M. Roger Karoutchi. Cet amendement concerne la neutralité des personnes concourant au service public de l’éducation, tandis que l’amendement n° 88 rectifié bis qui va suivre porte sur les « collaborateurs occasionnels ».

Chacun le comprend, ces deux amendements ont en réalité la même finalité. Comme l’a excellemment dit Max Brisson, il n’y a pas une école à l’intérieur des murs et une école à l’extérieur des murs.

L’éducation est en classe. Une classe qui prend un car pour aller voir une exposition ou visiter un musée reste une classe. Même s’il y a des éducateurs et des accompagnateurs qui viennent, cela fait toujours partie de la mission éducative de l’école. Je ne comprends donc pas la distinction qui est faite.

J’aimerais vous faire part d’un souvenir d’enseignant : au début de ma carrière, on m’expliquait que permettre aux élèves d’aller au théâtre ou dans un musée avec des accompagnateurs était une « mission prioritaire » de l’éducation. Cela implique donc que les accompagnateurs, quels qu’ils soient, participent à cette mission éducative.

Dans ces conditions, je propose par ces deux amendements que l’obligation de neutralité, déjà applicable aux enseignants, soit étendue aux accompagnateurs scolaires, aux collaborateurs occasionnels du service public de l’éducation ou à toute autre personne participant à une mission au sein d’un établissement d’enseignement.

Mme la présidente. L’amendement n° 150 rectifié bis, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, MM. Fialaire et Guiol, Mme Pantel, MM. Requier, Roux et Gold et Mme Guillotin, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - Après le premier alinéa de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« À l’occasion de la participation à l’encadrement des activités et sorties scolaires, le port de signes ou de tenues par lesquels les parents d’élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »

La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Objet de fréquents débats en commission du Sénat, la question du port de tenues et de signes religieux dans l’espace public se pose de nouveau.

À l’heure où une récente enquête de l’IFOP pour la Licra révèle une jeunesse majoritairement favorable à l’expression de la religiosité en public, considérant ainsi la laïcité comme une forme de discrimination envers les musulmans, le Parlement doit se prononcer sur le cas des parents participant aux sorties scolaires de leurs enfants. Le renforcement de la neutralité du service public étant l’un des objectifs du présent projet de loi, l’occasion nous est ainsi offerte de pouvoir décliner cette neutralité dans le cadre des sorties et activités scolaires.

Actuellement, le code de l’éducation dispose que, dans les établissements scolaires, la manifestation ostensible d’une appartenance religieuse par les élèves est interdite, qu’il s’agisse de signes ou de tenues. Néanmoins, la situation des parents accompagnateurs dans les sorties scolaires est ignorée.

Or, dans la mesure où le parent d’élève reçoit au cours d’une sortie scolaire une délégation d’autorité de l’enseignant sur les enfants, le principe de neutralité religieuse qui s’impose à l’enseignant doit être étendu à l’ensemble des activités réalisées pendant le temps scolaire lorsqu’elles sont assurées par le parent d’élève. En tant que collaborateur occasionnel du service public, le parent d’élève devrait se voir transposer les obligations du service public : toute manifestation d’appartenance religieuse devrait donc lui être interdite.

À ce sujet, je regrette que l’avis des rapporteures n’ait pas été entendu en commission.

C’est pourquoi je soutiens tous les amendements allant en ce sens, notamment l’amendement n° 231 rectifié de ma collègue Maryse Carrère. La logique voudrait en effet que les droits et devoirs des acteurs du service public s’appliquent à tous les collaborateurs occasionnels du service public que sont également les parents accompagnateurs.

Mme la présidente. L’amendement n° 88 rectifié bis, présenté par MM. Karoutchi et Pemezec, Mmes Garriaud-Maylam et Thomas, MM. Burgoa, Bascher, D. Laurent, Regnard et Bonne, Mme Chauvin, MM. Guerriau et Mandelli, Mmes Drexler et Dumont, M. Sido, Mme Procaccia, MM. Cambon, Lefèvre, Meurant, Vogel et Decool, Mmes Belrhiti et V. Boyer, M. Menonville, Mmes Bellurot et Imbert, M. Laugier, Mmes Puissat, Goy-Chavent, Billon et Férat, MM. Cuypers et Moga, Mme F. Gerbaud, MM. Saury, P. Martin, Gremillet, Boré, Le Rudulier, Bouchet et Sol, Mme Lassarade, M. Sautarel, Mme Micouleau, M. Longeot, Mme Deroche, MM. Duplomb, Belin, Grand et Pointereau, Mmes Bourrat et Paoli-Gagin, MM. Le Gleut et Laménie, Mme de Cidrac, MM. Bonhomme et H. Leroy, Mme Morin-Desailly, M. Rapin, Mme Guidez et M. Segouin, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. - Après l’article L. 141-5-2 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 141-5-… ainsi rédigé :

« Art. L. 141-5-…. – Toute personne qui participe, à titre bénévole ou non, à l’exécution d’une mission du service public de l’éducation nationale est considérée comme collaborateur occasionnel du service public de l’éducation nationale.

« Un collaborateur occasionnel du service public de l’éducation nationale, bénévole ou non, se doit, le temps de l’exercice de cette mission, de veiller au même respect des principes de laïcité et de neutralité politique, religieuse et philosophique, que les agents du service public de l’éducation nationale. »

La parole est à M. Roger Karoutchi.

M. Roger Karoutchi. L’amendement est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Chacun l’aura remarqué, ces différents amendements ont tous le même objet principal : étendre le principe de neutralité à certaines personnes qui collaborent à l’exécution d’un service public, celui de l’éducation.

Nous avons évidemment étudié tous les dispositifs proposés. Ils ont tous des forces et des faiblesses.

Les amendements nos 266 rectifié et 231 rectifié présentent une petite fragilité, car l’interprétation de la notion de « collaborateurs occasionnels » ne va pas toujours de soi. Cette remarque vaut également pour l’amendement de notre collègue Roger Karoutchi tendant à donner cette qualification juridique aux accompagnateurs de sorties scolaires.

Les amendements nos 150 rectifié bis et 487 rectifié mentionnent explicitement les parents d’élèves. Or les accompagnateurs scolaires ne sont pas nécessairement toujours des parents d’élèves. Il me semble donc préférable de retenir une rédaction au périmètre plus large.

Monsieur Masson, dans votre amendement, vous visez le principe de laïcité, mais le dispositif que vous proposez ne correspond pas exactement à ce que nous souhaitons faire dans ce cadre.

Aussi, parmi toute cette série d’amendements, la commission s’est prononcée en faveur de celui de M. Brisson. En effet, le contenu de l’amendement n° 286 rectifié bis précise bien – nous en avons beaucoup discuté – que le temps de l’école dans les murs comme celui de l’école hors les murs sont du temps scolaire et éducatif. La commission est donc favorable à l’amendement n° 286 rectifié bis, sur lequel elle demande un vote par priorité, et elle sollicite le retrait ou, à défaut, le rejet des autres amendements.

Mme la présidente. Je suis donc saisie par la commission d’une demande de vote par priorité de l’amendement n° 286 rectifié bis.

Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la priorité est de droit, sauf opposition du Gouvernement.

Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis favorable.

Mme la présidente. La priorité est ordonnée

Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements en discussion commune ?

M. Gérald Darmanin, ministre. L’amendement de M. Brisson, qui a la préférence de la commission, et les autres amendements nous font revenir sur un sujet important et sensible, qui a fait l’objet de nombreuses heures de discussion à l’Assemblée nationale également.

J’ai bien noté que la commission s’était dans un premier temps prononcée en défaveur de l’interdiction du port des signes religieux lors des sorties scolaires.

M. Loïc Hervé. C’est bien ce qui s’est passé !

M. Gérald Darmanin, ministre. L’article 1er du projet de loi est très important. Je ne voudrais pas qu’on le réduise à la question des sorties scolaires.

Il est proposé d’étendre la neutralité exigée des agents du service public à l’ensemble des personnes qui concourent au service public. Le texte déposé par le Gouvernement et enrichi par l’Assemblée nationale vise les délégations de service public, les marchés qui concourent directement au service public, les offices d’HLM, les CAF, Pôle emploi et tous ceux qui concourent à ce service public.

Contrairement à ce que Mme la rapporteure a indiqué, l’article 1er n’est pas qu’une codification de ce qui existe déjà. Il s’agit d’aller beaucoup plus loin que la simple jurisprudence. En tant qu’élus locaux, nous sommes nombreux à dénoncer depuis longtemps l’existence de règles contraires au principe de neutralité dans les transports en commun.

Revenons aux amendements examinés. Par conviction, je suis profondément opposé à la disposition proposée.

D’abord, la catégorie des « collaborateurs occasionnels » du service public n’existe pas en droit. Certes, elle est évoquée par la jurisprudence du Conseil d’État, notamment dans le cas particulier des personnes venant au secours d’autres, afin de permettre aux assurances attachées à un tel acte héroïque de citoyenneté de s’appliquer.

Ensuite, la comparaison qui est faite avec les jurés d’assises n’est pas pertinente. Une maman accompagnatrice lors d’une sortie scolaire ne perçoit aucune indemnité, contrairement à un juré d’assise. S’il est normal d’exiger un devoir de neutralité en échange d’une indemnité, même infime, on ne peut évidemment pas en demander autant à une personne qui viendrait au secours d’une autre ou à une maman qui accompagnerait une sortie scolaire.

Dès lors, le dispositif proposé encourt à coup sûr, me semble-t-il, une censure du Conseil constitutionnel.

Au demeurant, le législateur de 2004 n’a délibérément pas prévu d’étendre l’interdiction du port de signes religieux aux accompagnateurs scolaires, sauf s’ils font partie du monde de l’éducation nationale. C’est tellement vrai que, sous un autre gouvernement, celui de Nicolas Sarkozy et de François Fillon, au lieu d’inscrire une telle disposition dans la loi de 2010 sur le port du voile intégral – la volonté du Sénat, de l’Assemblée nationale ou du gouvernement de l’époque aurait pu s’exprimer sur ce texte –, M. Chatel a pris une circulaire prévoyant l’interdiction pour les accompagnants scolaires d’exprimer leurs convictions religieuses par leur tenue. Si M. Chatel a opté pour une circulaire, texte de rang normatif inférieur à celui d’une loi, c’est bien parce qu’une loi aurait à coup sûr été invalidée par le Conseil constitutionnel.

Au-delà du sujet constitutionnel – il ne s’agit pas de faire que du droit, même si le droit est important –, je voudrais formuler trois remarques.

Premièrement, l’argument de « l’école hors les murs » est rhétorique. Les enseignants, qu’ils soient dans les murs de l’éducation nationale ou hors de ces murs mais payés en tant que fonctionnaires de la République, sont évidemment tenus au devoir de neutralité. Mais là, nous parlons de parents d’élèves.

Deuxièmement, je trouve assez contradictoire de vouloir à tout prix supprimer toute expression religieuse des parents au nom du principe de neutralité de l’école publique tout en laissant les écoles sous contrat ou hors contrat autoriser le port de vêtements religieux. (Marques dapprobation sur des travées du groupe SER.) Je rappelle d’ailleurs que le port du foulard islamique est possible dans certaines écoles catholiques sous contrat de notre République. Je m’étonne, comme je m’en suis étonné à l’Assemblée nationale, que les demandes ne concernent que l’école publique.

Il me semble tout aussi contradictoire, monsieur Brisson, que vous défendiez avec tant d’ardeur l’instruction en famille, où, par définition, tout vêtement religieux peut être porté intégralement sans le moindre contrôle de l’État, tout en vous montrant aussi sévère à l’égard des mamans qui accompagneraient une sortie scolaire avec un foulard. Il ne m’est pas apparu jusqu’à présent que le port d’un signe religieux par une femme était un acte antirépublicain.

M. Max Brisson. Ça n’a rien à voir !

M. Gérald Darmanin, ministre. Cela a beaucoup à voir ! Si vous ne voulez pas exposer les enfants à des signes religieux, mettez-les à l’école publique ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est bête comme chou ! Pour ma part, je suis très fier de l’école publique.

Mais, étant aussi parfaitement respectueux de la liberté de l’enseignement, je ne demande pas l’interdiction des signes religieux dans les écoles sous contrat et hors contrat, même si, en tant qu’élu et que ministre, je rappelle que le meilleur moyen d’avoir la neutralité religieuse est de renforcer l’école publique.

Troisièmement, le dispositif proposé ne touche pas seulement les mamans qui accompagneraient les sorties scolaires. Il vient subrepticement introduire des pratiques contraires à la laïcité française, qui n’est pas la neutralité dans l’espace public.

M. Loïc Hervé. Exactement !

M. Gérald Darmanin, ministre. La laïcité française est au contraire l’acceptation de la pluralité religieuse et des expressions, même religieuses, y compris si elles nous embêtent.

M. Loïc Hervé. Absolument !

M. Gérald Darmanin, ministre. Un régime libéral est un régime qui accepte la pluralité des expressions, même dans l’espace public. La seule exception concerne les personnes qui sont payées par la puissance publique et qui doivent respecter un principe de neutralité, l’État ne reconnaissant aucun culte.

M. Stéphane Piednoir. On parle du temps scolaire !

M. Gérald Darmanin, ministre. Mais ce que je viens d’indiquer vaut qu’il s’agisse de temps scolaire ou non. Cela s’applique tout autant à la personne qui vient chercher un document en mairie, qui prend rendez-vous avec le maire de la commune ou qui s’assoit sous un abribus.

J’ai entendu à l’Assemblée nationale – heureusement, c’est moins le cas au Sénat – des interventions incroyables sur la distinction entre espace du service public et service public. Il n’y a pas un espace du service public et un service public. Il y a un espace public dans lequel la liberté fondamentale d’exprimer son opinion religieuse est reconnue par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Au demeurant, mesdames, messieurs les sénateurs, le législateur n’est revenu sur ce point ni en 2004 ni en 2010.

La loi de 2004 a interdit le port de signes religieux dans les écoles de la République, les collèges et les lycées, car les enfants sont mineurs. D’ailleurs, un problème de frontière peut se poser, certains étant déjà de jeunes majeurs au moment, notamment, d’entrer à l’université.

En 2010, c’est pour des raisons d’ordre public, et certainement pas pour interdire l’expression d’opinions religieuses, que le port du voile intégral a été interdit ; la question s’était d’ailleurs déjà posée en 1955, lorsqu’il s’est agi d’interdire les vêtements religieux sur les photos d’identité. La loi improprement appelée « loi contre la burqa » interdit la dissimulation du visage dans l’espace public pour permettre la vérification des identités, pas pour restreindre une liberté d’expression religieuse.

Parce qu’une telle disposition est inconstitutionnelle et serait censurée par le Conseil constitutionnel, parce que les principes de laïcité et de neutralité dans l’espace public s’appliquent aux agents du service public mais pas aux citoyens ou aux usagers, parce que les collaborateurs occasionnels du service public ne sont pas et ne seront pas des agents du service public, sauf à vouloir les rémunérer – dans ce cas, j’imagine que les collectivités locales réclameraient vite des compensations financières à l’État –, et parce que je trouve une telle revendication très incohérente avec la défense absolue de l’instruction à domicile, je suis très opposé à l’amendement visant à interdire le port de signes religieux aux accompagnants scolaires.

Même si le port du foulard ne me paraît pas souhaitable et, si j’aimerais qu’il soit de moins en moins présent sur le territoire de la République, je tiens à rappeler que les femmes qui le portent – nous en connaissons tous, en tant qu’élus locaux – sont aussi des républicaines patriotes. Je songe à Mme Latifa Ibn Ziaten, qui porte le foulard et qui a donné son fils à la République. Ses enfants, militaires, ont été attaqués par Mohammed Merah. Elle est décorée de la Légion d’honneur. À mon sens, elle a un discours bien plus républicain que nombre de femmes qui ne portent pas le voile ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC, SER et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Monsieur le ministre, je souhaite apporter deux précisions.

Premièrement, un fonctionnaire, qu’il soit dans les murs ou hors les murs, a une obligation de neutralité.

Deuxièmement, les recteurs que nous avons auditionnés nous ont indiqué que les parents venant le matin à l’école, par exemple pour faire de la pâte à modeler, étaient soumis à une obligation de neutralité et ne devaient donc pas porter de signes religieux ostentatoires.

J’ai donc un peu de mal à comprendre la nuance et à m’expliquer pourquoi un parent dans les murs de l’école est soumis à une obligation de neutralité tandis qu’un parent hors les murs ne l’est pas. C’est une question de bon sens. Comme l’a souligné Max Brisson, l’école est dans les murs et hors les murs. Je ne vois pas comment l’éducation nationale peut imposer une obligation de neutralité à des parents lorsqu’ils sont dans les murs et ne pas la leur imposer pendant le temps scolaire lorsqu’ils sont hors les murs. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, je partage votre argumentaire, et j’aimerais citer un autre exemple.

Depuis 1805, soit plus de deux siècles, les religieuses de la congrégation des Sœurs de Marie-Joseph et de la Miséricorde aident les femmes dans les lieux de privation de liberté, comme les prisons. Il en reste notamment quelques-unes à Caen et à Fleury-Mérogis. Elles portent évidemment un costume religieux et sont voilées, comme nombre de religieuses. À la suite d’un contentieux lancé par le syndicat Force ouvrière, le Conseil d’État a considéré au mois de juillet 2001 qu’elles n’étaient évidemment pas membres du service public, qu’elles n’avaient pas la qualité de fonctionnaire ou d’agent public, mais que leur intervention était exclusive de tout prosélytisme, concluant ainsi que les religieuses n’avaient pas « transgressé le principe de laïcité ou celui de neutralité du service public ».

M. Pierre Ouzoulias. Par conséquent, l’amendement que M. Brisson souhaite faire voter ne pourrait pas, me semble-t-il, résoudre le problème. En l’espèce, le Conseil d’État pourrait prendre exactement la même décision et considérer que des personnes accompagnant le service public à l’extérieur de l’école, même si elles ont un signe religieux, ne portent pas atteinte au principe de neutralité du service public. Comme cette jurisprudence demeurera, le dispositif proposé ne résoudra pas, je le crois, le problème.

Sur le fond, il est question du service public. Monsieur le ministre, vous m’en excuserez, mais je vais faire du primitivisme communiste.

Le service public est assuré par des fonctionnaires. C’est tout de même le plus simple. Cela évite tous les problèmes.

Vous considérez, et à raison – je suis d’accord avec cela –, que la classe hors de l’école, c’est le service public. Le service public doit être encadré par des fonctionnaires, à la rigueur par des agents contractuels du service public. Point ! Comme cela, il n’y aura plus de débat. J’aurais aimé déposer un amendement en ce sens, mais ce n’était pas possible pour cause d’article 40 de la Constitution.

À un moment donné, il faut s’interroger sur l’externalisation des services publics. D’ailleurs, cela ne concerne pas que l’école. Il est de plus en plus fait appel à des bénévoles avec des statuts abracadabrantesques, comme disait un Président de la République. Il faut une reprise en main du service public : avoir des fonctionnaires, cela sert aussi à respecter le principe de neutralité.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.

M. Didier Marie. Monsieur le ministre de l’intérieur, une fois n’est pas coutume, nous partageons totalement votre argumentation.

Je voudrais revenir un instant sur un point de droit que vous avez mentionné : celui des prétendus « collaborateurs occasionnels ». Dans un avis du mois de décembre 2013, le Conseil d’État, saisi de la circulaire de M. Chatel par le Défenseur des droits, a indiqué qu’il n’existait pas entre l’agent et l’usager de troisième catégorie soumise à l’obligation de neutralité. Par conséquent, les personnes qui accompagnent les enfants dans les sorties scolaires ou, éventuellement, qui entrent dans l’école sans exercer de mission d’enseignement ne sont pas soumises au principe de neutralité. À ce titre, elles peuvent, comme dans l’espace public en effet, arborer des signes d’appartenance à telle ou telle religion dès lors qu’elles s’abstiennent de faire du prosélytisme.

Sur le fond, les amendements de nos collègues sont dangereux, car ils laissent entendre l’existence d’un lien de causalité, un continuum culturel entre le port du voile, l’islam politique, le radicalisme, le séparatisme et – pourquoi pas ? – le terrorisme.

Comme le souligne Kahina Bahloul, imam, femme et non voilée, dans un livre que je vous invite à lire, le voile ne relève pas d’une obligation religieuse. C’est une tradition issue de l’interprétation des textes qui, certes – nous en convenons et nous le condamnons –, est une marque de soumission de la femme. Mais, pour l’immense majorité d’entre elles, ce n’est en aucun cas un acte politique.

Mes chers collègues, je préfère une maman qui marche avec la République en accompagnant son enfant à l’école laïque aux familles qui, se sentant stigmatisées, mettraient leur enfant dans une école confessionnelle ou préféraient l’instruction en famille, celle-là même que vous allez rétablir tout à l’heure. Attention à ne pas pointer du doigt l’immense majorité silencieuse de nos compatriotes musulmans, qui vivent leur religion de façon paisible et sans faire de bruit !

Au-delà, faudra-t-il appliquer le principe de laïcité aux aumôniers qui interviennent dans les prisons ou aux sœurs qui exercent des missions de service public dans les hôpitaux ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le ministre, je souscris totalement à votre argumentation, tant sur le plan juridique que sur le fond. J’ai trouvé les arguments que vous avez avancés extrêmement pointus et pédagogiques. Avec les membres de mon groupe, nous les partageons.

J’aimerais simplement apporter quelques éléments complémentaires. Les auteurs des amendements qui nous sont présentés font, je le crois, une confusion entre ce qui relève de l’espace public et ce qui relève des services publics.

Mes chers collègues, soyez logiques avec vous-mêmes. Si vous considérez que les accompagnateurs scolaires ont une mission éducative et que la sortie scolaire est une composante du programme pédagogique de l’école, allez au bout de votre raisonnement et demandez que ces personnes bénéficient d’un statut, d’un encadrement et d’une rémunération ! Mais vous ne pouvez pas demander à des parents d’élèves bénévoles et sans statut de respecter les règles statutaires, notamment de neutralité, auxquelles sont à juste titre soumis les fonctionnaires et les agents publics.

En outre, il est extrêmement important que des parents d’élèves de toutes origines culturelles puissent entrer dans les écoles, accompagner les enfants et avoir ce type d’échanges.

Si vous vous engagez dans cette voie, qu’allez-vous faire pour les kermesses et les fêtes organisées dans les écoles ? (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Ce n’est pas du temps pédagogique !

Mme Laurence Cohen. Comptez-vous interdire à certains parents d’élèves de tenir les stands ? C’est une question sérieuse à laquelle il est important de réfléchir.

Arrêtons de stigmatiser une partie de la population et aussi de légiférer sur les tenues vestimentaires des femmes !

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Pour répondre à l’aimable invitation de la commission, je retire mes amendements nos 89 rectifié bis et 88 rectifié bis. En effet, l’amendement n° 286 rectifié bis de Max Brisson étant appelé en priorité, je ne vois pas bien l’intérêt de les maintenir. Soit cet amendement est voté et les autres tomberont, soit il est battu et les suivants le seront également.

Monsieur le ministre, pour une fois, je ne suis pas entièrement d’accord avec vous. Vous avez fait un parallèle entre l’éducation à la maison, que M. Brisson souhaite préserver, et ces amendements sur les accompagnateurs de sorties scolaires.

Je suis un pur produit de l’enseignement public, et j’ai été inspecteur général de l’enseignement public, mais n’oublions pas qu’il existe aussi un enseignement privé dans ce pays.

M. Gérald Darmanin, ministre. Bien sûr !

M. Roger Karoutchi. Les familles, quelle que soit leur religion, sont libres d’inscrire leurs enfants dans un établissement privé.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis d’accord !

M. Roger Karoutchi. Quant à l’enseignement familial, je ne vois pas très bien comment on pourrait imposer des règles de neutralité à domicile, car il s’agit d’un espace strictement privé.

Je ne suis pas loin de partager l’opinion de M. Ouzoulias, comme quoi, tout est possible en ce bas monde… (Sourires.)

Au début, nous n’avons pas eu de problèmes avec les sorties scolaires ou pédagogiques, car les enseignants étaient les seuls à accompagner. L’obligation de neutralité s’imposait à eux, quoi qu’il advienne. Mais, à la demande de plusieurs ministres, on a multiplié ce type de sorties, ce qui a nécessité d’élargir le champ des accompagnateurs.

Franchement, quand vous accompagnez une classe dans un car, je ne vois pas comment vous pouvez dire que cela relève de l’espace public. Nous sommes certes en dehors de l’établissement, mais sur le temps scolaire et avec des enfants jeunes, donc plus sensibles, plus malléables. Selon moi, quelle que soit la religion – je ne suis pas là pour parler du voile en particulier –, aucun signe religieux ne devrait être expressément visible dans un car scolaire.