Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure pour avis. Oui !

Mme Annick Billon. Lors de la discussion des articles, nous soutiendrons les amendements de nos collègues visant à ouvrir aux enfants harcelés la possibilité de changer d’établissement sans tenir compte des limites de la carte scolaire, ainsi que ceux dont l’objet est de permettre une instruction en famille.

Ce dispositif permettra de limiter le plus possible, pour les élèves, les risques de décrochage scolaire.

Le caractère faiblement normatif des mesures soumises à l’examen du Sénat reflète la difficulté à traiter du sujet du harcèlement scolaire par la loi.

Je rappelle que ce sujet relève principalement des projets d’établissement et des protocoles élaborés par l’éducation nationale au plus près du terrain, ainsi que, pour ce qui est du cyberharcèlement, de la régulation des réseaux sociaux, dont la complexité appelle une réponse au niveau européen.

Les enseignants sont par ailleurs trop peu formés pour faire face à ces situations. Seuls 35 % d’entre eux se sentent armés pour gérer une situation de harcèlement, 83 % des enseignants indiquant n’avoir jamais reçu de formation consacrée à la prévention et à la gestion du harcèlement alors qu’ils sont autant à considérer que la lutte contre ce phénomène doit être envisagée comme un enjeu de santé publique.

Cette lutte exige de surcroît des moyens humains et une mobilisation de l’ensemble de la communauté éducative. Je pense ainsi à la médecine scolaire, grande absente des établissements, à tous les niveaux. C’est pourtant grâce aux médecins scolaires et aux psychologues que l’on pourra aider les harceleurs, les harcelés et les témoins à parler. Détecter, alerter, informer, accompagner : ces actions ne pourront se faire sans médecine scolaire.

Pour conclure, je souhaite saluer le travail précis de nos rapporteurs, Olivier Paccaud et Jacqueline Eustache-Brinio, sur ce sujet, ainsi que celui de nos collègues de la mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement.

Au moment où le groupe Union Centriste s’apprête à voter en faveur de ce texte, nous pensons aux victimes et à leurs familles. Ce texte est une première réponse à leur souffrance. Pour réussir à enrayer ce fléau, il faut une loi, soit, mais des moyens sont nécessaires – je pense notamment, je le répète, à la médecine scolaire, angle mort des politiques publiques. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mmes Nadège Havet et Colette Mélot applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte vise à prévenir les faits de harcèlement scolaire et à améliorer leur traitement judiciaire, ainsi que la prise en charge des victimes.

Cette proposition de loi répond à une réalité douloureuse : chaque année, 700 000 élèves sont la cible d’intimidations, d’insultes, d’usurpation d’identité digitale ou encore de menaces en ligne.

En 2021, 20 enfants et adolescents victimes de harcèlement scolaire se sont suicidés. La dégradation du climat scolaire et les attaques contre la dignité des élèves harcelés, amplifiées par les réseaux sociaux, ne peuvent nous laisser sans réagir.

Aussi soutenons-nous les dispositifs prévus par le texte tels que la consécration du droit à une scolarité sans harcèlement, un renforcement des mesures relatives à la prévention de conduites à risques ou l’obligation de formation de l’ensemble des professionnels qui sont au contact des élèves.

Je salue également la volonté de créer une incrimination autonome pour les faits de harcèlement scolaire. Il ne s’agit pas d’une surenchère pénale ou d’une réponse disproportionnée : il est en réalité question de consolider un interdit social.

Bien que pour l’instant seulement symbolique, l’ajout par la commission du terme de « cyberharcèlement » dans l’intitulé de cette proposition de loi va également dans le bon sens : le harcèlement ne s’arrête pas à la sortie de l’école, devenant pour certains un calvaire sans répit.

J’aimerais toutefois revenir sur un acteur qui n’est selon moi pas assez évoqué : le témoin. Nous le savons, le harcèlement est bien souvent un phénomène de groupe, qui se nourrit d’une relation triangulaire entre victime, agresseur et témoins.

J’ai conscience que chaque individu, face au harcèlement, réagit avec sa sensibilité et son caractère propres, et que le silence peut éviter d’attirer l’attention de l’agresseur ; mais, que l’on soit victime ou témoin, la démarche reste la même : il faut parler.

Nous devons encourager la transformation du témoin passif, qui devient complice, d’une certaine façon, en témoin agissant, protégeant. Dans cette perspective, je souhaiterais que les formations de prévention des professionnels qui sont au contact des élèves se concentrent également sur l’identification des témoins.

Outre les témoins passifs et les témoins agissants, que je viens d’évoquer, on distingue aussi les témoins actifs qui, s’ils ne sont pas les meneurs des dynamiques de harcèlement, les encouragent ou y participent : ce sont des « collaborateurs », dans la triste acception du terme.

Ne fermons pas les yeux à leur égard : la lutte contre le harcèlement doit devenir une responsabilité partagée par tous. Je souhaiterais ainsi une révision des sanctions qu’ils encourent, ainsi que la création d’une dénomination juridique spécifique. Nier la complexité du harcèlement, c’est minimiser la souffrance des victimes et diminuer leur protection.

Lutter contre le harcèlement scolaire, c’est lutter contre la culture de la violence que nous voyons se développer, hélas ! dans tous les domaines.

Je ne reviendrai pas sur les violences qui visent des enseignants ou des élus, sur la violence qui prospère dans les stades et même sur les terrains – les contestations de décisions arbitrales par des stars du football harcelantes sont autant de mauvais exemples pour nos enfants. Que dire, même, du harcèlement verbal en quoi consistent certaines interviews journalistiques et qui devient la règle à la télévision ?

C’est pourquoi ce texte, malgré quelques fragilités relatives au rôle du témoin, est un pas de plus vers une scolarité apaisée. Le groupe du RDSE soutient cette proposition de loi essentielle pour consacrer la notion de respect – car c’est bien de cela qu’il s’agit. (Mme Colette Mélot applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Sabine Van Heghe.

Mme Sabine Van Heghe. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je salue le dépôt de cette proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire ; cette initiative contribue, face à ce fléau, au renforcement de la nécessaire prise de conscience collective et à la mobilisation de tous les acteurs. J’y suis d’autant plus sensible que c’est ce que demandait voilà quelques semaines la mission d’information sénatoriale sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement que j’ai eu l’honneur de présider aux côtés de notre collègue Colette Mélot, qui en était la rapporteure.

Nous passons par la loi, soit ; mais je regrette que le Gouvernement n’ait pas immédiatement pris la mesure du travail du Sénat et n’ait pas jugé utile de prendre en considération les conclusions de notre mission d’information, à moins qu’il ne l’ait tout simplement pas souhaité.

Nos trente-cinq propositions sont pourtant simples, pragmatiques, immédiatement applicables… Pourquoi, dès lors, attendre pour les mettre en œuvre ? C’est pourtant possible dans tous les établissements.

J’ai d’ailleurs déjà eu l’occasion de dire mon incompréhension au ministre Jean-Michel Blanquer, dont je regrette l’absence ce matin.

L’ampleur du phénomène exige pourtant une action rapide et efficace, car 800 000 à 1 million d’élèves subissent une forme de harcèlement ou de cyberharcèlement durant leur scolarité, certains en venant malheureusement à attenter à leurs jours – j’ai aujourd’hui une pensée pour leurs proches.

C’est insupportable ; cela doit cesser. C’est pourquoi j’accueille positivement l’initiative de notre collègue député Erwan Balanant.

La plupart des dispositions de cette proposition de loi vont dans le bon sens, même si certaines relèvent du symbole.

Parmi les dispositions qui méritent un accueil positif, on note la nouvelle place donnée dans le code de l’éducation à la lutte contre le harcèlement scolaire ; l’extension de la définition du harcèlement scolaire au harcèlement universitaire et au cyberharcèlement ; l’application des nouvelles dispositions de lutte contre le harcèlement et le cyberharcèlement aux établissements privés ; le renforcement de la formation et de la sensibilisation de l’ensemble des personnels qui sont au contact des élèves.

Je suis favorable également à la saisie, pour les besoins de l’instruction, du matériel, téléphones ou ordinateurs, ayant servi au harcèlement, ainsi qu’à la confiscation de ce matériel à titre de peine complémentaire.

Le principal point de divergence entre notre groupe et les auteurs de ce texte avait trait à l’article 4 et à la création d’un délit spécifique de harcèlement scolaire assorti de peines particulièrement lourdes.

Sur proposition de Mme la rapporteure pour avis de la commission des lois, cet article 4 a été intégralement récrit en commission, le délit spécifique de harcèlement scolaire étant supprimé et transformé en circonstance aggravante du délit de harcèlement. Cette nouvelle position répond en partie aux préoccupations des sénateurs de notre groupe.

Je rappelle que la mission d’information sénatoriale n’avait pas souhaité, dans son rapport, recommander la création d’un délit spécifique, préférant miser sur une meilleure prévention. Un tel renforcement des sanctions pénales risquerait de n’être qu’un « tigre de papier » aux effets très minimes.

D’autres modifications apportées par nos rapporteurs à la suite des travaux des commissions de la culture et des lois du Sénat vont dans le bon sens ; par exemple, les amendements visant à ce que les témoins de faits de harcèlement soient pris en charge au même titre que les victimes ou les auteurs. Telle était d’ailleurs l’une des préoccupations majeures de notre mission d’information.

Autre modification positive issue des travaux de commission du Sénat : l’obligation pour les établissements scolaires et universitaires de lutter non seulement contre le harcèlement scolaire, mais aussi contre le cyberharcèlement, le titre de la proposition de loi étant modifié en conséquence.

Notre groupe approuve également l’extension de l’obligation d’information annuelle des parents aux élèves. Une telle extension permet de rappeler aux élèves leurs droits et devoirs, ainsi que leurs ressources en cas de harcèlement, qu’ils soient témoins ou victimes.

Le travail du Sénat a contribué, sur certains points, à l’amélioration de cette proposition de loi, mais il constitue un recul par rapport au texte initial sur d’autres points.

Ainsi de l’exclusion du champ du texte des faits de harcèlement en provenance des enseignants ou du personnel des établissements : bien que ce phénomène soit très minoritaire, il existe et ne saurait être ignoré. Notre groupe présentera un amendement sur ce sujet à l’article 1er.

Je regrette également la suppression en commission de l’article 3 bis de la proposition de loi. Cet article prévoyait le renforcement des liens entre les établissements scolaires et les associations de lutte contre le harcèlement scolaire et de soutien aux victimes. Nous présenterons un amendement de rétablissement de l’article 3 bis dans une nouvelle rédaction.

Nous souhaitons par ailleurs rétablir par amendement l’article 6, supprimé en commission, qui prévoyait des stages de sensibilisation aux risques liés au harcèlement scolaire dans le cadre de stages de citoyenneté ou de formation civique existant déjà, ce dispositif faisant écho à l’une des préconisations de notre mission d’information.

Enfin, je veux exprimer mon incompréhension devant la suppression par notre commission de l’article 7 de la proposition de loi. Cet article prévoyait l’obligation pour les prestataires de services de communication en ligne de concourir à la lutte contre le harcèlement scolaire et universitaire.

Il y a selon moi une certaine incohérence, de la part de nos rapporteurs, à affirmer vouloir mieux lutter contre le cyberharcèlement tout en supprimant cet article 7. Nous proposerons donc le rétablissement de cet article en demandant que les hébergeurs et fournisseurs d’accès à internet soient contraints de renforcer leur concours à la lutte contre ces types de harcèlement.

J’espère que la présidence française du Conseil de l’Union européenne sera l’occasion de progresser sur ces enjeux au niveau européen. Reste que l’actuelle absence de normes européennes contraignantes ne saurait empêcher le législateur français d’anticiper afin de mieux lutter contre un fléau en plein essor, qui touche potentiellement tous nos enfants.

Nous serons très attentifs au sort réservé à nos différents amendements, qui conditionnera notre position finale sur ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Mme la rapporteure pour avis et Mme Colette Mélot applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Marion, 13 ans, Evaëlle, 11 ans, Dinah, 14 ans… Elles ont toutes mis fin à leur jour, parce qu’elles ne supportaient plus les insultes, les menaces, les moqueries.

Ils sont très nombreux, trop nombreux, à être victimes de tels actes, à en souffrir, au cours de leur scolarité, entre les murs ou sur le Net, à tous les niveaux, du primaire au supérieur. Plus de 700 000 enfants sont cassés, abîmés par le harcèlement scolaire chaque année, selon l’association Les Papillons. Ces enfants peuvent être les nôtres ; ils peuvent être nos nièces, nos neveux, nos cousins, nos voisins. Qui d’entre nous regarderait son enfant se débattre dans ses cauchemars, dans ses peurs, perdre confiance en lui, perdre confiance dans l’adulte que nous sommes ? Nous leur devons d’agir, à ces enfants !

Notre action de législateur est nécessaire et c’est pourquoi notre groupe a souhaité inscrire ce texte dans sa niche parlementaire.

Je salue l’engagement remarquable de notre collègue député du Finistère Erwan Balanant, dont le texte a été voté à l’unanimité à l’Assemblée nationale.

Mieux prévenir les faits de harcèlement scolaire et améliorer la prise en charge des victimes en proposant aux personnels de l’éducation nationale une formation continue relative à la prévention, à la détection et à la prise en charge du harcèlement scolaire et universitaire ; créer, par ailleurs, un délit autonome de harcèlement scolaire : tel est l’objet du texte transmis au Sénat, qui tend également à améliorer le traitement judiciaire des faits de harcèlement scolaire et universitaire.

Dans son rapport remis au Premier ministre, qui trouve une traduction devant nous aujourd’hui, Erwan Balanant rappelait ce chiffre : en moyenne, deux à trois enfants par classe sont stigmatisés, malmenés, moqués et violentés dans les établissements publics et privés, avec des conséquences sur le long terme, traumatismes profonds et fragilités durables.

Cette destruction des personnes harcelées, nous en avons eu un aperçu lors des auditions de la mission d’information sur le cyberharcèlement menée par nos collègues Colette Mélot et Sabine Van Heghe.

Face à cette réalité, de nombreuses actions furent menées ces dernières années. La loi pour une école de la confiance consacre le droit à une scolarité sans harcèlement. Un numéro de téléphone est disponible, des ressources pédagogiques ont été élaborées. Des « élèves ambassadeurs », au collège comme au lycée, peuvent être nommés, des référents ont été mis en place. Le travail avec les associations se renforce. L’encadrement de l’utilisation des téléphones portables dans les établissements scolaires s’inscrit également dans ce cadre d’action.

Le programme de lutte contre le harcèlement à l’école a quant à lui été généralisé après qu’une expérimentation a été menée.

Cette proposition de loi apporte des réponses supplémentaires, pour ce qui concerne le cyberharcèlement notamment ; nous les soutenons.

C’est pourquoi nous souhaitons revenir sur les modifications intervenues en commission, qui sont profondes. Nous avons déposé six amendements de rétablissement ; nous en discuterons dans un instant. La version initiale du texte, votée de façon transpartisane par l’Assemblée nationale, nous semble en effet plus efficace.

Nous y reviendrons lors de la discussion des articles, mais nous regrettons les reculs suivants : l’exclusion des adultes de la définition du harcèlement scolaire, et sa limitation aux pairs ; la suppression du délit autonome de harcèlement scolaire et sa transformation en circonstance aggravante ; l’exclusion de la lutte contre le harcèlement scolaire des Crous.

Pour Dinah, pour Marion, pour Evaëlle, pour tous les autres, je souhaite que l’on dise aujourd’hui, comme le chante Calogero : « Plus jamais ça ! » (Mme Colette Mélot applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en France, 800 000 à 1 million d’élèves sont victimes de harcèlement scolaire chaque année. Ce problème concerne tous les élèves, de près ou de loin.

Créée sur l’initiative du groupe Les Indépendants – République et Territoires, la mission d’information sénatoriale sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement a contribué à identifier les raisons pour lesquelles les actions mises en œuvre depuis dix ans en France n’ont pas encore permis d’éradiquer ce fléau.

Au moment d’examiner sa proposition de loi, je souhaite saluer le travail de notre collègue député Erwan Balanant, tout en notant qu’à l’issue de l’audition d’un grand nombre d’acteurs institutionnels et associatifs la mission d’information du Sénat n’avait pas fait le choix de l’approche judiciaire qu’il propose via la création d’un délit autonome de harcèlement scolaire.

Nous considérons, quant à nous, que les outils existants sont suffisants, mais méconnus et peu activés sur le terrain. La généralisation du programme de lutte contre le harcèlement à l’école, le programme pHARe, en septembre 2021, devrait permettre d’améliorer la formation et l’information des différents acteurs.

En complément, nous avons proposé un certain nombre de dispositions visant à renforcer et à unifier la mobilisation de l’ensemble de la société autour de la lutte contre le harcèlement scolaire. Figurant au premier rang de ces recommandations, l’élévation de la lutte contre le harcèlement scolaire au rang de grande cause nationale faciliterait la prise de conscience générale.

J’avais quelques réserves quant à la pertinence de l’article 4, identifié comme le pilier de cette proposition de loi. Cet article a été délégué au fond à la commission des lois, qui a adopté un amendement de réécriture du dispositif. Le harcèlement entre élèves d’un même établissement constitue, aux termes de l’article ainsi modifié, une nouvelle circonstance aggravante du harcèlement moral.

Conformément aux conclusions du rapport de la mission d’information, nous devons agir en priorité sur la prévention des situations de harcèlement. À cette fin, la formation des personnels des établissements scolaires, y compris de ceux qui ne dépendent pas de l’éducation nationale, l’information des élèves, des enseignants et des parents – ce dernier point est très important ! –, l’instauration d’un climat de confiance et d’écoute, propice à la libération de la parole, sont primordiales.

La commission de la culture a repris, dans le cadre de l’article 1er, la recommandation du rapport visant à ce que soit délivrée aux élèves une information annuelle sur les risques de harcèlement et de cyberharcèlement.

Le cyberharcèlement prend souvent naissance dans le harcèlement scolaire et vient l’amplifier, créant un continuum jusque dans la sphère privée. Je salue, à cet égard, l’initiative de la commission consistant à l’inclure de façon explicite dans les différents articles afin d’insister sur cette dimension dématérialisée, qui prend de plus en plus d’ampleur dans notre société.

L’article 3 instaure une formation initiale et continue à la lutte contre le harcèlement scolaire pour un grand nombre de professionnels particulièrement exposés.

En revanche, la commission de la culture a supprimé deux articles importants ; je le déplore.

L’article 6 prévoyait la création d’un stage de sensibilisation aux risques liés au harcèlement scolaire destiné aux auteurs de faits avérés de harcèlement. Je suis favorable au rétablissement de cet article, qui est issu du rapport d’information sénatorial.

L’article 7 oblige les plateformes à se doter d’un dispositif de signalement accessible à tous. Il me semble que cette disposition est essentielle si nous voulons combattre efficacement le prolongement du harcèlement scolaire dans la sphère numérique. Il appartient à l’ensemble des acteurs d’agir à leur niveau contre cette violence insupportable qui accable des centaines de milliers d’élèves.

En dépit de ces réserves, mon groupe votera en faveur de cette proposition de loi, parce que tous les outils doivent être actionnés afin d’éradiquer un fléau qui peut marquer toute une vie. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Toine Bourrat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Toine Bourrat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, devant l’urgence, devant les drames qui blessent l’enfance, devant la tragédie de jeunesses fracturées, je voudrais croire que nous partageons tous ici la conviction suivante : il est absolument nécessaire d’agir pour mettre un terme à l’impéritie collective qui depuis trop longtemps nous empêche d’instaurer des mesures concrètes, efficaces et cohérentes de lutte contre le fléau du harcèlement scolaire et du cyberharcèlement.

Je voudrais croire que nous partageons tous ici une même vision de l’école délestée de la violence, redevenue ce sanctuaire du savoir, cet espace préservé où se forge la future vie d’adulte.

Nos enfants sont des êtres sociaux en construction, trop faibles pour lutter dans une école dont ils ne peuvent s’extraire. Madame la ministre, mes chers collègues, réveillons-nous ! Ne commettons pas les mêmes erreurs que celles qui ont été faites envers les femmes harcelées ou victimes de violences ! Sortons du silence, des non-dits, et passons enfin à l’action, une véritable action !

On ne le martèlera jamais assez : chaque année, le harcèlement scolaire fait près d’un million de victimes, soit deux à trois enfants par classe en moyenne !

Ce phénomène concerne aussi les jeunes enfants : plus d’un élève sur dix, scolarisé en CE2, CM1 ou CM2, est victime de ce fléau qui cause près d’un quart de l’absentéisme recensé dans les établissements du premier degré. Depuis mon arrivée au Sénat, je n’avais sans doute jamais éprouvé avec une telle intensité la dimension tragique du mandat de législateur.

Mais nous ne sommes pas là pour constater : nous ne siégeons pas pour déplorer – encore moins pour décrire – une réalité que chaque famille, chaque foyer, chaque établissement connaît de près ou de loin. Et ce texte est l’occasion d’un sursaut. Il n’annonce pas d’un grand soir, mais apporte des réponses précises à des maux très concrets ; il ne s’agit pas de postures, mais de solutions utiles.

Je vous proposerai donc d’adopter des amendements visant à garantir aux chefs d’établissement la stabilité statutaire des assistants d’éducation qu’ils recrutent, c’est-à-dire à renforcer ceux qui protègent nos enfants, ainsi qu’à adapter le règlement intérieur à l’évolution du mal que nous combattons pour y faire figurer le droit à une scolarité sans cyberharcèlement, mais aussi les risques et sanctions encourus lorsqu’un élève harcèle un pair par voie numérique. Ce règlement, mes chers collègues, est en quelque sorte le code civil de nos établissements.

Ne nous y trompons pas, néanmoins : nous devrons aller plus loin pour créer un « choc des responsabilités ».

Il est deux acteurs jusqu’à présent trop oubliés dans le traitement de ce fléau sociétal.

Les parents, tout d’abord, sont les premiers garants du bon usage des outils numériques qu’ils mettent entre les mains de leurs enfants. Il leur appartient de les accompagner dans cet usage et d’en définir les règles, heures de déconnexion, durée d’utilisation, présence du téléphone dans la chambre la nuit.

Il est du devoir des institutions de rappeler cette responsabilité aux parents via la création d’un document opposable en cas de conseil de discipline – je pense par exemple à une charte d’engagement civique obligatoirement cosignée par les parents et par les enfants à chaque rentrée scolaire. Une telle avancée matérialiserait la responsabilité parentale, trop souvent éludée, et rendrait tangible le devoir de respect entre pairs, condition de la vie citoyenne.

Les plateformes, ensuite ; c’est bien sûr à l’échelon européen qu’elles doivent être rappelées à leurs obligations civiques, morales et sociétales. Comment comprendre en effet que les réseaux sociaux, sur lesquels naviguent et souvent se noient nos enfants, ne se voient imposer aucune responsabilité sociétale dès lors qu’un jeune est victime de leurs travers ?

Cela se pourra en harmonisant le droit communautaire, comme le prévoit le Digital Services Act, qu’il revient au Gouvernement de faire aboutir, madame la ministre, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, en l’affermissant de surcroît dans le sens que proposait devant nous la lanceuse d’alerte Frances Haugen.

Aujourd’hui, nous avons la possibilité d’agir sur ce texte ; nous en avons aussi l’ardent devoir. La politique n’est pas l’affaire de coups d’éclat, mais au contraire de petits pas, de jalons sûrs et progressifs. Saisissons-nous de cette occasion, non pour grossir encore la panoplie des lois inexécutées, mais pour forger enfin les outils qui nous manquent !

C’est dans cet esprit – je crois pouvoir le dire, en leur présence – que nos rapporteurs ont travaillé à ce que l’amélioration collective et tangible voulue par les auteurs de ce texte ne soit pas un vain mot. Merci, mes chers collègues, d’avoir prouvé que la constance ne modère en rien l’ouverture aux tierces propositions. Si le Parlement échouait à protéger l’avenir de la Nation qu’elle représente, que pourrions-nous dire à cette jeunesse en construction ? Comment justifierions-nous notre inaction là où est en jeu l’éclosion de sa conscience civique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sabine Van Heghe applaudit également.)

M. Olivier Paccaud, rapporteur. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour débattre d’un fléau national : le harcèlement scolaire. Selon une enquête de l’éducation nationale, 700 000 enfants en sont victimes chaque année : 700 000 enfants ! Au moins 10 % des enfants subissent des faits de harcèlement au moins une fois dans leur scolarité.

Au harcèlement « classique », ayant lieu dans l’enceinte des écoles, s’ajoute aujourd’hui le harcèlement en ligne. Les victimes sont désormais agressées jusque chez elles, jusque dans leur chambre, via les réseaux sociaux ou les jeux vidéo, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Des couloirs de l’école à l’obscurité et au silence d’une chambre d’enfant, le continuum de la violence devient insupportable. Les conséquences sont parfois terribles, définitives, inacceptables.

Les suicides d’enfants et d’adolescents ont jeté un coup de projecteur terrible, une lumière crue et inévitable sur cette réalité trop longtemps ignorée.

La société et le Sénat se saisissent enfin du sujet. Nous devons d’abord saluer les associations de victimes, parfois dédiées à la mémoire de ces dernières, qui ont accompli un inlassable travail d’alerte, d’interpellation, de sensibilisation, de proposition.

Que contient ce texte ?

La reconnaissance d’un nouveau droit, d’un nouveau principe : celui d’une scolarité sans harcèlement.

Pour faire respecter ce principe, la version initiale de l’article 4 prévoyait la création du nouveau délit de harcèlement scolaire assorti de sanctions très élevées, avec, selon la gravité des faits, des peines d’emprisonnement comprises entre trois ans et dix ans et des amendes allant de 45 000 euros à 150 000 euros.

Nous pouvons comprendre que les auteurs du texte, soutenus par certaines associations concernées, aient choisi cette voie. La création d’un nouveau délit permettrait que les forces de l’ordre puissent mieux caractériser les spécificités de ces agressions. Elle appellerait encore davantage l’attention de la société, des élèves et de la communauté éducative sur le sujet.

Mais la commission des lois du Sénat a choisi de récrire cet article, préférant que le harcèlement scolaire soit caractérisé comme une circonstance aggravante du délit de harcèlement moral, ce qui a comme conséquence un allègement des sanctions, réduites à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Cette vision nous semble plus adaptée à la réalité du harcèlement scolaire. Nous rappelons ici que les agresseurs et les victimes – ces rôles s’échangent d’ailleurs parfois – sont des mineurs, qui agissent souvent par phénomène de bande, de « meute ». Nous ne cherchons pas à excuser les comportements, mais il nous paraît plus important de travailler à la détection précoce et à la prévention des faits qu’à leur répression.

Il nous semble par ailleurs que l’arsenal judiciaire et administratif s’est largement étoffé ces dernières années, surtout concernant les faits commis sur les réseaux sociaux. Des individus ont ainsi été promptement interpellés puis déférés pour un seul message en ligne, par exemple dans le cas des vagues de harcèlement dont a été victime Mila.

Le cœur du problème, pour nous, n’est pas là. Il réside dans l’identification, la prévention et la mise en réseau des acteurs.

Les auteurs de cette proposition de loi y répondent en partie, en prévoyant des formations destinées à l’ensemble des acteurs de la sphère éducative, et en incluant la lutte contre le harcèlement scolaire parmi les actions des comités d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement.

Mais la commission a malheureusement supprimé plusieurs points, en particulier l’obligation d’informer la communauté éducative de l’existence du tissu associatif luttant contre le harcèlement scolaire, l’inscription de la lutte contre le harcèlement dans les missions des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), ou encore les stages de responsabilisation à la vie scolaire.

Nos efforts et nos attentes doivent désormais se porter sur les moyens alloués : il serait temps de savoir si nous voulons nous doter de moyens à la hauteur des principes que nous prétendons défendre.

Ne détournons pas le regard d’une grande partie du problème : l’état de la médecine scolaire dans notre pays est un scandale. Nous comptons dans notre pays 900 médecins scolaires et 7 700 infirmiers et infirmières scolaires pour 12,5 millions d’élèves – soit un médecin pour 14 000 élèves, et un infirmier ou infirmière pour 1 600 élèves. Ces effectifs ont chuté de près de 15 % en cinq ans ! C’est un scandale !

La pandémie n’a même pas été un déclic : le « quoi qu’il en coûte » s’est arrêté à la porte de l’école.

Ces professionnels sont au contact des élèves ; ils pourraient identifier les situations à risque, engager le dialogue et alerter. Mais avec des moyens humains aussi dérisoires, leur confier ces missions est impossible.

Plus largement, mes chers collègues, l’école est perméable aux violences du monde des adultes, aux injonctions permanentes et insensées, aux paroles qui blessent, aux assignations, aux discriminations. La lutte contre le harcèlement passe nécessairement par la lutte contre les discriminations, la lutte pour l’égalité et l’émancipation.

Parler du harcèlement des enfants, c’est avant tout parler de l’exemple que notre société leur donne. Et en la matière, il nous reste beaucoup à faire.