M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, hier, mercredi, le Président de la République a annoncé de nouvelles mesures pour lutter contre la pandémie de covid-19. Aujourd’hui, le Sénat débute l’examen en nouvelle lecture de la proposition de loi visant à améliorer notre système de santé. Or nous savons toutes et tous que notre système de santé souffre, plus que jamais avec cette pandémie, d’un manque de lits, de personnels et de services surchargés. Nous savons pertinemment que les personnels soignants, qui sont en première ligne, sont épuisés.

La tension est tellement forte que bon nombre de médecins nous alertent sur le risque d’un tri des patients dans les services de réanimation, mais également sur les déprogrammations d’interventions chirurgicales, entraînant des pertes de chance. D’ailleurs, les nouvelles restrictions annoncées par le Président de la République sont en partie liées à l’insuffisance de nos capacités hospitalières, ce qu’il n’a pas caché. Notre groupe ne cesse de dénoncer les politiques menées depuis plus de vingt ans, qui, de coupes budgétaires en coupes budgétaires, sont responsables de l’état de nos hôpitaux publics et de l’affaiblissement de notre système de santé.

Cette proposition de loi n’est pas à la hauteur des enjeux : elle est déconnectée de la réalité des hôpitaux et n’est pas de nature à redresser la barre. Pis, certaines mesures vont encore aggraver la situation.

Ainsi, en renforçant l’autonomie des hôpitaux et des groupements hospitaliers de territoire, ce texte affaiblit encore davantage le service public national de santé. On le voit déjà dans les projets en cours. Pour ne prendre qu’un exemple, la création programmée à Saint-Ouen d’un hôpital-cathédrale pour remplacer les hôpitaux Bichat et Beaujon va entraîner la suppression de près de 400 lits et de 1 200 emplois. Comment justifier que la modernisation indispensable de ces hôpitaux provoque une réduction des capacités d’hospitalisation dans une zone qui souffre déjà d’un manque de structures hospitalières ?

Ce que demande la coordination composée de personnels, de syndicalistes, d’élus, de patients, d’habitantes et d’habitants du secteur, c’est non seulement de moderniser Bichat et Beaujon, mais également de construire un nouvel hôpital. J’étais encore à leurs côtés ce matin devant l’hôpital Bichat pour faire entendre leurs exigences.

Outre ces raisons structurelles, permettez-moi de m’arrêter sur trois questions traitées dans le cadre de cette proposition de loi.

Premièrement, nous nous opposons à l’élargissement des missions des psychologues de l’éducation nationale. Aujourd’hui, à l’école, on observe une pénurie de médecins et de psychologues scolaires. Il faut donc embaucher, revaloriser ces professions et non modifier leurs missions.

Deuxièmement, concernant la demande ancienne des orthophonistes visant à autoriser l’accès direct aux soins orthophoniques, afin de mieux orienter un certain nombre de patients et de fluidifier leur parcours de soins, nous regrettons les reculs du Gouvernement face à la pression de certaines corporations, qui a entraîné la suppression de l’amendement adopté par le Sénat dans un très large consensus. Madame la ministre, je vous alerte sur ce point.

Troisièmement, je veux redire ici qu’il y a urgence à inclure dans les objectifs du projet social des hôpitaux la lutte contre les comportements sexistes, racistes et homophobes. Je vous renvoie, madame la ministre, mes chers collègues, à une enquête de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), publiée 18 mars 2021, selon laquelle un tiers des étudiants et étudiantes en médecine ont déjà été victimes de harcèlement sexuel lors de leur stage et selon laquelle, dans neuf cas sur dix, le harceleur était un supérieur.

Beaucoup de manques, des propositions qui confortent les politiques menées jusqu’à présent : autant de raisons pour nous opposer à cette proposition de loi en nouvelle lecture comme en première lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Élisabeth Doineau. Madame la ministre, j’aurais aimé partager votre satisfaction, mais, lors de la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 2 mars dernier, j’étais avant tout mal à l’aise face à la proposition de loi de Mme la députée Stéphanie Rist. Si je salue évidemment l’intention et la mise en place du Ségur de la santé, avouons-le, il reste de trop nombreux oubliés.

Nous étions en conférence avec un certain nombre de professionnels de santé du département de la Mayenne, et je peux vous assurer qu’il ne se passe pas une semaine sans que mes collègues et moi-même soyons interpellés sur le sujet. Il n’est pas tout à fait logique que certains professionnels ne bénéficient pas de la même rémunération ou, en tout cas, de la même revalorisation salariale que les autres. Des personnels de Ssiad m’ont même indiqué que, cette année, ils auront du mal à remplacer les infirmiers pendant les vacances.

Le texte issu de l’Assemblée nationale a donc suscité beaucoup d’interpellations émanant de toutes les professions de santé. En première lecture, le texte de la rapporteure a subi de nombreuses transformations à l’Assemblée nationale, ce qui était déjà une alerte en soi.

D’autres modifications sont intervenues au Sénat. Jusqu’aux dernières heures précédant la réunion de la commission mixte paritaire, nous recevions encore, les uns et les autres, quantité de demandes au sujet de ce texte.

Je suis donc très ennuyée par une proposition de loi dont la rédaction ne semble pas convenir à de nombreuses professions. C’est particulièrement problématique.

Avec les membres de mon groupe, nous avions approuvé et salué les mesures budgétaires du Ségur, tout en soulignant que certains professionnels avaient été oubliés. Aujourd’hui, cette proposition de loi, qui se voulait la traduction des mesures non budgétaires du Ségur de la santé, n’atteint que très partiellement cet objectif.

Je retiens néanmoins de ce texte les avancées bienvenues concernant la profession de sage-femme. Le chapitre II lui est majoritairement consacré. Il prévoit notamment la possibilité pour la patiente de désigner une sage-femme référente, afin de favoriser la coordination des soins en lien avec le médecin.

Il sera aussi désormais possible pour une sage-femme d’adresser ses patientes à un médecin spécialiste, sans pénaliser ces dernières pour ce qui est du remboursement des soins par l’assurance maladie. Il s’agit d’une mesure de simplification du parcours de santé là encore bienvenue. Tel est d’ailleurs l’objet de la proposition de loi.

Je rappelle enfin le point de vigilance que j’avais soulevé en première lecture : nous ne pouvons étendre indéfiniment le champ d’intervention des professionnels sans améliorer leur statut, qui est actuellement hybride, puisqu’il est médical devant la loi, mais souvent paramédical pour l’administration. Une réflexion devrait être menée pour faire converger statut et compétences.

Quatre journées de mobilisation se sont déjà tenues depuis le début de l’année : le 26 janvier, les 10 et 24 février et, dernièrement, le 8 mars. Les sages-femmes sont à bout : l’heure est aux mesures concrètes. Elles demandent notamment une augmentation des effectifs, la reconnaissance de leur statut de profession médicale à l’hôpital, un alignement des salaires sur les autres professionnels de santé, ainsi que l’ouverture de négociations conventionnelles dans le cadre du rapport des 1 000 premiers jours.

Je souhaite que la mission de l’IGAS, qui devrait remettre ses conclusions d’ici à l’été, puisse aboutir à des mesures à la hauteur des enjeux lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Je ne m’étendrai pas davantage sur le fond du texte. Je vous redis mon malaise et ma perplexité, après toutes les auditions et le travail mené sur cette proposition de loi. Je regrette que le Sénat et l’Assemblée nationale n’aient pu s’entendre. De nombreux points de divergence nous séparent. Aussi, je ne vois pas ce qui peut nous réunir au-delà de quelques articles consensuels que le Sénat a améliorés.

Je partage l’analyse de notre rapporteur Alain Milon : « sur le cœur des dispositions, l’Assemblée nationale a rétabli, pour l’essentiel, son texte de première lecture », notamment en matière de gouvernance hospitalière, alors que le Sénat avait adopté des propositions constructives sur des points concrets de cette évolution.

Dans ces conditions, poursuivre le débat n’aurait pas tellement de sens et risquerait en définitive de créer de faux espoirs chez les professionnels de santé. Aussi, les sénateurs du groupe Union Centriste prennent acte de l’échec de la commission mixte paritaire et voteront la motion tendant à opposer la question préalable.

Je veux rappeler combien les collègues de mon groupe sont très attentifs à ce que vous puissiez améliorer la situation de l’ensemble des professionnels concernés par le Ségur de la santé, notamment sur un plan budgétaire.

Mme Françoise Gatel. C’est vrai !

Mme Élisabeth Doineau. Aujourd’hui, M. Laforcade, qui a été missionné sur le sujet, a rendu ses conclusions. Nous aimerions connaître les résultats de ce rapport.

Pour ce qui est des mesures non budgétaires, on a le sentiment que certaines professions restent frustrées, si l’on en juge par tous les mails et les appels que nous recevons.

Les membres du groupe Union Centriste ne peuvent cautionner ce texte : cela signifierait qu’ils acceptent qu’il y ait des oubliés et des frustrés du Ségur de la santé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier.

M. Bernard Jomier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons à nouveau pour étudier cette proposition de loi dans un contexte marqué par la crise que nous connaissons.

Il y a un an, les Françaises et les Français applaudissaient spontanément le personnel soignant. Après une année très difficile, un dévouement sans précédent de ces personnels, le décès de beaucoup d’entre eux, tous avaient imaginé une prise de conscience collective et un appui ferme et unanime des pouvoirs publics. Ils auront entendu le chef de l’État hier soir leur demander de nouveaux efforts.

En contrepartie, pour répondre à leurs demandes, le Gouvernement propose un texte largement insuffisant, d’ailleurs marqué par des rétropédalages et des ajouts de dernière minute, un texte qui ne répond qu’à une infime part des demandes, et qui n’y répond du reste pas toujours bien.

Cette proposition de loi apparaît plus que jamais en décalage avec les besoins matériels et humains dont notre système de soins a besoin. C’est la raison pour laquelle l’écrasante majorité des syndicats et des associations de professionnels de santé s’est positionnée contre son adoption.

Vous avez fait le choix de légiférer dans une certaine forme de précipitation. Malgré d’importantes contributions du Sénat, l’Assemblée nationale a, pour l’essentiel, rétabli in fine son texte.

La proposition de loi avait pour ambition de réaffirmer le rôle des services et du chef de service dans la gouvernance de l’hôpital. Nous pensons en effet qu’ils constituent une unité pertinente dans la prise de décision, dans l’organisation et la mise en œuvre de l’offre de soins, et que les réformes successives de l’hôpital les ont trop éloignés des instances décisionnelles.

Mais, au fond, ce texte ne procède ni à un réel changement de cap ni à une nouvelle répartition des compétences entre les pôles d’activité et les services qu’attendent pourtant les personnels hospitaliers. Avec cette loi, la gouvernance de l’hôpital ne répondra toujours pas au besoin de reconnaissance des soignants, pas plus qu’elle ne tirera vraiment les leçons de la crise. Par exemple, vous n’avez pas tiré les enseignements du printemps dernier lorsque l’hôpital, malgré la surcharge extrême, fonctionnait mieux, car l’administration était au service des soignants, et non dans la complication et la limitation permanente de leur action.

« Confiance et simplification », dites-vous, quand le 17 mars dernier, à l’issue du conseil des ministres, le Président de la République a signé deux ordonnances déclinant les dispositions de la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé. L’une de ces ordonnances est « relative aux groupements hospitaliers de territoire et à la médicalisation des décisions à l’hôpital », quand l’autre vise « à favoriser l’attractivité des carrières médicales hospitalières ».

Sur la forme, vous ne respectez pas le principe de l’ordonnance. En juillet 2019, le Parlement vous donnait sa confiance pour légiférer de la sorte, afin de vous donner le temps d’un travail rigoureux associant l’ensemble des représentants des professions concernées. À l’arrivée, comment pouvez-vous estimer que les concertations ont été menées dans de bonnes conditions, alors qu’il en résulte un rejet massif des organisations syndicales ?

Un collectif regroupant un grand nombre de médecins a dénoncé dans un récent communiqué des ordonnances « écrites à marche forcée ces derniers mois, aboutissant lors du Conseil supérieur des personnels médicaux, pour la première, à un vote unanimement défavorable de l’ensemble des représentants des praticiens et, pour la seconde, à un vote majoritairement défavorable de cette représentation ». Voilà comment les premiers concernés jugent cette loi.

Sur le fond, ces deux ordonnances reprennent les thématiques de la proposition de loi que nous examinons actuellement. Quelle crédibilité accordez-vous au Parlement pour le traiter ainsi ? C’est entre autres pour cette raison que, en première lecture, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a proposé une motion tendant au renvoi du texte en commission.

Ce n’est pas surprenant : les leçons de la pandémie ne sont toujours pas tirées. En vérité, soignants comme parlementaires, nous attendons une loi Santé à la hauteur de l’engagement de nos professionnels de santé, des transformations nécessaires du système de soins. Nous en sommes tellement loin que la poursuite de ce débat ne nous semble pas utile. C’est la raison pour laquelle nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, la proposition de loi que nous examinons en nouvelle lecture prévoit un ensemble de mesures non budgétaires issues des conclusions du Ségur de la santé. Je regrette, comme beaucoup d’entre nous, l’échec de la commission mixte paritaire le 2 mars dernier et la suppression par l’Assemblée nationale de la plupart des mesures adoptées par le Sénat.

Les désaccords portent essentiellement sur trois points : les protocoles de coopération et la création d’une profession médicale intermédiaire, les moyens de lutter contre les dérives de l’intérim médical et la gouvernance hospitalière.

L’amendement de notre collègue Alain Marc visant à étendre le dispositif d’exercice en pratique avancée aux infirmiers anesthésistes a été supprimé en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale. La disposition proposée par Franck Menonville tendant à renforcer le rôle des élus au sein du conseil de surveillance des établissements de santé a également été supprimée.

D’autres mesures importantes ont connu un sort similaire. Je pense notamment à l’autorisation de primoprescription et à la délivrance du traitement de prévention du VIH par les médecins de ville et les pharmaciens, que le Gouvernement a jugé prématurées. Lorsqu’il est question de la santé de nos concitoyens, je pense qu’il n’est jamais trop tôt pour agir.

La navette parlementaire a néanmoins contribué à enrichir le texte. La possibilité de désigner une sage-femme référente a été maintenue, ainsi que l’extension de l’acte de vaccination aux pharmaciens et aux biologistes. Les orthophonistes, les masseurs-kinésithérapeutes et les ergothérapeutes auront bientôt la possibilité d’adapter des prescriptions médicales. Ces mesures concrètes contribueront à faciliter le parcours de soins des patients.

Je partage la réflexion de notre rapporteur, Alain Milon, sur l’article 1er instituant une nouvelle profession médicale. L’exercice en pratique avancée répond précisément à l’objectif d’ajouter un maillon supplémentaire dans l’offre de soins, sans pour autant la rendre plus complexe et, donc, moins accessible.

En revanche, je suis favorable à certaines avancées plus volontaristes de l’Assemblée nationale en matière d’accès à la santé : le renouvellement des arrêts de travail de plus de quinze jours par l’ensemble des sages-femmes, la prescription de traitements des IST aux partenaires, ainsi que leur autorisation à orienter leurs patientes vers la médecine spécialisée.

En outre, la création de la plateforme numérique d’accès au droit pour les personnes en situation de handicap est une disposition importante de cette proposition de loi. Mon collègue Daniel Chasseing avait proposé en séance publique d’étendre le bénéfice de cette plateforme aux personnes âgées dépendantes. L’examen du projet de loi Grand Âge sera l’occasion de réexaminer cette mesure.

Le texte contient des avancées intéressantes. Conformément aux usages de notre groupe, nous avons choisi de ne pas voter la motion déposée par la commission, car nous souhaitons poursuivre les discussions et l’examen des amendements que nous avons déposés.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de la première lecture, nous avions relevé la déception et les inquiétudes de la majorité des acteurs de santé quant à cette proposition de loi : le texte marquait une véritable incapacité à se saisir des enseignements de la crise sanitaire pointés lors du Ségur de la santé.

Sur le versant financier, malgré un début de rattrapage du décrochage des rémunérations, le Gouvernement n’en poursuit pas moins aujourd’hui les projets de fermeture de lits. De même, le versant dit « non financier » du Ségur témoigne d’un rendez-vous en grande partie manqué.

Aujourd’hui même – ce n’est pas un poisson d’avril ! –, l’hôpital militaire Desgenettes de Lyon ferme ses urgences alors que son service de médecine, sous-employé, pouvait accueillir les patients covid ne nécessitant pas ou plus de réanimation, à deux pas de l’hôpital public Édouard-Herriot désormais saturé. La casse continue.

Comme les acteurs de santé, nous avons apporté notre contribution pour que cette crise ouvre sur une rénovation profonde de notre système de santé.

Au Sénat, le travail parlementaire avait permis de supprimer les articles unanimement contestés lors des auditions. Le groupe écologiste avait ainsi salué quelques avancées. Je pense bien sûr à la possibilité pour la femme enceinte de désigner une sage-femme référente et à l’accès direct aux soins d’orthophonie, défendu largement sur nos travées.

La majorité des articles les plus contestés ont été rétablis par l’Assemblée nationale, notamment l’article relatif à la compétence de recrutement donnée à l’établissement support du GHT pour le compte des établissements parties. Ce rétablissement valide l’analyse et les craintes des acteurs locaux de santé. Ces derniers redoutent une intégration principalement au service d’une logique d’économies et non, malheureusement, pour construire une offre hospitalière efficiente maillant l’ensemble du territoire.

Le bilan de la réforme de la gouvernance hospitalière reste bien pauvre. Ainsi, l’Assemblée nationale valide la suppression de la concertation interne préalable à la nomination du chef de service, demandée par la majorité sénatoriale, mais elle n’a pas l’audace d’expérimenter l’élection de ce même chef de service par ses pairs.

L’article qui renforce la lutte contre le recours abusif à l’intérim, objectif qui fait l’unanimité, ne s’attaque nullement aux causes de ce phénomène. La pénurie dans certaines spécialités médicales, aggravée par le décrochage des rémunérations des praticiens hospitaliers – au point que certains préfèrent l’exercice en clinique privée –, explique le recours aux dépassements d’honoraires jusqu’au mode le plus dégradé, l’intérim, avec les abus qu’il implique.

Les injonctions paradoxales faites aux directeurs – continuité du service, refus du chantage ou fermeture des services – ne sauraient constituer la seule réponse, pour ne pas dire la défausse du Gouvernement.

Enfin, le comble a été atteint au sujet de l’accès direct aux soins en orthophonie. Cette disposition avait reçu le soutien des deux commissions des affaires sociales, de la rapporteure de l’Assemblée nationale et de la majorité du Sénat. Non seulement elle a été supprimée par un amendement de dernière minute du Gouvernement, mais l’autonomie de la profession a subi une régression inédite quant au diagnostic orthophonique et à l’élaboration du traitement.

Une telle impéritie, un tel passage en force nous conduisent à condamner la méthode en plus du fond : nous ne voyons plus, nous non plus, l’intérêt de poursuivre l’examen de ce texte. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en conséquence la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Bernard Jomier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, « les plus grands artistes sont ceux qui possèdent le don de simplification à l’usage des autres », a écrit Claude Lelouch. C’est également vrai des décisions en matière de politiques publiques.

La confiance mutuelle des acteurs de la santé est le préalable nécessaire à toute simplification dans ce domaine. La simplification, elle, est devenue un enjeu majeur pour permettre à chaque soignant d’effectuer sa mission au mieux et à chaque patient d’être soigné et remboursé efficacement.

Pendant cette crise sanitaire, cette simplification a prouvé sa nécessité absolue : d’une part, pour désengorger les urgences ; d’autre part, pour permettre la continuité des soins habituels. À ce titre, l’élargissement de la télémédecine remboursée pour tous, quel que soit le département du médecin, a permis d’assurer l’accès aux soins, notamment dans les zones sous-dotées, comme mon département de l’Eure. J’ai d’ailleurs écrit il y a quelques jours à M. le ministre des solidarités et de la santé pour lui demander la pérennisation de cette simplification au-delà de la crise sanitaire.

La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui constitue la traduction législative des mesures issues des conclusions du Ségur de la santé, pour la partie non budgétaire.

Le texte a été enrichi lors de sa première lecture au Sénat, et je souhaite souligner le travail du rapporteur, Alain Milon, et de la commission des affaires sociales. Certaines des mesures introduites par le Sénat ont été conservées par l’Assemblée nationale. Je pense à l’ouverture du droit de vaccination aux pharmaciens et biologistes ou encore aux dépassements d’honoraires des professionnels libéraux en Espic.

En outre, deux articles provenant d’amendements défendus par le groupe RDPI ont été adoptés dans les mêmes termes par les deux chambres, et nous nous en félicitons : l’article 7 bis B, visant à assurer l’interopérabilité du système d’information au sein des groupements hospitaliers de territoire ; et l’article 14 bis A, permettant la mise en place d’un référent handicap au sein de chaque établissement de santé.

L’Assemblée nationale a rétabli les dispositions supprimées par le Sénat, notamment certaines mesures soutenues par notre groupe en première lecture, qu’il s’agisse du rapport sur la création d’une profession intermédiaire, de la lutte contre les dérives de l’intérim médical ou encore du projet managérial.

Face à ces modifications, une motion tendant à opposer la question préalable a été déposée. Or il serait regrettable d’arrêter ici les échanges : ce texte contient des mesures essentielles, demandées par les soignants depuis des années. D’autres méritent sans doute encore un travail d’amélioration, mais elles ne justifient pas un tel rejet en bloc.

Les demandes des professionnels de santé ont été entendues, avec notamment 754 millions d’euros supplémentaires engagés en faveur des urgences pour la période 2019-2022. Le rapport Claris et le Ségur de la santé ont permis de préciser ces demandes.

Cette proposition de loi représente ainsi plusieurs avancées concrètes : l’élargissement des protocoles locaux de coopération ; l’évolution du rôle des sages-femmes, qui pourront notamment prescrire des arrêts maladie et les prolonger ; l’élargissement du droit de prescription pour elles et les masseurs-kinésithérapeutes ; la réinstallation de la fonction de chef de service ; la lutte contre les dérives de l’intérim médical ; ou encore la prise en compte des étudiants en santé dans l’élaboration du projet social.

Pour défendre toutes ces avancées, et parce que nous croyons profondément en la valeur des débats dans cet hémicycle, nous sommes favorables à ce texte : le groupe RDPI votera donc contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici une nouvelle fois réunis pour examiner la proposition de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification.

Après l’échec de la réunion de la commission mixte paritaire du 2 mars dernier, l’Assemblée nationale a rétabli son texte, pour l’essentiel, en le complétant.

Concernant le statut des sages-femmes, l’Assemblée nationale a décidé de déroger quelque peu au respect du parcours de soins centré sur le médecin traitant, qui, pour nous, devait demeurer le principe.

En matière de gouvernance hospitalière, le Sénat avait exclu la présence d’étudiants au sein des directoires des établissements publics de santé. Cette possibilité a été rétablie par l’Assemblée nationale, et nous nous en réjouissons. Elle permettra de faire connaître la vision et les attentes des jeunes. C’est un signal positif que nous leur adressons.

Pour lutter contre les dérives de l’intérim, l’Assemblée nationale a rétabli le dispositif permettant aux directeurs généraux des ARS de déférer devant le tribunal administratif les contrats irréguliers tout en donnant des pouvoirs au comptable public. Certains considèrent qu’un tel dispositif peut mettre les directeurs d’établissement en difficulté. Nous pensons au contraire qu’il leur enlève une responsabilité et les protège. Un bilan d’étape sera nécessaire sur ce point, qu’il faudra évaluer avec prudence et pragmatisme.

A également été rétablie l’intégration d’un projet managérial au projet d’établissement des établissements publics de santé ; nous sommes convaincus de son utilité. On ne saurait réduire la maîtrise des techniques managériales à des enjeux de rentabilité. Bien au contraire, elles permettent d’améliorer le fonctionnement des équipes et des services.

Je salue le maintien par l’Assemblée nationale de plusieurs de nos propositions. Je pense notamment à l’extension des compétences des professions paramédicales : l’idée était d’étendre le champ de leurs prérogatives. Ainsi, les ergothérapeutes, les orthophonistes et les masseurs-kinésithérapeutes ont vu leurs droits de prescription étendus. Je pense également à la possibilité donnée aux pharmacies à usage intérieur et aux laboratoires d’analyses de biologie médicale d’effectuer certains actes de vaccination, propositions que le groupe du RDSE avait introduites.

Néanmoins, nous déplorons la suppression de certains apports du Sénat, comme le déploiement de l’exercice en pratique avancée des infirmiers anesthésistes, que notre groupe a défendu.

Nous aurions souhaité faire plus pour l’attractivité des métiers, parvenir à une équité entre secteurs public et privé d’intérêt collectif. Nous avions proposé à ce titre de permettre aux praticiens salariés d’un Espic de pratiquer des dépassements d’honoraires, dans la limite des dispositifs prévus par la convention médicale. À notre regret, cette possibilité n’a été retenue que pour les professionnels les pratiquant déjà au 24 juillet 2019, date de promulgation de la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé. Ce choix risque d’avoir pour effet de créer une nouvelle inégalité, au sein des Espic cette fois-ci.

À l’issue du Ségur, qui avait suscité beaucoup d’espoirs, force est de constater que le présent texte répond insuffisamment aux ambitions. Il vient tout de même compléter des mesures qui étaient attendues – il ne faut pas le nier – et contribue à la remédicalisation de la direction de l’hôpital. Il est évident que nous pourrions encore l’améliorer. Voilà pourquoi la grande majorité du groupe du RDSE s’abstiendra de voter contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)