Mme Christine Bonfanti-Dossat. Si cette question est essentielle, la réponse apportée ici demeure, en l’état, insatisfaisante. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Éric Gold applaudit également.)

M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je lisais récemment, dans le journal Le Monde, un article concernant un campus de 45 hectares situé en Inde, pas très loin de Bombay, et abritant 5 200 salariés.

Le bâtiment ne paie pas de mine, mais un vaccin anti-covid y est fabriqué à raison de plus de 60 millions de doses par mois ! Il abrite le plus grand producteur au monde de vaccins : le Serum Institute of India.

Ces 60 millions de doses devraient permettre, selon les protocoles sélectionnés, de vacciner entre 25 et 32 millions de personnes. Le produit fabriqué est le vaccin mis au point par l’université d’Oxford et le laboratoire AstraZeneca. Ces flacons, qui a priori ne nous sont pas destinés, sont stockés en attendant toutes les autorisations sanitaires.

Je n’entrerai pas dans la polémique sur la course de vitesse engagée par les laboratoires, mais cet exemple illustre parfaitement le décrochage de l’industrie pharmaceutique française et européenne.

Les unités de fabrication de médicaments et de vaccins sont désormais quasiment le monopole de l’Asie. Nos sites se sont exilés. Selon l’Agence européenne du médicament, « près de 40 % des médicaments finis commercialisés dans l’Union européenne proviennent de pays tiers, et 80 % des fabricants de substances pharmaceutiques actives utilisées pour des médicaments disponibles en Europe sont situés en dehors de l’Union. ».

En 1970, quelque 420 entreprises de l’industrie du médicament existaient en France. En 2017, la France ne disposait plus que de 138 sites de production de médicaments et de 92 sites de production de principes actifs… L’Inde et la Chine possèdent chacune plusieurs milliers de tels sites – mes chiffres sont ceux du Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques !

La France, mais aussi l’Europe, a donc insensiblement, et pour des raisons variées – je ne néglige bien entendu pas la rentabilité –, exporté, transféré nos unités et nos savoir-faire en Asie, au détriment de notre autonomie.

Plus grave, nous sommes en train de perdre notre « indépendance sanitaire » ; peut-être l’avons-nous même déjà perdue.

Indépendance ? Selon l’article 5 de notre Constitution, le plus gaullien de ce texte fondateur, « Le Président de la République […] est le garant de l’indépendance nationale ». Il est temps pour nous, aujourd’hui, de prendre conscience que l’indépendance sanitaire est un élément essentiel de notre indépendance nationale, tout comme l’est l’indépendance énergétique.

Cette remise en cause liée à la crise du covid-19 révèle le caractère gravissime de la situation. C’est pourquoi il est légitime de se pencher sur nos activités nationales en la matière et de recenser les outils dont nous disposons déjà ; c’est nécessaire si nous voulons trouver des solutions rapides, lesquelles passeront très certainement par l’Europe.

Beaucoup ignorent que l’armée française joue, depuis la Révolution, un rôle en ce domaine, via la pharmacie centrale des armées. Cet établissement pharmaceutique, titulaire et exploitant d’une autorisation de mise sur le marché et reconnu comme fabricant, a su préserver sa souveraineté en matière de production.

Si d’aucuns peuvent penser qu’il n’entre pas dans les compétences des personnels militaires de fabriquer des vaccins, il reste que la pharmacie centrale des armées pourrait répondre à des besoins urgents de santé publique si le cadre réglementaire était assoupli.

Tout cela, nous l’avons découvert, bien sûr, à la suite de plusieurs semaines d’auditions menées par la mission d’information sur les pénuries de médicaments et de vaccins dont j’ai été l’instigateur et que j’ai eu l’honneur de conduire, en tant que rapporteur, aux côtés d’Yves Daudigny, président. C’était au cours du second semestre 2018, voilà plus de deux ans !

Parmi les propositions les plus audacieuses que nous avions formulées figurait l’instauration d’un « programme public de production et distribution de quelques médicaments essentiels concernés par des arrêts de commercialisation, ou de médicaments régulièrement exposés à des tensions d’approvisionnement », qui serait confié à la pharmacie centrale des armées et à l’Agence générale des équipements et produits de santé, qu’il importe de conserver.

Or l’article 1er de votre proposition de loi, chers collègues du groupe communiste, reprend, au mot près, une partie de cette proposition : il s’agit de la proposition n° 8 ! Je me réjouis de cette communion d’esprit…

Néanmoins, comment expliquer, alors, que votre groupe ait été, parmi les groupes politiques du Sénat, le seul à refuser de voter ce rapport validé par toutes les autres formations de notre assemblée ? (Mmes Catherine Fournier, Jocelyne Guidez et Nadia Sollogoub applaudissent. – Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

Vous le comprendrez, j’en ai été surpris, mais finalement pas étonné ! Et je présume que, quant à vous, vous ne serez ni étonnés ni surpris si j’ajoute que je ne partage pas votre ardent désir de nationaliser, comme au bon vieux temps, la production française de médicaments.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. La bataille politique, c’est intéressant. La caricature, ça l’est moins !

M. Jean-Pierre Decool. Pour ma part, je suis plutôt soucieux de renforcer les outils publics tels qu’ils existent déjà. Je voterai donc contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. Cela marchait mieux avant ! Il y a quelques années, les ruptures concernaient 400 références. Aujourd’hui, c’est 3 200 !

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que la crise sanitaire se poursuit, que nous sommes encore dans le temps de l’action et que le rapport de la commission d’enquête sur la gestion de la crise sanitaire sera présenté demain, des premiers enseignements doivent dès à présent être tirés.

Résonnent encore, en effet, la détresse du monde médical et la mise en danger de tous les professionnels qui ont dû poursuivre leurs activités à l’acmé de la pandémie, malgré l’impuissance du Gouvernement à les protéger.

En effet – il faut encore et toujours y revenir, pour en analyser les causes –, ce sont des millions de masques, dont les FFP2, qui ont manqué durant des semaines, parce que les pouvoirs publics n’ont pas assuré le renouvellement des stocks stratégiques dont ils sont les garants et se sont montrés incapables tant d’équiper les personnels travaillant en première ligne que de se procurer des masques en urgence sans dépendre des aléas et des prix du marché mondialisé.

En Auvergne-Rhône-Alpes, les médicaments et les équipements de protection individuels ont longtemps manqué. Pendant les premiers mois, l’union régionale des pharmaciens a dû, par des moyens de fortune, dépanner les pharmacies en gel hydroalcoolique dans plusieurs des départements de la région, les services déconcentrés de l’État n’ayant pas de solutions ; et c’est une association qui a assuré les livraisons.

Nombre de déprogrammations d’opérations ont eu pour cause non seulement la pénurie des soignants, mais aussi celle des médicaments, notamment ceux qui sont utilisés en réanimation, les conséquences d’une telle pénurie étant encore à venir et restant à évaluer.

Le système de santé français se révèle donc vulnérable aussi aux ruptures d’approvisionnement en médicaments et dispositifs médicaux essentiels.

Ce constat ne date d’ailleurs pas de la crise du covid-19, puisque le Sénat et de très nombreux organismes alertent depuis des années sur ces ruptures d’approvisionnement.

L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, estime que, en 2020, près de 3 200 médicaments essentiels auront été en rupture, contre 404 en 2013.

Des médicaments pour traiter le cancer, la maladie de Parkinson ou, dernièrement, la grippe saisonnière viennent à manquer… Près d’un Français sur quatre a souffert d’une rupture d’approvisionnement.

Selon la Ligue contre le cancer, 74 % des professionnels de santé ont déclaré avoir déjà été confrontés à des pénuries de médicaments ; ils sont 45 % à estimer que cette situation a dégradé la survie à cinq ans des patients concernés par cette interruption du traitement, d’où s’ensuivait une perte de chances manifeste.

Dès lors, la création d’un pôle public du médicament, outil régulateur, contribuerait au recouvrement par la France de sa souveraineté sanitaire, permettant à sa population d’être protégée en temps de crise, mais aussi, hors crise, d’être soignée sans rupture.

Ce projet s’inscrit dans les recommandations du Parlement européen en faveur de la mise en place d’établissements pharmaceutiques à but non lucratif, capables de produire des médicaments stratégiques pour les soins de santé ; ses auteurs se sont emparés du sujet sans attendre que l’Union européenne se saisisse de cette recommandation.

De tels établissements existent au Brésil, en Inde, en Suisse,…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Aux États-Unis !

Mme Raymonde Poncet Monge. … mais aussi aux États-Unis, pays qui ne peut être soupçonné de refuser ou de trop contraindre les lois dites « du marché » !

Il est tout simplement admis par ces pays qu’il faut pouvoir produire les médicaments et dispositifs médicaux nécessaires à la santé de leur population, s’approvisionner et les stocker de manière autonome, et cela via la puissance publique qui reste le garant de cette autonomie, car la seule logique du marché ne peut y pourvoir.

Nous pourrions améliorer encore la démocratie sanitaire, comme nous y encouragent les associations d’usagers du système de santé, qui demandent à être partie prenante des instances traitant du prix des médicaments et des dispositifs médicaux.

Quoi qu’il en soit, entendons bien l’urgence sanitaire et les mesures qu’elle exige : la crise climatique va amplifier les crises sanitaires. Au-delà des risques pointés par les auteurs du texte, j’en appelle à notre sens collectif des responsabilités ; autrement dit, j’en appelle à – enfin ! – anticiper.

En effet, si la crise du covid-19 découle indirectement de l’effondrement de la biodiversité et de la destruction des espaces naturels, d’autres facteurs, comme la fonte du permafrost ou les pesticides, portent en eux autant d’autres risques de maladies et de pandémies à venir. Nous devons répondre à ces enjeux par des mesures pertinentes.

Dans ce contexte, la création d’un pôle public du médicament représente une première réponse, à l’échelle nationale, comme outil de régulation devant permettre d’assurer de nouveau la continuité des approvisionnements, en complément de la relocalisation des productions qui, seule, ne suffira pas.

C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, oui, la pénurie de médicaments est une réalité !

Une enquête BVA réalisée pour France Assos Santé a montré que près d’un Français sur quatre s’était déjà vu refuser la délivrance d’un traitement pour cause de pénurie ; quatre, c’est aussi le chiffre par lequel a été multiplié le nombre annuel de signalements de tensions et de ruptures d’approvisionnement de médicaments enregistrés par l’ANSM au cours des six dernières années.

Nous nous devons de remercier les professionnels de santé, prescripteurs et pharmaciens, en ville comme en établissements de santé, qui ont toujours su trouver des solutions permettant aux patients de poursuivre leur traitement.

Oui, la crise sanitaire a accentué les tensions d’approvisionnement sur certains médicaments indispensables ! Je pense aux curares et aux hypnotiques, dont la consommation a augmenté de 2 000 % en l’espace de quinze jours, en pleine pandémie, au printemps. La distorsion entre l’offre et la demande, sans cesse croissante au niveau mondial, affecte l’ensemble de la chaîne du médicament.

Mercredi dernier, la commission des affaires sociales a examiné le rapport de ma collègue Laurence Cohen sur la proposition de loi portant création d’un pôle public du médicament et des produits médicaux.

Consciente des enjeux soulevés par le texte, mais prudente quant aux voies à privilégier pour en traiter, la commission n’a pas adopté ce texte. Aussi en discuterons-nous aujourd’hui dans sa rédaction initiale, composée de trois chapitres.

Le premier chapitre, de l’article 1er à l’article 3, crée un service public du médicament et des dispositifs médicaux.

Le second chapitre crée un observatoire citoyen des dispositifs médicaux, afin de garantir la transparence des données issues de la surveillance des incidents pouvant survenir lors de l’utilisation d’un dispositif médical.

Le troisième et dernier chapitre porte la taxe assise sur le chiffre d’affaires des entreprises pharmaceutiques de 0,17 % à 1 %, afin de mettre ces dernières à contribution pour financer ce pôle public du médicament et des dispositifs médicaux.

Mes chers collègues, plusieurs dispositifs juridiques ont été élaborés pour encadrer et renforcer l’approvisionnement en médicaments. Ainsi, en 2012, puis en 2016, de nouvelles obligations incombant respectivement aux acteurs du circuit de distribution et à ceux du circuit de fabrication ont été instaurées. Force est de constater que cet arsenal juridique renforcé n’a pas permis de pallier totalement les ruptures de stock de médicaments.

Aussi, en juillet 2019, Agnès Buzyn, alors ministre de la santé, avait-elle présenté une feuille de route pour lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France, dont les dispositifs sont en cours de mise en œuvre.

Cette feuille de route s’articulait autour de quatre axes : promouvoir la transparence et la qualité de l’information, afin de rétablir la confiance et la fluidité entre tous les acteurs ; lutter contre les pénuries de médicaments par de nouvelles actions de prévention et de gestion sur l’ensemble du circuit du médicament ; renforcer la coordination nationale et la coopération européenne ; mettre en place une nouvelle gouvernance par le biais d’un comité de pilotage chargé de la stratégie de prévention et de lutte contre les pénuries de médicaments en France.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a donné une traduction législative à certains de ces engagements.

L’article 48 de ce texte crée ainsi obligation pour les industriels de constituer jusqu’à quatre mois de stocks pour tous les médicaments. Ces stocks doivent être situés sur le territoire européen et, en cas de rupture, les entreprises sont dans l’obligation d’importer à leur charge des solutions de rechange thérapeutiques pour l’ensemble des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur. Des sanctions financières seront appliquées si les entreprises ne constituent pas un stock de sécurité et n’informent pas l’ANSM lorsque surviennent des situations de rupture ou de risque de rupture.

En outre, lors du comité stratégique de filière des industries et technologies de santé, en juin 2020, la remise du rapport Biot a été l’occasion de présenter trois axes pour une relocalisation des industries de santé : premièrement, renforcer les capacités nationales de recherche de solutions thérapeutiques ; deuxièmement, augmenter les capacités de production françaises et sécuriser l’accès aux produits de santé ; troisièmement, construire la résilience aux crises sanitaires à l’échelle européenne.

Dans son volet compétitivité, le plan de relance répond déjà en partie à ces défis. Il prévoit des mesures de réindustrialisation susceptibles de favoriser directement ou indirectement la relocalisation d’activités.

Sur mon territoire, à Limay, l’entreprise française Seqens, leader mondial dans le secteur de la synthèse pharmaceutique chimique, a d’ores et déjà pu bénéficier du soutien de l’État pour investir et innover sur ses sites en France et minimiser les risques de rupture sur une partie de la chaîne logistique, s’agissant, en l’espèce, de principes actifs qui entrent dans la fabrication des médicaments destinés à la prise en charge des patients atteints de la covid-19 ou encore d’intermédiaires de synthèse et de principes actifs clés de douze médicaments dont l’approvisionnement a connu de fortes tensions durant la crise sanitaire.

Vous le voyez : ici encore, le Gouvernement est à pied d’œuvre dans nos territoires.

Les pénuries de médicaments nécessitent une attention particulière des pouvoirs publics, et les mesures déjà prises sont, de ce point de vue, intéressantes ; la mise en place d’un comité de pilotage interministériel et la création d’une base de données européenne unique permettront notamment de mieux connaître, au niveau européen, les dispositifs médicaux mis sur le marché.

À l’inverse, augmenter la fiscalité sur les entreprises pharmaceutiques au-delà de la hausse inscrite dans le PLFSS irait à l’encontre des besoins de relocalisation de ces industries et nuirait à notre compétitivité fiscale.

Quant aux mesures de gouvernance visant à créer un pôle public du médicament, elles ne semblent pas adéquates, car elles risquent d’entrer en redondance avec des institutions déjà existantes comme l’ANSM et l’Inserm, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues – vous l’aurez compris –, notre groupe votera contre cette proposition de loi.

M. Fabien Gay. Vous nous surprenez ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérémy Bacchi.

M. Jérémy Bacchi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la France est aujourd’hui au quatrième rang européen en matière de production pharmaceutique, alors qu’elle occupait la première place jusqu’en 2008.

Il reste encore une soixantaine d’usines de principes actifs dans l’Hexagone, dont une sur mon territoire, à Septèmes-les-Vallons, l’entreprise SPI Pharma, qui emploie près de soixante-dix salariés.

La question posée par notre proposition de loi est celle de l’accès aux médicaments.

Aujourd’hui, les marchés financiers et les industriels pharmaceutiques décident des coûts des médicaments, donc de l’accès des populations aux traitements.

Heureusement, notre pays s’est doté, en 1945, de la sécurité sociale, qui permet la prise en charge des médicaments pour les malades. Mais que se passe-t-il lorsque, comme au mois d’avril, la production des principes actifs des médicaments est interrompue ? Ni l’État ni la sécurité sociale n’ont les moyens d’agir et de produire les principes actifs à la place des laboratoires.

Cette perte de maîtrise publique a tourné au casse-tête pour les patientes et les patients atteints de maladies chroniques, qui se rendent à la pharmacie la boule au ventre face aux risques de pénurie de médicaments et de rupture de soins.

L’entreprise Sanofi bénéficie d’aides publiques de l’État à hauteur de 150 millions d’euros par an ; elle continue pourtant de licencier – 3 000 postes de chercheurs en moins en dix ans – et verse la moitié de ses bénéfices aux actionnaires.

Oui, nous pensons que les intérêts privés sont contradictoires avec les intérêts de toutes et de tous, et qu’un pôle public de recherche et de production pharmaceutique est indispensable dans notre pays.

La mainmise des laboratoires et les scandales sanitaires du Mediator et de la Dépakine ont entraîné une suspicion, parmi nos concitoyens, concernant la fiabilité des médicaments et des vaccins. La recherche effrénée des profits au détriment de la détection des effets secondaires a entamé la confiance dans les vaccins, pourtant indispensables pour se protéger, notamment, de la covid-19.

Afin d’apporter en ce domaine des garanties de transparence et de démocratie permettant un retour à la confiance, nous proposons de rétablir à la fois un contrôle public et, via un observatoire citoyen, un contrôle indépendant.

Il n’y a là aucune utopie, dès lors que l’on y met de la bonne volonté et des moyens financiers. Il existe déjà, en effet, des institutions telles que la pharmacie centrale des armées et la pharmacie centrale des hôpitaux de Paris.

Ces deux structures publiques sont capables de produire les médicaments indispensables pour les malades hospitalisés. Il faut utiliser ces structures et les renforcer plutôt que de les affaiblir.

Je pense notamment à l’hôpital Sainte-Marguerite, sur mon territoire, à Marseille, où je me suis rendu voilà quelques semaines. La direction a décidé d’y fermer la pharmacie, après avoir fermé, déjà, les urgences et le service de réanimation.

La concurrence effrénée entre les cliniques privées et l’hôpital public dont on réduit chaque année les moyens a fait fuir bon nombre de personnels hospitaliers. Certains services, comme en psychiatrie, se retrouvent ainsi parfois sans médecin.

Derrière de telles décisions, il y a le démantèlement de l’hôpital public, qui dispose encore en bien des endroits, pourtant, de capacités de pharmacie lui permettant de fabriquer ses propres médicaments.

On voit bien l’intérêt pour les industriels du médicament de la disparition de ces pharmacies publiques : elle leur permettrait d’imposer leurs tarifs aux établissements de santé.

La crise sanitaire de la covid-19 a mis en lumière la situation de l’hôpital public et les conditions de travail de ses personnels. Nos concitoyennes et concitoyens sont attachés à leurs hôpitaux et savent combien il est important de faire du médicament un bien commun.

Ces trente dernières années ont vu l’émergence de grands progrès thérapeutiques dans la prise en charge d’un certain nombre de maladies graves. Je pense par exemple, dans le domaine des cancers, aux approches réellement innovantes, thérapies ciblées ou immunothérapies, qui ont révolutionné le pronostic de certaines affections.

Ces progrès de la science et de la médecine se sont malheureusement accompagnés d’une explosion du coût de certains de ces médicaments. Il n’est désormais pas rare, pour certaines maladies, de voir des médicaments à plus de 80 000 euros par an, ce qui pose la question clé de la justification de tels niveaux de prix.

Selon l’industrie du médicament, ces prix ne sont que le reflet des importants investissements réalisés en matière de recherche et développement.

Cependant, à étudier la répartition du chiffre d’affaires des entreprises pharmaceutiques, on constate qu’il est à 15 % seulement consacré effectivement à la recherche et développement, quand 30 % du total, soit le double, sont dévolus au marketing.

La solution que nous proposons consiste à sortir les médicaments du marché par une réponse publique, démocratique et solidaire. Pour y parvenir, nous proposons de financer le pôle public ainsi créé par l’augmentation de la contribution des industries pharmaceutiques de 0,17 % à 1 %.

Quand, en dix ans, le laboratoire Pfizer a réalisé 377 milliards d’euros de profits, une taxe de 1 % ne semble pas si excessive, d’autant que cette participation des industriels privés est un juste retour eu égard aux bénéfices réalisés avec l’argent public investi au titre du crédit d’impôt recherche.

Pour toutes ces raisons, nous appelons l’ensemble des groupes parlementaires à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Raymonde Poncet Monge et Émilienne Poumirol applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Corinne Imbert. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi portant création d’un pôle public du médicament et des produits médicaux.

Tout d’abord, je partage pleinement les propos de ma collègue Christine Bonfanti-Dossat, les questions qu’elle soulève comme ses conclusions.

La question des ruptures de stock de médicaments est un problème récurrent depuis de trop nombreuses années ; elle touche de plus en plus de spécialités pharmaceutiques et suscite à la fois l’agacement des professionnels de santé et l’incompréhension des patients, surtout ceux à qui sont prescrits des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur.

Le Sénat, dans le cadre de sa mission d’information sur la pénurie de médicaments et de vaccins créée sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Decool, et dont Mme la rapporteure était l’une des vice-présidentes, a déjà eu l’occasion, en la matière, de faire des propositions – cela a été rappelé. Un rapport sur les pénuries de médicaments essentiels demandé par le Premier ministre à l’ancien président de l’École polytechnique, Jacques Biot, a bien été rendu public le 18 juin dernier, mais je ne suis pas sûre que ce document puisse sonner comme un appel décisif à lutter contre lesdites pénuries !

Les causes de ces pénuries sont diverses : problèmes d’approvisionnement – une grande partie des principes actifs sont produits à l’étranger, principalement en Asie –, demande plus importante à l’échelle mondiale, problèmes sur la chaîne de fabrication, quotas imposés aux industriels, arrêt de la fabrication de médicaments matures.

Il serait présomptueux de prétendre y remédier en totalité à l’échelle de notre pays. L’idée selon laquelle il serait primordial de relocaliser la production de médicaments en France et en Europe revient fréquemment et, me semble-t-il, est partagée sur l’ensemble de nos travées.

Le Sénat avait voté en ce sens, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, un amendement visant à prendre en compte le lieu de fabrication du médicament dans le processus de fixation de son prix, et, ainsi, à favoriser les entreprises dont les usines seraient situées dans l’Union européenne, en Suisse ou au Royaume-Uni.

Malheureusement, malgré la mobilisation des sénateurs et en dépit du bon sens attaché à cette mesure, l’exécutif et la majorité présidentielle n’ont pas jugé opportun de la maintenir dans le texte ; nous ne pouvons que le regretter.

Toutefois, malgré l’enthousiasme que provoque l’idée de relocaliser une partie de la production en France, n’oublions pas qu’une telle relocalisation nécessitera des investissements importants, donc du temps, et exigera que la population accepte de voir s’installer sur son territoire une industrie chimique, avec son cortège de risques.

Pour ces raisons, je pense qu’il serait préférable, dans un premier temps, d’optimiser la capacité de production des sites existants, la production des principes actifs, maillons essentiels de la chaîne du médicament, apparaissant bien sûr prioritaire pour retrouver une indépendance sanitaire.

Je formulerai une remarque sur l’article 2, qui porte création d’un pôle public du médicament : ce pôle se voit confier, outre une mission de production, une mission de distribution sur le territoire national.

Cette mission de distribution est, à ce jour, parfaitement assurée par les entreprises de la répartition pharmaceutique ; le maillage territorial tissé par les répartiteurs pharmaceutiques et l’obligation de service public qui leur incombe prouvent chaque jour leur efficacité et leur capacité à s’adapter aux nouveaux enjeux en matière de distribution.

Leur rôle important dans la distribution de masques de l’État au début de la pandémie de covid-19 en est un exemple récent ! Ils ont parfaitement assuré cette mission.

L’État a indéniablement un rôle à jouer dans la lutte contre la pénurie de médicaments. Depuis trente-cinq ans, tous les gouvernements réduisent les crédits alloués au médicament sous la forme de mesures d’économies figurant dans le PLFSS. Le médicament a été, avec l’hôpital, l’une des deux variables d’ajustement des PLFSS successifs, alors qu’il ne pèse que 16,5 % du budget de la sécurité sociale.

En écartant de l’analyse le budget 2021, qui est complètement atypique, on note que le médicament contribuait, jusqu’à l’année dernière, à 50 % des économies réalisées au titre de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie.

Ainsi, depuis plus de dix ans, l’assurance maladie a mis en place des quotas. Ces quotas concernaient 400 références voilà dix ans, contre 720 références aujourd’hui ; le risque de rupture augmente donc mécaniquement.

Autre exemple du rôle de l’État, monsieur le secrétaire d’État : le cas particulier du vaccin contre la grippe. Depuis le mois de juin dernier, nous savions, vous saviez, que nous manquerions de 2 millions de doses. Preuve en est que le Gouvernement a, ces dernières semaines, acheté 2,4 millions de doses de vaccin contre la grippe.

Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas joué son rôle en anticipant cette pénurie ? Comment allez-vous vous impliquer pour que la campagne 2021-2022 se passe mieux ? Quel message allez-vous faire passer aux industriels dès ce mois de décembre, ou au plus tard au début de janvier, pour qu’on ne revive pas la même situation l’an prochain ?

Des personnes âgées de plus de 65 ans ne sont toujours pas vaccinées à cette date ; plus jamais ça, monsieur le secrétaire d’État ! Néanmoins, sauf à ce qu’il possède un savoir-faire en matière de vaccins, un pôle public du médicament ne saurait être la bonne réponse.

Un programme public pour des médicaments qui sont en arrêt de commercialisation paraît facile à envisager. En revanche, comment aborder la question pour les médicaments qui sont en rupture d’approvisionnement ?

Comment anticiper ces ruptures ? Certes, les laboratoires ont l’obligation légale de déclarer les risques de rupture, mais comment un pôle public du médicament pourrait-il avoir la réactivité suffisante pour corriger ces risques ? Comment prendrait-il concrètement la main ? Réduirait-on le champ d’action de ce pôle public à des médicaments « matures » ?

Je m’interroge par ailleurs sur l’appréciation du coût d’un tel pôle public du médicament. La taxe que vous proposez, mes chers collègues, suffira-t-elle à en assurer le financement ?

L’examen de cette proposition de loi ne se réduit pas à un affrontement entre deux visions antagonistes de la politique du médicament : l’une du tout-État et de la planification vertueuse contre l’autre du tout libéral, qui laisserait un boulevard aux laboratoires et à leurs intérêts de court terme.

À titre personnel, je considère que l’équilibre se situe à la frontière entre ces deux sphères. La concurrence est vertueuse dans le sens où elle est source d’innovation et de progrès continu. Toutefois, l’État a effectivement un rôle de régulateur à jouer, en particulier sur un sujet qui concerne la santé de nos concitoyens.

Pour toutes ces raisons, l’examen de cette proposition de loi permet d’engager un débat fondamental sur la question de l’indépendance sanitaire de notre pays et j’en remercie ses auteurs. Néanmoins, les solutions proposées, bien qu’elles soient intéressantes d’un point de vue théorique, souffriraient de lacunes si elles devaient être concrètement mises en œuvre.

Enfin, même si des travaux doivent avoir lieu entre le ministère et l’Ordre national des pharmaciens pour améliorer le système d’information via le DP-Ruptures, les tensions en matière d’approvisionnement restent un fléau et un véritable sujet de préoccupation. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)