Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Éric Kerrouche. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, chère Martine Filleul, la participation électorale s’effrite depuis 1989, les années 2020 et 2021 ayant constitué des records. Les jeunes figurent effectivement parmi les plus abstentionnistes, en concurrence avec leurs aînés de plus de 80 ans.

Cette évolution est inquiétante : le vote, c’est la pacification de la vie politique ; l’alternative, c’est la participation violente.

Dans ces conditions, il faut essayer de nouvelles solutions. Aujourd’hui, en leur donnant le droit de vote, nous voulons tout simplement que les 1,6 million de jeunes de 16 et 17 ans entrent pleinement dans la communauté des citoyens.

Je félicite d’ailleurs le parti Les Républicains qui, à l’occasion de son récent congrès visant à désigner son candidat à l’élection présidentielle, a permis aux jeunes de prendre part au vote dès l’âge de 16 ans !

Pourtant, certains – parfois les mêmes – s’opposent à cette mesure. Le premier argument, en forme d’argutie, permet d’éviter le débat de fond : il s’agit du risque d’inconstitutionnalité. Ce débat juridique a été tranché en 1974 et l’évolution de la doctrine à la suite des travaux d’un seul professeur ne saurait suffire, madame la rapporteure. Si, malgré tout, risque il y avait, il serait possible de le lever.

Deuxième argument : le risque d’effet domino sur d’autres majorités, qui viendrait diminuer la protection des mineurs. Il existe d’ores et déjà une pluralité de majorités et cette pluralité peut tout à fait être maintenue. Certains, d’ailleurs, voudraient-ils abaisser la majorité pénale à 16 ans qu’il n’y aurait, bien entendu, aucun problème !

Troisième argument : l’inutilité ou l’inefficacité de cette mesure, dont l’abstention des 18-25 ans serait la preuve. Le temps de parole limité dont je dispose ne me permet pas de développer ma réponse, mais il est tout de même assez étonnant d’oublier les spécificités de cette classe d’âge. Insertion professionnelle, études, mobilité, etc., il y a toujours eu un cycle de vie électoral.

La plupart des politistes s’accordent à dire qu’un « tunnel d’apprentissage électoral et démocratique » qui commencerait dès l’âge de 16 ans serait bénéfique, en ce qu’il permettrait une accommodation à la vie politique. À cet âge, les jeunes sont plus captifs que ceux qui ont achevé leur cycle secondaire et entament des études universitaires.

Quatrième argument, qui vient d’être avancé : le droit de vote à 16 ans ne serait pas une revendication de la jeunesse. Figurez-vous que, avant 1945, le droit de vote des femmes n’était pas réclamé par toutes les femmes ! (M. François Bonhomme manifeste son désaccord.)

Considérons simplement le vote à 16 ans comme un outil parmi d’autres pour lutter contre le désintérêt de la jeunesse envers la politique.

Cinquième argument : l’immaturité. Si la maturité s’atteint, elle se dégrade aussi…

M. Patrick Kanner. C’est vrai !

M. Éric Kerrouche. Plus sérieusement, cet argument de l’immaturité a été employé en 1974 et, plus tôt, en 1944 à l’encontre des femmes.

Le niveau d’éducation et d’accès à l’information des jeunes de 16 ans d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui des jeunes de 18 ans de 1974. Par ailleurs, un jeune sur cinq âgés de 16 à 18 ans a déjà participé, par exemple, à une marche pour le climat. Cette jeunesse aspire à des responsabilités et elle sait les prendre.

Le droit de vote dès 16 ans se pratique chez certains de nos voisins européens. En 2015, le congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe a estimé que l’abaissement du droit de vote à 16 ans était une question d’intérêt public, susceptible de produire un effet positif sur la participation.

Mes chers collègues, certains d’entre vous ont donné des exemples. Je pourrais évoquer celui du référendum écossais sur l’indépendance, en 2014 : le taux de participation des jeunes de 16 et 17 ans s’est alors élevé à 80 %.

L’abaissement du droit de vote est aussi une recommandation du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef). D’autres études, notamment celles de l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA), montrent que les jeunes répondent positivement, en participant davantage, à la confiance qui leur est accordée.

Aujourd’hui, à 16 ans, on peut payer des impôts, travailler, avoir des responsabilités associatives, exercer une autorité parentale, être poursuivi en justice. Vouloir disposer des mêmes droits démocratiques que les adultes semble cohérent. Une démocratie forte prend de meilleures décisions quand elle englobe l’ensemble du corps électoral et tient compte de la voix du plus grand nombre.

Il est évident que le droit de vote à 16 ans permettrait à la jeunesse de donner son avis sur des thèmes qui la concernent au premier chef. D’objets politiques, les jeunes deviendraient des acteurs politiques.

Bien entendu, la contribution de l’école, en tant qu’espace de socialisation politique, est essentielle, tout autant que la délibération dans des instances locales. C’est le sens des expériences conduites en Norvège et en Finlande.

Jean-Pierre Raffarin relevait la permanence d’une méfiance de la part des citoyens détenteurs du droit de vote envers ceux qui en sont dépourvus. Nous ne partageons pas cette méfiance.

La jeunesse doit être prise au sérieux. Elle est digne de confiance. Sa voix compte. Elle peut et doit pouvoir prendre pleinement part à la conversation démocratique de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, être en âge de porter plainte seul, de commencer à conduire, de faire un service civique ou de signer un contrat d’apprentissage ne signifie pas être en âge de voter.

La citoyenneté se forme avec le temps, avec les expériences, les espoirs, la somme des ambitions et des échecs. L’enjeu va au-delà d’une nationalité, à laquelle on ajouterait une éducation et une somme d’années.

Pourtant, en tant que législateurs, il nous faut bien fixer une limite, une frontière, un âge précis. Il existe, en fait, plusieurs majorités – électorale, civile, pénale –, qui sont aujourd’hui alignées.

La majorité implique ainsi, à terme, une série de responsabilités particulièrement lourdes, mais aussi de devoirs, qui peuvent être autant de contraintes pour un jeune de 16 ans : responsabilité judiciaire accrue, probité, possibilité de poursuites pour endettement… La liste pourrait être longue. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la proposition de loi propose de n’abaisser que la seule majorité électorale.

L’abaissement du droit de vote à 16 ans n’est pas une demande émanant d’une majorité de mineurs. Elle procède plutôt d’une volonté politique, dans les nombreux termes d’un débat qui est d’ores et déjà posé.

Une résolution du Parlement européen du 11 novembre 2015 « recommande aux États membres, pour l’avenir, d’envisager d’harmoniser l’âge minimal des électeurs à 16 ans, afin de garantir une plus grande égalité aux citoyens de l’Union lors des élections ».

Plusieurs États européens fixent déjà le droit de vote à 16 ans : l’Autriche et Malte à l’échelle nationale, l’Écosse et une partie de l’Allemagne à l’échelle locale, la Slovénie sous condition d’emploi.

On peut regretter, par exemple, que les jeunes qui sont particulièrement engagés, parfois adjoints et même maires, ne puissent pas se présenter en qualité de candidats à une élection sénatoriale pour laquelle ils sont, malgré tout, grands électeurs.

La décorrélation entre l’âge de candidature et l’âge de vote est un autre sujet, dont notre chambre a souvent débattu.

Aujourd’hui, gardons en tête qu’il s’agit de protéger nos jeunes. Tous ne sont pas aussi engagés, aussi enthousiastes pour la chose publique, aussi documentés que ceux auxquels nous pensons tous, dans nos départements.

La proposition de loi vise donc à abaisser de 18 à 16 ans la majorité électorale seule, dans le but de favoriser la participation. Elle ne néglige pas l’aspect éducatif, en proposant aussi d’introduire un enseignement obligatoire aux sciences politiques dès le collège. Elle rend enfin obligatoire, pour certaines collectivités, le déploiement de conseils municipaux des jeunes.

Sur le fond, ce texte rencontre plusieurs limites, que ses auteurs eux-mêmes pourront reconnaître. L’article 1er, d’abord, comporte un risque constitutionnel lié à la dissociation des majorités électorale et civile.

Ensuite, la date d’entrée en vigueur de la mesure, fixée au 1er janvier 2022, interroge quant aux délais qu’exige la navette parlementaire. À supposer que la mesure s’applique avant l’élection présidentielle, la proximité de cette dernière empêcherait les dispositions éducatives de produire leurs effets.

Enfin, la stabilité du droit électoral, inscrite dans le code électoral sur l’initiative de notre collègue Alain Richard, et qui implique que le droit électoral ne soit pas modifié dans l’année qui précède le scrutin, s’en trouverait menacée.

Le texte soulève, certes, plusieurs questions importantes, notamment celle de l’abstention des jeunes. Lors de l’élection présidentielle de 2017, 21,3 % des personnes âgées de 18 à 24 ans inscrites sur les listes électorales n’ont voté à aucun des deux tours, contre 14,6 % de l’ensemble des électeurs inscrits. Aux dernières élections régionales, près de 87 % des 18-24 ans se sont abstenus au premier tour.

Le phénomène d’abstention est réel. On peut douter de la faculté de cette proposition de loi à raviver mécaniquement la mobilisation de cette classe d’âge dans les urnes, laquelle reste pourtant le défi de fond qui se pose aux responsables politiques. C’est d’ailleurs dans le sens d’une réflexion approfondie et englobante que le Premier ministre a saisi le CESE, en septembre 2021, sur la participation des jeunes à la vie démocratique.

Sur le plan éducatif, l’enseignement moral et civique a été enrichi ces dernières années : on dénombre en effet, en vingt ans, pas moins de huit modifications du code électoral.

La montée en puissance du SNU se poursuit, avec notamment pour objectifs la transmission d’un socle républicain et le développement d’une culture de l’engagement. En 2022, plus de 200 000 jeunes pourront par ailleurs s’engager dans une mission de service civique.

La lutte contre l’abstention est essentielle. À ce titre, l’inscription sur les listes électorales a été utilement facilitée pour lutter contre la mal-inscription.

Si, au-delà des limites juridiques de ce texte, l’enjeu dépasse la simple question de la majorité électorale, les votes au sein du groupe RDPI connaîtront des nuances.

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet.

M. Arnaud de Belenet. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi d’exprimer une pensée amicale pour notre collègue Loïc Hervé, que je remplace et qui est empêché car confronté, au travers de proches, à notre destin commun et à notre finitude.

La volonté d’abaisser l’âge de la majorité électorale à 16 ans a fait l’objet de nombreuses initiatives, débats et idées. La promesse de campagne de Valéry Giscard d’Estaing, qu’il a tenue, visant à abaisser l’âge de la majorité électorale à 18 ans, contre 21 ans auparavant, serait-elle en train de vivre ses derniers instants ?

Avant tout, je tiens à remercier l’auteure de la proposition de loi, notre collègue Martine Filleul, qui a souhaité au travers ce texte renforcer l’implication des jeunes dans la vie politique de notre pays, ainsi que Mme la rapporteure Nadine Bellurot pour son travail : tout en saluant le projet porté par nos collègues socialistes, elle a su préserver les équilibres nécessaires entre exigence constitutionnelle et liberté des collectivités territoriales.

Chacun de nous partage le constat : l’abstention des jeunes est de plus en plus forte. Les dernières élections le démontrent. À l’occasion des élections départementales et régionales de 2021, la participation des 18-24 ans était de 17 % et celle des 25-34 ans de 19 %, soit des taux bien inférieurs à la moyenne nationale.

Nombreuses ont été les initiatives visant à abaisser l’âge du droit de vote. Sans être exhaustif, un groupe de travail proposait, en 2014, de créer un statut de pré-majorité en vertu duquel les jeunes âgés de 16 et 17 ans seraient autorisés à voter aux élections municipales.

À l’Assemblée nationale, pas moins de trois propositions de loi ont visé à ouvrir le droit de vote aux jeunes de 16 ans pour toutes les élections. Enfin, comme cela a été rappelé, des recommandations ont également été émises en ce sens par le Parlement européen. Chaque fois, les idées n’ont pas été suivies d’actes.

L’abaissement de la majorité électorale à 16 ans tel que prévu à l’article 1er de cette proposition de loi concernerait près de 1,7 million de nos jeunes concitoyens et entraînerait une augmentation de l’effectif du corps électoral de près de 3,5 %.

Cette augmentation serait importante, certes, mais dans les faits peu efficace. Aujourd’hui, notre jeunesse se sent désintéressée par le vote, non par la politique. Elle exprime ses revendications par le recours à d’autres modes d’expression, comme les manifestations, les pétitions ou des initiatives ciblées.

Avant de faire voter les moins de 18 ans, nous pourrions commencer par tenter de ramener aux urnes ceux qui détiennent aujourd’hui le droit de vote.

Abaisser le droit de vote à 16 ans supposerait une révision de la Constitution. Comme l’a indiqué justement notre rapporteure, l’alinéa 4 de son article 3 dispose que « sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ».

Autrement dit, la majorité électorale découle de la majorité civile. Aussi, l’adoption de la proposition de loi supposerait-elle de revoir l’ensemble du corpus juridique de protection spécifique aux mineurs, notamment la majorité pénale et la responsabilité pénale.

Ces impossibilités, tant pratiques que constitutionnelles démontrent qu’accorder le droit de vote dès l’âge de 16 ans n’est, aujourd’hui, pas réalisable.

L’autre mesure de cette proposition de loi doterait les communes de plus de 5 000 habitants d’un conseil de jeunes. Je tiens à rappeler que ces communes ont déjà déployé de nombreuses instances visant à favoriser l’engagement citoyen. Je pense notamment au premier conseil régional des jeunes, créé en 1978 sur l’initiative du département de l’Essonne, qui a, par la suite, fait l’objet d’une consécration législative dans la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté.

Près de 2 200 collectivités territoriales seraient concernées par la création de cette nouvelle instance. Autant de communes aux réalités locales diverses et variées, qui n’aspirent pas aux mêmes objectifs.

La création d’une nouvelle instance remettrait en question la nécessaire liberté dont les collectivités territoriales disposent pour favoriser la participation des jeunes aux décisions locales.

La commission des lois, bien qu’ayant rejeté l’ensemble du texte, juge cependant préférable de s’appuyer sur l’existant pour renforcer l’engagement des jeunes et les accompagner dans l’exercice de leur citoyenneté.

Les auteurs de la proposition de loi entendaient introduire un enseignement obligatoire aux sciences politiques et à l’histoire de la vie française et européenne dès l’entrée au collège.

Aujourd’hui, l’enseignement moral et civique, l’histoire-géographie et les sciences économiques et sociales – matières déjà présentes dans le corpus scolaire – peuvent répondre à cet objectif, en formant les élèves au fonctionnement des institutions. Les programmes scolaires sont chargés ; il convient de ne pas les alourdir. Servons-nous de l’existant et améliorons-le.

Enfin, en tant que parlementaires élus de la Nation, nous avons tous, me semble-t-il, chers collègues, un rôle indéniable à jouer. Il nous revient d’accompagner ces jeunes dans l’apprentissage de la citoyenneté en amont et, en parallèle de leur accession à la majorité, de leur proposer d’autres formes d’engagement, notamment associatives, possibles à tout âge, ou encore la possibilité d’effectuer un service civique.

Ces différentes formes de participation éveillent l’esprit critique, permettent de faire l’expérience de la société et, ainsi, développent la maturité.

Pour conclure, je citerai le Conseil d’État, qui estime, à juste titre, que « la collectivité publique doit […] privilégier vis-à-vis des futurs citoyens un accompagnement leur permettant de mesurer, à leur majorité, la responsabilité qui leur incombe dans la participation aux choix politiques ».

C’est pourquoi le groupe Union Centriste suivra la recommandation de notre rapporteure et ne votera pas cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud.

M. Olivier Paccaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, dont je salue le « baptême du banc », mes chers collègues, personne ici n’ignore la crise démocratique, cette fonte des glaces citoyennes qui fragilise nos institutions, affaiblit la légitimité des élus et exprime une perte de confiance durable envers les responsables politiques et la parole publique.

Chez les jeunes, cette défiance semble structurelle. Chaque rendez-vous électoral en donne la triste démonstration, si l’on en juge par les taux d’abstention record bien plus élevés que chez leurs aînés. Ce constat, nous l’avons en partage avec les auteurs de cette proposition de loi.

Pourtant, le texte que nous examinons offre-t-il un remède à la hauteur du péril du désenchantement démocratique français ? J’en doute fort.

Comme l’enfer est pavé de bonnes intentions, cette proposition de loi est porteuse de néfastes confusions. Il suffit de lire le premier paragraphe de l’exposé des motifs pour découvrir sa logique pour le moins audacieuse. Puisque les jeunes votent moins, faisons-les voter plus tôt, dès 16 ans !

Comprenne qui pourra la subtilité de cet étrange syllogisme ! On connaissait le pari de Pascal, on découvre celui des sénateurs socialistes. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Loin de se restreindre à une simple réforme des dispositifs existants, ce texte bouscule le concept de citoyenneté lui-même. Car que signifierait la fin de l’ouverture du droit de vote à l’âge de la majorité civile ? Que donnerait-elle à voir ?

Le droit de vote étant inséparable de la majorité civile, 1,5 million d’adolescents seraient invités à se rendre aux urnes, alors même qu’ils sont reconnus comme largement irresponsables par le droit français. Ces jeunes jouiraient alors d’un droit politique majeur, sans être astreints à l’ensemble des devoirs impliqués par la citoyenneté. Cherchez l’aberration !

Mes chers collègues, en souhaitant abaisser le droit de vote à 16 ans, vous vous référez à certains droits acquis à cet âge, comme la conduite accompagnée ou l’accès au brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA). C’est oublier que l’accès au vote renvoie à la citoyenneté et qu’il suppose une responsabilité d’une tout autre nature.

Victor Hugo évoquait, lors d’un discours formulé en mai 1850 sur le suffrage universel, ce droit de suffrage qui « fait partie de l’entité du citoyen, ce droit de suffrage sans lequel le citoyen n’est pas ».

Ce lien essentiel, votre texte entend aujourd’hui le briser, séparant le plus fondamental des droits politiques de la plus belle des qualités, celle de citoyen français. Pis, vous dissociez le droit de vote de celui d’éligibilité. On pourrait donc élire à 16 ans, mais n’être pas soi-même éligible. Vous créeriez ainsi des « pré-citoyens » ou des citoyens hybrides.

À cet égard, on jugera d’autant moins opportun de voter une mesure d’une telle portée dans le cadre d’une simple niche parlementaire, sans même songer à l’inévitable problématique constitutionnelle qu’impliqueraient les dispositions qu’elle contient.

Quant aux programmes scolaires en résonance avec le fait citoyen, il en va comme de la loi, selon la célèbre formule de Montesquieu : « Il n’y faut toucher que d’une main tremblante. »

N’existe-t-il pas, dès l’école primaire, des cours d’enseignement moral et civique et, plus tard, des cours d’histoire-géographie ou de sciences économiques, durant lesquels les valeurs qui fondent et ancrent notre République sont présentées ?

Pourquoi alourdir artificiellement le bréviaire de nos professeurs, alors même que les élèves sont d’ores et déjà invités à penser les formes d’engagement politique, social et associatif ?

Permettez-moi également de douter des sciences politiques que l’on prétend, par ce texte, introduire au collège, discipline dont l’objectivité pourrait être dévoyée par l’idéologie.

M. Éric Kerrouche. N’importe quoi !

M. Olivier Paccaud. L’école, le collège, le lycée doivent contribuer à éveiller, à former la conscience de futurs citoyens éclairés, pas à embrigader de futurs militants espérés. Ce n’est pas seulement, comme cette proposition de loi le postule, parce qu’un adolescent de 16 ans est antiraciste, féministe ou animaliste qu’il doit pouvoir exercer le droit de vote.

M. Éric Kerrouche. Surtout pas…

M. Olivier Paccaud. Enfin, pour mieux enraciner la citoyenneté dans notre jeunesse, votre texte prévoit la création obligatoire d’un conseil municipal de jeunes dans toutes les communes de plus de 5 000 habitants et dans les départements.

Oui aux conseils municipaux de jeunes, qui peuvent se révéler être de remarquables centres de formation d’apprentis citoyens, tout en faisant jaillir quelques salves d’idées rafraîchissantes, mais certainement pas de façon imposée !

En effet, l’obligation dénature, dévalorise et décourage toujours l’intention. Quand un droit devient un devoir, la magie se mue en mécanique. On fait parce qu’il faut faire, non parce qu’on a envie de faire.

Quel dommage de vouloir contraindre, quand on sait que de très nombreuses municipalités, souvent sous ce seuil de 5 000 habitants – dans l’Oise, par exemple, madame la présidente –, ont instauré des conseils de jeunes, sans obligation mais avec enthousiasme !

La liberté n’est-elle pas le pilier de notre pacte républicain ? Avez-vous oublié les libertés des collectivités locales ? Arrêtez de vouloir les caporaliser et de forger de nouveaux carcans !

Faites confiance à l’imagination, à la volonté d’écoute et à la capacité d’innovation des élus locaux. Ils n’ont pas besoin du législateur pour avoir à cœur d’impliquer la jeunesse de leur territoire. Ils mesurent, comme nous, la valeur de cet engagement.

Dieu merci, le texte ne prévoit pas d’éventuelles amendes pour les municipalités rebelles à ce possible diktat ! Il n’en restera pas moins vain, pour ne pas dire contre-productif.

Aux antipodes de cette proposition ubuesque, un dispositif comme le service civique – vous y êtes attachés, je le sais, mes chers collègues – permet aujourd’hui, dès l’âge de 16 ans, de s’investir au service de l’intérêt général et d’engager une approche ô combien formatrice des valeurs et principes inhérents à la citoyenneté. C’est précisément ce type de dispositif qui mériterait d’être poursuivi, amélioré et, pourquoi pas, développé.

En définitive, même si les intentions de ses auteurs se voulaient vertueuses, cette proposition de loi se révèle être bien pauvre et décevante. Elle n’est, en fait, qu’un médiocre exercice d’affichage politique du parti socialiste à l’endroit d’un électorat convoité. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Loin de comporter un véritable remède au désengagement, elle n’offre pas davantage matière à revitaliser la culture civique de notre jeunesse. C’est dans cet esprit que le groupe Les Républicains s’y opposera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Kanner. Quelle surprise !

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (M. Guy Benarroche applaudit.)

Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre pays vieillit – c’est une réalité démographique – et la jeunesse est de plus en plus angoissée par la crise climatique et sociale qui assombrit son avenir. Pourtant, elle participe peu, électoralement, aux décisions qui, lui dit-on, conditionnent l’avenir qui l’inquiète tant.

Si l’abstention, qui constitue – rappelons-le – un problème structurel dans nos sociétés, ne touche pas seulement les jeunes, elle est tout de même particulièrement forte dans cette catégorie de population. Ainsi, 82 % des moins de 35 ans se sont abstenus lors des dernières élections régionales, contre 66,7 % pour l’ensemble des électeurs. Il s’agit là de deux records absolus sous la Ve République.

Pourquoi ce paradoxe ? Pourquoi une génération si inquiète pour son avenir ne prend-elle pas davantage part au choix des responsables qui en décideront ? La jeunesse qui ne vote pas serait-elle, comme on l’entend souvent, dépolitisée, désabusée, irresponsable ou démobilisée ?

Rien n’est moins faux. La jeunesse de notre pays est plus politisée que jamais : elle manifeste pour le climat, contre les violences policières ; elle s’investit dans des associations féministes, de protection de l’environnement, pour le bien-être animal ; elle invente de nouvelles façons de consommer qui sont plus éthiques, plus responsables.

Il n’en est pas moins vrai que les jeunes ne partagent pas l’impression que voter leur apportera une meilleure écoute. C’est à ce problème qu’il convient véritablement de répondre, si nous voulons retrouver une vitalité démocratique et électorale dans ce pays.

En général, pour que les gens votent, il faut qu’ils aient le sentiment que ce vote peut changer leur vie. C’est aussi simple que cela. Nous aurons beau leur dispenser des cours de droit constitutionnel et leur expliquer que tel est le cas, tant que les priorités des gens seront le pouvoir d’achat et la planète, tant que l’on discutera de laisser ou non mourir des migrants, ou du menu des réceptions officielles de la ville de Grenoble, ils n’auront pas l’impression qu’il est utile de s’impliquer !

Il faut donc impérativement recentrer le débat public sur les vrais problèmes du siècle : la crise climatique, les nouvelles solidarités, la refondation démocratique. Au-delà, c’est une refonte d’ensemble de nos institutions et de nos politiques qu’il convient de mener.

Le système majoritaire non proportionnel de la Ve République est une machine à créer de la frustration démocratique. Il conduit les responsables politiques à caricaturer plutôt qu’à dialoguer et instaure ce triste constat au moment d’élire nos représentants : toutes les voix ne comptent pas ; seules comptent celles des gagnants.

À quoi bon aller voter quand on se sent marginalisé, méprisé, et quand on prend conscience que, lorsque les chances d’être majoritaire sont faibles, sa propre voix sera perdue ?

Si nous voulons réellement ramener la jeunesse et l’ensemble des citoyens dans l’arène électorale, il faut une réforme profonde de nos institutions ; il faut mettre fin à l’hyperprésidentialisation, renforcer le Parlement, appliquer un scrutin proportionnel aux élections législatives. Ce dernier point est fondamental : il enverrait le message puissant selon lequel chaque voix compte vraiment.

Il faudrait également créer un « 49-3 citoyen ». J’en passe, la liste est longue…

Mais c’est aussi la décision politique elle-même qu’il faut changer. Il faut que nous, politiques, partagions notre pouvoir avec les citoyens. Des modes de démocratie plus directe, plus locale, plus participative, plus collaborative, voilà ce qu’il nous faudra à terme imaginer.