Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement
Question préalable (fin)

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Deroche, au nom de la commission, d’une motion n° 2.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à renforcer le droit à l’avortement (n° 242, 2021-2022).

La parole est à Mme la présidente de la commission, pour la motion.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Je souhaite rappeler que l’examen de ce texte par la commission la semaine passée a été l’occasion d’un débat de qualité, au cours duquel chaque collègue a pu développer ses arguments. Certains étaient pour ce texte, d’autres contre, mais chacun s’est exprimé dans le climat apaisé et respectueux que mérite un tel sujet.

Je tiens également à préciser, après Bruno Belin et le président Milon, que nous ne sommes pas en train de remettre en question le droit à l’avortement. Nous avons simplement un désaccord sur l’allongement des délais.

J’en viens donc aux arguments qui nous ont conduits à adopter une motion tendant à opposer la question préalable en commission ce matin.

Considérant que, selon les données de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), en 2017, seulement 5 % des interruptions volontaires de grossesse ont été réalisées dans les deux dernières semaines du délai légal qui est actuellement de douze semaines, et que cet acte est considéré par les professionnels de santé eux-mêmes comme d’autant moins anodin qu’il est pratiqué tardivement au cours de la grossesse ;

Considérant que l’article 70 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 autorise les sages-femmes, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, à réaliser des interruptions volontaires de grossesse instrumentales en établissement de santé, et qu’il paraît donc prématuré de pérenniser dès aujourd’hui l’extension de cette compétence aux sages-femmes ;

Considérant que le texte transmis au Sénat en seconde lecture renonce à supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG, clause qui figure dans notre droit depuis la loi Veil de 1975 et confirme ainsi le fait que cet acte mérite une considération particulière ;

Considérant que la clarté des débats aurait sans doute gagné, madame la ministre, à ce que le Gouvernement précise sa position sur ce texte avant de prendre l’initiative de l’inscrire à l’ordre du jour du Sénat en deuxième lecture ;

Considérant que le Sénat a déjà rejeté ce texte en première lecture en commission puis, par l’adoption d’une motion tendant à opposer la question préalable, en séance publique ;

La commission estime qu’il n’y a pas lieu de poursuivre l’examen de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Le premier argument avancé en faveur de la motion tendant à opposer la question préalable en dit long. Pour le traduire en termes un peu plus compréhensibles pour le grand public, comme cela ne concerne pas beaucoup de femmes, on considère qu’il n’est pas tellement important de s’en occuper.

Chaque année, environ 4 000 femmes se rendent à l’étranger pour procéder à une IVG après leur douzième semaine de grossesse. Sont concernées des femmes jeunes, précaires, victimes de violences et éloignées des centres de soins : ces femmes sont les plus susceptibles de ne pas parvenir à interrompre dans les délais légaux une grossesse qu’elles ne souhaitent pas poursuivre.

Ces difficultés peuvent également être liées à un déni de grossesse, qui constitue une expérience traumatisante en elle-même et d’autant plus difficile lorsqu’on ne souhaite pas poursuivre la grossesse.

Qu’arrive-t-il à ces femmes ? Aujourd’hui, en France, elles ont le choix entre plusieurs mauvaises options.

L’une d’entre elles est de se rendre à l’étranger – en Espagne, aux Pays-Bas – pour y subir une IVG. Ces femmes comptant souvent parmi les plus précaires, elles subissent la double peine puisque tout cela est naturellement à leurs frais : des foyers se ruinent pour pouvoir aller pratiquer une IVG à l’étranger, les femmes s’y rendent seules, se retrouvent dans une clinique où l’on ne parle pas français, dont elles repartent seules. Elles n’ont pas de congés maladie et doivent tout payer de leur poche.

D’autres femmes – personne ne semble s’en préoccuper – ne comptent pas parmi ces 4 000 qui se rendent à l’étranger parce qu’elles accouchent sous X après avoir poursuivi une grossesse contre leur gré. Mais ce traumatisme-là ne paraît pas vous déranger. Ce sont pourtant des drames par milliers que nous pouvons éviter en adoptant cette proposition de loi.

Non, nous n’avons pas le choix entre allonger les délais légaux et améliorer l’accès à l’IVG dès les premières semaines. Nous devons et nous pouvons faire les deux.

Il est certes gênant d’en débattre quand la position que l’on défend revient à ignorer ces drames. Oui, il est plus commode d’éviter le débat en adoptant une motion tendant à opposer la question préalable. À défaut, vous auriez défendu un tas d’amendements tendant à aller contre notre droit à disposer de notre corps et contre la reconnaissance que nous sommes les seules à savoir ce qui, de l’avortement ou de la poursuite d’une grossesse non désirée, est le moins traumatisant, ou, pour reprendre vos termes, ce qui est « anodin » ou non.

En adoptant cette motion tendant à opposer la question préalable que le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne votera pas, le Sénat se prononce à rebours de ce que devrait être la France en Europe aujourd’hui : un exemple, au moment où la Pologne et le Texas ont presque totalement interdit l’avortement et où ce droit est remis en cause et attaqué partout. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. J’estime tout d’abord que le travail parlementaire doit être mené jusqu’à son terme. Je rappelle ensuite que le Gouvernement a émis un avis de sagesse sur l’ensemble du texte. Enfin, un travail nourri a été accompli par les parlementaires de la majorité et d’ailleurs – je salue au passage Albane Gaillot. Ces derniers disposaient d’une totale liberté de vote et de conscience sur ce texte, et en vertu de celle-ci, ce sont eux qui ont demandé l’inscription de la deuxième lecture de ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Ne mélangeons pas tout !

J’émets un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi visant à allonger de douze à quatorze semaines le délai légal pour effectuer une IVG est tout sauf anodine pour les femmes et pour les praticiens.

Jusqu’à dix semaines, l’IVG peut être réalisée par le biais d’une aspiration avec une dilatation légère du col de l’utérus, l’embryon ne mesurant alors que six centimètres. À douze semaines, c’est une intervention beaucoup plus importante. À quatorze semaines, il ne s’agit plus d’un embryon mais d’un fœtus, avec les conséquences que cela entraîne – celles-ci ayant été développées par Alain Milon et Bruno Belin, je n’y reviens pas.

Pratiquer une IVG à ce stade comporte des risques beaucoup plus graves pour la mère, à la fois psychologiques et organiques – risque infectieux, risque d’accolement des parois utérines entraînant des difficultés pour des grossesses ultérieures, etc.

Certains praticiens nous ont indiqué qu’ils ne voulaient pas réaliser cet acte à quatorze semaines de grossesse. En tout cas, ils souhaitent conserver leur clause de conscience dans le cadre de cette intervention chirurgicale qui est un acte lourd nécessitant une dilatation du col de l’utérus de trois à quatre centimètres afin d’aller chercher le fœtus et le placenta.

Je suis donc défavorable à cette proposition de loi, tout en restant bien sûr favorable à l’IVG pratiquée jusqu’à douze semaines.

Nous devons favoriser l’accès à l’IVG dans de meilleures conditions, proposer un accueil plus adapté, rapide et personnalisé, améliorer la prévention féminine en l’envisageant avec plus d’ambitions, résoudre les difficultés dans les territoires, informer davantage. L’autorisation donnée aux sages-femmes, dont il faut augmenter le nombre – cela a été évoqué –, de pratiquer les IVG médicamenteuses et instrumentales va dans le bon sens, tout comme la téléconsultation.

La prise en charge par la sécurité sociale de la contraception féminine jusqu’à 25 ans constitue également une avancée, à condition qu’elle s’accompagne, non pas de désinformation, mais d’une large information dans les collèges et lycées.

En somme, une mobilisation plus active de l’État est nécessaire en matière d’accueil et de prévention afin de permettre aux femmes de ne pas dépasser le délai de douze semaines.

Pour ma part, je voterai la motion tendant à opposer la question préalable. (M. Bruno Belin applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour explication de vote.

Mme Corinne Imbert. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord souligner que cette proposition de loi comporte une part d’hypocrisie, puisque son intitulé n’en mentionne pas la mesure phare. Celle-ci n’est pourtant pas anodine, puisqu’elle prévoit d’allonger le délai légal pour une interruption volontaire de grossesse de douze à quatorze semaines.

Je ne reviens pas sur l’avis défavorable émis par l’Académie nationale de médecine – Alain Milon et Bruno Belin l’ont évoqué. Plusieurs collègues ont cité l’opinion du CCNE. Si le Comité estime qu’il n’y a pas d’objection éthique à cet allongement du délai, il précise toutefois qu’il « ne saurait cautionner une mesure prise pour pallier les multiples dysfonctionnements matériels, économiques, juridiques d’une politique de santé publique majeure pour les femmes. »

Le dépassement du délai légal pour une IVG peut être la conséquence du diagnostic tardif d’une grossesse, ou encore, comme l’ont indiqué Alain Milon et Bruno Belin, d’un manque de prévention et d’informations – un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) le soulignait d’ailleurs en 2019.

S’il faut bien sûr améliorer la prévention, de même que l’information, il faut sûrement aussi renforcer le droit à l’avortement par un meilleur accès aux soins en général et aux établissements pratiquant l’IVG en particulier.

En revanche, allonger le délai légal de douze à quatorze semaines de grossesse, soit de quatorze à seize semaines d’aménorrhée, c’est permettre que l’IVG soit pratiquée alors que le fœtus a gagné en volume et que son squelette s’est ossifié, ce qui rend cette intervention plus difficile. Est-ce là le renforcement d’un droit, ou une fuite en avant ? Ne nous y trompons pas, mes chers collègues.

Pour toutes ces raisons, et sans remettre en cause – je le répète très solennellement – le droit à l’avortement, l’ensemble du groupe Les Républicains votera en faveur de la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Je souhaite tout d’abord réaffirmer mon attachement profond au droit à l’IVG, à la loi Veil et à l’accès partout et pour toutes les femmes à l’interruption volontaire de grossesse.

Je regrette évidemment le parcours chaotique de cette proposition de loi. Celui-ci aura mis en exergue les contradictions du Gouvernement : en juin dernier, le Président de la République s’exprimait contre l’allongement du délai de douze à quatorze semaines ; or ce soir, madame la ministre, si vous avez indiqué que vous étiez défavorable à cette motion tendant à opposer la question préalable, vous n’avez pas clairement pris position sur cet allongement du délai de douze à quatorze semaines.

Si nous débattons de ce texte aujourd’hui, c’est effectivement grâce au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Je souhaite toutefois rappeler, mes chers collègues, que si nous avons à débattre de ce sujet ce soir, c’est aussi parce qu’il y a quarante-sept ans, le 17 janvier, une femme et ministre centriste portait et parvenait à imposer un vote sur un projet de loi majeur pour les femmes.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Patrick Kanner. Grâce à la gauche !

Mme Annick Billon. Les oppositions que Simone Veil dut affronter alors étaient d’une grande violence. Je me réjouis donc que nous puissions aujourd’hui débattre presque sereinement de ce sujet.

À titre personnel – je ne m’exprime pas, ce soir, au nom de la délégation aux droits des femmes –, je voterai la motion tendant à opposer la question préalable proposée par la présidente Catherine Deroche.

Pourquoi ? Parce que les nombreux professionnels que j’ai interrogés sont très partagés sur cet allongement.

Parce qu’avant d’allonger les délais, on doit garantir l’accès à l’IVG pour toutes les femmes. Je rappelle qu’en quinze ans, 130 centres pratiquant des IVG ont été fermés. Je rappelle également que 65 % des IVG sont pratiquées sur des jeunes femmes âgées de 19 à 25 ans, ce qui démontre que nous avons failli en matière d’éducation sexuelle et reproductive. Une telle éducation a pourtant été rendue obligatoire au collège et au lycée par différentes lois.

Parce que l’allongement de dix à douze semaines n’a pas eu d’effet sur le nombre de recours à l’IVG.

Parce qu’on nous propose de passer de douze à quatorze semaines, mais que je n’ai pas réussi à obtenir d’explication sur les raisons de ce choix : pourquoi pas seize, quinze ou même treize semaines ?

Avant de nous poser la question de l’allongement du délai de recours à l’IVG, donnons-nous enfin les moyens de former et d’informer les jeunes garçons et filles, et garantissons un égal accès à l’IVG pour toutes les femmes.

Laurence Cohen et Bruno Belin ont cité les travaux menés par la délégation aux droits des femmes sur la situation des femmes dans les territoires ruraux. Certains territoires sont complètement démunis : treize départements ne sont pourvus d’aucun gynécologue médical, et ces spécialistes sont en nombre insuffisant dans soixante-dix-sept autres départements. Dans ces territoires, l’accès à l’information, à la prévention et bien entendu à l’IVG est difficile pour toutes les femmes.

Je suis attachée au droit à l’IVG, et je voterai cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, compte tenu des demandes d’explication de vote que j’ai reçues, je précise que seuls les orateurs appartenant à un groupe peuvent intervenir à ce stade du débat, et qu’un seul orateur de chaque groupe peut prendre la parole.

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Renforcer le droit à l’avortement, c’est renforcer les droits des femmes. Cette question majeure méritait mieux que le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable par la majorité sénatoriale de droite, qui empêche ainsi tout débat.

Déjà à l’Assemblée nationale, 580 amendements avaient été déposés pour bloquer l’adoption de ce texte. Ce n’est pas bien glorieux.

Par ailleurs, justifier cette motion tendant à opposer la question préalable en invoquant le maintien par l’Assemblée nationale de la double clause de conscience, maintien qui démontrerait que « cet acte mérite une considération particulière », est d’une grande mauvaise foi. Si nous avions pu examiner ce texte, le groupe CRCE aurait présenté un amendement visant à supprimer cette clause de conscience. Mais il aurait fallu aller jusqu’au bout et examiner ce texte afin d’en débattre.

Enfin, de nombreux collègues ont évoqué l’opposition de professionnels à ce texte. Mais la majorité des professionnels y sont au contraire favorables – nous en avons auditionnés plusieurs –, et parmi eux figurent des personnalités notoires.

Avec l’ensemble du groupe CRCE, j’estime que le Sénat ne sortira pas grandi de cette utilisation de notre règlement pour faire échec à l’extension des droits des femmes. Le débat aurait pu et aurait dû avoir lieu.

Pour toutes ces raisons, et parce que nous soutenons cet allongement du délai, le groupe CRCE votera contre cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Je ne me prononcerai pas sur la stratégie employée par nos collègues pour s’opposer indirectement à une proposition de loi qui, de notre point de vue, améliore et consolide le droit effectif pour les femmes de recourir à l’avortement, privant ainsi les groupes politiques de la possibilité de débattre, y compris peut-être dans la diversité de leurs points de vue.

Je m’étonne toutefois – c’est paradoxal – que tout en estimant que le débat s’était bien déroulé et qu’il avait été riche dans le huis clos de la commission, celle-ci décide, au travers d’une motion tendant à opposer la question préalable, de nous priver de débat public, et ceux qui sont venus nous écouter avec.

Le débat n’aura donc pas lieu, et ce pour la deuxième fois.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires réaffirme son soutien à cette proposition de loi, tout en regrettant que la suppression de la double clause de conscience n’y figure plus. Nous estimons que la clause générale suffit pour cet acte certes singulier – bien d’autres actes le sont –mais pas à part, sauf à poser un stigmate. De fait, seul le stigmate que l’on pose est singulier.

Nous sommes très confiants dans l’adoption finale de cette proposition de loi et soutenons aussi bien l’allongement du délai d’IVG que l’extension des compétences des sages-femmes aux IVG chirurgicales. Cette dernière mesure permettra de réduire les inégalités territoriales, voire sociales, d’accès à ce droit qui vous occupent tant.

N’oublions pas toutefois que d’autres facteurs contribuent à l’allongement des délais : la fermeture des centres pratiquant l’IVG, la pénurie de personnels de santé et de spécialistes, et l’insuffisance des politiques de prévention et d’éducation en matière de santé sexuelle et reproductive.

Cette proposition de loi devra donc s’accompagner de politiques publiques de santé beaucoup plus volontaristes.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre la motion tendant à opposer la question préalable. S’il n’en avait pas été privé, il aurait voté cette proposition de loi sans hésitation et – j’ose le dire – avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. J’aurais bien sûr préféré que la proposition de loi soit adoptée. J’aurais préféré vous convaincre, mes chers collègues !

Le vote de la motion tendant à opposer la question préalable consiste en fait à voter contre la proposition de loi. Je voterai, quant à moi, contre cette motion pour pouvoir voter pour la proposition de loi.

Je tiens à répondre aux collègues qui nous ont expliqué à grand renfort d’arguments physiologiques à quel point l’avortement au-delà de douze semaines devenait un acte horrible car, dans l’intervalle, l’embryon était devenu un fœtus. Pour ma part, depuis une trentaine d’années, je reçois régulièrement la propagande du lobby anti-IVG, notamment de petits poupons dans des pots de confiture couleur groseille sanguinolente visant à me montrer à quel point il est criminel de défendre l’avortement comme je le fais. Je suis donc assez peu sensible à ce type d’arguments.

Il faut bien comprendre que les femmes enceintes qui arrivent dans le cabinet d’un gynécologue obstétricien ou dans un centre d’orthogénie après le délai légal d’IVG partiront de toute façon à l’étranger.

Vous avez cité abondamment le professeur Nisand, qui après avoir défendu l’avortement, s’est reconverti dans la fertilité, se fixant comme objectif la naissance du maximum d’enfants. Mais je peux vous citer d’autres médecins – Laurence Cohen les a évoqués – qui, contrairement au professeur Nisand, continuent de pratiquer des avortements et d’accueillir des femmes en situation de détresse.

Je vous invite à vous rendre à la Maison des femmes de Saint-Denis et dans les autres structures qui se créent actuellement en France à l’image de cet établissement, et à discuter avec les médecins qui sont confrontés à la détresse des femmes. Que pensez-vous qu’ils leur répondent ? Ils les aident à trouver une solution, à partir à l’étranger s’il le faut. Certains organisent des quêtes dans les services de l’hôpital pour payer l’avortement que les femmes en grande difficulté ne peuvent pas se payer.

Il me paraît donc assez hypocrite et en fin de compte assez peu compatissant de s’acharner à expliquer l’aspect physiologique d’un avortement à treize semaines. Croyez-moi, les femmes sont au courant !

Quant aux médecins, je ne suis pas certaine que ceux qui refuseraient de pratiquer une IVG à quatorze semaines en pratiquent à douze semaines. En revanche, je connais des médecins qui pratiquent des avortements aujourd’hui, et qui en pratiqueront également à quatorze semaines. Ils reconnaissent que cet acte n’a rien de marrant, mais c’est aussi le cas de nombreux autres actes médicaux.

Croyez-vous qu’il soit anodin pour un médecin de pratiquer une double mastectomie sur une jeune femme porteuse d’un gène du cancer du sein ? (Quelques protestations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.) Certains médecins opposent d’ailleurs leur clause de conscience générale pour éviter de pratiquer ce type d’acte. Mais pour les autres, c’est un moment douloureux.

Être gynécologue obstétricien, c’est choisir le camp des femmes, pour mettre fin à leurs souffrances. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet, pour explication de vote.

Mme Nadège Havet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce matin Emmanuel Macron, Président de la République et président du Conseil de l’Union européenne, tenait un discours devant les eurodéputés. À cette occasion, il a annoncé vouloir inscrire le droit à l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, deux semaines après qu’il a rendu hommage à Simone Veil.

Le texte dont nous débattons aujourd’hui prévoit l’allongement du délai d’IVG. Début décembre, son examen par l’Assemblée nationale a été l’occasion de débats houleux, mais ces derniers ont eu lieu.

Il y a un an jour pour jour, dans cet hémicycle, nous étions empêchés de débattre de ce texte en première lecture, après l’adoption d’une motion tendant à opposer la question préalable. Je l’avais fortement regretté.

Alors que, dans le même temps, on reprochait au Gouvernement de contourner le Parlement, le Sénat se court-circuitait lui-même. Quel dommage…

Un dommage n’arrivant jamais seul, voici le second renvoi ; cela commence à faire beaucoup. J’aurais pour ma part voté ce texte, et je voterai contre la motion.

En effet, des milliers de femmes en France se retrouvent chaque année hors délai et partent pour cette raison avorter à l’étranger.

Les femmes qui arrivent tardivement dans les parcours d’IVG sont souvent des femmes jeunes, victimes de violences conjugales ou éloignées des centres de soins – la députée Albane Gaillot, autrice de cette proposition de loi, l’a justement rappelé.

Ce texte vise à défendre les femmes les plus éloignées d’un accès à l’IVG. Il ne suffira pas à lui seul à résoudre les difficultés d’accès à l’avortement, mais il permet d’apporter une réponse.

Saisi par le ministre de la santé et des solidarités, le Comité consultatif national d’éthique s’est prononcé positivement sur l’opportunité de l’allongement, en précisant que le délai était en moyenne de treize semaines au sein de l’Union européenne.

Certains ont évoqué le risque de traumatisme. Loin de moi l’idée de considérer que l’avortement est un acte anodin – il ne l’est jamais. Mais n’est-il pas également traumatisant de mener une grossesse à terme contre son gré ?

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 82 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 202
Contre 138

Le Sénat a adopté.

En conséquence, la proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement est rejetée.

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Question préalable (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement