus en plus nombreuses et nombreux à ne pas savoir comment ils se chaufferont cet hiver, alors que les Françaises et les Français voient leur pouvoir d’achat fondre comme neige au soleil sous l’effet de l’inflation galopante, alors que les Françaises et les Français, toujours plus nombreuses et nombreux, se demandent s’ils trouveront un emploi ou conserveront le leur, votre seule réponse est la réforme ou plutôt la contre-réforme : celle des retraites, celle du revenu de solidarité active (RSA), celle de l’assurance chômage. À croire que vous ne voulez pas entendre le sentiment d’injustice et le vent de révolte qui souffle dans le pays !

Voilà six mois à peine, le Président de la République était élu grâce à l’ensemble des républicains de ce pays, dont des millions de voix issues des rangs de la gauche. « Ce vote m’oblige », disait-il au soir du second tour, renchérissant par une formule déjà datée : « Je sais aussi que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi non pour soutenir les idées que je porte, mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite. » Ce projet de loi de programmation constitue un projet d’exclusion de ces électeurs qui l’ont porté au pouvoir.

J’en viens à présent au texte en lui-même.

Dans le rapport annexé à l’article 1er, la capacité productive qui sous-tend la croissance serait « soutenue par les réformes du Gouvernement. Ces dernières contribueraient notamment à accroître l’offre de travail et parvenir au plein emploi à l’horizon 2027 : il s’agit en particulier de la réforme des retraites, de la réforme du RSA et de la réforme de contracyclicité de l’assurance chômage ».

Le mot est lâché : plein emploi ! Mais bien loin d’un monde idéal, il s’agit d’un plein emploi hypothétique, bâti non pas sur les besoins et la croissance, mais sur la précarité et un salariat corvéable à merci avec toujours moins de droits.

D’ailleurs, le Haut Conseil des finances publiques, dans son avis sur le projet de loi de programmation, ne dit pas autre chose de votre tautologie sur l’hypothèse de la croissance potentielle : elle « est optimiste notamment parce que cette dernière suppose des effets importants et immédiats de réformes – le revenu de solidarité active, les retraites, l’assurance chômage, l’apprentissage… – dont ni les modalités, ni les impacts, ni le calendrier ne sont documentés ».

La réforme des retraites tant voulue par votre gouvernement nie le fait que le taux d’emploi des sexagénaires est le troisième plus mauvais de l’Union européenne. Seul un tiers des 60-64 ans est en emploi ; ils sont considérés comme usés, trop vieux, par un patronat qui délaisse ceux qui ne correspondent plus aux normes. Ces travailleurs extrêmement qualifiés sont en réalité trop chers : trop chers par rapport aux jeunes en particulier, main-d’œuvre peu qualifiée, mais peu onéreuse.

Le niveau des salaires est votre question taboue, alors qu’elle devrait être une question politique fondamentale de la décennie qui vient.

Depuis le début des années 1980, la part de la rémunération salariale dans la valeur ajoutée a chuté de 8 points dans les pays européens. Il faut ajouter le fait que les inégalités salariales ont augmenté d’au moins 5 points dans le secteur privé. Des dizaines de milliards d’euros en salaires et en cotisations qui rendent relativement insignifiantes les économies de 12,5 milliards d’euros générées par le report de l’âge légal de la retraite.

Nous revendiquons, en plus de l’augmentation des salaires, le partage du temps de travail comme principal levier pour financer le système de retraites. Il s’agit de travailler moins longtemps dans la journée, dans la semaine et dans la vie, pour que toutes et tous puissent travailler et que les conditions de vie et de dignité soient restaurées.

Je veux avoir ici un mot pour ces femmes et ces hommes totalement absents de ce projet de loi de programmation, et sans qui, pourtant, la France ne tournerait pas. Ce sont des métiers pour lesquels les politiques publiques qu’ils exécutent, accompagnent et portent verront leurs budgets baisser dans les trois prochaines années : les enseignants, les bénévoles dans les associations, les aides-soignants, les agents territoriaux, les travailleurs sociaux sont autant de professions aussi utiles que méprisées par cette programmation.

Les cotisations sociales ne représentent plus aujourd’hui que 50 % des recettes de la sécurité sociale contre 82 % en 1993 du fait d’exonérations absolument massives. C’est, toutes choses égales par ailleurs, une perte de 100 milliards d’euros ; une somme qui échappe aux travailleurs.

Pour nous, les mots d’Ambroise Croizat, père de la sécurité sociale, restent plus que jamais d’actualité : « Vivre sans l’angoisse du lendemain, de la maladie ou de l’accident de travail, en cotisant selon ses moyens et en recevant selon ses besoins ». Voilà où se trouve le véritable courage, bien loin des logiques austéritaires qui prévalent aujourd’hui. Mais n’est pas Ambroise Croizat qui veut ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Michel Canévet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous attelons aujourd’hui à un exercice ambitieux, parce qu’il est évidemment extrêmement difficile de prévoir l’évolution des finances publiques pour une période quinquennale.

Ce n’est pas la première fois que nous procédons à cet exercice ; nous l’avons fait en 2009, en 2012, en 2014, puis en 2017. Qu’avons-nous alors observé ? Tout simplement qu’en fin de période, le résultat est fondamentalement différent de celui auquel on s’attendait initialement !

Par exemple, pour les trois premières de ces lois, nous avons constaté un écart de 3 points de PIB pour le déficit public entre les prévisions et les réalisations. Pour la loi de programmation de 2017, l’écart s’élevait l’an passé à 5,6 points. C’est dire l’ambition de l’exercice…

Pourtant, il est légitime que nous fixions un cap pour nos finances publiques ; les marins bretons connaissent bien l’importance de se fixer un cap…

Dans ce débat, les membres du groupe Union Centriste ont trois préoccupations principales.

Tout d’abord, la maîtrise des dépenses publiques est un sujet essentiel pour nous.

Ensuite, nous tenons à l’égalité de traitement entre l’État et les collectivités territoriales. Il n’y a pas de raison que seules ces dernières soient astreintes à un effort tandis que l’État s’en exonérerait.