Mme le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Michelle Meunier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes toutes et tous attachés à la défense du droit à l’avortement – Mme Corinne Imbert vient de le redire, on ne peut en douter. Chacun ici l’a répété au cours de la discussion générale, d’une manière ou d’une autre. Il s’agit d’une avancée fondamentale de la société française de ces cinquante dernières années. Et dois-je redire que 75 % des Français sont favorables à l’IVG ?

Nous sommes, sur ces travées, très majoritairement attachés à ce que ce droit puisse être effectif pour chaque femme et chaque jeune fille. Pour leur permettre d’exercer ce choix, le plus intime, nous devons sans cesse porter un regard neuf et lucide sur la pratique de l’IVG, sur les conditions dans lesquelles les femmes sont reçues en consultation et sous quels délais ; nous devons savoir quelles réponses leur sont apportées et à quels obstacles elles se heurtent encore.

Notre collègue Corinne Imbert a rappelé les statistiques qui font état d’une situation globalement acceptable quant à l’efficacité de ce droit. Néanmoins, en tant que parlementaires, nous ne pouvons nous satisfaire des moyennes que vous nous présentez, ma chère collègue. En effet, ce ne sont que des moyennes, qui masquent des inégalités criantes dans l’accès à l’IVG.

Sur le terrain, les réalités sont bien différentes. Un praticien de mon département m’a fait part des difficultés rencontrées : le délai entre la prise de rendez-vous avec un ou une gynécologue et le rendez-vous proprement dit est de trois à cinq jours à Nantes, mais il atteint quatre semaines à Paris. C’est inacceptable !

Mme Imbert nous a présenté un deuxième argument sur lequel le groupe Les Républicains s’appuie pour justifier cette motion ; il porte sur les sages-femmes et leur exercice professionnel.

Vous avez rappelé à juste titre, ma chère collègue, que l’expérimentation en question a été adoptée au sein de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. Eh bien, permettons justement à ces professionnelles formées et volontaires d’offrir aux femmes un véritable choix tout en réduisant les inégalités d’accès à l’IVG !

Mme Imbert a également déclaré ce matin, devant la commission des affaires sociales, et à l’instant encore, qu’elle ne voulait pas avoir de vision manichéenne sur ce sujet. Il est vrai que cette proposition de loi ne nous invite pas à prendre position pour ou contre l’avortement. Mais c’est bien pour cette raison que nous devons avoir pour objectif de donner consistance à ce droit existant, hérité des combats de nos mères et de nos sœurs, ainsi que des engagements politiques de nos aînés ; nous avons été plusieurs à citer Simone Veil et Gisèle Halimi.

Cette proposition de loi renforce les droits liés à l’IVG. Nous atteindrons cet objectif en acceptant le débat, et non en fuyant la réalité, comme vous voulez le faire en ce moment, mes chers collègues, courant en vain derrière la frange la plus conservatrice, pour ne pas dire réactionnaire, de votre électorat.

Le sens de cette proposition de loi est de débattre des conditions actuelles de l’exercice du droit à l’IVG et de convenir d’améliorations et d’aménagements. Aussi, mes chers collègues, débattons, discutons ! C’est bien l’un de nos droits fondamentaux ; c’est même notre devoir, notre rôle de parlementaire dans cet hémicycle.

Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre cette motion tendant à opposer la question préalable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. La commission a émis un avis favorable sur cette motion.

Mme le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Je veux tout d’abord faire une remarque. On cite souvent cette phrase de Simone Veil : « L’avortement est un drame. » Je voudrais rappeler que le premier drame, avant l’avortement, c’est pour une femme celui d’être enceinte quand elle ne veut pas ou ne peut pas élever un enfant.

C’est le drame séculaire de la condition des femmes : la peur de la grossesse, que les relations sexuelles soient consenties ou non. Or il nous faut mesurer combien il arrive qu’elles ne le soient pas. Avec le viol, avec les relations sexuelles imposées, la peur de la grossesse est toujours présente ; le premier drame est là.

Moi aussi, j’aurais préféré que le débat se tienne. Pour tout vous dire, je me suis replongé dans les débats que nous avons eus en 2001, quand le délai a été allongé de dix à douze semaines.

Or les mêmes arguments, mot pour mot, sont employés aujourd’hui, à vingt ans d’écart. On entend les mêmes menaces d’eugénisme, de difficultés médicales, d’avortements retardés par les femmes. Rien de tout cela n’est produit entre la dixième et la douzième semaine ; cela ne se produira pas davantage entre la douzième et la quatorzième !

Moi aussi, j’aurais bien aimé que l’on débatte de ce texte, mais je vous avouerai que le plus important, à mes yeux, c’est que la navette parlementaire se fasse, que ce texte reparte à l’Assemblée nationale et qu’il aboutisse.

J’ai entendu tout à l’heure avec intérêt M. le secrétaire d’État affirmer qu’il faut que la navette se poursuive. Je ne sais pas si c’est un avis du Gouvernement ; au moins, c’est une piste. J’imagine, monsieur le secrétaire d’État, que si vous voulez que la navette se poursuive, ce n’est pas pour que le texte s’enlise, mais bien pour qu’il aboutisse.

Nous allons donc attendre qu’un groupe de l’Assemblée nationale veuille bien demander l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour. J’espère que le Gouvernement convoquera ensuite une commission mixte paritaire, pour permettre que les propositions contenues dans ce texte constituent un droit nouveau, effectif et garanti pour les femmes.

Enfin, je me tiens, comme tout le Sénat manifestement, à la disposition du Gouvernement, pour discuter de la manière dont on peut, au mieux, mettre en place une réelle politique sanitaire de soutien à la santé sexuelle et reproductive. Contraception, avortement et fertilité : ces trois sujets, mes chers collègues, peuvent être abordés au sein de ce qui est, pour le moment, un angle mort de la politique sanitaire. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Plusieurs orateurs ayant évoqué la question de l’éducation à la sexualité, je me permets de leur faire savoir que Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, Elisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, et moi-même avons missionné les inspections compétentes afin d’établir un état des lieux en la matière. Cela doit se faire dans le cadre d’une réflexion plus globale, qui est d’actualité, sur la sensibilisation des enfants aux violences, en particulier sexuelles.

Quant à cette motion, comme je l’ai annoncé dans la discussion générale, le Gouvernement regrette que, si elle est adoptée, le débat ne puisse se poursuivre. Je laisserai néanmoins aux parlementaires le choix de décider, dans leur sagesse, ce qu’il doit en être.

Mme le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour explication de vote.

Mme Nadège Havet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la discussion générale a eu lieu. Si la motion tendant à opposer la question préalable est adoptée, ce sera la fin du débat.

Qu’est-ce que la question préalable ? Je suis une parlementaire nouvellement élue ; j’ai donc examiné avec attention notre règlement.

C’est la procédure par laquelle une assemblée décide qu’il n’y a pas lieu d’engager la discussion sur un texte soumis à son examen du fait d’un motif d’opposition qui rendrait inutile toute délibération au fond. C’est entendu. Je lis donc le texte qui nous est soumis, m’attendant à y trouver des sujets superfétatoires, qui empêcheraient une discussion utile. Or que ce soit l’allongement des délais d’accès à l’IVG, la clause de conscience spécifique, la sanction du pharmacien refusant de prescrire un contraceptif d’urgence, ou encore le tiers payant pour les actes en lien avec la pratique d’une IVG, tous ces sujets méritent bien discussion !

La pluralité des points de vue est certaine, mais, pour entendre ces arguments, encore faut-il laisser place au débat. À l’Assemblée nationale, celui-ci a été pour le moins animé ; il a dépassé les clivages traditionnels. L’initiative de cette proposition de loi est d’ailleurs, me semble-t-il, transpartisane.

J’entends sans cesse dire que le Gouvernement ne respecte pas le Parlement et légifère trop par ordonnances. Je ne reviendrai pas ici sur les mesures prises par d’autres gouvernements européens, de gauche comme de droite, par exemple pour proroger des états d’urgence, qui vont plus loin que la France ; ce n’est pas le sujet. Mais quand a lieu une navette parlementaire classique, si je puis dire, on ne discute pas des mesures proposées !

Il me faut donc poser la question suivante : le Parlement se respecte-t-il toujours lui-même ? Chaque année, entre 1 000 et 4 000 femmes qui sont hors délai partiraient avorter à l’étranger. Et nous n’en parlerions pas ! Ce n’est pas sérieux. De telles motions avaient été déposées lors de la nouvelle lecture du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. Il est dommage de voir que notre assemblée se limite de plus en plus.

Aujourd’hui, dès la première lecture, on rejette de la sorte ! Cette motion est une attaque contre le bicamérisme. Elle a pour conséquence que seule l’Assemblée nationale pourra donner son avis sur un choix qui concerne la moitié des Français.

Notre groupe votera contre cette motion, parce que nous défendons le bicamérisme…

M. Philippe Mouiller. Ça, c’est nouveau ! Dites-le au Président de la République !

Mme Nadège Havet. … et croyons dans le rôle du débat.

Surtout, bien que des avis divers s’expriment au sein de notre groupe sur le fond de ce texte, nous sommes certains que ces sujets méritent toute notre attention. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Le groupe Écologiste – Solidarités et Territoires regrette le dépôt de cette motion par la majorité sénatoriale.

Alors que la commission des affaires sociales a pu débattre de la pertinence, ou non, de cette proposition de loi quant à l’accès effectif au droit fondamental à l’IVG, article par article, le débat n’aura donc pas lieu en séance publique du Sénat.

La défense de cette question préalable serait que la présente proposition de loi ne répond pas aux questions, pourtant légitimes, qui ont déjà fait l’objet de débats. Je ne reviendrai pas sur divers exemples de questions qui cheminent tant dans la société que dans notre travail parlementaire et qui trouvent un jour une réponse législative différant des conclusions de débats antérieurs. Nous sommes nombreux à souhaiter aujourd’hui une telle évolution pour l’allocation aux adultes handicapés, par exemple.

Cela aurait pu être le cas de l’article supprimant la double clause de confiance. Peut-on en effet affirmer que cette spécificité, qui résulte d’un compromis vieux de quarante-six ans, ne méritait pas d’être réinterrogée en 2021 ?

Je constate d’ailleurs que, dans leur défense de cette motion, ceux-là mêmes qui l’ont déposée s’emploient à réfuter la présente proposition de loi article par article. Vous auriez pu le faire dans un débat normal, mes chers collègues ! Tout comme ma collègue Nadège Havet, je n’ai toujours pas compris – nous sommes certes toutes deux nouvelles ici –, ce qui justifiait le recours à cette procédure, qui me semble très abusif.

Vous développez vos arguments article par article, mes chers collègues, comme vous auriez pu le faire dans un débat à part entière. Vous avez eu dix minutes pour le faire, quand nous n’avons que deux minutes et demie pour faire la même chose !

Le débat n’aura donc pas lieu. Nous le regrettons. C’est d’ailleurs une position assez constante de notre groupe sur les questions préalables, sauf exceptions très rares et justifiées. Une telle motion est ici hors sujet.

Nous remercions Laurence Rossignol d’avoir fait inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour, ce qui permettra effectivement que la navette se poursuive à l’Assemblée nationale et, disons-le explicitement, qu’elle aboutisse à l’adoption définitive de ce texte. Le Sénat s’est lui-même privé de la possibilité d’y jouer son rôle.

Notre groupe votera donc évidemment contre cette motion.

Mme le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. La législation relative à l’IVG a connu de nombreuses étapes depuis 1975, de manière à faciliter l’accès à cet acte : le remboursement de la procédure en 1982, l’allongement du délai à douze semaines en 2001, enfin l’extension du délit d’entrave à l’IVG en 2017.

Pour leur part, les auteurs de la présente proposition de loi entendent surtout remédier aux difficultés d’accès à l’IVG. Ils relèvent le délai de sept jours imposé après la demande et les difficultés que rencontrent les femmes pour trouver des informations et des interlocuteurs compétents, ou pour savoir quels praticiens acceptent de pratiquer cet acte. Nombre d’appels au planning familial visent à obtenir le respect de la loi. Vous énumérez, mes chers collègues, les carences qui existent dans la prise en charge de l’IVG.

Entre douze et quatorze semaines, le fœtus passe de 70 à 130 millimètres ; il commence à se former. L’IVG s’en trouve compliquée, par la dilatation du col et l’éventualité de complications hémorragiques, certes peu fréquentes, mais tout de même plus importantes que plus tôt dans la grossesse. Du fait de ces questions, nombre de praticiens refuseront de réaliser cet acte à quatorze semaines, pour des raisons éthiques ou médicales. Cela sera encore plus compliqué pour nous, pour les femmes.

Ce qu’il faut, c’est de la prévention et davantage d’informations dans la population, en particulier les collèges et les lycées, pour améliorer l’accès à la contraception. L’IVG est un échec de la contraception ! On a connu une augmentation du nombre d’IVG en 2019 ; cela a été rappelé.

Il faut aussi une prise en charge améliorée des femmes qui ont recours à l’IVG : meilleur accueil, renforcement de l’offre de soins, accompagnement et orientation plus efficaces, enfin possibilité pour les sages-femmes de pratiquer cet acte, comme la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 le permet à titre expérimental. Il faut également conserver la clause de conscience et améliorer la politique familiale, au vu de la chute de la natalité.

Comme Colette Mélot l’a expliqué, nous sommes favorables à l’IVG jusqu’à douze semaines, mais défavorables à l’extension de ce délai à quatorze semaines. Pour autant, nous voudrions pouvoir en débattre ; nous voterons donc contre cette motion.

Mme le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.

M. Alain Milon. Quand on débat de l’allongement du délai d’IVG de douze à quatorze semaines, il est de fait question de le faire passer de quatorze à seize semaines d’aménorrhée. Je voudrais à ce propos répondre à mon ami Bernard Jomier que la différence est assez sensible, à l’échographie, entre ces deux délais. Ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui, mais nous pourrions en discuter dans un autre contexte si vous le souhaitez, mon cher collègue.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire à Mme Rossignol, cette proposition de loi n’est pas, selon moi, de nature à apporter une réponse satisfaisante aux problèmes réels que rencontrent les femmes dans leurs démarches.

En particulier, elle ne supprimerait pas les disparités importantes dans l’offre de soins selon les territoires. Elle n’améliorerait en rien l’accès au premier rendez-vous et sa rapidité – les délais d’attente resteraient importants dans les territoires où l’offre orthogénique est insuffisante. Elle ne corrigerait pas l’insuffisance d’informations des femmes, qui est à l’origine de délais et d’une errance inacceptable lorsque la clause de conscience est invoquée sans être associée à l’orientation et à l’accompagnement indispensables et requis. Elle n’offrirait pas une meilleure information aux femmes pour leur choix éclairé entre IVG médicamenteuse et IVG instrumentale. Elle n’apporterait pas les moyens nécessaires au développement et à la facilitation des IVG médicamenteuses ambulatoires précoces dans les centres de santé ou de planning familial, tout en veillant à leur proximité. Enfin, elle ne résoudrait pas les difficultés des femmes – plus de la moitié d’entre elles – qui se rendent à l’étranger pour effectuer une IVG.

Avant de changer la loi, il convient toujours de s’assurer que tout a été fait pour l’appliquer. Or ce n’est pas le cas en l’espèce.

Modifier la loi conduit à ignorer ou à masquer les carences en ressources humaines, ainsi que les défaillances organisationnelles et fonctionnelles dans de nombreux territoires. On ne peut, dans ces conditions, exclure que modifier la loi, comme il est proposé dans ce texte, sans s’attaquer aux racines du problème, qui sont responsables de sa non-application, puisse avoir un effet contre-productif – je rejoins sur ce point Daniel Chasseing –, en raison des réticences exprimées par certains praticiens impliqués en orthogénie.

C’est pourquoi je voterai en faveur de cette motion.

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Je trouve paradoxal que nos collègues de la majorité sénatoriale énumèrent les raisons pour lesquelles cette proposition de loi ne réglerait pas tous les problèmes et les carences de la médecine et de notre système de santé.

Ce qu’Alain Milon vient d’énumérer est justement ce que le groupe communiste républicain citoyen et écologiste dénonce : la casse, depuis des années, de notre système de santé publique, dans tous les secteurs et dans tous les domaines ! On le vit d’ailleurs cruellement pendant cette pandémie.

Aussi, chiche, mes chers collègues : cela veut dire qu’il y aura une majorité dans cet hémicycle pour adopter enfin un objectif national des dépenses d’assurance maladie à la hauteur des enjeux, pour satisfaire les revendications des professionnels et améliorer l’offre de soins sur tout le territoire !

Voilà ce qui est posé aujourd’hui. Pourquoi être si exigeant pour l’acte de l’avortement, à l’occasion de cette proposition de loi allongeant le délai de douze à quatorze semaines et montrer moins d’exigence sur les autres textes que vous votez ? Voilà le paradoxe que nous dénonçons !

Oui, il existe un problème à l’échelle de notre système de santé ; oui, il faut plus de moyens ; oui, il faut cesser de fermer des services et des centres d’interruption volontaire de grossesse ; oui, il faut respecter les professionnels de santé ! Cela implique de reconnaître leur savoir-faire, au travers de la rémunération, mais aussi de reconnaître les compétences des sages-femmes dans les faits. Toutefois, il ne faut pas se contenter de le dire, mais leur octroyer réellement le droit de pratiquer les interruptions volontaires de grossesse par voie instrumentale.

J’entends bien que l’allongement du délai de douze à quatorze semaines pose à certains un problème éthique, voire médical.

Cela dit, il y a une chose que je ne comprends pas : comment se fait-il que, dans d’autres pays, en Europe même, ce délai dépasse douze semaines et atteigne même, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, vingt-quatre semaines, sans que cela mette en danger les femmes ? Pour ma part, j’estime qu’il aurait été important que le Sénat adopte cette proposition de loi, qui constitue un pas en avant pour conforter un droit fondamental des femmes, celui de maîtriser leur fécondité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Mme le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 53 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l’adoption 201
Contre 142

Le Sénat a adopté.

En conséquence, la proposition de loi est rejetée.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est un scandale !

Mme le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures cinquante.)

Mme le président. La séance est reprise.

Question préalable (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement
 

5

 
Dossier législatif : proposition de loi relative aux droits nouveaux dès dix-huit ans
Discussion générale (suite)

Droits nouveaux dès dix-huit ans

Discussion d’une proposition de loi

Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi relative aux droits nouveaux dès dix-huit ans, présentée par M. Rémi Cardon, Mme Monique Lubin, M. Rémi Féraud, Mme Sylvie Robert, M. Patrick Kanner et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 182, résultat des travaux de la commission n° 268, rapport n° 267).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Rémi Cardon, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux droits nouveaux dès dix-huit ans
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Rémi Cardon, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise que nous affrontons depuis plusieurs mois affecte encore plus durement les jeunes de notre pays. La situation matérielle, financière, mais aussi psychologique et morale de notre jeunesse s’est fortement dégradée.

Aujourd’hui, 29 % des jeunes âgés de 18 à 25 ans sont en dépression. Le sujet est devenu d’autant plus préoccupant que plusieurs drames sont survenus ces derniers jours : un étudiant s’est défenestré depuis sa chambre à Villeurbanne ; les tentatives de suicide se multiplient. Si les jeunes sont plutôt épargnés par les formes graves de la covid-19, les effets des confinements successifs et de l’incertitude ambiante sur leur santé mentale sont très inquiétants.

Malheureusement, l’accompagnement reste très faible en France, où l’on compte seulement un psychologue pour 30 000 étudiants.

La situation matérielle et financière est souvent l’une des causes de la grave perte de repères des jeunes, qui sont en première ligne de la crise. Ils sont souvent la première variable d’ajustements des employeurs. Occupant les postes les plus précaires, ils sont les premiers à perdre leur emploi. Leur tranche d’âge est aujourd’hui la plus durement touchée par la hausse du chômage. Les jeunes arrivés en septembre dernier sur un marché de l’emploi saturé et dégradé sont venus grossir les rangs des jeunes chômeurs. Ils ne disposent d’aucun filet de sécurité et sont exclus des mécanismes de solidarité nationale.

J’ai récemment visité plusieurs épiceries sociales solidaires, qui se disent débordées par l’afflux de jeunes, tout comme les banques alimentaires, avec lesquelles je discute régulièrement et qui constatent un rajeunissement de leurs bénéficiaires. Louis Gallois a indiqué sur France Inter que 25 % des personnes prises en charge dans les centres d’hébergement avaient moins de 25 ans. Tous ces chiffres nous interpellent, mes chers collègues.

Des efforts ont été réalisés dernièrement à l’échelon national pour pallier les difficultés des jeunes : revalorisation des bourses, mise en place de repas à un euro. Ces aides constituent des réponses, tout comme peuvent l’être pour certains jeunes l’apprentissage, les aides d’urgence ou les modestes annonces du plan « 1 jeune, 1 solution », mais elles restent partielles ou très ponctuelles, monsieur le secrétaire d’État.

Or la précarité des jeunes est structurelle. Le mal est profond, plus ancien. Le taux de chômage des actifs de moins de 25 ans atteint 30 %. En France, un jeune de moins de 25 ans sur cinq, soit 1,5 million de jeunes, vit au-dessous du seuil de pauvreté.

Dans son dernier rapport sur la pauvreté, l’Observatoire des inégalités constate que plus de la moitié des 5 millions de pauvres que compte la France ont moins de 30 ans. Cette tranche d’âge est également celle dont le taux de pauvreté a le plus progressé ces dernières années, de près de 50 % depuis 2002.

C’est pourquoi nous pensons qu’il faut ouvrir le bénéfice du revenu de solidarité active, le RSA, à tous les jeunes de moins de 25 ans. Tel est l’objectif, simple et efficace, de la proposition de loi relative aux droits nouveaux dès dix-huit ans. Élaborée avec le concours des organisations de jeunesse, que je remercie du travail effectué ces derniers mois, cette première brique d’une démarche d’ensemble à destination de la jeunesse doit permettre d’apporter une réponse rapide dans un contexte urgent.

L’accès au RSA, comme autrefois celui au revenu minimum d’insertion, le RMI, est soumis à une condition d’âge, le bénéficiaire devant avoir plus de 25 ans. Il est toutefois possible de bénéficier de cette allocation avant cet âge dans deux situations : si le bénéficiaire est parent et, depuis le 1er septembre 2010, s’il a travaillé deux ans au cours des trois dernières années – c’est le RSA jeunes actifs –, ce qui paraît compliqué lorsque l’on a entre 18 et 25 ans. Au final, 1 500 jeunes bénéficient de ce dernier dispositif en France…

La garantie jeunes, qui semble être la réponse envisagée par le Gouvernement, est un bon dispositif, qui a été mis en œuvre par les socialistes au cours du précédent quinquennat,…

M. Patrick Kanner. Par un excellent ministre ! (Sourires.)

M. Rémi Cardon. Par un excellent ministre ici présent ! (Nouveaux sourires.)

Ce dispositif est toutefois parfois lourd et difficile à mettre en place rapidement. Or un travail qualitatif est nécessaire pour les jeunes.

D’abord expérimentée dans quelques territoires avant sa généralisation le 1er janvier 2017 à l’ensemble de la France, la garantie jeunes s’adresse aux jeunes de 16 à 25 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation, et qui se trouvent en situation de précarité.

Octroyée pour une durée d’un an, la garantie jeunes associe un accompagnement vers l’emploi et la formation et le versement d’une allocation. À la fin de 2017, quelque 75 000 jeunes en bénéficiaient. L’objectif des 100 000 bénéficiaires n’a pas été atteint à la fin de 2020. Je ne pense pas que la garantie jeunes – qualifiée d’« universelle », alors que le Gouvernement veut juste doubler le nombre de bénéficiaires… – récemment évoquée par Mme Borne permette de répondre à l’urgence.

Les directeurs des missions locales se demandent comment ils vont recruter les chargés de mission, sachant qu’il faut un encadrant pour cinquante jeunes. Comment pourront-ils faire face rapidement à l’urgence sociale chez les 18-25 ans en n’ayant pas pour l’instant de feuille de route concernant le recrutement et la formation de ces chargés de mission ?

En outre, les missions locales ne sont malheureusement pas présentes sur tout le territoire. Il faudra donc de nombreux mois, voire plusieurs années, pour toucher les jeunes.

Priver la très grande majorité des jeunes de l’accès à notre dispositif universel de lutte contre la pauvreté ne me semble plus acceptable. La condition d’âge apparaît bien singulière au regard de la situation de nos voisins européens. Surtout, elle empêche de lutter efficacement contre la pauvreté des jeunes, dont la hausse est malheureusement frappante. L’accès des jeunes aux minima sociaux doit donc être assuré.

Les effets structurels d’une telle réforme doivent être bien anticipés – or l’anticipation n’est pas le fort du Gouvernement ! (Sourires sur les travées du groupe SER.) –, notamment sur notre système sociofiscal et sur notre budget. Il conviendra également de proposer un accompagnement plus important à ceux qui démarrent dans la vie active.

Dans son rapport, le député Christophe Sirugue avait chiffré le coût de différentes mesures.

Le montant mensuel du RSA s’élève actuellement à 564,78 euros. S’il était généralisé, ce revenu concernerait environ 700 000 jeunes âgés de 18 à 25 ans. L’objectif est de leur garantir à tous, en prenant en compte le foyer fiscal à un maximum, un niveau de ressources équivalent au RSA, en mettant en œuvre un droit différentiel qui prenne en compte les ressources existantes. Le coût de cette mesure est estimé entre 4,5 milliards et 5 milliards d’euros par an.

De nombreuses sources de financement sont possibles : le plan de relance, en mettant l’accent sur la demande, qui est la grande oubliée de ce plan ; des taxes additionnelles, notamment sur le tabac ; le rétablissement de l’impôt sur la fortune, l’ISF ; le relèvement du prélèvement forfaitaire unique, autrement dit la flat tax. Toutes ces sources de financement sont facilement activables.

L’accompagnement des jeunes pourrait immédiatement s’appuyer sur les structures existantes pour le RSA – le département, les caisses d’allocations familiales – ou sur d’autres : les missions locales, comme pour la garantie jeunes, le réseau des points info jeunes (PIJ) et des centres régionaux information jeunesse (CRIJ), les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), les centres communaux d’action sociale (CCAS), les centres sociaux et les associations d’éducation populaire.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, la proposition de loi relative aux droits nouveaux dès dix-huit ans doit constituer la première brique d’une démarche d’ensemble pour la jeunesse. C’est une première réponse, forte et rapide, en lien avec les acteurs associatifs et les opérateurs de la solidarité.

Les expérimentations autour du revenu de base, réclamées et souhaitées par certains départements, peuvent construire un cadre plus structurant et offrir un accompagnement renforcé au plus près des territoires. C’est la compétence majeure et incontournable des conseils départementaux.

En outre, il faut s’inscrire dans une perspective universelle et plus structurelle. À cet égard, je suis d’accord avec les remarques de la commission des affaires sociales, qui demande des travaux et des études approfondies sur les dispositifs d’insertion des jeunes et leur financement.

On pourrait pour cela s’appuyer par exemple sur les travaux de la mission parlementaire sur la politique en faveur de l’égalité des chances et de l’émancipation de la jeunesse ou sur la grande consultation citoyenne pour définir les contours de la proposition de loi AILE(S), pour aide individuelle à l’émancipation (solidaire), portée par les députés Boris Vallaud et Hervé Saulignac. Les socialistes ont longuement travaillé sur ce sujet et réfléchissent à un projet structurel et global pour les jeunes, dont la présente proposition de loi constitue la première brique.

Cette stratégie et ce point de vue peuvent ne pas être partagés, mais cette question alimentera certainement les débats lors des prochaines campagnes électorales.

Nous devons dépasser l’approche idéologique classique sur ces dispositifs, face à l’urgence de la situation. Vous n’aimez pas les termes « RSA jeunes » ? Moi non plus ! Je préfère évoquer des droits nouveaux dès 18 ans, un « minimum jeunesse », un « minimum vital », afin d’aligner la majorité sociale sur la majorité légale. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)