Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui me permet de rappeler le souci constant du Gouvernement – je pense que nous le partageons – d’accélérer notre stratégie vaccinale et de permettre à nos concitoyens de se prémunir au mieux contre le virus, notamment dans ses formes aggravantes.

Plus de 3 millions de personnes ont reçu une première injection et, au 2 mars dernier, 1,7 million d’entre elles avaient reçu la seconde. C’est un motif de satisfaction important, notamment pour les personnes les plus âgées et les plus vulnérables.

Mme la ministre Agnès Pannier-Runacher et moi-même avons le souci permanent de l’accessibilité des doses, de leur importation, de leur production. Clément Beaune et moi-même œuvrons à la meilleure coordination européenne possible, pour être plus forts ensemble.

En ce qui concerne l’usage de ces doses, Olivier Véran et moi veillons à ce que celles-ci soient en priorité affectées en fonction de la vulnérabilité et de la comorbidité du public. Je me félicite de ce que plus de 80 % de nos concitoyens résidant en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) aient pu bénéficier de cette première dose. Nos aînés sont désormais moins fragilisés et ont donc moins recours aux services d’urgences ; c’était le but visé par cette stratégie.

Monsieur le sénateur, vous le voyez : nous partageons avec vous l’objectif consistant à disposer de doses suffisantes, pleinement efficaces et qui puissent être administrées dans les meilleurs délais.

C’est à cette fin que l’autorisation de mise sur le marché du vaccin Moderna prévoit que chaque flacon contient dix doses. Néanmoins, afin de s’assurer dans les meilleurs délais qu’il nous soit possible d’exploiter éventuellement une onzième dose, l’État a mis, par anticipation, à disposition des établissements de santé et des centres de vaccination du matériel adapté pour récupérer la onzième dose. Il s’agit de seringues particulières. Nous anticipons donc cet enjeu primordial, en récupérant ces doses, afin d’en faire bénéficier le plus grand nombre dans les meilleurs délais.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour la réplique.

M. Jean-François Longeot. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Ce sujet est véritablement important. Pouvoir utiliser onze doses par flacon au lieu de dix me paraît crucial.

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 10 mars 2021, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

3

Candidatures à deux commissions mixtes paritaires

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein des commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement et de la proposition de loi améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale ont été affichées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

4

Candidature à une délégation sénatoriale

Mme la présidente. J’informe également le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la délégation à la prospective a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

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Accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l’Union européenne

Débat organisé à la demande de la commission des affaires étrangères et de la commission des affaires européennes

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la commission des affaires européennes, sur l’accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.

La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en parvenant à un accord avec le Royaume-Uni, nous avons évité le pire, mais ne nous berçons pas trop d’illusions : cet accord, obtenu in extremis, reste inévitablement un accord « perdant-perdant », selon les mots de Michel Barnier.

Au moment où nous aurions besoin que l’Europe s’affirme comme un pôle de stabilité et de paix dans un monde marqué par le recul du multilatéralisme et le recours de plus en plus décomplexé à la force, notre continent s’est, en vérité, divisé et affaibli. Comme c’est trop souvent le cas, l’Europe a, d’elle-même, fait le jeu de ses concurrents et de ses adversaires.

Il nous faut être lucides : aucun pays européen ne sortira gagnant du Brexit et savoir que celui-ci nuira encore plus au Royaume-Uni qu’aux Vingt-Sept ne constitue en rien un lot de consolation. Le soulagement lié à la conclusion d’un accord ne doit pas masquer les réalités que nous devons maintenant affronter : même en l’absence de droits de douane, cet accord débouche sur le rétablissement des frontières, d’où des frictions et la désorganisation des chaînes logistiques de nos économies.

Il est à craindre que la réduction des échanges ne soit plus importante que prévu et n’entraîne une réévaluation du risque économique ; les journaux rapportent quotidiennement de multiples exemples de difficultés commerciales ou industrielles que rencontrent les entreprises. Rappelons-le, le produit intérieur brut (PIB) britannique représentait 15 % du PIB de l’Union européenne.

Par ailleurs, nous avons maintenant devant nous la négociation de nombreux accords sectoriels. Je ne reviens pas sur le difficile dossier de la pêche ; il semble que, pour 2021, au-delà du problème des licences, nous soyons en passe de trouver un accord pour les quotas. Toutefois, pour l’avenir, à partir du mois de juillet 2026, tout accord sur la possibilité de pêcher dans les eaux britanniques reste à écrire, donc à négocier. Ce ne sera pas chose facile et il faudra, en outre, intégrer la question du partage de ces quotas entre les pays qui sont restés au sein de l’Union européenne.

Pour les questions encore pendantes, comme l’application des détails et la gouvernance de l’accord, il sera essentiel que les Vingt-Sept restent aussi unis, vigilants et mobilisés que pour la négociation de l’accord lui-même. À cet égard, vous pourrez compter sur le Sénat, monsieur le secrétaire d’État, pour renforcer cette vigilance et pour appuyer cette mobilisation.

Autre point d’attention : l’Irlande du Nord, où la situation reste très sensible, comme nous l’avons récemment constaté avec l’épisode des vaccins. Quelle est la solidité du protocole nord-irlandais ? Dans quelques semaines, l’obligation de déclarer tous les biens transitant entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord matérialisera une séparation commerciale. Cela ne viendra-t-il pas renforcer les courants d’opinion favorables à une réunification irlandaise ?

De son côté, le parti indépendantiste écossais pourrait faire campagne en faveur d’un nouveau référendum d’indépendance, après les élections au parlement d’Écosse du printemps prochain. Le Premier ministre Boris Johnson tentera de s’y opposer, mais on ne peut exclure que, à terme, le rêve d’une Global Britain soit remplacé par la réalité d’une Little England… Nous n’en sommes pas là, bien sûr, mais les questions irlandaise et écossaise montrent que, au-delà des difficultés économiques actuelles, les conséquences du Brexit pourraient être plus grandes encore dans le domaine politique.

J’en viens au chapitre crucial de la défense et de la sécurité, pour lequel le Royaume-Uni est notre partenaire naturel en Europe.

Pour ce qui concerne la relation bilatérale de défense, nous ne sommes pas trop inquiets, même si nous devons rester mobilisés pour continuer de développer le cadre des accords de Lancaster House. Il faudra continuer à faire vivre ces accords dans leurs trois dimensions : nucléaire, opérationnelle et capacitaire.

Le 2 novembre dernier, nous fêtions les dix ans de ces accords. Quelques jours plus tard, le volet capacitaire connaissait une nouvelle avancée, Thales ayant eu le feu vert de la Royal Navy et de la Marine française pour que le programme de guerre des mines entre enfin en phase de production. C’est un fait : en matière de défense, il y a une grande symétrie et de fortes synergies potentielles entre les deux ex-puissances coloniales, aujourd’hui puissances ultramarines, que sont la France et le Royaume-Uni.

En revanche, nous sommes plus inquiets quant à la volonté des Britanniques de rester arrimés à la défense européenne, en dehors du cadre otanien. La réserve dont le Royaume-Uni ne s’est jamais départi en matière de politique de défense et de sécurité commune ou les déclarations récentes des responsables britanniques ne sont pas franchement de nature à nous rassurer sur ce point…

À l’instar de ce qu’avaient fait les États-Unis de Barack Obama, le Royaume-Uni vient d’annoncer que sa préoccupation principale est le déplacement de son pivot vers le Pacifique. De même, comme les États-Unis de Joe Biden, il souhaite rejoindre les onze membres de l’accord de libre-échange transpacifique.

Monsieur le secrétaire d’État, au-delà des postures, quelle perception avez-vous aujourd’hui de l’état d’esprit des Britanniques, en matière de défense et de sécurité européenne ? Jouent-ils simplement la montre, pour ne pas paraître en position de demandeurs ? Ne font-ils qu’attendre, compte tenu de la politique internationale du nouveau président américain, qui se veut en rupture avec celle de l’administration précédente, une clarification des relations entre les États-Unis, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et l’Europe, ainsi qu’une meilleure visibilité des attentes respectives de ces acteurs, avant d’avancer sur ce sujet ? Se pourrait-il qu’ils envisagent de tourner le dos à la construction de la défense européenne, alors même que leurs intérêts de sécurité sont largement les mêmes que les nôtres ?

Il faudra peut-être alors que l’Union européenne assume de conquérir son autonomie stratégique avec une seule des deux principales armées d’Europe.

Sans doute le Brexit ouvre-t-il à l’Allemagne de nouvelles perspectives dans ce domaine, mais cette dernière voudra-t-elle œuvrer, aux côtés de la France, pour la conquête de cette autonomie stratégique par l’Union européenne ? C’est vrai, elle semble aujourd’hui plus déterminée sur cette question que ne l’a jamais été le Royaume-Uni, ainsi que l’illustre la démarche de la boussole stratégique, lancée sous la présidence allemande et que conclura la présidence française.

En conclusion, je reviendrai sur les causes du Brexit, car il me semble nécessaire d’en tirer toutes les conséquences afin que, pour l’avenir, nous ne soyons plus exposés à ce type de traumatisme, qui risquerait de nous coûter bien cher, à la longue…

La désaffection à l’égard de l’Europe, que nous mesurons aussi en France, nous la devons tantôt à un excès de libéralisme, tantôt à un excès de bureaucratie, c’est-à-dire au sentiment mélangé d’une protection insuffisante et d’une prolifération réglementaire étouffante. Les citoyens européens ne perçoivent plus assez pourquoi nous avons fait l’Europe. Paradoxalement, la montée des périls dans le monde, jusqu’à nos frontières – je pense par exemple à la Méditerranée –, devrait redonner tout son sens à une construction européenne, qui a d’abord été conçue comme un moyen d’assurer la paix et la sécurité des Européens.

Il semble que nous soyons en passe de corriger certains défauts. Désormais, face aux dégâts sociaux de la désindustrialisation, l’Europe commence à surmonter sa naïveté dans sa manière d’aborder les échanges économiques avec ses partenaires ; elle a d’ailleurs conduit les négociations de l’accord commercial euro-britannique avec une fermeté exemplaire, pour laquelle nous vous rendons hommage, monsieur le secrétaire d’État.

Le plan de relance européen adopté au mois de décembre dernier réalise un double saut vers plus de souveraineté et plus de solidarité. En dépit de ses lenteurs et de ses ratés, la stratégie vaccinale européenne illustre tant cette solidarité que l’embryon d’une capacité à agir dans l’urgence.

Enfin, la construction de la défense européenne et la reconquête de notre autonomie stratégique renforcent la conscience d’un destin partagé, dès lors que sont identifiées des menaces communes.

À son niveau, le Sénat s’emploiera toujours à favoriser cette orientation vers une Europe à la fois plus protectrice et plus réactive. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 23 juin 2016, coup de tonnerre ! Qui imaginait alors qu’un État membre puisse quitter l’Union européenne ? C’est pourtant bel et bien arrivé ! Le Brexit est un événement inédit dans l’histoire de l’Union européenne. Ce n’est pas un événement heureux, mais cela a le mérite de rappeler que nul n’est prisonnier du projet européen.

Les négociations que le Brexit a impliquées n’ont pas été un long fleuve tranquille, en raison des péripéties internes de la vie politique britannique et de la pandémie, mais elles ont également eu une vertu : celle de manifester l’unité des Vingt-Sept et de révéler le prix qu’ils accordent au marché unique, désormais clairement identifié comme l’acquis majeur de la construction européenne.

Grâce à la ténacité de Michel Barnier, ces négociations se sont conclues à Noël par un accord substantiel qui satisfait les deux parties. Pourtant, comme l’a indiqué Michel Barnier lors de son audition, le 16 février dernier, c’est bien un accord « perdant-perdant », car le Brexit ne profite à personne. Néanmoins, cet accord minimise les pertes.

Sur l’initiative du groupe de suivi du Brexit, créé en 2016, le Sénat a adopté, voilà un an, une résolution européenne sur le mandat de négociation confié par les Vingt-Sept à Michel Barnier. Nous avons ainsi pu fixer nos lignes rouges. Au terme des négociations, Christian Cambon et moi-même avons sollicité l’organisation de ce débat en séance publique sur l’accord finalement conclu, car l’importance de celui-ci est grande pour l’Union européenne. En effet, 3,5 millions d’Européens vivent au Royaume-Uni et ce pays représente 15 % des exportations extracommunautaires.

Notre résolution du mois de mars 2020 a globalement été suivie d’effets.

De fait – c’était l’objectif principal, tant nos économies sont imbriquées –, l’accord de commerce et de partenariat permet la mise en place d’une zone de libre-échange entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ; il garantit l’absence de quotas et de droits de douane. En contrepartie, pour prévenir tout dumping susceptible de fausser ce libre-échange, le Royaume-Uni s’engage doublement, d’une part, à ce que l’octroi des aides d’État soit encadré par des principes communs, d’autre part, à ce que le niveau de protection réglementaire applicable dans l’Union européenne à la fin de la période de transition soit maintenu, en matière sociale et environnementale.

Sur ces deux volets, si le Royaume-Uni était tenté de diverger, l’Union européenne pourra adopter des mesures compensatoires, y compris des suspensions croisées, rétablir des tarifs, voire tout remettre en cause. Cette clause dite de « non-régression » est une première dans un accord commercial et assure une concurrence loyale.

Par ailleurs, le volet relatif à la pêche a été intégré à l’accord final, comme le demandait le Sénat. Le combat a été difficile, surtout en raison de son enjeu symbolique pour le Royaume-Uni, qui voulait retrouver sa souveraineté dans ses eaux. In fine, l’accès aux eaux britanniques est garanti pendant cinq ans et demi et nos quotas de pêche y sont certes réduits – c’était inévitable –, mais de 25 % seulement au cours de cette période. N’oublions pas que l’absence d’accord aurait privé nos pécheurs des 650 millions d’euros qu’ils pêchent chaque année en eaux britanniques.

Après le 30 juin 2026, il s’agira d’une tout autre affaire : l’accès aux eaux et aux ressources reposera sur un régime de négociation annuel. En cas de remise en question des accès à l’issue de cette période, l’accord autorise les parties à adopter des mesures compensatoires. Nos répliques pourront être à la fois internes au secteur de la pêche et croisées : ainsi, Michel Barnier a fait valoir que l’accord prévoyait une clause miroir dans le secteur de l’énergie, puisque l’interconnectivité électrique – essentielle pour l’économie britannique – sera elle aussi revue dans cinq ans et demi.

Ensuite, l’accord est aussi un accord de coopération : il garantit la poursuite de la coopération précieuse que l’Union européenne a engagée avec le Royaume-Uni dans certains domaines d’importance majeure comme la recherche, l’espace – du moins, en partie –, mais aussi la sécurité intérieure à travers la coopération judiciaire et policière en matière criminelle ou encore la lutte contre le blanchiment. Bien sûr, nous pouvons regretter que le Royaume-Uni se retire du programme Erasmus. Nous pouvons encore plus déplorer qu’il ait refusé d’organiser un cadre pérenne pour notre coopération en matière de politique étrangère et de sécurité commune.

Il faut se rendre à l’évidence : plus rien n’est comme avant. Passeports, tampons, visas, contrôle aux frontières – même pour le commerce de marchandises – sont autant de mots qui reviendront dans notre langage quotidien commun avec le Royaume-Uni. Faire respecter nos standards est un enjeu. Garantir une concurrence loyale et sécuriser les produits alimentaires sont des exigences.

En matière de services, la reconnaissance mutuelle n’a plus cours, notamment pour les qualifications professionnelles. Quant aux services financiers britanniques, ils ont perdu le passeport européen et sont suspendus aux décisions d’équivalence que l’Union européenne ne prendra que si elle y a intérêt.

Même sur les sujets réglés par l’accord, posons-nous encore des questions. Monsieur le secrétaire d’État, vous connaissez ma sensibilité sur ce sujet : les pêcheurs sont encore trop nombreux à ne pas avoir obtenu la licence promise pour pêcher en eaux britanniques. Il en résulte une surpêche dans les eaux françaises et certains renoncent même à sortir leur bateau, faute de rentabilité. C’est à se demander s’ils ne seraient pas mieux servis en arborant un pavillon britannique plutôt que français.

Il s’agit, par ailleurs, de veiller aux contrôles qu’il faut désormais opérer sur nos échanges avec les Britanniques, notamment l’asymétrie des contrôles vétérinaires. Nous avons des retours d’entreprises qui bénéficient aujourd’hui de la clémence britannique. Elles craignent un retour de bâton après le 1er avril prochain. À ce titre, nous avons l’expérience douloureuse de l’embargo avec la Russie.

Je m’inquiète aussi des différences de contrôles entre les États membres. L’organisation des contrôles dans les ports européens les plus concernés, du Havre jusqu’à Hambourg, n’est pas aussi rigoureuse. Certains de ces ports sont tentés de réduire les contrôles pour attirer la marchandise. Nos ports doivent s’organiser face à la concurrence des autres ports européens, d’autant que s’y ajoutera bientôt celle des ports francs annoncés par les Britanniques.

Je suis surtout préoccupé par les difficultés que soulèvent les nouveaux contrôles organisés en mer d’Irlande. Le protocole irlandais annexé à l’accord de retrait a évité le pire, à savoir le rétablissement d’une frontière entre les deux Irlande. Reste que le statut hybride de l’Irlande du Nord, incluse à la fois dans le marché unique et dans le territoire douanier britannique, crée de nouvelles tensions. En voulant activer l’article 16 pour contrôler les exportations de vaccins, la Commission européenne a malheureusement mis de l’huile sur le feu irlandais. La paix n’étant jamais acquise, il s’agit là d’un sujet de vigilance prioritaire…

Enfin, monsieur le secrétaire d’État, nous nous inquiétons de l’accompagnement financier des conséquences du Brexit. L’Union européenne y consacrera une ligne budgétaire de 5 milliards d’euros. La part qui revient à la France doit compenser l’impact du Brexit qui affecte tout spécialement notre pays, en raison de sa proximité géographique, historique et économique avec le Royaume-Uni. Nous savons que la négociation ne sera pas aisée pour partager cette enveloppe entre les Vingt-Sept. Aussi Christian Cambon et moi-même proposerons-nous bientôt au Sénat une résolution européenne pour appuyer les demandes françaises.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous d’ores et déjà nous assurer que des critères justes et transparents présideront à la répartition des fonds obtenus entre les secteurs et les régions les plus touchés de France ?

Je resituerai, pour terminer, notre débat d’aujourd’hui dans une perspective plus large, comme l’a fait Christian Cambon. N’oublions pas de nous interroger sur ce qui a conduit au Brexit. Comme nous y a invités Michel Barnier, il importe de tirer les leçons du Brexit et de réfléchir ensemble à la manière de rapprocher Bruxelles des citoyens européens et de leur donner à toucher l’Europe à la maison. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, presque cinq ans après le vote des Britanniques exprimant leur volonté de sortir de l’Union européenne et à l’issue d’un an de négociations difficiles entrecoupées par la crise sanitaire, un accord a enfin été trouvé. La performance mérite d’être soulignée tant la situation est inédite.

Ainsi, l’Union européenne a dû faire avec un gouvernement Johnson aux abois jouant, durant tout le processus, son avenir et sa crédibilité. La situation est également historique : un pays – et pas n’importe lequel – a fait le choix de quitter l’Union européenne. Puissance économique et diplomatique, Londres en était un pilier. Ce constat impose une réflexion sur l’organisation de l’Union européenne elle-même et les réticences qu’elle peut susciter. Je partage ainsi pleinement le souhait du président de la commission des affaires étrangères de bien analyser les causes profondes du choix de nos amis britanniques, choix qui a un effet direct sur la construction européenne.

Plus qu’un espace de solidarité et d’harmonisation, l’Union européenne est de plus en plus vue comme une machine technocratique et un espace de concurrence déloyale. La France, pourtant aux origines mêmes de la communauté européenne, n’est pas épargnée : « Même atténuée, l’ombre du Frexit demeure », comme le titrait Le Monde au mois de décembre dernier. La privatisation passée ou à venir de plusieurs entreprises et services publics et la gestion parfois erratique de la crise sanitaire n’ont fait que donner des arguments supplémentaires aux tenants de la sortie.

À bien des égards, cet accord post-Brexit comporte des dispositions essentielles qui vont dans le bon sens. Toutefois, elles doivent encore être interrogées.

En premier lieu, contrairement à ce que souhaitait Boris Johnson, l’Europe n’aura pas, à ses portes, un concurrent britannique non tenu par les normes sanitaires, sociales et environnementales. Cela aurait été une catastrophe à tous les niveaux pour les Européens et leurs entreprises.

En second lieu – c’est un nouvel élément à mettre au crédit de Michel Barnier –, les eaux les plus poissonneuses de l’espace européen ne seront pas fermées. Mieux, l’abandon de 60 % des prises des pêcheurs européens a été largement revu à la baisse : il a été fixé à 25 % pour les cinq prochaines années. Cette situation reste toutefois moins favorable aux pêcheurs que la politique commune européenne. Si la Commission européenne commence à rattraper son retard, les délivrances de licences aux pêcheurs ont traîné.

Les ports des Hauts-de-France ont fortement pâti de cette situation. Il faut rappeler que 70 % de la pêche artisanale et 96 % de la pêche hauturière de Boulogne-sur-Mer, par exemple, se font dans les eaux britanniques. Or, il y a quinze jours, seuls seize des cent cinquante bateaux avaient obtenu le précieux sésame leur permettant de travailler. À Dunkerque, la pêche artisanale, déjà dramatiquement affaiblie par la concurrence et la diminution des ressources halieutiques causée par la pêche électrique, risque de disparaître totalement.

Sur ces deux sujets, et c’est mon premier point d’inquiétude, cet accord n’est que temporaire. La bonne nouvelle est que cela implique un dialogue nourri entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ; la mauvaise est que la situation reste instable et pourrait se dégrader.

Ainsi, les Européens ont échoué à mettre en place un mécanisme d’alignement dynamique des normes. Je parlais tout à l’heure des évolutions que devait opérer l’Union européenne pour maintenir l’adhésion volontaire des États membres. La question de la production responsable doit faire partie des chantiers prioritaires et nous pouvons espérer un renforcement des normes dans les années à venir.

De fait, l’absence de mécanisme de réalignement risque de conduire à des normes britanniques en deçà des standards européens. Il ne faudrait pas que, d’un côté, l’Union européenne se résigne à ne pas renforcer la protection des Européens et que, de l’autre, on se retrouve dans la situation tant redoutée de dumping.

En matière de pêche, ne risquons-nous pas d’assister, en 2026, à une reprise en main britannique de ses eaux poissonneuses ? La question se pose. L’Union européenne peut-elle garantir la protection des pêcheurs européens, lorsque Londres pourra renégocier annuellement avec, à n’en pas douter, l’ambition d’augmenter le taux d’abandon des prises européennes ?

Tout reste à faire dans ce domaine. La City reste une plaque tournante essentielle de la finance mondiale. Les annonces récentes de Boris Johnson doivent nous inquiéter. Il envisage en effet de créer dix ports francs sur son territoire, à l’instar de ceux qui existent au Luxembourg ou en Suisse. Nous pourrions ainsi avoir à nos portes un « Singapour sur Tamise ».

Il y a bien eu quelques transferts en direction d’Amsterdam, de Dublin et même de Paris, mais la suprématie de la City n’est pas entamée sur le fond. Les récentes révélations OpenLux doivent, plus que jamais, appeler l’Union européenne à agir résolument contre les paradis fiscaux en son sein. Voilà encore un axe sur lequel l’Union européenne doit impérativement travailler. Comment s’étonner d’un rejet de l’Union européenne quand on assiste, dans le même temps, à une chasse aux services publics à l’échelon européen, à un refus permanent de politiques fiscales ambitieuses et solidaires comme la taxation des transactions financières et, trop souvent, à une indifférence coupable en ce qui concerne les paradis fiscaux ?

Cet accord de coopération constitue, à bien des égards, la conclusion d’un épisode qui marquera l’histoire européenne. Ce dernier doit nous obliger à réinterroger le fonctionnement et la visée de l’Union européenne. C’est d’autant plus central quand on voit avec quelle difficulté le moindre acte de solidarité entre ses pays membres est âprement négocié, à l’image du plan de relance européen. (Mme Michelle Gréaume applaudit.)