M. Pierre Laurent. Et les résistants ?

M. Stéphane Ravier. … diffusent des chiffres fantaisistes allant jusqu’à évoquer des centaines de morts du côté du FLN.

Cette propagande anti-française se heurte à une réalité, mes chers collègues : un seul cadavre a été ramené à l’institut médico-légal de Paris ce soir-là, celui de Guy Chevalier, tué lors de la manifestation.

Jean Géronimi, avocat général à la Cour de cassation qui a remis en 1999 un rapport à la garde des sceaux, ministre de la justice socialiste Élisabeth Guigou, a comptabilisé 48 Nord-Africains morts pour tout le mois d’octobre 1961.

Quand la justice ne donne pas raison à la gauche, celle-ci n’hésite pas à redoubler d’exagérations, de mensonges et de manipulations pour tenter de faire condamner la France.

M. Pierre Laurent. C’est Pétain et l’OAS, votre groupe !

M. Stéphane Ravier. Pire, vous êtes des faussaires de l’Histoire (Exclamations sur les travées du groupe SER.), car vous oubliez sciemment tous les Européens, nos compatriotes pieds-noirs et harkis,…

M. Stéphane Ravier. … « compris », puis trahis par le général élyséen et massacrés par les barbares du FLN, comme à Oran le 5 juillet 1962. Ces victimes-là sont peut-être trop françaises pour mériter votre compassion…

Si vous aviez un peu d’honnêteté historique et politique, vous demanderiez au gouvernement algérien d’ouvrir ses archives ; et, après que la vérité a éclaté, vous exigeriez que l’Algérie présente ses excuses aux familles des victimes et à la France.

M. Pierre Ouzoulias. Allez jusqu’au bout !

M. Stéphane Ravier. Vous voulez la vérité ? La voilà : les pieds-noirs, ces Français, ont accompli une œuvre extraordinaire sur cette terre française qu’était l’Algérie. La France a créé l’Algérie, le FLN l’a ruinée !

C’est si vrai que des millions d’Algériens, pourtant riches d’une patrie, ont préféré la fuir pour trouver refuge dans l’ancien pays prétendument colonisateur, réellement civilisateur,…

M. Pierre Ouzoulias. Voilà l’extrême droite !

M. Stéphane Ravier. … et qu’ils sont encore des millions à vouloir trouver en France un espoir d’avenir.

Hier, la gauche trahissait la France ; aujourd’hui elle veut déconstruire et falsifier son histoire. Nous ne vous laisserons pas faire ! Je ne vous laisserai pas salir une fois de plus la France et les Français !

Mes chers collègues, je vous invite à me rejoindre sur les barricades de la vérité, à « porter haut et fier ce beau drapeau de notre France entière » en rejetant cette proposition de loi !

M. Pierre Ouzoulias. Vous devriez finir par « Travail, Famille, Patrie » !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Marc Todeschini. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, que dire après un tel discours, quand on veut parler de paix des mémoires et de rassemblement ?

Les propos que nous venons d’entendre ont profondément heurté le secrétaire d’État à la mémoire que j’ai été. Quoi qu’il en soit, les historiens ont depuis longtemps produit un travail scientifique indiscutable sur cette journée du 17 octobre 1961. Ils ont établi les faits. (M. Stéphane Ravier proteste.) Ils les ont inscrits dans les livres afin que rien ne les efface. Ils disent la mécanique à l’œuvre durant plusieurs mois, tout au long de cette année 1961, à ce moment de notre histoire où les valeurs de la République ont été reléguées.

Au premier rang de ces valeurs figure la liberté : celle d’être qui l’on est, sans jamais risquer d’être condamné pour ce motif ; celle de pouvoir exprimer son opinion et de la défendre dans le débat public ; celle de manifester pacifiquement.

Oui, avec lucidité, notre pays reconnaît que les actes commis sous l’autorité de Maurice Papon sont bien des crimes et qu’ils sont inexcusables pour la République. Ce n’est pas là une opinion : c’est un fait.

Le souvenir du 17 octobre 1961 porte en lui une singularité. Il s’agit d’un processus de construction mémorielle populaire.

Depuis des dizaines d’années, cette mémoire s’est construite par la volonté de nos concitoyens, par-delà les origines, les racines et les obédiences. La flamme de son souvenir a été allumée et entretenue. Elle ne s’éteindra pas. Cette mémoire est vivante.

Le présent texte est donc la traduction d’une dynamique à l’œuvre depuis plusieurs années. Il s’agit d’inscrire dans la loi ce qui existe déjà et de donner aux commémorations célébrées la force d’une cérémonie officielle, par la reconnaissance dans les lois de la République. Il ne s’agit pas de créer une journée nationale supplémentaire.

Je le répète, cette proposition de loi est une étape dans un processus au long cours.

Il y eut d’abord la pose d’une plaque commémorative, le 17 octobre 2001, par Bertrand Delanoë, alors maire de Paris, puis la reconnaissance lucide du président François Hollande, le 17 octobre 2012.

Entre 2012 et 2017, mon prédécesseur et moi-même, en qualité de secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, avons œuvré au rassemblement de toutes les mémoires en nous appuyant sur la science des historiens.

Ainsi, j’ai longuement travaillé avec des scientifiques de toutes les sensibilités historiographiques, notamment avec le professeur Jim House, spécialiste incontournable de la mécanique de haine qui a débouché sur l’irréparable journée du 17 octobre.

Dans un esprit de continuité républicaine, ce travail de mémoire a permis à l’actuel président de la République de se rendre officiellement au pont de Bezons le 16 octobre dernier.

Il s’agit bien d’un long et lent processus. C’est le sens de la mémoire, cette chaîne dont chaque citoyen est un maillon ; cette chaîne qui nous vient du passé et tend vers l’avenir.

La France est un grand pays. Cela ne l’immunise pas au regard de l’histoire. Cela ne l’exonère pas non plus.

La France est un grand pays, justement parce qu’elle est capable de regarder son passé avec discernement, d’en connaître les événements, de se réjouir de toutes les fois où elle a été à la hauteur, de reconnaître aussi les moments où elle n’a pas su s’élever.

Par son esprit de résilience, la France est digne pour tous ceux qui la regardent et lui font confiance. J’en ai mesuré la force lorsque, en avril 2015, je me suis rendu à Sétif, en Algérie. À la demande du président de la République François Hollande, j’y ai reconnu au nom de la France le massacre du 8 mai 1945, au cours duquel des Algériens et des Français ont subi une violence sans limites, venant de tous les côtés et ne laissant que des victimes.

L’humanité, lorsqu’elle est ainsi frappée, n’a plus de nationalité. Il ne reste que des mémoires douloureuses, qui toutes doivent être honorées.

J’ai, une nouvelle fois, mesuré la force de la réconciliation des mémoires lorsque, en janvier 2016, je me suis rendu devant la plaque commémorative du pont Saint-Michel afin d’y déposer une gerbe avec mon homologue algérien, Tayeb Zitouni, ministre des moudjahidines.

En ces instants, notre pays a mis en adéquation ses valeurs et ses actes, sans avoir peur d’effectuer un travail d’analyse. Ces conditions, les générations successives ont la tâche de les réunir, notamment en s’engageant dans ce travail de mémoire.

Mes chers collègues, tout en prononçant ces mots, j’ai conscience du temps immédiat et, plus précisément, d’une certaine actualité : celle du bourdonnement incessant des magazines et des journaux, des réseaux sociaux et des chaînes de télévision.

Une certaine mode voudrait que notre pays décline. La science, le travail patient des historiens, la vérité des faits, tout cela lui est étranger. Cette mode permet à certains de vendre et de bien vivre, puisqu’ils en font monnaie. Prenons garde ! Si ces peintres de mauvaise facture venaient à prendre le pouvoir, ils représenteraient un danger pour la démocratie.

Ce texte est l’un des éléments – pas le seul – permettant aux générations actuelles et futures d’avancer sans peur ni reproche. C’est un pas supplémentaire vers la concorde mémorielle.

Notre pays suit ce chemin sans rien oublier des violences, où qu’elles aient frappé ; en pensant à tous les déracinés, à tous ces enfants, ces femmes et ces hommes qui ont dû abandonner une vie entière en quelques heures ; sans oublier ces contingents de jeunes hommes qui auront laissé leur jeunesse dans une guerre qui ne disait pas son nom et qui – oui, madame la rapporteure – ont dû attendre 1997, date à laquelle le Premier ministre socialiste Lionel Jospin a pleinement reconnu l’existence de la guerre d’Algérie.

Dans le respect de la mémoire de toutes les victimes, françaises et algériennes, je tiens à le dire clairement : la France fait son travail de mémoire. Elle le prouve encore aujourd’hui. Mais elle ne peut pas le faire seule. L’apaisement des mémoires appelle chaque pays à œuvrer dans ce sens et à s’en donner tous les moyens. Continuons donc d’avancer ensemble ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jérémy Bacchi applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton. (M. Teva Rohfritsch applaudit.)

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici réunis sur l’initiative du groupe socialiste pour traiter d’un sujet essentiel, qui fait actuellement l’objet d’un travail de fond ravivé par la remise du très important rapport de Benjamin Stora au Président de la République : la mémoire de la guerre d’Algérie, ou plutôt les mémoires, pour reprendre l’intitulé de ce rapport.

L’enjeu des réflexions et du travail à l’œuvre est précisément l’émergence d’une mémoire commune et décloisonnée de cette guerre.

Les précédents orateurs l’ont rappelé : au travers de cette proposition de loi, nous devons nous exprimer sur des dispositions portant sur la répression brutale et sanglante des manifestants algériens le 17 octobre 1961, dans le contexte très violent de la guerre d’Algérie.

Le présent texte traite de ce sujet via deux objets distincts : d’une part, l’inscription dans la loi de la responsabilité de la France dans cette répression ; d’autre part, l’inscription dans la loi de la commémoration de ces événements, chaque 17 octobre.

Sur le second point, il n’est pas inutile de rappeler qu’une commémoration peut être célébrée sans qu’intervienne une loi. De fait, le Président de la République a participé à la commémoration de cette répression en octobre dernier, en présence de descendants des différents porteurs de mémoire. Franchissant un pas supplémentaire dans le travail de mémoire, il a en outre reconnu ces événements comme des « crimes inexcusables pour la République ». (Mme la secrétaire dÉtat le confirme.)

Nous ne sommes pas de ceux qui ont regretté ce geste en lui opposant d’autres mémoires : l’objectif était justement de les convoquer ensemble autour du drame du 17 octobre 1961. Nous ne serons donc pas non plus de ceux qui s’opposeront au soutien que l’article 2 accorde à de telles commémorations.

Cette proposition de loi a également pour objet de reconnaître la responsabilité de la France. Cette reconnaissance peut, elle aussi, se passer d’une loi. Mais, au-delà de ce constat de forme, l’article 1er soulève plusieurs enjeux de fond.

Premièrement, il risque de faire entrer le législateur dans un débat d’historiens relatif aux faits, notamment aux motifs de la manifestation, présentés dans cette proposition de loi comme « lutte pour l’indépendance », mais définis ailleurs comme « contestation du couvre-feu ».

M. Rachid Temal. Ce n’est pas le sujet !

Mme Nicole Duranton. Deuxièmement, il risque d’entraîner dans la mémoire une parcellisation des drames, y compris au sujet des derniers mois de la guerre d’Algérie.

Ce risque nous rappelle bien la nécessité du travail d’association et de décloisonnement des mémoires, dont l’objectif de pacification pourra susciter un consensus assez large sur ces travées.

La commémoration précitée, à laquelle le Président de la République, Emmanuel Macron, a procédé le 16 octobre dernier ; sa reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans la mort du mathématicien Maurice Audin et des tortures qu’il a subies, ainsi que de l’assassinat de l’avocat et nationaliste algérien Ali Boumendjel ; la démarche de facilitation de l’accès aux archives ; ou encore l’examen prochain par la Haute Assemblée d’un projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis : ce sont là autant de pas franchis sur le long chemin vers une mémoire à la fois lucide et apaisée.

Récemment, le 30 novembre 2021, un groupe de travail réunissant des descendants de militaires français, de harkis, de rapatriés et de combattants du FLN a remis ses conclusions au Président de la République. Il a exprimé sa volonté d’entendre « un grand discours sur la guerre d’Algérie, qui reflète toutes les mémoires : celle des indépendantistes, des juifs d’Algérie, des pieds-noirs, des harkis, des appelés. Un discours qui ne se contente pas d’énumérer ces mémoires, mais au contraire les intègre dans un narratif d’ensemble, leur permette d’exister ensemble ».

Faisant sienne cette volonté de dépassement et de décloisonnement, le groupe RDPI s’abstiendra. (M. Teva Rohfritsch applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville. (M. Arnaud de Belenet applaudit.)

M. Franck Menonville. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 17 octobre 1961, plusieurs dizaines de personnes sont mortes à Paris. En cet instant, nous voulons saluer leur mémoire ; pour comprendre ce qui s’est passé cette nuit-là et les jours suivants, nous devons nous souvenir de cette période sombre de notre histoire.

En effet, 1961 est une année de troubles, la France étant alors en guerre : depuis sept ans, la lutte armée pour l’indépendance de l’Algérie, colonisée depuis 1830, se poursuit. La question de cette indépendance divise profondément notre société. La violence et la terreur font rage en Algérie comme en métropole. Des viols, des mutilations, des tortures et des massacres sont perpétrés.

L’Organisation armée secrète (OAS) est créée cette même année 1961. Elle a fait plus d’un millier de morts tout au long de son existence. Son dirigeant, le général d’armée Raoul Salan, est, en avril 1961, l’un des quatre généraux orchestrant la tentative de coup d’État visant à conserver l’Algérie française.

Dans le même temps, le FLN mène, tant en Algérie qu’en métropole, des attaques violentes dont les forces de l’ordre sont les cibles privilégiées.

Malgré ce climat de violence, le général de Gaulle se prononce en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Le 12 juillet 1961, il déclare : « La France accepte sans aucune réserve que les populations algériennes se constituent en un État entièrement indépendant. »

En dépit de cette déclaration sans équivoque, les violences continuent. Des attentats sont perpétrés, notamment à l’encontre des policiers. Dans ce climat de forte tension, le préfet de police de Paris, Maurice Papon, impose aux seuls « Français musulmans d’Algérie » un couvre-feu à compter du 5 octobre 1961.

Le 17 octobre suivant, le FLN organise une manifestation nocturne. Il brave ainsi le couvre-feu. Des milliers de manifestants convergent vers différents points de la capitale. La répression est brutale et même sanglante. D’après les chiffres officiels, plusieurs dizaines de manifestants sont tués et certaines dépouilles sont jetées dans la Seine. Les blessés sont plus nombreux encore.

Ces crimes sont bien sûr inexcusables. Toutefois, il importe de les replacer dans leur contexte.

En 2012 et en 2018, les présidents de la République François Hollande, puis Emmanuel Macron, ont rendu hommage à la mémoire des victimes et ont reconnu la responsabilité de notre République.

Plusieurs membres du groupe socialiste nous invitent aujourd’hui à voter une proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de la France dans la répression sanglante de cette manifestation. Il semble pourtant que deux présidents de la République ont déjà satisfait cette demande.

Nos collègues proposent également d’organiser chaque 17 octobre une commémoration officielle rendant hommage aux victimes. Cette suggestion pose nécessairement question : pourquoi commémorer cet épisode plutôt que d’autres ? (M. Rachid Temal manifeste son désaccord.) Cette guerre, comme toutes les guerres, ne manque, hélas ! pas d’événements tragiques. Faut-il les commémorer tous, au risque de banaliser les commémorations ?

Nous en sommes persuadés : notre devoir est aujourd’hui de nous tourner vers l’avenir. En ce sens, il importe que tous les pays, et pas seulement la France, assument les pages noires de leur histoire.

Nous ne devons en aucun cas rester prisonniers du passé. Nous souhaitons que nos deux pays travaillent à renforcer leurs liens et à bâtir ensemble un futur meilleur, sur la base de coopérations économiques, industrielles, culturelles et universitaires.

Mes chers collègues, les membres du groupe Les Indépendants rendent unanimement hommage à la mémoire des victimes de cette période douloureuse de notre histoire, de part et d’autre de la Méditerranée. Mais selon nous, il serait néfaste de rouvrir des dossiers couverts par une amnistie décidée, précisément, pour que nos deux pays puissent avancer. Nous ne voterons donc pas en faveur de ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise cet après-midi a pour objet les troubles intérieurs survenus en marge du conflit algérien et, plus particulièrement, la manifestation du 17 octobre 1961.

Bien sûr, nul ne remet sérieusement en question la violence de la répression contre les manifestants du 17 octobre 1961. À cet égard, il n’y a aucun doute : cette réalité a été reconnue comme telle. Mais l’esprit d’apaisement affiché au travers de cette proposition de loi serait d’autant plus louable si d’autres considérations la sous-tendaient.

Force est de le constater – d’ailleurs, le débat inhérent à ce texte le confirme –, l’apaisement n’est pas au rendez-vous. En effet, la question posée par cette proposition de loi n’est pas celle de la responsabilité pénale des acteurs. De plus, le présent texte entretient la confusion entre ce qui relève de l’histoire et ce qui relève de la mémoire.

Je rappelle que lesdits événements ont déjà fait l’objet d’une volonté de reconnaissance.

En octobre 2012, le président de la République déclarait : « Des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. »

En octobre 2021, l’actuel chef de l’État ajoutait quant à lui : « Les crimes commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République. » Rappelons d’ailleurs que cette déclaration s’inscrit dans la continuité des préconisations du rapport Stora, commandé en juillet 2020, sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie.

Pour autant, la responsabilité de la France, telle que l’article 1er propose de la reconnaître, n’a pas fait consensus au sein de notre commission.

La violence de la répression d’alors était illégale ; et cette illégalité est imputable non à la Nation, mais aux auteurs de ces actes et à leurs complices.

En outre, notre pays a bel et bien fait son examen de conscience ; je pense à la fois aux efforts accomplis par l’État et au travail des historiens, qui ont considérablement avancé sur cette question.

Dès lors, on reste surpris des intentions sous-jacentes de ce texte et des amendements déposés par ses auteurs, dont nous aurons à discuter.

Ainsi, le terme de « crime d’État » que certains veulent retenir est non seulement impropre mais irresponsable, particulièrement quand on voit comment, de l’autre côté de la Méditerranée, le pouvoir militaire en place tronque et instrumentalise cet épisode tragique pour faire le procès de la France ; quand on constate l’existence d’une certaine rente mémorielle, que d’aucuns cherchent à alimenter, sans doute pour obtenir de notre pays un supplément de repentance et – pourquoi pas ? – une indemnisation.

Par conséquent, telle qu’elle est présentée, la question de la responsabilité de la France paraît trop générale, à ceux qui souhaitent l’assignation claire et nominative de responsabilités comme à ceux qui refusent de voir imputée à la Nation entière la responsabilité d’actes illégaux.

C’est pourquoi notre commission des lois s’est, à raison, prononcée en défaveur de ce texte du groupe socialiste : selon elle, la reconnaissance et les commémorations prévues ne sont pas susceptibles de « contribuer à l’apaisement et au travail mémoriel commun ».

Faut-il rappeler que le Président de la République lui-même évoquait les « sables mouvants de la mémoire » ? Il n’était toutefois pas exempt de reproches à cet égard. Il avait lui-même déclaré que « la colonisation était un crime contre l’humanité », comme s’il fallait faire le rapprochement avec la Shoah, dont la singularité ne semble pas contestée aujourd’hui.

Autrement dit, l’approche mémorielle demeure forcément délicate et malheureusement sujette à manipulations, compte tenu des circonstances historiques et d’un contexte caractérisé par les attentats du FLN en métropole.

En vertu de l’article 1er du présent texte, « la France reconnaît sa responsabilité dans la répression de manifestants algériens réclamant pacifiquement l’indépendance de leur pays ayant eu lieu le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris ».

Cette disposition est d’ordre mémoriel, non seulement parce qu’elle est dépourvue d’effet normatif, mais aussi parce qu’elle vise à donner corps à une injonction par laquelle des minorités se perçoivent exclusivement comme des « victimes historiques ». Au nom de cette identité, elles aspirent à une reconnaissance publique moins réparatrice que vengeresse à l’égard de la France.

Mme Valérie Boyer, rapporteure. C’est bien dit !

M. François Bonhomme. Nous sommes face à une vision essentialiste, réduisant la France à une identité détachée de tout contexte historique. Ainsi, la Nation serait réduite à une succession de criminalités d’État qu’elle devrait expier par des rituels collectifs de contrition et autres programmes de réparation symbolique, sous forme notamment de discrimination positive en direction de chaque boutique victimaire.

Je suis de ceux qui refusent cette injonction à l’expiation.

N’entrons pas dans l’engrenage des mémoires concurrentes, phénomène largement analysé par les historiens, qui nous mettent en garde contre les lois mémorielles depuis une vingtaine d’années. (M. Rachid Temal manifeste son désaccord.) Méfions-nous-en d’autant plus que le travail historique relatif à la guerre d’Algérie a largement été réalisé et qu’il se poursuit.

Respectons ce travail. Ne venons pas le corrompre par une nouvelle série de lois mémorielles, qui, loin d’apaiser, aboutiraient à des crispations volontairement entretenues et à un affrontement purement idéologique.

Seul le temps peut faire œuvre d’apaisement, pour peu que l’on veuille fermer définitivement des plaies encore douloureuses. Certains, à l’inverse, s’échinent à les rouvrir. Soyons prévenus contre cette dérive – la concurrence des mémoires –, contraire à l’apaisement et à la sérénité du travail historique.

J’ajoute que les premières pierres du travail de mémoire ont d’ores et déjà été posées. Une journée nationale d’hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives a été créée en 2003 ; puis, la loi du 6 décembre 2012…

M. Rachid Temal. Alors, c’est possible !

M. François Bonhomme. … a institué une « journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire [de toutes les] victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc ». (M. David Assouline manifeste son incompréhension.)

Gardons-nous de confondre le travail des historiens et celui du législateur. Toutes les lois mémorielles ne sont pas les bienvenues…

M. François Bonhomme. Il appartient aux historiens, dont c’est le domaine de compétence, de rappeler ce que la France a fait et n’a pas fait.

J’y insiste, les faits historiques qui nous occupent aujourd’hui sont parfaitement connus et dénoncés. La France s’est attelée à son examen de conscience. À ce titre, elle a mené un travail considérable, qui l’honore. Je ne crois pas que beaucoup de pays aient été si loin. En tout cas, on ne peut pas en dire autant de l’Algérie.

Tâchons de laisser aux historiens, et non aux trafiquants de mémoire,…

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Très bien !

M. François Bonhomme. … le soin d’accomplir leur mission avec l’exigence qu’elle suppose.

La rigueur scientifique fait l’honneur de toute démarche historique. En parallèle, laissons au temps le soin de faire son œuvre antalgique, qui, concomitamment au travail de l’historien, ouvre, à mon sens, le chemin le plus sûr vers la pacification des esprits ! (Mme la rapporteure applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestent pour le droit à l’indépendance sont tués lors d’une sanglante répression.

« La République reconnaît avec lucidité ces faits », a déclaré François Hollande en 2012, avant qu’un autre président de la République, Emmanuel Macron, n’ajoute : « Les crimes commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République. La France regarde toute son histoire avec lucidité et reconnaît les responsabilités clairement établies. »

Ces deux déclarations s’inscrivent dans un travail de mémoire, un travail académique pour dire la vérité historique et établir la responsabilité de l’État. Il s’agit d’un mouvement qui part de la connaissance pour aller vers la reconnaissance.

Ce travail, entamé depuis des années, a été renforcé par l’approche retenue par Benjamin Stora dans son rapport du début 2021.

Reconnu pour sa connaissance de la guerre d’Algérie et pour la qualité de ses travaux, Benjamin Stora émet un certain nombre de préconisations. Il rejette les concepts d’excuses et de demande de pardon, mais recommande des avancées sur des chantiers pragmatiques, une politique des petits pas supposant, par exemple, l’ouverture des archives et la reconnaissance du 17 octobre comme un crime d’État.

L’actuel président de la République n’est pas allé dans ce sens, même s’il a marqué de sa présence une commémoration, vingt ans après que M. Delanoë, maire de Paris, a fait apposer une plaque en mémoire des victimes.

Cette plaque évoque de nombreuses victimes. Mais les chiffres ont été minimisés et leur détermination exacte se heurte au blocage de l’accès à certaines archives. Aujourd’hui encore, il est difficile d’établir le nombre exact de personnes tuées ce jour-là, comme d’ailleurs les jours suivants et précédents.

À ce titre, nous proposerons de compléter l’article 1er, qui ne fait référence qu’aux jours suivants, pour y ajouter les jours précédents.

Nous saluons cet article, qui, refusant d’attribuer la responsabilité des massacres au seul préfet de l’époque, si controversé soit-il, opte pour la responsabilité d’État. Cela étant, les élus de notre groupe souhaiteraient aller plus loin, au plus proche des recommandations de M. Stora, vers la reconnaissance d’un crime d’État.

Sans tomber, en quoi que ce soit, dans la repentance souvent reprochée en pareil cas, nous jugeons anormal de limiter les « responsabilités clairement établies » au seul Maurice Papon, personnage des heures les plus troubles de notre histoire. Sa mise en cause ne saurait écarter la responsabilité de l’État dans ces crimes qualifiés d’« inexcusables pour la République ».

M. Papon a été nommé préfet et c’est dans un cadre bien précis que ces crimes ont été commis.

Yannick Jadot l’a rappelé : « Le Président a raté l’occasion de faire un pas de plus vers la réconciliation. » Et ce n’est pas le seul à avoir gâché une occasion d’apaisement. En témoigne la position de notre rapporteure, qui, dans cette proposition de loi, voit au mieux une reconnaissance redondante de la violence de la répression contre les manifestations et juge que l’article 1er va au-delà d’un consensus nécessaire pour établir la responsabilité de la France.

Une telle dénégation n’est-elle pas une insulte, non seulement envers les victimes, mais aussi envers les auteurs de tous les travaux académiques dédiés à ce sujet ?

Se réfugiant derrière un argument byzantin, certains veulent à tout prix différencier la responsabilité de la France de celle du préfet de police de la République.

Les événements du 17 octobre 1961 ne sont pas ponctuels ou inopinés. Ils s’étalent sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Ils suivent un déroulement coordonné, à grande échelle, marqué par la réquisition de stades et de gymnases. Une telle organisation requiert les services de l’État.

Certains souhaitent conditionner une telle reconnaissance à une éventuelle réciprocité du gouvernement algérien, ou bien estiment que l’apaisement ne saurait être qu’unilatéral. Bien sûr, ils savent que le refus d’accomplir une chose juste, sous prétexte que d’autres n’y sont pas prêts, n’a pas de sens. Qu’il y ait d’autres coupables ne fait pas de vous un innocent !

D’autres estiment que cette reconnaissance irait à l’encontre d’un objectif d’apaisement. Pour leur répondre, je ne saurais trop leur répéter cette citation, souvent attribuée à ce fils d’Algérie, Marseillais d’adoption, Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »

Je n’ose croire que votre croyance forte en un « parler vrai », en d’autres termes dire la vérité même quand elle dérange, atteindrait ses limites lorsqu’il s’agit de notre histoire. Benjamin Stora, l’un des historiens au cœur de cette réflexion, s’est prononcé contre l’idée d’excuses officielles.

La reconnaissance de ce crime d’État ne s’inscrit pas dans un échange entre pays, mais dans la capacité de la France à connaître et à reconnaître son histoire.

Je parle bien de notre pays ! Ce dernier ne devrait pas avoir besoin des actions d’autres nations pour agir et pour bien faire – il l’a maintes fois prouvé par le passé ; c’est d’ailleurs ce qui a souvent contribué à sa grandeur et à son rayonnement.

Certes, le sujet est sensible et complexe. Le conflit en Algérie était bien une guerre. Elle a laissé des cicatrices profondes, y compris chez les pieds-noirs et chez les juifs pieds-noirs, dont je fais partie. Ne nous privons pas de la possibilité de panser les plaies de cette guerre, même si c’est de manière unilatérale.

C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)