Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est dans un contexte sanitaire particulièrement difficile pour notre système de santé, après deux ans d’une pandémie ininterrompue, qui laisse encore derrière elle de nombreux patients en réanimation – j’en profite pour rendre hommage une nouvelle fois aux soignants –, que nous examinons, en nouvelle lecture, la proposition de loi visant à reporter la possibilité d’avorter à seize semaines d’aménorrhée, soit quatorze semaines de grossesse au lieu de douze. Je rappelle que le délai légal était de dix semaines en 2001.

Environ 230 000 IVG sont réalisées aujourd’hui en France, soit une interruption pour trois grossesses.

Nous savons que chaque avortement est un drame et nous devons prévoir les moyens nécessaires pour que toutes les femmes soient accompagnées sur tout le territoire.

Néanmoins, plusieurs éléments sont à garder à l’esprit concernant les principales mesures de ce texte.

Tout d’abord, je tiens à rappeler en ce qui concerne l’allongement du délai légal de l’IVG à quatorze semaines que l’acte n’est pas le même à ce stade de la grossesse. Il ne se réalise pas dans les mêmes conditions et n’emporte pas les mêmes risques, physiques et psychiques, pour la femme.

Entre la douzième et la quatorzième semaine, l’embryon devient un fœtus et passe de 70 à 130 millimètres. L’organogénèse s’accélère et le fœtus se forme.

La pratique de l’IVG devient plus difficile, car elle implique la dilatation du col de l’utérus, avec un risque de complication hémorragique. Si de telles complications demeurent heureusement peu fréquentes, la probabilité de leur survenue n’est pas négligeable. Surtout, le risque s’accroît nettement par rapport à une IVG réalisée avant la douzième semaine de grossesse.

Certains praticiens refuseront d’ailleurs de réaliser cet acte au bout de quatorze semaines de grossesse. Je suis moi-même personnellement favorable à ce que le délai légal de l’IVG reste fixé à douze semaines et ne souhaite pas qu’on l’allonge de deux semaines.

Il est illusoire de vouloir forcer des médecins à pratiquer cet acte. Heureusement, ils n’y seront pas obligés : la clause de conscience est maintenue, et le médecin devra communiquer sans délai le nom d’un praticien susceptible de réaliser l’IVG.

Je partage certains éléments du diagnostic établi par les auteures de la proposition de loi, notamment sur les inégalités territoriales d’accès à l’IVG. Il faut améliorer la prévention et l’information sur les moyens de contraception, tant féminine – elle est parfois présentée par certains comme dangereuse – que masculine.

Rembourser aux femmes âgées de moins de 25 ans leur contraception est une bonne mesure.

Dans les prochaines années, nous devrons améliorer l’offre de soins dans l’ensemble du territoire, afin de maintenir le délai effectif de recours à l’IVG en deçà de douze semaines.

C’est pourquoi je suis favorable aux mesures qui visent à faciliter de façon concrète l’accès à l’IVG sans modifier le délai légal. Ainsi, la suppression du délai de réflexion imposé à toute femme souhaitant avorter est essentielle lorsque la durée de la grossesse a atteint douze semaines.

En renforçant les compétences des sages-femmes, afin qu’elles soient capables de réaliser des IVG médicamenteuses et instrumentales comme les médecins, on vise à augmenter le nombre de praticiens disponibles, de sorte que le délai de l’IVG ne dépasse pas douze semaines. Cette mesure va aussi dans le bon sens.

En tout état de cause, nous devrons renforcer les politiques de prévention auprès des plus jeunes, notamment au collège et au lycée, et tout leur expliquer. En effet, que l’interruption intervienne au bout de quatre, six ou douze semaines de grossesse, il faut garder à l’esprit la phrase de Simone Veil : « L’avortement est toujours un drame. »

Je le redis, nous devrons enfin trouver les moyens de maintenir le délai de réalisation des IVG en deçà de douze semaines de grossesse.

Une majorité des membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires n’est pas favorable à ce texte. Cela étant, certains d’entre eux s’abstiendront, car ils ne souhaitent pas voter une motion tendant à opposer la question préalable.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement
Question préalable (fin)

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Deroche, au nom de la commission, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à renforcer le droit à l’avortement (n° 481, 2021-2022).

La parole est à Mme la présidente de la commission, pour la motion.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous venons de procéder à la troisième discussion générale sur ce texte. Par deux fois, la commission des affaires sociales puis le Sénat ont marqué leur opposition à une proposition de loi dont nous estimons qu’elle apporte une mauvaise réponse, l’allongement des délais, à une vraie difficulté, celle de l’accès à l’IVG.

Je ne rappellerai pas l’ensemble des arguments exposés par les opposants à ce texte au cours d’un débat intervenu lors de son examen en deuxième lecture, lequel a été particulièrement riche et respectueux de toutes les opinions.

Je rappellerai en revanche les débats importants que nous avons eus lors de l’examen de ce texte en commission, que ce soit en première ou en deuxième lecture.

J’insisterai aussi sur le fait que l’allongement du délai de l’IVG conduit à une modification de la nature de l’acte, et ce alors que le besoin n’est pas vraiment étayé par les chiffres, même s’il existe, bien évidemment, certains cas difficiles.

Selon les données de la Drees, en 2017, seules 5 % des interruptions volontaires de grossesse ont été réalisées dans les deux dernières semaines du délai légal, qui est actuellement de douze semaines.

Il s’agit d’un acte considéré par les professionnels de santé eux-mêmes comme d’autant moins anodin qu’il est pratiqué tardivement au cours de la grossesse.

De récentes mesures, qui n’ont pas encore fait l’objet d’une évaluation, apportent d’ores et déjà des réponses.

Ainsi, l’article 70 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 autorise les sages-femmes, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, à réaliser des interruptions volontaires de grossesse instrumentales en établissements de santé. Il semble donc prématuré de pérenniser dès aujourd’hui l’extension de cette compétence aux sages-femmes.

Par ailleurs, le texte transmis au Sénat renonce à supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG, qui figure dans notre droit depuis la loi Veil de 1975. Nous y voyons la confirmation du fait que cet acte mérite une considération particulière.

Nous estimons par ailleurs que la position du Gouvernement reste floue. La clarté des débats aurait sans doute gagné à ce que celui-ci précise sa position avant de prendre l’initiative d’inscrire l’examen en nouvelle lecture de ce texte à l’ordre du jour du Sénat dans le cadre de son espace réservé. La position de sagesse traduit moins le respect des positions du Parlement qu’un certain embarras devant la proposition de loi.

Notons enfin que le Sénat a déjà rejeté ce texte en première lecture, en commission, puis en séance publique par l’adoption d’une motion tendant à opposer la question préalable. Ce schéma s’étant reproduit en deuxième lecture, je ne serai pas plus longue : la commission estime qu’il n’y a pas lieu de poursuivre l’examen de cette proposition de loi et demande de le constater par l’adoption de la présente motion.

Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. En tant que rapporteure, j’aurais préféré que l’on discute et que l’on adopte ce texte. À ce titre, je ne suis pas favorable à cette motion tendant à opposer la question préalable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Le Gouvernement émet clairement un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.

J’aurais moi aussi préféré que la Haute Assemblée débatte de ce texte. (Mme Pascale Gruny sexclame.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Nous sommes défavorables à cette motion tendant à opposer la question préalable.

Après deux lectures, nous avons largement épuisé tous nos arguments, même si j’ai pris soin d’expliquer notre position au cours de la discussion générale.

Mes chers collègues, je souhaite appeler votre attention sur le fait que, chaque année, 3 000 à 5 000 femmes sont obligées de se rendre à l’étranger pour pratiquer un avortement.

Permettez-moi de vous dire que, si nous ne votions pas cette proposition de loi, nous nous comporterions de façon hypocrite. En effet, cela signifierait que certaines femmes pourront se rendre à l’étranger pour avorter, parce qu’elles en ont les moyens, alors que d’autres ne le pourront pas, ce qui accroîtra encore les inégalités sociales entre les femmes.

J’ai l’impression que nous allons vraiment faire un bond en arrière, mes chers collègues. D’une certaine façon, vous refusez à nouveau l’égalité entre les femmes.

En plus de tous les arguments qui ont déjà été avancés pour défendre cette proposition de loi, j’apporte cette précision supplémentaire : vous vous donnez bonne conscience, mes chers collègues, mais vous savez pertinemment que, dans les pays voisins de la France, les délais légaux de l’IVG sont beaucoup plus longs et dépassent souvent les quatorze semaines de grossesse.

Je ne trouve pas, une fois de plus, que le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable grandisse la Haute Assemblée, ce que l’ensemble de mon groupe et moi-même regrettons. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDPI et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet, pour explication de vote.

Mme Nadège Havet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, jeudi dernier, l’Assemblée nationale a adopté en nouvelle lecture la proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement.

Ce texte a pour objet de pallier certaines difficultés structurelles affectant le parcours des femmes souhaitant recourir à l’avortement en France.

Comme Laurence Cohen vient de le rappeler, plusieurs milliers d’entre elles se retrouvent chaque année hors délai et partent, si elles en ont les moyens, avorter à l’étranger. Il s’agit de milliers de femmes souvent jeunes, victimes de violences conjugales ou éloignées des centres de soins. Certains ont pu évoquer le risque de traumatismes.

Loin de moi l’idée de considérer que l’avortement est un acte anodin – il ne l’est jamais –, mais n’est-il pas également traumatisant de mener une grossesse à terme contre son gré ?

Au mois d’octobre 2021 et au mois de janvier dernier, la majorité sénatoriale a adopté une motion tendant à opposer la question préalable, mettant un terme à l’examen de cette proposition de loi. La commission mixte paritaire n’ayant pas été conclusive, il n’y aura de nouveau pas de débat ce soir en nouvelle lecture au Sénat. Ce sera donc un monologue de l’Assemblée nationale sur ce texte.

Nous prouvons pourtant sur tant d’autres textes que, malgré nos désaccords, nous échangeons, partageons nos points de vue et cherchons à faire évoluer des sujets, enrichis par la pluralité de nos courants de pensée. Tel est le rôle du Parlement et de la navette parlementaire.

Pourquoi ne pas avoir laissé une chance à ce dispositif ? Durant toute la navette parlementaire, le Sénat s’est tu. C’est une occasion manquée que je regrette.

Une fois de plus, nous voterons contre cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, SER, GEST et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour explication de vote.

Mme Pascale Gruny. Je refuse que l’on aborde ce sujet sous l’angle des riches et des pauvres. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SER.)

M. Xavier Iacovelli. Pas étonnant !

Mme Pascale Gruny. Le vrai sujet, c’est le délai ! Il faut faire en sorte de trouver les solutions qui permettront d’apporter des réponses plus rapides et empêcheront les femmes d’en arriver à cette situation ultime qu’est l’avortement. Celui-ci, comme vous l’avez très souvent dit, n’est pas un acte anodin, y compris pour leur santé physique.

Je pense en particulier à ces femmes qui, à cause d’un avortement qui s’est passé mal, ne pourront plus avoir d’enfant au moment où elles en auront envie. (Marques de désapprobation sur les travées du groupe SER.)

Je refuse le débat que vous nous proposez. Il convient plutôt d’améliorer l’accès au planning familial, de revoir notre manière d’éduquer les enfants à la sexualité – peut-être faudrait-il le faire plus tôt qu’aujourd’hui. Ce sont avant tout ces sujets qu’il nous revient de traiter.

En revanche, je refuse que vous nous mettiez dans le camp des opposants à l’avortement : nous ne sommes pas contre l’IVG ! J’ai rencontré des gynécologues et des sages-femmes : personne ne peut dire ici que ces praticiens réalisent des avortements de gaieté de cœur. (Exclamations sur les travées du groupe SER.) Lorsqu’ils refusent de les pratiquer pour objection de conscience, c’est bien entendu parce qu’ils sont avant tout là pour donner la vie. Je crois qu’ils méritent que l’on pense aussi à eux.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.

Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 102 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 335
Pour l’adoption 206
Contre 129

Le Sénat a adopté.

En conséquence, la proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement est rejetée.

Question préalable (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement
 

9

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée demain, jeudi 17 février 2022 :

À dix heures trente, quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :

Examen d’une demande de la commission des affaires sociales tendant à obtenir du Sénat, en application de l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires qu’il lui confère, pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour mener une mission d’information sur le contrôle des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes

Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l’article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace (texte de la commission n° 456, 2021-2022) ;

Nouvelle lecture de la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire (texte n° 480, 2021-2022) ;

Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à l’aménagement du Rhône (texte de la commission n° 479, 2021-2022) ;

Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur (texte de la commission n° 448, 2021-2022) ;

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à simplifier l’accès des experts forestiers aux données cadastrales (texte de la commission n° 472, 2021-2022).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures vingt-cinq.)

 

nomination dun membre dune éventuelle commission mixte paritaire

La commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale a désigné un candidat pour siéger à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 quater du règlement, cette candidature est ratifiée : M. François-Noël Buffet est proclamé membre de cette commission mixte paritaire, en remplacement de M. François Bonhomme.

 

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER