M. Bernard Bonne, rapporteur. Pas tout !

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Si, tout de même ! Je pense notamment à la proposition de loi relative à l’adoption.

Nous n’étions pas prêts à légiférer sur certains sujets, en particulier sur la prostitution des mineurs. Lorsque nous avons présenté le plan de lutte contre les violences faites aux enfants, en novembre 2019, nous n’étions pas prêts collectivement à bâtir un plan de lutte contre la prostitution des mineurs. C’est pourquoi un groupe de travail a été créé sur ce sujet, qui a été confié à Catherine Champrenault. Ses travaux ont abouti au lancement du premier plan national de lutte contre la prostitution des mineurs, lequel a été présenté le 15 novembre dernier.

L’ensemble de ces mesures – je le vois et j’en suis convaincu – commencent à gagner en cohérence.

Par ailleurs, le Gouvernement met en œuvre de nombreuses actions dans le secteur du numérique, à l’échelon national, mais aussi européen – j’étais à Bruxelles l’année dernière. Ce sujet fera partie de ceux qui seront abordés au cours de la présidence française du Conseil de l’Union européenne durant les six prochains mois.

À titre d’exemple, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a mis en demeure hier cinq sites pornographiques qui se contentaient d’afficher un disclaimer, cette case que l’on coche pour confirmer que l’on a plus de 18 ans. Nous avons considéré – et vous avez voté en ce sens dans le cadre de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales – qu’un tel avertissement n’était plus suffisant pour prouver sa majorité et éviter aux mineurs d’être exposés à des contenus pornographiques. La mise en demeure de ces sites par le CSA résulte donc d’une action conjointe du Parlement, du Gouvernement et des associations, qu’il convient de saluer.

Nous reviendrons également sur le mentorat, qui compte parmi les mesures que nous mettrons en œuvre. Nous proposerons en effet que soient systématiquement désignés un parrain et un mentor. À cette fin, nous mobiliserons le dispositif « 1 jeune, 1 mentor », qui n’est pas réservé aux seuls jeunes relevant de la protection de l’enfance.

Madame la sénatrice Imbert, la proposition de loi relative à l’adoption que vous évoquez, qui n’a pas abouti en commission mixte paritaire en raison d’un article qui posait problème au Sénat, est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale en seconde lecture pour la mi-janvier 2022. Nous avons donc bon espoir que le texte puisse être adopté définitivement – c’est ma volonté – d’ici la fin de la mandature.

De même, madame Meunier, une CMP est prévue à la mi-janvier sur le présent projet de loi.

Je m’étais engagé à ce que ce texte soit examiné au Sénat d’ici la fin de l’année – nous sommes mi-décembre – et adopté d’ici la fin de la mandature. Je ne préjugerai ni de l’issue de nos débats ni de celle de la CMP, mais tel est bien l’objectif.

Madame Poncet Monge, vous avez cité l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Or cet avis portait sur la première mouture du texte. Quand nous avons présenté ce texte, je comptais – c’est toute la richesse du parlementarisme – sur son enrichissement par les députés – cela a été le cas – et les sénateurs, en particulier sur certains points concernant les compétences des collectivités locales.

La commission a prouvé que cet enrichissement se poursuivait. Je suis par ailleurs convaincu que les prochaines quarante-huit heures nous permettront d’améliorer encore le texte.

Alors qu’on disait que ce texte manquait d’ambition lorsqu’il a été présenté, on regrette désormais qu’il n’ait pas été examiné plus tôt au Sénat. Je me dis donc qu’il s’est plutôt bonifié grâce aux parlementaires – j’en suis sincèrement ravi – et au Gouvernement, qui a lui aussi déposé des amendements et le fera encore au cours de nos débats.

Madame Cohen, vous avez évoqué l’absence de moyens. Les mineurs non accompagnés, dont vous avez été nombreux à parler, bénéficieront aussi des mesures prévues dans ce texte afin d’améliorer le système de protection de l’enfance, sécuriser les parcours et accompagner les jeunes vers l’autonomie. Avant d’être des étrangers, ces mineurs sont évidemment des enfants et, à ce titre, ils relèvent de la protection de l’enfance.

La question des assistantes familiales a également été abordée. M. le rapporteur a fait adopter un amendement visant à sécuriser leur rémunération au niveau du SMIC dès l’accueil du premier enfant.

J’y reviendrai lors de l’examen des articles 9, 10 et suivants : de nombreuses dispositions relèvent de la loi, mais beaucoup d’autres sont de nature réglementaire, notamment celles qui concernent la réingénierie des diplômes, ainsi que la revalorisation de l’indemnité pour l’accueil d’un enfant en situation de handicap.

Je vous présenterai un état des lieux de nos discussions avec les associations d’assistantes familiales, avec lesquelles nous travaillons depuis un an et que vous connaissez bien.

Madame Cohen, vous défendrez un amendement fort utile portant sur le contrôle des assistantes familiales. Je vous le dévoile par avance – je spoile, comme disent les jeunes ! –, cet amendement recevra un avis favorable du Gouvernement. J’espère donc que vous voterez le texte, in fine, pour que votre amendement puisse être adopté. (Sourires.)

Mme Laurence Cohen. Nous avons déposé plusieurs amendements ! (Sourires.)

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. C’est un amendement très utile, madame la sénatrice !

Vous avez par ailleurs rappelé que 3 millions d’enfants vivent sous le seuil de pauvreté dans notre pays. C’est là l’une des premières formes de violence que subissent les enfants ; c’est en ces termes qu’il faut en parler.

L’enfant et la famille sont précisément au cœur de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté.

De même, au cours de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, nous mettrons en avant la garantie européenne pour l’enfance. Ce projet, porté par le Parlement européen, dont l’initiative date de plusieurs années, vise à réduire la pauvreté des enfants en Europe, sujet par lequel notre pays est concerné. Dans ce cadre, la France annoncera un certain nombre de mesures. Enfin, ce projet donnera lieu à un événement le 4 mars prochain.

Madame Michelle Meunier, j’ai répondu à certains des points que vous avez soulevés.

Sur la question des hôtels, madame la sénatrice, et de manière générale, j’essaie de faire preuve de pragmatisme, mais aussi d’humilité – je me permets de le dire –, car ces sujets sont compliqués. Sur la question des hôtels, donc, le Gouvernement avait présenté une proposition qui se voulait pragmatique, que l’Assemblée nationale a adoptée après l’avoir quelque peu modifiée. Le Sénat propose une autre solution.

La situation a évolué depuis lors. Elle évolue de manière générale depuis la parution du rapport de l’IGAS. Stéphane Troussel, le président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, avec lequel j’ai échangé il y a trois semaines, me disait que son département ne comptait plus que deux cents mineurs non accompagnés hébergés dans des hôtels, contre huit cents précédemment.

Je suis très à l’écoute des départements et de leurs représentants, ici au Sénat, sur ce sujet, sur lequel il ne faut pas faire preuve de dogmatisme. Personne ne peut garantir que la situation actuelle perdurera pendant six mois, un an ou deux ans, ni affirmer que telle ou telle solution doit être mise en œuvre pour y remédier.

Nous aurons des débats et des échanges sur ce sujet, sur lequel je fais preuve, je le répète, de pragmatisme et d’humilité.

Nous parlerons aussi des CPOM, dont j’ai discuté avec le rapporteur de l’Assemblée nationale. Sur ce point, je m’en remettrai à la sagesse du Parlement. Si la proposition que je fais ne vous convient pas, si elle ne convient pas aux départements, j’aurai une solution de repli à vous proposer.

Je suis un peu étonné par les remarques que vous avez faites sur la gouvernance nationale, mais nous en reparlerons. Cette réforme est non pas une lubie de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), dont les représentants sont ici présents à mes côtés, mais une lubie de ma part. Je me suis inspiré, comme je le dis depuis le début, de la réforme, dans le champ du handicap, de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Je pense qu’il y a de bonnes choses à en tirer – cette comparaison ayant toutefois ses limites – et qu’il faut renforcer la gouvernance sur ce modèle.

Cette réforme constituera une réponse à un problème soulevé par Mme la sénatrice Rossignol, celui de l’insuffisance de la connaissance en matière de protection de l’enfance.

L’objectif est non pas de fusionner des organismes existants, mais de faire une réforme qui ait du sens. Il faut accroître nos connaissances en matière de protection de l’enfance et procéder pour ce faire à une réforme dans la réforme. Cette dernière passe par un renforcement de l’ONPE et par l’arrimage de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) pour avoir une meilleure animation des ODPE et remontée des informations.

Vous avez parlé de cotutelle à propos de la gouvernance locale. Cette « cogouvernance » – je ne sais pas comment l’appeler, nous en reparlerons – entre le département et le préfet signifie que les services de l’État vont s’impliquer de nouveau dans les territoires. Leur absence constitue, comme je le dis depuis le départ, une partie du problème. Je suis étonné que vous y soyez opposée, mais nous aurons l’occasion d’en discuter.

Pour conclure, je remercie Mme°Rossignol d’avoir rappelé que notre système sauve également des vies, même s’il faut encore l’améliorer. Nous sommes ici, ensemble, pour cela.

Mme le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

projet de loi relatif à la protection des enfants

TITRE Ier

AMÉLIORER LE QUOTIDIEN DES ENFANTS PROTÉGÉS

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des enfants
Article 1er bis

Article 1er

I. – La section 2 du chapitre Ier du titre IX du livre Ier du code civil est ainsi modifiée :

1° L’article 375-3 est ainsi modifié :

a) Après le 5°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Sauf urgence, le juge ne peut confier l’enfant au titre des 3° à 5° qu’après évaluation par le service compétent des conditions d’éducation et de développement physique, affectif, intellectuel et social de l’enfant dans le cadre d’un accueil par un membre de la famille ou par un tiers digne de confiance, en cohérence avec le projet pour l’enfant prévu à l’article L. 223-1-1 du code de l’action sociale et des familles, et après audition de l’enfant lorsque ce dernier est capable de discernement. » ;

b) À la deuxième phrase du septième alinéa, après la référence : « 373-3 », sont insérés les mots : « du présent code » ;

2° Après la troisième phrase du quatrième alinéa de l’article 375-7, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Lorsque le juge des enfants ordonne que le droit de visite du ou des parents de l’enfant confié dans le cas prévu au 2° de l’article 375-3 s’exerce en présence d’un tiers, il peut charger le service d’aide sociale à l’enfance ou le service chargé de la mesure mentionnée à l’article 375-2 d’accompagner l’exercice de ce droit de visite. »

II. – L’article L. 221-4 du code de l’action sociale et des familles est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Dans le cas mentionné au 2° de l’article 375-3 du même code, en l’absence de mesure d’assistance éducative en milieu ouvert, un référent du service de l’aide sociale à l’enfance ou un organisme public ou privé habilité dans les conditions prévues aux articles L. 313-8, L. 313-8-1 et L. 313-9 du présent code informe et accompagne le membre de la famille ou la personne digne de confiance à qui l’enfant a été confié. Il est chargé de la mise en œuvre du projet pour l’enfant prévu à l’article L. 223-1-1. Les conditions d’application du présent alinéa sont précisées par décret. »

Mme le président. L’amendement n° 392, présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Supprimer les mots :

Sauf urgence,

La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. L’article 1er prévoit la possibilité de confier un enfant à un membre de sa famille ou à un tiers de confiance, plutôt que de le placer dans un établissement. Nous sommes tous d’accord sur ce point.

Tel qu’il est actuellement rédigé, cet article prévoit une procédure assez longue d’évaluation par le service compétent, ce qui paraît normal, afin que soit bien pris en compte l’environnement dans lequel pourrait grandir l’enfant.

Toutefois, au regard de l’état actuel des services de l’ASE et du manque de moyens dont ils souffrent, je crains que la formule « sauf urgence » ne rende inopérante cette phase d’évaluation. De fait, l’urgence est malheureusement caractéristique et symptomatique des situations nécessitant la protection d’un enfant.

D’un côté, on prend des précautions dans l’intérêt supérieur de l’enfant, de l’autre, on risque de les rendre inapplicables, l’urgence étant non pas exceptionnelle, mais constante et permanente.

Monsieur le secrétaire d’État, comment allez-vous pouvoir concilier ces deux temps différents, celui de l’urgence et la phase d’évaluation ?

L’alinéa 4 nous paraît un peu confus, voire antinomique.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Bernard Bonne, rapporteur. Supprimer la dérogation visant à permettre au juge, en cas d’urgence, de ne pas attendre l’évaluation des services de l’ASE, ne me semble pas très opportun.

Je soutiens l’obligation pour le juge, prévue à l’article 1er, d’examiner la possibilité pour l’enfant d’être accueilli par un tiers, sur la base d’une évaluation des services. Cependant, dans certains cas, cette évaluation peut prendre du temps, comme vous le disiez.

En cas d’urgence avérée, il n’est pas souhaitable pour la protection de l’enfant que l’application de la décision soit freinée ou fragilisée par la nécessité d’obtenir cette évaluation.

Le maintien de cette dérogation n’empêchera pas, de toute façon, le juge de confier l’enfant à un tiers en urgence s’il dispose des informations lui permettant de le faire et de considérer qu’il s’agit de la meilleure option dans l’intérêt de l’enfant.

Si le juge doit décider en urgence, rien ne l’empêchera ensuite de réviser sa décision, sur la base de l’évaluation des services de l’ASE.

Il me paraît donc essentiel de maintenir cette dérogation, pour s’adapter à chaque situation, et pour la meilleure protection de l’enfant.

La commission émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 392.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Avis similaire, pour les raisons qui ont été assez bien exposées par M. le rapporteur et que je ne répéterai donc pas.

En réalité, nous avons assez peu parlé de cet article 1er – jusqu’à la parution hier d’un article dans un journal du soir. Comme cela a été dit au cours de la discussion générale, la question de l’existence d’un tiers digne de confiance est désormais systématiquement posée – par les travailleurs sociaux comme par les juges.

Je ne porterai pas de jugement sur la façon de penser des juges. Des propos ont été tenus tout à l’heure sur ce point. Je n’ai pas réellement d’avis sur ce sujet.

Désormais, il faudra systématiquement se poser la question de l’existence d’un tiers digne de confiance. Il s’agit effectivement d’un changement de pratique. C’est pour cela que nous l’inscrivons dans la loi.

Un tiers des courriers concernant l’aide sociale à l’enfance que je reçois au ministère portent sur ce sujet. Ils émanent de grands-parents, d’oncles ou de tantes qui ne comprennent pas pourquoi leur petit-fils ou leur nièce a été placé ou confié à une famille d’accueil alors qu’ils auraient pu s’en occuper.

C’est compliqué d’être un tiers digne de confiance. Cela nécessite un accompagnement et un encadrement. C’est d’ailleurs pour cette raison que les députés ont prévu une mesure complémentaire, une action éducative en milieu ouvert ou une assistante administrative. Le juge ou l’ASE restera évidemment dans la boucle. Les députés ont en outre précisé qu’un référent devrait être désigné au sein de l’ASE pour suivre les tiers dignes de confiance.

Cet article 1er n’en produira pas moins un effet de levier. Le dispositif que nous proposons se développera à la faveur de la pratique et changera par rapport à ce qui se fait aujourd’hui. Dans un pays comme l’Allemagne, les enfants sont bien plus souvent confiés à des proches ou à des membres de la famille élargie.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 392.

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Notre amendement était davantage un amendement d’appel. Malheureusement, d’autres amendements, émanant notamment de nos collègues socialistes et visant à prévoir une sanction de caducité, ont été déclarés irrecevables.

Compte tenu des explications qui m’ont été fournies, je retire cet amendement, tout en espérant que la difficulté que j’ai soulevée pourra être examinée.

Mme le président. L’amendement n° 392 est retiré.

Je suis saisie de cinq amendements identiques.

L’amendement n° 136 est présenté par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco et MM. Parigi et Salmon.

L’amendement n° 182 rectifié bis est présenté par MM. Chasseing, Guerriau, Decool, Capus et Médevielle, Mme Mélot, MM. Lagourgue, A. Marc et Menonville, Mme Paoli-Gagin, MM. Wattebled, Lefèvre et J.M. Arnaud, Mme F. Gerbaud, M. Levi et Mmes Guidez et Perrot.

L’amendement n° 224 est présenté par Mmes Meunier et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mmes Le Houerou et Jasmin, M. Jomier, Mmes Poumirol, Rossignol et Harribey, MM. Sueur, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 296 rectifié est présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Bilhac, Cabanel, Fialaire, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier et Roux.

L’amendement n° 383 est présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces cinq amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 4

Supprimer les mots :

lorsque ce dernier est capable de discernement

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 136.

Mme Raymonde Poncet Monge. Par cet amendement, nous proposons de ne pas limiter l’audition des enfants à ceux d’entre eux qui sont capables de discernement lorsqu’il est question de les confier à un tiers digne de confiance ou à un membre de leur famille.

Le code de procédure civile ne prévoit l’audition de l’enfant que dans le cas où ce dernier est capable de discernement. Pourtant, la notion même de discernement et l’âge à partir duquel l’enfant est considéré comme discernant posent question.

Le Syndicat de la magistrature, dans son avis sur le projet de loi, souligne que « les juges des enfants disposent trop souvent d’un temps insuffisant pour les audiences en raison du nombre de dossiers qu’ils ont à traiter » – nous en avons discuté tout à l’heure –, « ce qui les conduit à fixer arbitrairement un âge en deçà duquel ils ne convoquent pas les enfants ». Nous faisons donc face à une contrainte de moyens.

Cette situation est dommageable, car, selon le même syndicat – de concert avec toutes les associations –, l’audition d’enfants, même jeunes, présente un réel apport dans la compréhension de la dynamique familiale et de la situation de danger.

Un enfant, quel que soit son âge, est en mesure d’exprimer – à sa manière, bien sûr – son bien-être ou son mal-être en présence de la personne pressentie pour l’accueillir. Sa présence et son audition sont donc toujours utiles et nécessaires à la compréhension de l’intérêt supérieur de l’enfant – principe qui, nous le rappelons, guide les autorités départementales et judiciaires.

Mme le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour présenter l’amendement n° 182 rectifié bis.

Mme Colette Mélot. Il est défendu, madame la présidente.

Mme le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour présenter l’amendement n° 224.

Mme Michelle Meunier. Il a été fort bien défendu par Mme Poncet Monge. Je rappellerai simplement que Françoise Dolto considérait que « le bébé est une personne » !

Au-delà de l’anecdote, il faut donner à l’enfant, quel que soit son âge et quel que soit son état de santé, la possibilité de parler.

Mme le président. La parole est à M. Éric Gold, pour présenter l’amendement n° 296 rectifié.

M. Éric Gold. L’article 1er prévoit que soit systématiquement examinée la possibilité de confier l’enfant à un membre de sa famille ou à un tiers digne de confiance.

L’Assemblée nationale a souhaité que le juge des enfants puisse auditionner les enfants capables de discernement. Il s’agit ainsi de replacer l’enfant au cœur de la procédure et de trouver une solution qui corresponde le mieux à ses besoins.

L’audition permettra en effet au magistrat de prendre connaissance des liens que l’enfant a noués avec la personne susceptible de l’accueillir, mais également de s’assurer que cette dernière ne suscite ni crainte ni tensions.

Nous pensons qu’un enfant, quel que soit son âge, est capable d’exprimer à sa manière son bien-être ou son mal-être en présence de la personne pressentie pour l’accueillir. Dans ces conditions, il ne nous semble pas opportun de limiter cette audition aux seuls enfants capables de discernement.

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 383.

Mme Laurence Cohen. Notre amendement étant identique aux précédents, il est défendu. Permettez-moi néanmoins de faire quelques réflexions supplémentaires.

La notion de discernement est trop restrictive. Les représentants de l’association Repairs! insistent sur le fait que les enfants censés ne pas être discernants sont justement les plus vulnérables. Il convient donc de les protéger encore davantage.

En tant qu’orthophoniste, je peux témoigner du fait que le langage non verbal peut être utilisé pour détecter un éventuel problème entre l’enfant et la personne pressentie pour l’accueillir, et ce, quel que soit son âge. Il est important de le souligner.

Je rappelle également que le juge prend souverainement la décision de maintenir l’enfant dans son environnement familial ou, au contraire, de l’en éloigner au nom de son intérêt supérieur.

Il me paraît très regrettable de réserver l’audition par le juge aux seuls enfants capables de discernement.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Bernard Bonne, rapporteur. Les amendements identiques nos 136, 182 rectifié bis, 224, 296 rectifié et 383 tendent à prévoir que le juge devra recueillir et prendre en compte l’avis de l’enfant avant d’ordonner un accueil chez un membre de la famille ou un tiers digne de confiance, alors que l’article 1er ne prévoit qu’une obligation d’entendre le mineur capable de discernement. Nous avons déjà rejeté un amendement similaire en commission.

Il est certes souhaitable de prendre en compte l’avis de l’enfant et le juge peut déjà le faire en assistance éducative, que l’enfant soit discernant ou non.

J’indique en outre qu’un amendement du Gouvernement à l’article 7 bis vise à systématiser l’audition individuelle par le juge de l’enfant discernant, ce qui me semble très positif.

Toutefois, poser une obligation d’entendre l’enfant, même non discernant, dans ces seules situations revient à créer une dérogation peu opportune. En effet, le code civil pose le principe selon lequel l’enfant capable de discernement peut être entendu par le juge pour toute procédure le concernant. Il ne me semble pas justifié de déroger à ce principe dans ce seul cas particulier.

Par ailleurs, cette obligation ne pourra pas être respectée, en pratique, pour des enfants très jeunes qui ne sont pas capables de s’exprimer.

Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur ces amendements identiques.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Comme je l’ai souligné lors de la discussion générale, le Gouvernement présentera un amendement visant à systématiser l’audition des enfants par le juge et donc à mieux prendre en compte leur parole.

Nous aurons un débat sur la question de la représentation systématique de l’enfant par un avocat et sur les amalgames entre cette représentation et la parole de l’enfant. La parole de l’enfant, c’est la parole de l’enfant. C’est pourquoi, dans la lignée notamment du rapport de Gautier Arnaud-Melchiorre, nous proposerons que l’enfant soit systématiquement auditionné par le juge, et ce seul.

La question du discernement est effectivement un sujet important, qu’il faut laisser à l’appréciation du juge. Tout dépend en réalité du contexte et de la capacité intellectuelle de chaque enfant à comprendre ce dont il s’agit, ce dont on parle, le concernant.

Toute velléité – non pas ici, mais à l’Assemblée nationale – de fixer des âges et de figer la notion de discernement irait à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui doit être appréhendé en fonction du contexte et des éléments le concernant.

Pour ces raisons, le Gouvernement demande le retrait de ces amendements ; à défaut, l’avis serait défavorable.

Mme le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.

M. Arnaud de Belenet. Je voterai ces amendements, car ils me paraissent de bon sens et adaptés à la réalité de ces situations, que nous ne pouvons pas méconnaître.

Il ne s’agit pas de créer une exception ni un cas singulier. L’enjeu est de prendre en compte la parole de l’enfant avant de décider de le confier ou non à un tiers digne de confiance, et ce que l’enfant soit discernant ou non, qu’il ait ou non la parole.

Il est des enfants qui n’ont pas la parole, mais qui sont tout à fait capables de s’exprimer. Si l’on dit à l’un de ces enfants, non discernant, handicapé, qu’on va le confier à telle ou telle personne, l’on voit immédiatement dans son comportement si cette personne est acceptée par l’enfant ou si, au contraire, elle ne l’est pas.

Ces amendements me semblent donc humains, pragmatiques. Ils prennent en compte la réalité de ce que sont les enfants, y compris les enfants légèrement différents.