M. François Bonhomme. Ça tombe bien…

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. Les procédures doivent également être mieux connues de nos concitoyens. C’est pour cela que le site service-public.fr a été corrigé et enrichi dans la foulée de l’adoption de la loi.

Plusieurs faits divers récents ont par ailleurs soulevé des interrogations sur les procédures applicables en cas de squat hors domicile.

S’il y avait urgence à clarifier la situation pour les domiciles – ce que nous avons fait avec la loi ASAP –, il ne faut pas, pour les situations ne relevant pas des domiciles, se laisser emporter par l’émotion au moment de fixer des règles qui s’appliqueront, en fait, à un nombre très important de situations. Dans ces cas, il doit revenir au juge d’apprécier les faits et de faire respecter la procédure judiciaire et le droit de chacune des parties. L’État de droit nous l’impose pour respecter cet équilibre et ne pas élargir le champ des exceptions.

Derrière une occupation sans droit ni titre, il peut effectivement y avoir une multitude de situations différentes.

Du côté des propriétaires, on trouve des collectivités ou des entreprises dont les locaux ont été laissés vides, parfois pendant très longtemps,…

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. … mais aussi des particuliers dont le loyer constitue une source substantielle de revenus, voire un moyen de rembourser leur emprunt ou de payer leur propre loyer.

Du côté des occupants, on trouve des personnes de mauvaise foi, qui pensent avoir le droit pour eux ou les procédures pour eux, mais aussi des personnes de bonne foi, parfois à la merci de marchands de sommeil, ou des locataires qui, après avoir payé scrupuleusement leur loyer pendant quelques années, connaissent d’importantes difficultés financières, potentiellement aggravées dans le contexte actuel.

Toutes ces situations montrent, au-delà de la question du squat, l’étendue des enjeux de la politique du logement. D’ailleurs, nous avons fait un effort sans précédent, lors de la crise actuelle, pour créer des places d’hébergement, atteignant la semaine dernière 200 000 places d’hébergement ouvertes. Je poursuis la mise en œuvre de la politique dite du « Logement d’abord », et, avec un parlementaire en mission, le député Nicolas Démoulin, nous allons travailler sur la prévention des expulsions locatives, afin d’éviter un maximum de situations dramatiques.

J’en viens maintenant aux dispositions de cette proposition de loi.

Comme vous l’avez présupposé, monsieur le rapporteur, le Gouvernement soutient les avancées et l’équilibre trouvés dans le cadre de la loi ASAP, afin de renforcer la lutte contre les squats de domicile. Il n’est donc pas favorable globalement au texte, tel qu’il est présenté aujourd’hui.

L’article 1er reprend une disposition renforçant les sanctions pénales en cas de violation de domicile, qui, proposée par le Gouvernement et adoptée dans le cadre de l’examen du projet de loi ASAP, avait été considérée par le Conseil constitutionnel comme un cavalier législatif et censurée à ce titre. Le Gouvernement y est donc favorable. En revanche, il n’est pas favorable aux articles 2, 3 et 4 et, par conséquent, à l’ensemble de la proposition de loi.

M. François Bonhomme. Quelle surprise !

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. L’article 2 crée en effet quatre nouveaux articles dans le code pénal afin de punir l’occupation illicite d’un immeuble. L’objectif de cet article est de viser les cas d’occupation de locaux qui ne sont pas des habitations, comme le cas médiatisé du local du Petit Cambodge à Paris. Malgré les modifications apportées par le rapporteur en commission, il apparaît que la création de cette nouvelle infraction rompt l’équilibre entre droit de propriété et droit à un logement décent. (Exclamations indignées sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. C’est inaudible !

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. Premièrement, seraient recouverts des champs d’infractions déjà existants. Les domiciles sont déjà couverts par l’infraction de violation de domicile, et la jurisprudence pénale retient une acception large de tout lieu dans lequel il y a atteinte à la vie privée. En outre, les infractions liées aux dégradations résultant de l’entrée illicite dans les lieux existent déjà.

Deuxièmement, cette infraction pourrait s’appliquer à des situations dans lesquelles on pénaliserait des personnes se maintenant dans les lieux sans droit ni titre, par exemple après résiliation du bail, y compris en ayant indiqué pouvoir payer le loyer régulièrement, du fait d’une appréciation possiblement très large de la notion de manœuvre.

Par ailleurs, toujours au titre de l’article 2, la juridiction pourra décider d’instaurer une interdiction pour la personne en infraction de se prévaloir du droit au logement opposable pour une durée de trois ans. Cette disposition soulève une interrogation constitutionnelle forte et constitue une ligne rouge pour le Gouvernement, parce que l’on ne répond pas à la détresse sociale par de nouvelles infractions et sanctions. (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Mais où est la détresse ? C’est du déni !

Mme Sophie Primas. C’est de la provocation !

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. L’article 3 vise, quant à lui, à modifier l’article 38 de la loi DALO dans sa rédaction issue de la loi ASAP. Cette procédure, dérogatoire du droit commun, exige une définition stricte de son champ d’application. Élargir celui-ci au-delà de la notion de domicile pose un véritable problème de constitutionnalité, en particulier au regard de l’atteinte aux droits de la défense. Par ailleurs, il faut un délai d’instruction du préfet raisonnable : le réduire de quarante-huit à vingt-quatre heures n’est pas réaliste.

Enfin, l’article 4 a pour objet d’écarter le délai de deux mois après le commandement de quitter les lieux et le respect de la trêve hivernale de la procédure d’expulsion pour certaines situations. Ces possibilités existent déjà, lorsque la personne est entrée dans les lieux par voies de fait ; elles sont mises en œuvre dans les jugements. L’extension à d’autres situations, comme l’entrée à l’aide de manœuvres, soulève à nouveau une problématique d’ordre constitutionnel et pose la question de la trêve hivernale, au respect de laquelle le Gouvernement est extrêmement attaché.

Pour conclure, j’indique que le Gouvernement souhaite s’en tenir à l’équilibre trouvé dans la loi ASAP,…

M. François Bonhomme. Il n’y a pas d’équilibre !

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. … avec le renforcement des dispositions permettant de lutter contre les squats de domicile. Je ne juge pas opportun de modifier cet équilibre, alors même que la loi vient d’entrer en vigueur et que nous n’avons pas le recul nécessaire pour dresser le bilan de son application. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

M. François Bonhomme. On n’a pas de recul ? C’est ça… Il y a toujours un problème !

M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Hussein Bourgi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui soulève plusieurs questions particulièrement intéressantes sur le plan humain, sur le plan juridique et sur le plan philosophique. Comme je l’ai indiqué en commission des lois, elle a une vertu : protéger les résidences secondaires et les logements inoccupés de la même manière que les résidences principales. Elle a également une faiblesse substantielle : pécher par une orientation uniquement répressive, dont l’efficacité reste à prouver.

À l’entame de ce débat, je nous invite, chacun et chacune, à nous projeter et à nous identifier aux différents protagonistes dont il va être question dans nos échanges.

Mettons-nous d’abord dans la peau du propriétaire dont le bien a été squatté.

M. Hussein Bourgi. Mesurons le désarroi et la colère de cette personne, de ce couple ou de cette famille.

Mettons-nous ensuite dans la peau d’un squatteur. Essayons de comprendre le parcours de vie (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Chers collègues, un peu de calme !

M. Hussein Bourgi. … et, parfois, les raisons qui ont pu conduire cette personne, ce couple ou cette famille à entrer par effraction dans le logement d’autrui.

Reconnaissons, mes chers collègues, que, s’il est facile pour chacun et chacune d’entre nous de s’identifier à un propriétaire, il est parfois plus difficile de s’identifier à un squatteur.

M. François Bonhomme. Ça, c’est sûr !

M. Hussein Bourgi. Pourtant, ces squatteurs sont des hommes et des femmes comme nous. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Hussein Bourgi. Derrière ce vocable globalisant de « squatteurs », il y a des réalités différentes, que je vais essayer de vous exposer si vous voulez bien m’écouter.

Une minorité de squatteurs, tout d’abord, sont des personnes ayant fait le choix de s’inscrire dans la marginalité, en optant parfois pour un mode de vie communautaire.

Une autre minorité de squatteurs, ensuite, sont des hommes et des femmes qui ont été orientés vers un squat par un réseau mafieux ou par des marchands de sommeil. C’est la réalité ! Ne la nions pas ! Ne la minorons pas !

À côté de ces situations, il y a l’écrasante majorité des squatteurs qui sont des personnes pauvres et miséreuses.

M. Hussein Bourgi. Elles sont à la rue, au sens propre comme figuré, en raison des aléas et des accidents de la vie.

Ces gens, ces femmes, ces hommes, je les ai côtoyés, parfois dans ma permanence d’élu local, parfois devant les prétoires des tribunaux. J’ai appris à surmonter mes appréhensions et mes préjugés pour ne pas être tenté de les juger avant même de les avoir connus et écoutés.

Dans les propos que je vais tenir aujourd’hui, j’aurai à cœur de faire preuve de mesure et de tempérance…

M. Henri Leroy, rapporteur. Ah bon ?

M. François Bonhomme. C’est mal parti !

M. Hussein Bourgi. … pour ne heurter et ne blesser personne.

Le débat juridique qui nous occupe voit s’affronter deux droits fondamentaux, chacun possédant une valeur constitutionnelle.

En premier lieu, le droit inviolable et sacré à jouir de sa propriété privée, de son bien, droit consacré par l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

En second lieu, le droit fondamental de chacun à bénéficier d’un toit et d’un logement décent, découlant des articles 10 et 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

La confrontation judiciaire entre ces deux normes n’a pour l’heure pas produit une jurisprudence constante, permettant de définir une gradation entre ces deux principes à valeur constitutionnelle. À titre d’exemple, le tribunal de grande instance de Saintes a semblé donner une dimension supérieure au droit au logement, estimant dans un jugement du 28 mars 1995 qu’il appartenait au juge de déterminer l’état de nécessité permettant le maintien d’une personne dans un bien qui n’est pas le sien. A contrario, plus récemment, en 2019, la Cour de cassation a estimé que l’expulsion de squatteurs était une mesure appropriée et proportionnée, eu égard à l’atteinte faite au droit à la propriété par les occupants illégitimes.

Ainsi, en l’absence d’une jurisprudence ferme et constante, le droit varie au gré des faits divers qui défraient la chronique médiatique – cet été, à Théoule-sur-Mer, mais aussi à Rochefort-du-Gard.

La présente proposition de loi en est la parfaite illustration : elle est le prolongement d’un fait divers très médiatisé. En guise de défense, les prévenus avaient justifié le maintien illégitime dans un bien ne leur appartenant pas par l’incapacité des services publics et des bailleurs sociaux à leur trouver un logement dans une commune des Alpes-Maritimes.

M. Hussein Bourgi. Deux enseignements peuvent être tirés de cette affaire.

Tout d’abord, notre système judiciaire est parfaitement à même de traiter ce type de litige (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.),…

Mme Dominique Estrosi Sassone. Après trois semaines !

M. Hussein Bourgi. … dans la mesure où les prévenus ont été condamnés à huit mois de prison avec sursis, ainsi qu’au versement de 15 000 euros de dommages et intérêts aux propriétaires de la maison squattée.

Si des procédures existent déjà, quel est donc l’objet réel de la présente proposition de loi ?

Si, dans le cas de Théoule-sur-Mer, les services de l’État et les pouvoirs publics ont manqué de diligence et de célérité, car ils méconnaissaient les leviers dont ils disposaient pour évincer les squatteurs, cela ne justifie pas, de mon point de vue, le vote d’une aggravation des peines encourues. L’envoi d’une circulaire ministérielle aux préfets et aux parquets aurait suffi !

Ensuite, nous pouvons légitimement nous demander si ce fait divers se serait produit avec un plus grand nombre de logements sociaux dans les communes assujetties à la loi SRU (loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains). (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Ils ne sont pas éligibles aux logements sociaux, monsieur !

M. Hussein Bourgi. C’est bien là le cœur du sujet : la population française se paupérise. La France compte désormais 10 millions de pauvres. Force est de constater que ce phénomène va de pair avec le mal-logement croissant, qui touche environ 4 millions de personnes dans notre pays.

Alors que la loi DALO de 2007 s’était donné pour mission de garantir un toit à chacun de nos concitoyens, ses promesses et ses objectifs ont du mal à se concrétiser.

Année après année, le rapport de la Fondation Abbé-Pierre résonne comme un constat d’échec, car la France fait du surplace, quand elle ne régresse pas ! Derrière les chiffres du mal-logement, il y a des hommes, des femmes, des enfants qui errent d’hôtels en hôtels, de centres d’hébergement en centres d’hébergement. Quand ils ont eu la chance de trouver une place ! Parfois, faute de place, ils dorment dans la rue, sur un banc, sur une bouche d’aération, ou devant la porte cochère de nos immeubles.

Dans bien des cas, c’est, hélas, cet état de nécessité qui pousse certaines personnes à investir des habitations ne leur appartenant pas.

Alors que cette misère sociale nécessiterait une refonte totale de nos dispositifs d’hébergement et de logement, afin que ceux-ci fonctionnent avec plus d’efficience, l’auteure de cette proposition de loi nous présente un texte dont les solutions ne sauraient, hélas, endiguer le mal-logement dès la source.

Mme Sophie Primas. Ce n’est pas l’objet de la proposition de loi !

M. Hussein Bourgi. Ce n’est pas avec la surenchère répressive que nous allons régler le problème. Ce n’est pas avec les postures que nous allons apporter des réponses efficaces à un problème dont nous mesurons, mes chers collègues, la complexité.

Gardons-nous des réponses simplistes, car elles sont vouées à l’échec. Gardons-nous aussi des explications manichéennes, car elles seraient nécessairement caricaturales.

Ce n’est pas en alourdissant les sanctions que nous allons dissuader ceux qui n’ont rien ou ceux qui ont peu de squatter. Ces gens-là vivent des minimas sociaux. Il est illusoire de croire, ou plutôt de faire croire, que les tribunaux vont les sanctionner plus lourdement.

Cette proposition de loi entend par ailleurs sanctionner toute publicité ou propagande en faveur de l’occupation frauduleuse d’un lieu. Nous ne pouvons accepter cette pénalisation d’une certaine forme d’action associative (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), même si elle nous dérange ou nous gêne. Dois-je rappeler que, dans toutes les démocraties, singulièrement en France, c’est parfois l’action non académique et non conventionnelle de certaines ONG qui a fait bouger le droit ? Dois-je rappeler que c’est parfois la désobéissance civile qui a conduit le législateur et les pouvoirs publics à faire évoluer leurs politiques ? (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Vous ne pouvez pas dire ça là où vous êtes, monsieur !

M. le président. Un peu de calme !

M. Hussein Bourgi. Enfin, ce qui de mon point de vue est le plus grave, ce texte vise à priver pendant trois ans une personne reconnue coupable de squat d’un droit au logement opposable. Cette peine complémentaire ressemble davantage à de l’acharnement qu’à une mesure constructive.

M. Hussein Bourgi. Si l’on en venait ainsi à priver pendant trois ans une personne de l’accès au droit au logement social, ne risquerait-on pas de la voir squatter sans répit ? Je crains que cette disposition ne soit une machine à fabriquer des récidivistes. Le bon sens ne voudrait-il pas que l’on accompagne ces individus vers ces dispositifs, plutôt que de les en priver ?

S’attaquant aux conséquences du mal-logement, il va sans dire que cette proposition de loi se trompe de cible.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Elle ne s’attaque pas aux conséquences du mal-logement !

M. Hussein Bourgi. Pour cette raison, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne saurait la voter en l’état. Pour autant, notre groupe est bien évidemment opposé à toute forme d’angélisme en matière de squat. En ce sens, nous n’acceptons aucunement les occupations frauduleuses de bâtiments ou résidences secondaires. Aussi, nous nous trouverons toujours du côté de ceux qui défendent le droit constitutionnel du propriétaire à disposer de son bien (Marques de doute sur les travées du groupe Les Républicains.), et nous souhaitons œuvrer avec vous, mes chers collègues de la majorité sénatoriale – c’est ensemble que nous atteindrons notre but –,…

M. François Bonhomme. Pas sur ces bases !

M. Hussein Bourgi. … afin que ces propriétaires puissent continuer à jouir de leurs biens sans crainte,…

M. le président. Il faut conclure !

M. Hussein Bourgi. … sans restriction et sans entrave.

Mme Sophie Primas. Oui, sans entrave !

M. Hussein Bourgi. Lorsqu’un propriétaire se trouve confronté à un locataire indésirable,…

M. le président. Il faut vraiment conclure !

M. Hussein Bourgi. … la loi doit pouvoir continuer à jouer son rôle. Plus que d’une loi d’affichage… (Marques dimpatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Non, là, pardon, mais c’est terminé ! Merci !

M. Hussein Bourgi. Merci, monsieur le président. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Alain Richard et Didier Rambaud applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Autant vous le dire, je ne vais pas chanter la même chanson…

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à mieux lutter contre les squats, but ô combien louable, si je puis dire, et qu’il convient d’atteindre sans délai.

Depuis des décennies, la loi n’a cessé de renforcer les droits des locataires au point de protéger les squatteurs au détriment, bien sûr, des propriétaires. Nombre d’entre eux passent alors des années à se battre, à grands frais d’avocat, pour tenter d’obtenir la libération de leur logement. Des petits propriétaires qui comptaient sur le fruit du travail de toute une vie pour obtenir un complément de retraite et qui se retrouvent dans les pires difficultés financières pour ne plus percevoir de loyers. Ils n’ont donc plus les moyens d’entretenir leur logement, que les squatteurs saccagent en quelques mois.

Des exemples comme ceux-là, je pourrais vous en citer des centaines à Marseille : les Rosiers, la Maurelette, le Parc Corot, le Campus. Des résidences privées qui sont tombées entre les mains de dealers, de clandestins, de marginaux, tous squatteurs et tous protégés par la loi. Les propriétaires, à bout de forces et sans soutien, finissent par abandonner purement et simplement leurs biens.

Conséquence : des conditions toujours plus draconiennes exigées des locataires, tant les propriétaires craignent – à juste titre, donc – de se retrouver avec des mauvais payeurs occupant leur logement. Cela ne fait qu’accentuer encore davantage la crise du logement, affectant notamment les jeunes, qui ont toujours plus de mal à se loger, qu’ils soient actifs ou étudiants.

La raréfaction de la location entraînant mécaniquement une hausse des loyers, c’est une fois de plus les honnêtes gens à la recherche d’un logement qui sont financièrement pénalisés.

Malheureusement, la commission a décidé de supprimer toute une partie de la proposition de loi pour se concentrer sur les squatteurs qui entrent de force dans des propriétés. Elle a même voulu préserver la trêve hivernale pour les autres squatteurs. La France, ce merveilleux pays où l’on protège les hors-la-loi…

À Marseille, nous sommes confrontés de façon récurrente à ce phénomène.

Souvent issus de la communauté rom, épaulés par des associations d’extrême gauche, dont nous avons un digne représentant ici, ces squatteurs, qui connaissent bien le droit, s’installent sur des terrains nus ou dans des logements inoccupés et les transforment rapidement en véritable décharge. C’est alors tout un quartier qui subit une insécurité matérielle, physique et sanitaire. Combien de fois ai-je dû intervenir personnellement, de jour comme de nuit, pour empêcher le pire ?

Ce texte renforcera les sanctions et facilitera les procédures. C’est évidemment positif. Mais il fait l’impasse sur la réalité du terrain : le manque de moyens policiers ne permet pas d’interventions rapides et le délai de carence n’est que de quarante-huit heures. Au-delà, pour le propriétaire, c’est le parcours du combattant, et cela peut durer des années !

Ce texte a beau renforcer la loi, tant qu’il n’y aura pas assez de policiers pour la faire respecter, elle restera lettre morte.

Protéger les propriétaires, c’est protéger les logements, la location et, donc, les locataires. Pour préserver le droit au logement, nous devons garantir, d’abord, le droit à la protection de la propriété immobilière.

M. Jean-Pierre Sueur. Le Front national parle sans qu’on l’interrompe : c’est un avantage par rapport à l’intervenant du groupe socialiste, monsieur le président !

M. le président. Ainsi va la vie, monsieur Sueur !

La parole est à M. Alain Marc. (M. Dany Wattebled applaudit.)

M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, des affaires de squat défraient régulièrement la chronique. Elles sont toutes plus invraisemblables les unes que les autres. Chaque fois, elles nous laissent sans voix. Un brin d’empathie suffit pourtant à comprendre le sentiment d’injustice qui sidère tous ces propriétaires, soudainement privés de la jouissance de leur bien.

Malheureusement, ces affaires ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Nous avons tous connu, que ce soit dans notre vie privée ou au cours d’un engagement local, des affaires de squat qui n’ont pas défrayé la chronique. Ces propriétaires se trouvent alors désemparés et ne peuvent pas compter sur l’indignation médiatique pour faire entendre leurs revendications légitimes. Dans ces cas, un constat s’impose : la loi protège, de fait, les squatteurs davantage que les propriétaires. Or ce sont eux que nous devons ici défendre.

Nous sommes très nombreux sur ces travées, je crois, à considérer que cette situation n’est pas acceptable. C’est chose normale au Parlement, puisque les affaires de squat remettent en cause le droit inviolable de la propriété, consacré par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. C’est d’ailleurs ce qu’a très justement rappelé notre collègue Dominique Estrosi Sassone en présentant sa proposition de loi, dont je salue l’initiative au nom de mon groupe.

Ce texte, tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat, répond à des attentes fortes, alors que nombre de nos concitoyens se désolent de l’impuissance publique face à de telles situations d’injustice. Il faut dire que le droit actuel se révèle inopérant en la matière, soit par manque de clarté sur les protections offertes aux propriétaires dont les biens sont squattés, soit par une mauvaise application des dispositions prévues. En tout état de cause, je partage le diagnostic établi par l’auteur et confirmé par la position de la commission : un renforcement du droit actuel s’impose. C’est notamment le cas avec l’article 1er, qui augmente la peine encourue en cas de violation de domicile. Comme cela a été rappelé, le Sénat a déjà adopté cette mesure dans le cadre du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique. J’espère qu’une nouvelle adoption permettra enfin d’aboutir à des résultats concrets.

Toutefois, notre action de législateur ne saurait se concentrer sur le cas de violation de domicile, et pour cause : compte tenu de la jurisprudence, la définition du « domicile », quoiqu’elle soit très large et ne distingue pas les résidences principales des résidences secondaires, ne permet pas de couvrir efficacement l’ensemble des cas de figure justifiant cette initiative législative. C’est notamment le cas pour les appartements vides, les locaux professionnels ou même les terrains non construits. C’est pourquoi la création d’un délit autonome d’occupation frauduleuse d’un immeuble, telle que prévue par l’article 2, me paraît opportune. Cette mesure élargit le champ des cas qui seront couverts par la loi.

Les articles suivants de la proposition de loi s’inscrivent dans la même logique. Ils renforcent les pouvoirs de sanction contre les squatteurs et assouplissent les conditions d’application, ce qui devrait rendre le droit applicable plus opérationnel.

Il en est de même des sanctions frappant toute communication visant à inciter au squattage. Nous avons tous à l’esprit certains collectifs et certaines associations qui ont fait de ces actions leur marque de fabrique, voire leur raison d’être. Je ne leur fais pas de procès d’intention, car je sais qu’il s’agit souvent de militants animés par de bons sentiments. Mais force est de le constater : ils alimentent le phénomène des squats, que nous dénonçons, et ils réduisent au silence de nombreux propriétaires dont les biens sont spoliés.

Nous devons être fiers de défendre le droit de propriété, qui se trouve au fondement de notre démocratie. À cet égard, M. le rapporteur a utilement précisé le champ d’application du délit afin de ne pas créer de confusion malvenue.

Pour terminer, j’évoquerai plus généralement la position de la commission sur cette proposition de loi.

Les précisions et restrictions apportées au dispositif permettent de mieux cibler les cas particuliers des squats. Elles adaptent ainsi la lettre de la loi à son esprit. Cela devrait limiter les risques d’interprétation excessive, et c’est heureux. Toutefois, cette focalisation laisse sans réponse bon nombre des cas problématiques rencontrés par nos concitoyens : c’est tout le débat sur l’opportunité d’expliciter, dans le texte de la loi, la façon dont les occupants sans droit ni titre se sont introduits dans l’immeuble. Cette précision limite le dispositif en même temps qu’elle le rend plus opérant dans les cas visés. Cependant, elle exclut du champ de cette proposition de loi un large pan des cas d’occupation illicite. Les problèmes liés aux locataires défaillants ne sont donc pas résolus.

Mes chers collègues, en conclusion, les élus du groupe Les Indépendants approuvent largement ce texte, qui apporte des réponses concrètes aux problèmes de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)