Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été rappelé, ce texte concrétise le programme de lutte contre les séparatismes dessiné par le Président de la République lors de son discours aux Mureaux.

Il porte des avancées importantes, nécessaires et attendues. En introduction aux débats, nous voudrions faire part de notre étonnement sur la motion qui a été déposée et selon laquelle il n’y aurait pas lieu de délibérer. Quelle surprise… Certaines prises de position de ces derniers jours nous rappellent pourtant qu’il y a urgemment besoin de débat en la matière, de débat auquel toutes les citoyennes et tous les citoyens peuvent participer dans une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.

Je consacrerai mon court propos au champ éducatif. Nous voterons l’article 1er bis, qui inclut dans la formation des enseignants et des personnels de l’éducation une formation au principe de laïcité.

Nous voterons le renforcement des contrôles sur les établissements d’enseignement privés hors contrat, le renforcement des sanctions à l’encontre des chefs d’établissement d’enseignement privés hors contrat méconnaissant des mises en demeure et la signature d’une charte des valeurs et principes républicains.

Nous proposerons, en outre, de rétablir l’article 21 – j’y reviendrai lors de nos échanges.

Nous voterons enfin pour plus de mixité sociale dans les écoles et, à défaut, pour la compensation, dans la continuité des prises de position de mon groupe lors des débats sur la loi pour une école de la confiance.

Oui, l’autorité déconcentrée doit travailler avec les établissements publics et privés sous contrat d’un même bassin de vie et avec les collectivités territoriales concernées pour améliorer la mixité sociale au sein de ces établissements.

Oui, la commission de concertation chargée d’examiner les contrats d’association doit veiller au développement de la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements privés sous contrat.

Oui, enfin, au transfert aux conseils départementaux des données sociales anonymisées des élèves relevant des établissements publics et privés de la circonscription.

Faisons toutefois attention, mes chers collègues, de ne pas participer à ce que j’appellerai un effet mikado, c’est-à-dire beaucoup parler pour finalement décevoir. Trop d’attentes ont été déçues ces trente dernières années. Alors que nous tirons continument la sonnette d’alarme sur les effets délétères des inégalités sociales en France et sur le manque de mixité dans les grandes zones urbaines et rurales, en particulier dans nos écoles, faisons preuve non seulement d’un grand volontarisme, mais aussi d’humilité au regard de l’état des lieux dressé au début du quinquennat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis la onzième à prendre la parole dans cette discussion générale sur un tel débat.

Nous avons quelque ancienneté sur ces questions. En 2014, j’ai demandé une commission d’enquête sur les réseaux djihadistes avec mon collègue André Reichardt. Puis il y a eu la mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’islam en France et de ses lieux de culte, qui a produit le rapport le plus sérieux et le plus complet à ce jour sur la situation de l’islam en France.

Ce texte comporte des dispositions tout à fait excellentes, notamment sur le contrôle financier des associations et sur l’alignement des statuts de 1901 et 1905. Le Sénat a d’ailleurs voté cette dernière disposition à plusieurs reprises : en 2016, tout comme l’Assemblée nationale, mais le Conseil constitutionnel, qui l’a considérée comme un cavalier, l’a censurée de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, puis en 2017, 2018, 2019… Nous avons fait preuve de constance. Je me félicite de ce qu’elle soit reprise dans votre texte, monsieur le ministre.

Le renforcement de Tracfin me semble également une excellente opération. À la suite d’un amendement brillant, la commission a adopté le contrôle des cagnottes en ligne, également demandé par Tracfin et retoqué plusieurs fois dans cet hémicycle.

Monsieur le ministre, j’ai envie de vous dire : combien de divisions ? Quels moyens allez-vous mettre en place pour effectuer les contrôles ? Les anciens ministres de l’économie et des finances n’ont cessé de réduire les effectifs consacrés aux missions de contrôle. On m’a soufflé dans l’oreillette que l’application des dispositions de l’article 14 A du livre des procédures fiscales serait plus que discrète.

Je comprends qu’on ne puisse pas contrôler toutes les associations, mais on pourrait essayer de trouver un dispositif intelligent pour labelliser les associations cultuelles qui profitent de ces dispositions extrêmement larges pour proposer des déductions fiscales alléchantes.

Beaucoup d’associations passent entre les mailles du filet. J’ai été menacée de mort pour avoir critiqué une association collectant des fonds pour l’armée israélienne. Que l’on collecte des fonds ne me pose aucun problème ; ce qui m’ennuie, c’est la déduction fiscale : pourquoi, en tant que citoyenne, devrais-je payer pour l’armée israélienne ? Je pense également aux dîners caritatifs animés par des salafistes bien connus qui profitent de déductions fiscales… Il faut que tout cela s’arrête. Les dispositions que vous proposez vont dans le bon sens. Il faut maintenant aller plus avant.

Le Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB) nous a indiqué, lors des auditions, qu’il n’y avait pas de lien entre financement étranger des lieux de culte et financement du terrorisme. Je souhaite donc proposer non pas une mesure législative, mais un guide de bonne conduite des ambassades étrangères. Si l’on cherche à savoir ce que les ambassades financent, on peut le trouver.

Avec mon collègue André Reichardt, j’ai réinterrogé les ambassades étrangères que nous avions déjà sollicitées pour notre rapport de 2016. L’ambassade d’Arabie saoudite, par exemple, nous a communiqué une liste exhaustive des financements accordés en indiquant que les fonds avaient été transférés directement du compte de l’ambassade vers les entreprises qui ont effectué les travaux de construction sur rapport de l’architecte du projet.

Si l’on veut suivre les financements étrangers, c’est assez facile : il suffit de réunir les ambassades étrangères et de leur demander d’appliquer un guide de bonne conduite, comme celui de l’ambassade d’Arabie saoudite ou celui du Koweït. Cela permettrait d’en finir avec le fantasme d’une France abreuvée de pétrodollars.

M. Loïc Hervé. Très bonne idée !

Mme Nathalie Goulet. J’admets que l’affaire de Strasbourg arrive à point nommé. Nous savons tous que la version ottomane de la gestion du culte est un peu différente des autres… Toujours est-il que ces financements étrangers peuvent être contrôlés. J’approuve les mesures qui vont dans ce sens.

En ce qui concerne les moyens de financement du culte, il faudra renforcer les mesures autonomes. Je voudrais dire, monsieur le ministre, ma totale opposition à un financement par un prélèvement sur le hajj, car cela reviendrait à un financement assuré en partie par l’Arabie saoudite, soit l’opposé du but recherché. En revanche, revenir sur la redevance sur les produits halal me semble davantage d’actualité.

Je reprendrai les excellents propos du président Larcher retranscrits dans un non moins excellent guide, qui explique que l’État peut parfaitement aider le culte musulman sur plusieurs aspects : « il convient donc d’accompagner la communauté musulmane avec exigence, mais c’est d’abord à elle qu’il revient de s’organiser ». Les services de Bercy pourraient, par exemple, aider à monter la tuyauterie d’une redevance halal qui permettrait d’assurer l’indépendance financière du culte musulman en France. C’est cette même question et celle de l’ensemble des moyens qui a fait exploser en vol le CFCM voilà quelques jours.

Je conçois que ces dispositifs soient extrêmement difficiles à mettre en place, mais je crois, monsieur le ministre, que votre texte va vraiment dans le bon sens. Cela fait trop longtemps qu’une partie de cet hémicycle refuse certaines propositions. Je soutiendrai toutes ces mesures.

J’espère que le texte ne déviera pas trop au cours des débats. Nous ne pourrons pas voter certaines dispositions, mais, sous réserve de la façon dont le texte évoluera en séance, nous voterons ce projet de loi. (M. Michel Canevet applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jacques-Bernard Magner. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la République est une belle idée, un bel idéal, celui d’une communauté nationale une et indivisible dans laquelle chacun a sa place, quelle que soit son origine, ses moyens, ses talents.

C’est la raison pour laquelle, comme le disait Montesquieu, et comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, il ne faut toucher aux lois, en particulier celles qui concernent la République, que d’une main tremblante.

Nous ne sommes pas sûrs que votre projet de loi respecte ces précautions élémentaires. Nous craignons que le texte qui sortira du Sénat n’aggrave encore ce sentiment.

Pourtant, plusieurs dispositions vont dans la bonne direction. Je pense à celles qui sont relatives au respect de la laïcité, si essentielle pour nous mais malheureusement trop souvent attaquée, et à celles qui confortent la neutralité du service public.

Nous approuvons aussi l’idée de mieux contrôler les financements étrangers des associations cultuelles, ainsi que le fonctionnement des établissements hors contrat.

Toutefois, des ambiguïtés subsistent dans votre projet de loi. Nous aurions aimé y trouver des mesures pour renforcer la mixité sociale à l’école, car c’est là que tout commence pour inculquer les principes de la République. Mais, depuis quatre ans, rien n’a été fait dans cette direction, alors que notre école, sur de nombreux plans, est porteuse de ségrégation et de séparatisme. Votre texte reste, hélas ! muet sur ce sujet.

Pour nous, l’instruction c’est d’abord à l’école de la République. L’école, c’est le creuset de la République où commence l’apprentissage de la citoyenneté, enrichie par la mixité sociale et le vivre-ensemble. C’est non seulement à l’école que commence à se construire la communauté nationale, mais aussi grâce aux activités associatives, pendant les temps périscolaires, et dans les colonies de vacances, trop peu soutenues aujourd’hui pour que les enfants de ce pays apprennent à se connaître, à se respecter et à vivre ensemble.

Ce n’est pas la création d’un service national universel, coûteux et inutile, qui résoudra la question de la formation citoyenne des jeunes. Certes, par l’article 21, vous souhaitez resserrer les contraintes sur l’instruction en famille pour que les enfants qui en auraient été éloignés retrouvent l’école de la République. Mais, parallèlement, vous encouragez leur inscription dans des établissements privés hors contrat, auxquels votre texte n’impose pas le même régime d’autorisation qu’à l’instruction en famille. N’est-ce pas incohérent ?

La droite sénatoriale ayant supprimé cet article 21 en commission, le groupe socialiste va soutenir le Gouvernement. Nous proposerons de rétablir cet article, que nous améliorerons.

En contrepartie, nous attendons votre soutien pour enfin légiférer sérieusement sur la création des établissements d’enseignement scolaire privés hors contrat, en exigeant l’autorisation préalable de l’État et du maire avant toute ouverture, par simple cohérence et parallélisme des formes avec votre article 21 originel.

Monsieur le ministre, l’engagement associatif sous toutes ses formes est sans aucun doute l’un des piliers les plus authentiques de la démocratie et l’un des exercices les plus aboutis de la citoyenneté.

Par l’article 6 de votre projet de loi, vous souhaitez mettre en place un contrat d’engagement républicain, qui reste flou et dont l’utilité est tout à fait discutable. Il nous semble plus opportun de reconnaître dans la loi la « charte des engagements réciproques », qui remplit déjà ce rôle contractuel depuis 2001. Pourquoi voulez-vous encore corseter un monde associatif fragilisé et en souffrance par des contraintes inadaptées et contraires à l’esprit de la loi de 1901 ?

Quant à l’article 8, il fait peser de nouvelles responsabilités écrasantes et injustes sur les épaules des dirigeants associatifs, et notamment les jeunes, au motif qu’un comportement inadapté d’un membre pénaliserait l’association tout entière, ainsi que ses dirigeants. Les associations s’en inquiètent. Il me semble que la réglementation actuelle permet déjà d’intervenir.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous serons attentifs au sort réservé aux amendements que nous avons déposés. (Applaudissements sur les travées du groupe SER – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est une mosaïque. On y traite de l’héritage, de la polygamie, des mariages forcés, des imams détachés, du droit d’association, des certificats de virginité, des réseaux sociaux, de l’école à la maison, de la liberté du culte et de beaucoup d’autres questions. Je félicite nos rapporteures d’en être venues à bout et d’avoir même réussi à l’enrichir.

Beaucoup de mesures parmi celles que le Gouvernement propose méritent d’être retenues. Leur convergence peut donner sens à ce projet de loi, sans qu’il soit nécessaire de lui prêter une portée qu’il ne saurait avoir.

L’approche retenue n’est pas gage de lisibilité. De nombreux régimes juridiques vont ainsi être revus à l’aune de la lutte contre l’islamisme radical, en impactant des pratiques profondément ancrées dans notre vie sociale, qui ne sont nullement blâmables et qui, pour certaines d’entre elles, comme celles qui se rattachent à la liberté d’association, ont une valeur civique qui les rend dignes d’être encouragées et non entravées.

Ce texte va créer des formalités, des obligations, des contrôles, des restrictions. Il nous est demandé de faire accepter aux Français le sacrifice d’une part de liberté au nom du combat, salutaire, contre l’islamisme radical. Cela ne peut se faire de gaieté de cœur, même si la cause est juste.

Pour en arriver là, le Gouvernement invoque un argument qui ressemble à une excuse : à cause du principe d’égalité, on ne peut faire une loi sur l’islam et ses associations. Il faudrait donc, selon lui, faire une loi sur tous les cultes et sur toutes les associations.

Cette approche me paraît contestable. Nous n’avons pas plus besoin d’une loi sur l’islam que d’une loi sur la religion en général pour faire reculer l’islamisme : ce combat est en effet un combat politique…

M. Loïc Hervé. Tout à fait !

M. Philippe Bas. … et non religieux. Ce que nous appelons police des cultes n’est pas une police des croyances – elles sont libres ! –, c’est la police de la séparation du politique et du religieux voulue par la loi de 1905, dont les principes et les règles demeurent d’actualité.

Toute assimilation entre chrétiens d’hier et islamistes d’aujourd’hui serait historiquement fausse, chère Dominique Vérien. Ce que la République doit viser, ce sont les dérives dogmatiques d’un segment dévoyé de l’islam qui conteste nos lois et notre Constitution. Il s’agit de menées idéologiques.

Nous avons voulu, au Sénat, les tenir en échec par la reconnaissance d’un nouveau principe constitutionnel applicable à l’ensemble des situations dans lesquelles les salafistes avancent leurs pions : à l’école, à l’hôpital, dans les centres sportifs et culturels et les associations, sur les lieux de travail, dans la vie en société… Vous ne l’avez pas voulu. Vous avez eu tort ; nous n’y avons pas renoncé.

S’agissant des cultes, nous avons déjà des moyens d’action importants, qu’il n’est pas interdit de consolider : fermeture de mosquées, expulsion d’imams étrangers, condamnation des incitations à la haine, pénalisation de toute mise en cause de la loi par un ministre du culte… Tout ce qui va dans ce sens peut aisément être approuvé.

Toutefois, au cours des dernières années, le Gouvernement ne semble pas avoir essayé de mettre en œuvre les sanctions de la loi de 1905, qui permettent de punir l’intrusion d’imams dans le champ politique : point de volonté gouvernementale, point de consignes aux préfets ni aux procureurs. La justice n’est jamais saisie. La loi paraît oubliée de ceux-là mêmes qui sont en charge de l’appliquer : sans volonté politique, à quoi servirait-il de la changer ?

Le Sénat a, de longue date, sonné l’alarme devant les progrès du salafisme, qui portent atteinte à l’unité de la Nation. Toute complaisance à son égard relève d’une forme de complicité. Ce projet de loi risque pourtant de n’être qu’un tigre de papier, car on n’arrête pas les idéologies par des barrières bureaucratiques ou budgétaires.

Les valeureux agents de nos préfectures et de nos directions des finances publiques dépouilleront avec un soin méticuleux les déclarations des cultes. Mais quoi de plus facile que de respecter les formes et les déclarations d’intention qu’exigent les articles les plus naïfs de ce texte ? Il y aura plus de contraintes pour ceux qui inscriront leur action dans le cadre légal et plus d’hypocrisie ou de clandestinité pour les autres.

Régir les lieux de culte et leurs abords est une chose, mais le champ d’action des islamistes radicaux ne s’arrête pas là : il s’étend à la rue, aux associations, aux réseaux sociaux et aux lieux d’habitation.

Pour tout dire, monsieur le ministre, je ne crois pas à l’efficacité globale de votre texte. J’admets qu’il marque une certaine prise de conscience de la gravité des forces centrifuges qui menacent notre nation. Il constitue, à ce titre, un tournant dans la politique du Gouvernement. Le Président de la République paraît être enfin passé de l’éloge du multiculturalisme à une vision plus exacte des menaces qui pèsent sur le vivre-ensemble.

C’est un premier pas. Malgré les défauts de conception de ce projet de loi, nous pourrions vous laisser votre chance si vous acceptiez nos principaux amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut revenir à l’essentiel. Et l’essentiel, ce sont trois principes – mon propos reprendra certains points développés par l’orateur précédent.

Premier principe : la liberté de culte. Elle est totale en France. La laïcité garantit la liberté d’exercice des cultes.

Deuxième principe : l’État n’organise pas les cultes. Il n’a pas vocation à le faire. Or, dans bien des articles de ce projet de loi, l’État, d’une certaine manière, organise les cultes.

Troisième principe : l’État fait respecter la loi de la République. Chaque fois que la loi de la République est bafouée dans l’exercice d’un culte, il doit intervenir et faire respecter la loi. Si des propos racistes sont tenus dans un lieu de culte – le racisme n’est pas une opinion, c’est un délit –, l’État doit intervenir et appeler à des sanctions.

Si l’on respecte ces trois principes, on y voit clair.

Qu’apporte ce texte au regard de ces mêmes principes ? En quoi permet-il d’avancer vers l’objectif annoncé ? Nous sommes tous d’accord pour lutter contre le salafisme radical, l’islamisme radical, l’islamisme tout court, le djihadisme violent… Mais en quoi toutes ces mesures, qui vont engendrer des difficultés pour les associations et les cultes – nous avons entendu les représentants de tous les cultes, notamment ceux du culte protestant –, vont-elles avoir un quelconque effet sur ces jeunes et ces moins jeunes qui se radicalisent, qui se détournent de la République, de la morale, du respect de l’être humain ? Là est la question.

Voilà pourquoi nous avons déposé une motion tendant à opposer la question préalable. Nous sommes en effet persuadés que vous n’avez pas choisi les bonnes voies.

Par ailleurs, êtes-vous sûr, monsieur le ministre, que, en accroissant les contraintes sur la loi de 1905, vous ferez que ceux qui sont régis par la loi de 1901 désirent s’inscrire dans ce cadre ? Pour ma part, je n’en suis pas du tout sûr.

La vraie question, c’est la vie dans les quartiers, vous l’avez dit. Voilà très longtemps, j’ai rédigé un rapport intitulé Demain, la ville appelant à tout refaire entièrement. Il existe en effet des endroits où tout est à refaire, où la République est à reconquérir. Nous pouvons parler du passé – d’hier, d’avant-hier ou encore d’avant –, j’y suis prêt. Il n’en demeure pas moins que le vrai problème est là.

J’habite dans un quartier périphérique d’une grande ville de France ; je vois les gamins, dans la rue, dès seize heures trente. L’emprise de l’école s’est réduite au profit d’influences de toutes sortes, qui ne sont certes pas républicaines. Il faut reconquérir ! Nous appelons à cette reconquête.

Nous allons donc nous nous battre, monsieur le ministre, sur ces principes clairs, afin de faire avancer véritablement les choses. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourquoi examinons-nous ce texte aujourd’hui, qu’on soit d’ailleurs d’accord ou pas sur ses finalités ou sur celles des amendements ? Parce que, tout le monde en est conscient, à force de coups de canif, à force de coups de poignard, les Français se demandent s’il y a encore une République dans ce pays, si elle est encore respectée, si elle a conservé le sens que lui donnaient ses fondateurs.

La République n’est ni de gauche ni de droite. Que ce soit dans le discours à la jeunesse de Jaurès, dans À lÉchelle humaine de Blum, dans Mémoires despoir du général de Gaulle, dans Au soir de la pensée de Clemenceau, la République est toujours définie de la même manière : elle est au-dessus de tous les éléments communautaires, de toutes les croyances, de toutes les divisions. La République française n’est pas un agrégat de communautés comme les pays anglo-saxons. Elle est fondée sur l’unité de la Nation et sur la notion de creuset, vieille de cent cinquante ans. Il faut vouloir entrer dans la Nation et y participer pour être Français. Certes, on peut contester ou critiquer les gouvernements, mais critiquer le principe républicain, c’est critiquer le principe national.

Où allons-nous depuis quelques années ? Nous le savons bien, monsieur le ministre. On voit bien les coups de canif, l’acceptation d’éléments particuliers. Ici, on dit qu’on ne peut pas enseigner la Shoah : coup de canif contre la République ! Là, on dit que la foi est au-dessus de la loi : coup de canif contre la République. ! Ailleurs, on dit qu’on doit pouvoir porter le burkini dans telle ou telle piscine : coup de canif contre la République ! Ailleurs encore, on dit qu’il faut des horaires séparés pour les hommes et les femmes : coup de canif contre la République !

Le problème, ce n’est pas qu’il y ait un coup de canif – on peut penser à un problème passager qui sera réglé –, c’est l’accumulation et la force de ces coups de canif contre la République qui remettent en cause l’adhésion à la République et la force de la République. Or si la République ne doit être ni de gauche ni de droite, elle doit être respectée par tous.

Monsieur le ministre, ce texte, revu par la commission des lois, va dans le bon sens. Nous défendrons bien sûr des amendements. Je me prêterai moi-même à l’exercice, même si j’ai bien compris que la plupart ne seraient pas adoptés…

M. Loïc Hervé. Certains sont très bien !

M. Roger Karoutchi. Je vous remercie, monsieur Hervé, de faire remarquer que vous êtes là…

Pouvons-nous avoir une République incontestée dans notre pays ? Incontestée, cela ne veut pas dire que tout le monde doit avoir la même opinion, la même religion ou la même organisation. Notre pays a toujours connu – heureusement ! – des débats démocratiques entre les communistes, les gaullistes, les socialistes, les libéraux et les centristes. L’essentiel portait sur les problèmes sociaux, économiques, sociétaux. Les problèmes d’adhésion à la République, valeur universelle, n’étaient pas centraux. La notion de Nation était partagée par tous. Le cœur des débats portait sur des notions écologistes, socialistes ou communistes et sur la question des inégalités. Il n’y avait pas de combat concernant les notions mêmes de Nation et de République.

Aujourd’hui, au-delà du séparatisme musulman ou plutôt islamiste, l’opinion publique doute. Participez à toutes les réunions organisées avec nos concitoyens ! Vous verrez qu’ils ne croient plus vraiment ni à l’autorité de l’État, ni aux engagements publics, ni à la parole publique, ni à l’action du Parlement, des élus ou de l’État.

La remise en cause constante et régulière de la République et de l’État pose problème, sans compter qu’il existe un doute grandissant sur l’avenir de la Nation et de la France. La notion même d’une identité française du XXIsiècle est remise en cause. Il y a là un cocktail explosif de critiques et de mises en doute de la République. C’est pourquoi notre régime peut devenir fragile.

Je pèse mes mots. Je considère que l’accumulation des coups de canif remet gravement en cause la stabilité de la République et sa durée. Que personne ne s’illusionne, aucun régime politique n’est éternel ! Si nous ne la défendons pas, la République ne tiendra pas face aux coups de boutoir de ses ennemis.

Quelles que soient leurs appartenances politiques, le Gouvernement et le Parlement ont une mission première, qui est la défense de la République. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je centrerai mon intervention sur les articles concernant l’école.

Oui, c’est un fait, les tentations séparatistes pénètrent la République en son cœur le plus sacré, l’école, laquelle constitue de moins en moins l’asile inviolable espéré par Jean Zay !

Oui, c’est un fait, les tentations séparatistes menacent l’éducation de la jeunesse de France !

Je pense bien entendu à l’existence d’enfants « hors radars » de l’obligation d’instruction, qui ne sont ni ceux de l’école publique ou privée ni ceux de l’instruction en famille, lesquels sont parfaitement connus, identifiés, déclarés et recensés. Je pense bien aux écoles de fait, ces établissements clandestins qui se développent, sans même avoir besoin d’utiliser le faux nez de l’instruction en famille. Je pense aussi aux pressions auxquelles sont confrontés enseignants et chefs d’établissement au cœur même de l’école publique, où l’islamisme déstabilise les professeurs et les enseignements, la vie scolaire et la vie périscolaire et même le vivre-ensemble entre les garçons et les filles.

Ce projet de loi apporte-t-il des réponses ? Malheureusement, en matière d’éducation, le faisceau républicain rate la cible du séparatisme, tout en se retournant paradoxalement contre l’un de ses piliers : la liberté d’enseignement. Or, dès le 15 janvier 1850, Victor Hugo, déclarait : « À côté de cette magnifique instruction gratuite, […], je placerais sans hésiter la liberté d’enseignement, la liberté d’enseignement pour les instituteurs privés, la liberté d’enseignement pour les corporations religieuses ; la liberté d’enseignement pleine, entière, absolue, soumise aux lois générales comme toutes les autres libertés, et je n’aurais pas besoin de lui donner le pouvoir inquiet de l’État pour surveillant, parce que je lui donnerais l’enseignement gratuit de l’État pour contrepoids. »

Monsieur le ministre, l’article 21 de votre projet de loi symbolise bien ce pouvoir inquiet de l’État. Ainsi, vous n’hésitez pas à jeter par-dessus bord la liberté d’enseignement, en créant un régime d’autorisation.

Alors même que vous avez été incapable, au-delà des cas d’espèce, d’étayer le moindre corollaire entre instruction en famille et menaces séparatistes, alors que ni l’ampleur du phénomène ni les dérives ou les infractions au dispositif ne justifient le recul d’une liberté fondamentale, la liberté de choix des parents devient, avec ce texte, un motif de suspicion de séparatisme. Avant tout acte, les parents sont présumés coupables de ne pas poursuivre l’intérêt supérieur de leurs propres enfants, et la puissance publique est jugée seule apte à le définir. Nous passons bien d’un contrôle a posteriori, que je ne discute pas, à un contrôle sociétal a priori de l’intention et de la motivation même des parents.

Aussi notre commission a-t-elle eu la sagesse de supprimer l’article 21, tout en introduisant un certain nombre d’éléments permettant de renforcer les contrôles en cas de doute sérieux. Notre commission a ainsi rappelé avec force que la liberté de choix des parents ne peut être aliénée a priori. Elle a aussi rappelé avec force que les parents sont les premiers et les ultimes éducateurs de leurs enfants. Elle a surtout rappelé que la coexistence de propositions éducatives variées est le signe d’une société démocratique plurielle, respectueuse de la diversité, laquelle n’exclut pas la concorde nationale.

Mes chers collègues, à rebours du « pouvoir inquiet de l’État », je souhaite que l’examen de ce texte soit l’occasion de changer de paradigme pour mieux contrôler ce qui doit l’être, sans faire peser sur les familles qui ne font pas le choix de l’école publique une insupportable présomption de culpabilité.

Si nous devons mieux armer l’école publique et ses « hussards noirs », en améliorant leur formation ou en rompant avec la culture du « pas de vagues », si nous devons nous mobiliser pour que l’instruction publique demeure un contrepoids et redevienne porteuse de promesses et d’avenir pour les enfants de ce pays, ce n’est pas en se reniant et en se comportant en État inquiet que la République luttera contre le séparatisme. Car s’il devait y avoir, comme le proclamait Clemenceau, un conflit entre la République et la liberté, c’est bien la République qui aurait tort.