M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports. Monsieur le président, messieurs les présidents de commission, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de présenter à mon tour devant vous ce projet de loi dont l’importance a été soulignée par mes collègues ministres qui sont intervenus précédemment.

Vous le savez tous, l’école est centrale pour l’enjeu qui nous réunit. Comme l’a rappelé à l’instant le garde des sceaux, et on ne le dira jamais assez, l’école est la colonne vertébrale de la République.

Comme de nombreuses institutions de la République, elle a des racines profondes, jusque dans la monarchie et l’Empire. Je pense au travail de Jules Ferry et, avant lui, à celui de François Guizot et Victor Duruy, qui ont conduit à la généralisation progressive de l’enseignement.

C’est l’œuvre de Jules Ferry qui a marqué les esprits car, dès les années 1880, et donc avant même la loi de 1905, elle a porté en germe, de manière tant explicite qu’implicite, le principe de laïcité. L’implicite était encore plus important que l’explicite, puisque la généralisation du savoir a permis de consolider la République.

L’école de la République se présente comme fille de la philosophie des Lumières puisque la République est fille des Lumières et l’école fille de la République. Ainsi, chaque fois que l’école s’éloigne de la République, elle s’éloigne en quelque sorte d’elle-même. Cela a pu arriver mais ne doit pas se reproduire : l’école, quel que soit son statut, doit sans cesse être ramenée aux valeurs de la République.

Ces idées nous unissent, me semble-t-il, et constituent la base de nos débats sur la question scolaire. La période actuelle nous le rappelle particulièrement, la France se distingue par son attachement à l’école, qui est un socle tant pour nos enfants que pour notre société.

Ce projet de loi tend à compléter l’œuvre législative précédemment accomplie, non parce qu’il faudrait tout réinventer mais, au contraire, parce qu’une nouvelle pierre doit être apportée à l’édifice. Beaucoup a déjà été fait durant l’histoire de la République – je ne vais évidemment pas tout rappeler à cet instant – et beaucoup a été fait récemment.

Certains évoquent ce projet de loi en me disant : « Vous ne parlez pas vraiment de l’école publique, mais seulement de l’instruction en famille et des écoles hors contrat. » Je voudrais d’emblée réfuter cette assertion : nous avons déjà, heureusement, travaillé sur la question de la laïcité.

En effet, depuis trois ans, nous avons beaucoup fait pour consolider la laïcité dans l’école de la République, comme je le rappellerai en quelques mots.

La création du conseil des sages de la laïcité nous a permis d’établir un corps de normes de référence à la disposition de l’ensemble de l’éducation nationale, et ce de manière vivante puisque cette institution, présidée par Mme Schnapper, dialogue sans cesse avec les acteurs de terrain pour apporter des réponses concrètes aux problèmes qui se posent.

Par ailleurs, la mise en place d’une équipe « Valeurs de la République » dans chaque rectorat de France nous a donné l’occasion d’aller sur le terrain chaque fois que cela nous est demandé.

L’éducation nationale est parfois décrite comme une institution habitée par l’esprit du « pas de vague », pour le résumer rapidement. Cela ne doit plus être le cas, et ce n’est plus le cas : dès que j’ai pris mes fonctions, j’ai voulu contrecarrer ce risque avec des actes concrets, même s’il reste bien entendu des choses à améliorer.

Le travail a été fait en ce qui concerne l’école de la République ; il reste à le faire pour l’école hors contrat et l’instruction en famille. En France, la scolarisation peut se faire de quatre façons : à l’école publique, dans une école privée sous contrat, dans une école privée hors contrat et par l’instruction en famille. Les deux dernières modalités de scolarisation sont traitées dans ce projet de loi tout simplement parce que ce sont les deux brèches dans lesquelles s’est engouffré ce que nous appelons désormais le séparatisme.

En effet, elles constituent bel et bien des brèches, et il existe des vides juridiques. Là aussi, nous n’avons pas chômé. Vous le savez mieux que personne, mesdames, messieurs les sénateurs, puisque c’est au Sénat, sur la base de la proposition de loi de Françoise Gatel, qu’un travail important a été fait sur les écoles hors contrat.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Cette loi a énormément d’importance aujourd’hui : elle nous permet d’agir de façon efficace pour empêcher l’ouverture d’écoles hors contrat dont le projet ne serait pas conforme aux principes de la République.

La loi Gatel est donc un jalon très important. (M. Loïc Hervé approuve.) Mais nous avons constaté, depuis que nous l’avons mise en œuvre, qu’un pas supplémentaire auquel le ministre de l’intérieur a fait référence devait être franchi : il faut pouvoir mieux fermer les écoles hors contrat une fois qu’elles sont ouvertes.

En effet, des abus ont été constatés et des institutions aux visées clairement séparatistes ont utilisé les facilités permises par l’école hors contrat pour s’y installer. À l’avenir, grâce aux dispositions contenues dans le projet de loi qui vous est présenté, nous pourrons fermer plus efficacement ces écoles.

Quant à l’instruction en famille, elle fait l’objet du fameux article 21. Je n’ignore pas que cet article a fait couler beaucoup d’encre, à juste titre d’ailleurs – il est normal que le sujet soit largement discuté –, même s’il ne doit pas occulter l’importance des autres dispositions. L’instruction en famille est interdite dans plusieurs pays d’Europe, comme en Allemagne, en Suède et en Espagne : jamais la Cour européenne des droits de l’homme n’y a vu un quelconque problème.

Notre visée n’est pas d’interdire l’instruction en famille, et les nombreuses familles concernées ne doivent pas se sentir menacées par cet article 21. Nous avons en effet prévu un régime d’exception suffisamment large pour permettre à l’instruction en famille « normale » de continuer à être exercée.

Néanmoins, nous voulons être efficaces contre les abus. Comme l’a rappelé le ministre de l’intérieur, chaque fois que nous démantelons des structures clandestines de scolarité, la moitié, et même un peu plus, des enfants font soi-disant l’objet d’une instruction en famille. Nous voyons bien qu’il s’agit là d’un véhicule pour le séparatisme, notamment celui de l’islamisme fondamentaliste mais aussi d’autres formes de séparatisme – je pense aux sectes. Nous en débattrons évidemment largement, mais cette question est essentielle.

Enfin, je voudrais évoquer le sport, ce qui me donne l’occasion de souligner l’importance de la réunion du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse avec celui des sports, dans l’esprit très républicain d’une vision complète de l’enfant. L’article 25 doit nous permettre d’être plus efficaces grâce au contrat d’engagement républicain, dont il a déjà été question à cette tribune et dont nous reparlerons plus en détail.

Pour conclure, je crois pouvoir dire que l’ensemble des dispositions relatives à l’éducation, à la jeunesse et aux sports qui vous sont présentées dans ce texte visent à défendre non seulement la République – c’est bien entendu le point central –, mais aussi, et cela va ensemble, les droits de l’enfant.

En effet, les droits de l’enfant rejoignent les principes de la République, comme le montre tout particulièrement ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame, messieurs les rapporteurs – je n’oublie pas ces messieurs car ils l’ont été jusqu’à présent ! –, mes chers collègues, voilà un peu plus d’un an que le Président de la République a placé le terme de « séparatisme » au cœur de notre débat public, une prise de conscience tardive mais nécessaire.

Nous n’avions pas attendu cette parole présidentielle, toute bienvenue qu’elle soit, pour prendre la mesure du défi auquel fait face notre République. Le Sénat s’est penché, au travers de nombreux travaux, sur la question du terrorisme, sur la radicalisation, sur la place des cultes dans notre pays.

Le dernier en date de ces travaux a été mené par la commission d’enquête sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre.

Nous avions fait collectivement le constat de la nécessité de lutter contre la volonté d’une minorité active de soumettre à des normes prétendument religieuses la vie de nos concitoyens. Cette pression s’exerce sur les jeunes, sur les femmes, sur tous ceux que l’on veut assigner à résidence géographique ou identitaire.

Pour lutter contre ce phénomène, nous avions formulé plusieurs propositions que nous sommes heureux de retrouver en nombre dans ce texte. Composé dans son immense majorité d’anciens élus locaux, le Sénat mesure la réalité de l’islam radical et de ses conséquences sur la remise en cause de l’unité nationale.

Le texte que nous vous présentons est le fruit du travail de la commission des lois et de la commission de la culture du Sénat, de diagnostics de terrain et de larges concertations avec les élus, les représentants des cultes, des universitaires, des intellectuels et le monde associatif.

Je souhaite rapidement vous présenter les modifications adoptées par la commission des lois sur les articles que j’ai plus particulièrement suivis.

En ce qui concerne les services publics, le texte vise essentiellement à codifier de la jurisprudence et apporte peu d’innovations. Il entend inscrire dans la loi le respect des principes de neutralité et de laïcité des personnes chargées d’un service public, quelles que soient les modalités d’organisation de celui-ci.

Nous débattrons du champ d’application de ce principe et des personnes auxquelles il doit s’appliquer, une question qui me semble importante. Deux catégories de personnes sont en effet concernées.

La première est celle des personnes qui participent de manière occasionnelle au service public. La commission des lois considère qu’elles ne sont pas toutes dans la même situation, et qu’il est en pratique impossible de leur imposer à toutes la même exigence de neutralité. Cependant, nous le verrons, nous sommes favorables à aller au bout de la logique pour certaines d’entre elles, qui interviennent dans le cadre très particulier de l’école.

La seconde catégorie de personnes est celle des usagers des services publics. Ici encore, nous devons être réalistes. Imposer une neutralité des usagers du service public n’a pas de sens. À l’inverse, et nous aurons ce débat, interdire, dans certains cadres délimités, le port de signes religieux ostentatoires semble être une piste judicieuse.

S’agissant, ensuite, des mesures relatives au respect des droits des personnes et à l’égalité entre les femmes et les hommes, il nous a semblé nécessaire d’être efficaces sur ces questions essentielles et sensibles, en posant des principes clairs et en ne nous contentant pas de mots. Nous avons supprimé certains articles, comme l’article 13, et en avons précisé d’autres sur les certificats de virginité ou les mariages forcés.

J’en viens à la police des cultes.

L’actualisation des mesures relatives à ce sujet est bienvenue, et nous la soutenons. Nous nous sommes cependant attachés à préserver la responsabilité du ministre des cultes et avons rétabli l’article 35 de la loi de 1905, en prévoyant un quantum de peine actualisé et renforcé.

Par ailleurs, nous approuvons le principe d’une nouvelle mesure de fermeture administrative des lieux de culte en cas de provocation à la haine ou à la violence et avons porté sa durée à trois mois, tout en précisant les raisons pouvant conduire à cette extension. Parallèlement, nous souhaitons caractériser davantage les locaux annexes au lieu de culte qu’il sera possible de fermer s’il existe des raisons sérieuses de penser qu’ils seraient utilisés pour faire échec à l’exécution de la mesure de fermeture du lieu de culte.

Ces mesures pragmatiques, utiles, sont de véritables avancées dans la lutte quotidienne contre le séparatisme. J’espère que nous pourrons trouver ensemble les formulations les plus adéquates.

Ce texte nous permet de donner aux services de l’État des clés et des outils nécessaires pour lutter contre le séparatisme au service de la République et de ce ciment qu’est la laïcité. Néanmoins, il ne suffira pas à construire l’immense rempart que nous avons à bâtir tous ensemble : il n’en sera que la première pierre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, vous l’avez dit, monsieur le ministre de l’intérieur, l’objectif premier de ce texte était de lutter contre le séparatisme. Mais comment y parvenir ?

Replaçons-nous, si vous le voulez bien, dans une perspective historique. Notre révolution a 230 ans. Au vu de notre histoire, la République est une jeune fille et, il faut l’avouer, ses principes n’ont pas été appréciés de tous à sa naissance. Qui a combattu le plus énergiquement sa mise en œuvre ? L’Église catholique. De 1789 à 1907, nous n’avons cessé de légiférer pour arriver là où nous en sommes aujourd’hui : un État laïque qui ne reconnaît aucune religion, au sens où il les reconnaît toutes. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, l’apaisement avec l’Église catholique n’intervint qu’en 1923. Soit près de 140 ans de disputes avec un État étranger qui ne souhaitait pas nous voir sortir de sa coupe : le Vatican.

En 1860, le pape Pie IX spécifiait dans son Syllabus les 80 propositions qualifiées d’« erreurs principales de notre temps » que Rome tiendrait désormais pour hérétiques, c’est-à-dire que celui qui les accepterait devrait abjurer sa foi. (M. Loïc Hervé sexclame.)

Quelles étaient ces « erreurs » ? La prépotence du pouvoir civil, la libre recherche de la vérité, les droits de la conscience, la neutralité scolaire, le droit civil, le suffrage universel, la police des cultes, la science, la liberté de la presse et de la parole, et, naturellement, l’indépendance de la morale et de la philosophie vis-à-vis du catholicisme. Lorsque je l’ai lue, cette partie du rapport d’Aristide Briand a vraiment résonné en moi.

Nous ne faisons aujourd’hui que continuer le combat. Il ne s’agit plus de catholicisme, mais le Syllabus n’a que 160 ans, ce qui n’est pas une éternité…

Comment la République s’est-elle défendue ? Par des lois : celles de 1901, puis de 1905 et, enfin, de 1907.

En 1900, Waldeck-Rousseau, qui fit voter la loi de 1901, disait : « Il s’agit ensuite, par la même loi, de faire face au péril qui naît du développement continu, dans une société démocratique, d’un organisme qui “tend à introduire dans l’État, sous le voile spécieux d’un institut religieux, un corps politique dont le but est de parvenir d’abord à une indépendance absolue et, successivement, à l’usurpation de toute autorité”. »

La loi de 1905 se profilait déjà pour établir clairement la séparation des Églises et de l’État, c’est-à-dire du spirituel et du temporel. Je ne résiste pas à l’envie de vous préciser que c’est à Auxerre qu’Émile Combes annonça, le 4 septembre 1904, ce projet de loi.

Cet historique rapide avait pour but de montrer que ce que nous combattons aujourd’hui n’est pas nouveau. Il est temps de rappeler à ceux qui n’ont pas vécu cette longue histoire de séparation du spirituel et du temporel…

Mme Nathalie Goulet. C’est-à-dire la majorité d’entre nous !

Mme Dominique Vérien, rapporteure. … ce qu’est notre culture et ce que signifie notre laïcité, ce concept tellement français.

La création de la République et la loi de 1905, cela remonte à loin dans notre monde actuel qui tend à oublier son histoire. La laïcité est notre modèle, et il faut nous en souvenir.

En France, nous ne prenons pas à Dieu ce qui lui appartient, mais nous ne sommes pas prêts à lâcher ce qui appartient à César !

C’est pourquoi un projet de loi qui tend à inciter les associations cultuelles à respecter le régime de 1905 est utile.

C’est pourquoi un projet de loi qui permet de contrôler les fonds étrangers, et donc les influences étrangères, pour nous qui nous sommes toujours battus contre l’influence du Vatican, est utile.

Notre commission, monsieur le ministre, n’a donc pas bousculé votre texte ; elle l’a enrichi pour le rendre plus efficace. J’ai rappelé notre combat ancien avec les cultes, mais n’oublions pas que la loi de 1905 nous oblige. La liberté de culte est importante, et son contrôle ne peut s’exercer de façon trop tatillonne sans que nous trahissions nos propres principes. « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses. » Aussi avons-nous fait le choix de desserrer un étau, en permettant aux préfets de s’intéresser plus directement aux associations dont le fonctionnement les interpelle lors du renouvellement de la déclaration cultuelle : cette mesure sera d’ailleurs sûrement davantage en adéquation avec les moyens dont ils disposent.

En conclusion, je dirai que ce texte n’est probablement pas suffisant, mais qu’il est nécessaire. J’espère donc que nos débats viendront encore l’enrichir et que les principes de notre République en sortiront réellement renforcés. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions. – Mme Nadège Havet applaudit également.)

Mme Annick Billon. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, courage et lucidité : tels étaient les derniers mots du rapport de Jean-Pierre Obin en 2004 sur les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires.

Dix inspecteurs généraux de l’éducation nationale pointaient déjà la « montée du phénomène religieux dans les quartiers, notamment chez les jeunes », ce qui leur valut d’être rapidement taxés d’islamophobes.

Sans céder à une généralisation, les constats révélés dans des établissements scolaires constituaient les signes avant-coureurs d’une véritable lame de fond dans notre pays, dont l’école recevait déjà l’écume : évolutions religieuses menant à une islamisation de certains quartiers, régression de la condition féminine, contestations pédagogiques, déscolarisations suspectes, ambiguïté voire complaisance de certaines collectivités.

Dix-sept ans plus tard, je m’interroge sur les contours de la mission législative qui nous est confiée.

Je peux reconnaître une forme de courage, au moins dans les mots, au Président de la République, qui annonçait le 2 octobre dernier aux Mureaux vouloir combattre le séparatisme islamiste. Cette idéologie qui veut imposer les lois d’une religion à celles de notre République s’illustrera de manière dramatique, quatorze jours plus tard, avec l’assassinat de Samuel Paty.

Mais un combat nécessite des armes, et je doute de la lucidité des auteurs de ce projet de loi tant les moyens envisagés semblent limités au regard de l’ampleur et la profondeur du phénomène.

La tumeur islamiste qui se propage au cœur de notre République a été ciblée aux Mureaux. Nous mesurons tous, je le crois, la difficulté du protocole nécessaire à son éradication, la finesse du traitement à mettre en place. Au lieu de cela, ce projet de loi prévoit d’irradier l’ensemble du corps en espérant que l’un des rayons, par un phénomène stochastique, atteindra la cible.

Ainsi, la principale disposition dans le domaine de l’éducation consisterait à modifier en profondeur les modalités de l’instruction en famille (IEF), cette voie d’instruction qui existe depuis trois Républiques ! Cela constitue une grossière confusion, pour ne pas dire un amalgame malhonnête, en faisant de l’instruction en famille une sorte de complice de ce séparatisme,…

M. Max Brisson. Très bien !

M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. … alors qu’aucun élément factuel de corrélation ne m’a été présenté au cours des auditions.

Outre le risque constitutionnel, le régime d’autorisation voulu par le Gouvernement instaure une suspicion généralisée à l’endroit des familles qui pratiquent l’IEF de manière régulière. Ce n’est pas acceptable, et c’est la raison pour laquelle nous avons supprimé l’article 21 en commission.

MM. Max Brisson et Bruno Belin. Très bien !

M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis. Pour répondre à la problématique des enfants « hors radar » et des déscolarisations suspectes, la commission de la culture a adopté des mesures de détection différenciée afin de fermer les brèches dans lesquelles quelques-uns s’engouffrent malignement en détournant l’IEF de sa fonction première.

Permettre à chaque enfant de disposer du légitime droit à l’instruction est notre priorité : c’est pourquoi nous avons créé des cellules ad hoc, permis de renforcer les contrôles des inspecteurs de l’éducation nationale, ou encore interdit l’IEF aux familles dont les enfants ont fréquenté une école clandestine.

Nous espérons que le Gouvernement considérera in fine que cette démarche est à la fois plus protectrice et plus efficace.

Avec l’école, le sport est l’autre entrée privilégiée du séparatisme islamiste, comme l’a montré le rapport de la commission d’enquête sur la radicalisation islamiste, dont Jacqueline Eustache-Brinio était la rapporteure en 2019.

Du licencié à la fédération, tous les acteurs du sport doivent se sentir concernés. C’est pourquoi la commission a souhaité renforcer la promotion des principes de la République dans le milieu sportif. L’octroi de subventions et la mise à disposition d’équipements sportifs publics seront conditionnés à l’engagement de respecter les principes de la République.

Quant à l’explication de l’absence de l’enseignement supérieur dans le spectre de ce texte, j’hésite entre le manque de courage et l’absence de lucidité. L’exposé des motifs mentionne pourtant explicitement le « travail de sape » d’un « entrisme communautariste, insidieux », qui « concerne de multiples sphères [dont] les services publics ». Cet entrisme communautariste « s’invite dans le débat public en détournant le sens des mots, des choses, des valeurs et de la mesure ».

Alors que de très récentes déclarations ministérielles reconnaissent l’existence d’une problématique d’entrisme islamiste à l’université, ce texte oublie un service public : celui de l’enseignement supérieur.

Il faudrait nous expliquer pourquoi et comment l’université serait en dehors de notre société pour ne pas subir, comme ailleurs, les assauts du fléau islamiste. Au lieu d’être un terreau d’une extraordinaire fertilité, les campus devraient instaurer les conditions de l’éradication de ce fléau.

Nous avons donc introduit l’interdiction des prières dans les lieux inadaptés, conditionné l’octroi de locaux au respect des principes de la République, et précisé l’exercice de la liberté d’expression pour que la mission même de l’université – l’enseignement, la recherche, le débat, la confrontation d’idées – ne soit pas entravée par les agissements, souvent violents, de quelques groupuscules.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, chacun connaît cette formule de François Ponsard : « Quand la borne est franchie, il n’est plus de limite. » N’oublions pas la suite : « Et la première faute aux fautes nous invite. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des finances s’est saisie pour avis de quatre articles – 10, 11, 12 et 46 –, qui ont trait à son champ de compétences. Il faut noter que ces articles n’entretiennent qu’un lien assez ténu avec la lutte contre les séparatismes et le respect des principes de la République.

Je l’ai dit en commission, même si ces articles sont justifiés sur le fond – nous allons d’ailleurs dans l’ensemble les approuver –, leur inscription dans ce projet de loi consacré à la lutte contre les séparatismes semble quelque peu opportuniste.

Ainsi, les articles 10 à 12 du projet de loi concernent l’encadrement aussi bien des avantages fiscaux attribués aux associations que de leur régime fiscal. Vous le savez, en France, les associations comme les fondations ou les fonds de dotation bénéficient d’un régime fiscal privilégié, celui du mécénat, qui permet de délivrer des reçus fiscaux aux contribuables afin de les faire bénéficier d’une réduction d’impôt au titre de leurs dons.

Ce régime est aujourd’hui très peu contrôlé, alors même – il faut le reconnaître et la commission des finances est bien là dans son rôle – que le montant de la dépense fiscale est important : la réduction de l’impôt sur le revenu coûte chaque année 1,5 milliard d’euros et concerne un grand nombre – 5,5 millions – de foyers fiscaux ; quant à la réduction de l’impôt sur les sociétés, c’est-à-dire le mécénat pour les sociétés, elle représente chaque année près de 800 millions d’euros et concerne 77 000 entreprises.

L’article 10 du projet de loi vise à instaurer une nouvelle procédure de contrôle : le contrôle de l’éligibilité de l’organisme au régime du mécénat, que Gérald Darmanin vient d’évoquer. Je dois rappeler – mais faut-il vraiment le faire ? – que les associations suppléent l’État dans de nombreux domaines. On peut penser au secours aux plus démunis ou aux associations d’aide humanitaire, qui interviennent particulièrement dans le contexte de la crise actuelle. Il ne faudrait donc pas que ce projet de loi, en particulier ses articles fiscaux, conduise à faire peser des contraintes trop lourdes sur ces organismes sans but lucratif, notamment sur les plus petites associations qui reposent sur le bénévolat.

Les rapporteures de la commission des lois et moi-même avons été, je le crois, constamment guidés par la recherche de ce point d’équilibre. C’est la raison pour laquelle nous avons été conduits à proposer le report de l’entrée en vigueur de l’article 10 au 1er janvier 2022. Il existe en effet un risque que les associations ou les organismes sans but lucratif, afin de se prémunir contre les contrôles qui seront instaurés à la suite de cette loi, demandent plus fréquemment le recours à la procédure dite du « rescrit mécénat », qui permet d’interroger l’administration fiscale pour savoir si l’on est éligible au bénéfice des reçus fiscaux.

Le recours au rescrit mécénat pourrait être d’autant plus massif que, comme la Cour des comptes l’a souligné dans un récent référé, la doctrine fiscale relative aux conditions d’éligibilité au mécénat n’est pas vraiment stabilisée. La doctrine est vaste, et les critères reposent sur des cas d’espèce. J’espère, messieurs les ministres, que le Gouvernement utilisera le délai supplémentaire que nous instaurons pour laisser le temps aux associations de s’adapter et que la doctrine pourra se stabiliser.

Nous soutenons évidemment l’instauration de ce contrôle – nous n’avons pas d’opposition de principe –, destiné à protéger autant la générosité des contribuables que l’État. Mais il ne s’agit pas de rendre les choses plus difficiles pour les plus petites associations.

L’article 11 tend à créer, quant à lui, une obligation pour les organismes sans but lucratif de déclarer chaque année à l’administration fiscale le montant global des dons et des versements dont ils ont bénéficié. Il faut le reconnaître, nous sommes là assez loin du séparatisme… Cette mesure concernera toutes les associations, monsieur le ministre de l’intérieur, et pas seulement les associations cultuelles. Mais elle permettra peut-être aussi de mieux piloter la dépense publique.

Néanmoins, cette obligation pourrait entraîner un risque d’alourdissement administratif. Certes, l’obligation sera rendue plus légère par la plateforme numérique qui sera mise à la disposition des associations pour faire leur déclaration annuelle. Il faudra veiller à ce que cette plateforme soit mise en œuvre dans les délais, car la réponse de la DGFiP (direction générale des finances publiques), qui nous annonce une mise en service progressive, m’inquiète quelque peu… C’est la raison du report au 1er janvier 2022 que nous avons proposé pour permettre au Gouvernement de s’adapter, afin que le portail soit pleinement opérationnel d’ici à cette date.

L’article 12 tend à élargir la liste des infractions susceptibles d’entraîner la suspension des avantages fiscaux au titre des dons. Là aussi, vous le savez, les infractions concernées sont aujourd’hui peu limitées puisque ce sont celles qui font peser une menace grave sur la société : terrorisme, blanchiment d’argent. Le nombre de condamnations est actuellement extrêmement réduit, avec moins d’une centaine par an.

J’en terminerai avec l’article 46 qui concerne le droit d’opposition de Tracfin, c’est-à-dire la capacité de bloquer une association. En commission, nous sommes revenus sur une disposition adoptée par l’Assemblée nationale qui renvoyait à un décret les conditions dans lesquelles les assujettis pouvaient ne pas répondre à certaines opérations.

En définitive, messieurs les ministres, si nous n’avons pas d’opposition de principe à ce texte, nous souhaitons veiller à préserver la vie associative, qui est très largement concernée par ce texte et bien au-delà. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions et sur des travées du groupe UC.)