compte rendu intégral

Présidence de M. Vincent Delahaye

vice-président

Secrétaires :

M. Pierre Cuypers,

Mme Martine Filleul.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Article additionnel après l'article 53 -  Amendement n° II-488 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2021
Seconde partie

Loi de finances pour 2021

Suite de la discussion d’un projet de loi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2021
Enseignement scolaire

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2021, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 137, rapport n° 138, avis nos 139 à 144).

Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.

SECONDE PARTIE (suite)

MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

Enseignement scolaire

Seconde partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2021
État B

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Enseignement scolaire » (et article 54 decies).

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la brièveté de mon temps de parole m’oblige à être extrêmement direct.

La commission des finances, le 12 novembre dernier, a adopté votre budget, monsieur le ministre, sous réserve de l’adoption d’un amendement relatif à l’enseignement agricole.

Nous l’avons adopté non pas seulement parce que vous l’augmentez légèrement – à 55 milliards d’euros hors compte d’affectation spéciale « Pensions », il est en hausse de 2,5 %, ce qui est au demeurant significatif –, mais d’abord et surtout parce que nous partageons avec vous des orientations majeures pour la politique de l’enseignement scolaire.

La première est le soutien à l’enseignement primaire, une volonté constante et réaffirmée de notre assemblée : nous considérons qu’œuvrer en faveur de l’enseignement primaire est une priorité absolue.

Ce soutien se traduit par une augmentation de 2,6 % des dépenses du programme « Enseignement scolaire public du premier degré », tandis que les crédits du secondaire progressent certes, mais de 1,3 %, soit deux fois moins vite. Cette progression se confirme par l’augmentation des effectifs, puisque 1 273 équivalents temps plein supplémentaires sont prévus dans le primaire, à effectifs constants de la mission « Enseignement scolaire » – ils sont compensés par une diminution à peu près équivalente des effectifs dans l’enseignement secondaire, public et privé.

Cet effort, qui est confirmé, conduit, sur dix ans, à diminuer les effectifs du secondaire de 0,8 % et à augmenter ceux du primaire de presque 3 % – 2,88 %, pour être exact. À quel niveau, monsieur le ministre, estimerez-vous que le rééquilibrage est atteint ? Nous sommes encore loin des moyennes de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques).

Ce rééquilibrage a permis de poursuivre la politique nouvelle de dédoublement des classes de l’enseignement primaire en éducation prioritaire. C’est une excellente marche, et on commence à en mesurer, au travers des études du ministère, les conséquences positives sur la réduction de l’écart entre la compétence des enfants des réseaux d’éducation prioritaire (REP) et de l’enseignement primaire général.

Vous pourrez poursuivre cette politique positive, puisque vous annoncez un dédoublement en grande section de maternelle, la généralisation de la scolarisation à partir de l’âge de 3 ans – sur laquelle je reviendrai dans quelques instants – révélant, hélas, que les différences d’aptitudes, de capacités et de maîtrise du langage commencent extrêmement tôt ; on les constate dès la maternelle.

Cette politique de soutien au primaire vous permet d’afficher un objectif de plafond de 24 élèves par classe dans l’enseignement maternel et primaire. Pouvez-vous confirmer ce plafond, qui est une nouveauté ?

La deuxième raison pour laquelle nous soutenons votre budget, en fait la contrepartie de la première, c’est que vous commencez à remettre de l’ordre dans l’offre du secondaire : une offre généreuse, de qualité, mais extraordinairement dispersée.

Ainsi, le nouveau bac que vous avez proposé permet 428 combinaisons, paraît-il.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. Je serais incapable d’en faire le compte par moi-même… Or il apparaît très clairement que 15 de ses 428 combinaisons représentent 80 % des effectifs des candidats au baccalauréat. En d’autres termes, une remise en ordre est nécessaire dans l’organisation de l’offre scolaire secondaire, évidemment chapeautée par le baccalauréat.

Monsieur le ministre, jusqu’où voudrez-vous aller en la matière ? Étant entendu que vos établissements sont divisés entre deux logiques : répondre à une offre réelle, celle des élèves, conseillés par leurs parents ou leur environnement, et assurer une couverture géographique de l’offre. Celle-ci avait peut-être atteint une dispersion trop grande, ce qui est la raison du coût de l’enseignement secondaire, mais une absence de couverture géographique risque de poser le problème de l’égalité des territoires.

La troisième raison pour laquelle nous soutenons votre budget est spectaculaire : c’est la reconquête de l’année scolaire. L’idée était simple et de bon sens, trop de journées étant perdues. Grâce à la réorganisation des examens, vous avez reconquis pour les lycées, en tout cas pour les élèves de seconde, et pour les collèges deux à trois semaines d’année scolaire selon les établissements, ce qui est une excellente mesure.

Par ailleurs, vous avez ouvert deux nouvelles formes de scolarisation.

D’abord, le dispositif Devoirs faits pour les collèges, une formule que, au sein de la commission, nous trouvons tous excellente. Elle pourrait même être systématisée, puisque, actuellement, seuls 28 % des élèves de collège acceptent le principe de Devoirs faits – soit deux heures de plus en moyenne dans l’établissement par semaine. Cette proportion est de 40 % en sixième, ce qui est intéressant. Elle atteint 44 % en éducation prioritaire, ce qui révèle une prise de conscience de la nécessité de s’appuyer sur l’école pour rattraper un éventuel retard. La généralisation est-elle possible ?

Ensuite, le dispositif Vacances apprenantes, une formule tout aussi excellente, permet de regagner des jours de formation sur les loisirs, qui sont nombreux – trop, même. Cela offre des chances supplémentaires de réussite à nos élèves – 1 million en ont déjà bénéficié. Quelles sont les perspectives en la matière ?

J’ajoute que nous soutenons l’affirmation de l’établissement et de son identité, avec le Conseil d’évaluation de l’école. Je ne peux malheureusement pas développer mon propos sur ce sujet, car je me rends compte que le temps s’égrène inexorablement.

Au service de cette politique, vous avez pris des mesures financières pour les revenus des enseignants. Je vous en félicite, car, autant le dispositif Parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR) favorisait un ordre établi non ouvert à ceux qui sont dans les situations les plus difficiles, autant les mesures catégorielles pour l’informatique et l’attractivité, ainsi naturellement que les heures supplémentaires, qui permettent de répondre à une offre, contribuent à ouvrir le système.

Je terminerai par une question simple. Notre évolution démographique est spectaculaire, même si elle paraît modeste quand on la considère d’année en année. Nous avons perdu 100 000 naissances entre 2010 et 2020. Sur quinze ans, cela fait 1,5 million d’élèves en moins. Monsieur le ministre, qu’allez-vous faire des moyens dégagés par cette diminution de notre natalité – regrettable, je le dis comme je le pense, car elle appauvrit notre pays.

Mes chers collègues, je vous rappelle que votre commission des finances a émis un avis favorable sur les crédits de cette mission, sous réserve d’un amendement relatif à l’enseignement agricole, malheureusement trop souvent oublié – mais c’est là une autre affaire… (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, trois minutes pour un budget de 76 milliards d’euros : je suis contraint d’être concis…

La mission « Enseignement scolaire » sera dotée, donc, de 76 milliards d’euros en 2021, soit une augmentation de 2,6 %, ce qui représente 1,9 milliard d’euros en plus par rapport à cette année. Cette hausse traduit les principales priorités du ministère : l’école inclusive et le premier degré.

Monsieur le ministre, je salue cet effort financier très important en cette période si singulière et difficile. Permettez-moi toutefois de souligner plusieurs points de vigilance.

Le premier concerne l’école inclusive : les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) ne doivent pas être oubliés dans les discussions actuelles sur la revalorisation salariale des personnels. Je souhaite également attirer votre attention sur le nombre insuffisant d’enseignants référents, chargés de mettre en œuvre et de faire vivre les projets personnalisés de scolarisation. Ces projets doivent être une réalité pour tous les élèves en situation de handicap, y compris ceux qui ne sont pas accompagnés par un AESH.

Le deuxième point de vigilance concerne la fermeture de classes du premier degré en milieu rural, qui ne peut se faire sans l’accord du maire. Plusieurs d’entre nous vous ont interpellé, ici même, à ce sujet en mars dernier. Vous nous avez entendus, et nous vous en remercions. Mais cette mesure, obtenue pour cette année, sera-t-elle reconduite l’année prochaine ?

Le troisième point de vigilance porte sur le second degré. Depuis le début du quinquennat, près de 4 500 équivalents temps plein ont été supprimés. Ces suppressions ont été compensées par des heures supplémentaires. Or le recours aux heures supplémentaires entre dans une phase très tendue, car nous sommes dans le pic démographique des enfants de la décennie 2000, désormais au collège et au lycée.

Il faut s’intéresser aux difficultés singulières de chaque établissement. Entre les enseignants à temps partiel et ceux dont l’état de santé ne leur permet pas de faire des heures supplémentaires, l’enveloppe des heures supplémentaires annualisées (HSA) porte souvent sur une petite moitié des enseignants de chaque discipline. En raison de cette concentration, il n’est pas rare qu’un chef d’établissement demande à un enseignant d’effectuer trois, voire quatre heures supplémentaires hebdomadaires. Le vivier sur lequel s’appuyer se réduit de plus en plus.

Je conclurai en évoquant la transmission des valeurs de la République, dans laquelle l’école, creuset de la Nation, doit prendre sa place – je sais, monsieur le ministre, que vous y êtes attaché.

Les professeurs ne sont pas assez formés à cette mission. Leurs formations initiale et continue doivent être renforcées et améliorées.

La transmission des valeurs républicaines engage collectivement et à long terme chaque établissement. À cet égard, la journée de la laïcité, le 9 décembre, doit être un temps fort d’unité dans nos établissements scolaires. L’enseignement de ces valeurs doit fédérer les équipes pédagogiques et l’ensemble des disciplines.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a émis un avis favorable sur les crédits de la mission « Enseignement scolaire ». (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)

Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’excellence de l’enseignement agricole et sa capacité d’insertion sociale et professionnelle sont reconnues par tous. Pourtant, les crédits du programme 143, « Enseignement technique agricole », ne sont pas à la hauteur des défis que doit relever l’agriculture.

Je pense à la nécessité de renforcer la résilience et la sécurité alimentaire, à la volonté de produire et transformer autrement. Il y a également urgence à former une nouvelle génération d’exploitants : 215 000 exploitants, soit 45 % de la population agricole, feront valoir leur droit à la retraite d’ici à 2026.

La situation de l’enseignement agricole, qui connaissait un lent déclin depuis quelques années, s’est brutalement dégradée cette année. De fait, il a été très fortement touché par la crise financière et économique de la covid-19 : les pertes sont estimées à plus de 45 millions d’euros… Je regrette qu’aucun amendement n’ait été déposé par le Gouvernement pour soutenir les établissements concernés, pourtant un tiers du total.

Cette crise a percuté de plein fouet un projet de budget construit autour d’un schéma de rationalisation des moyens datant de trois ans et qui ne laisse aucune marge de manœuvre, dans ce contexte unique, pour développer l’enseignement agricole.

Aujourd’hui, la situation est telle que – je pèse mes mots – la survie de l’enseignement agricole est en jeu.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis. Il est de plus en plus concurrencé par des formations de l’éducation nationale, tandis que la pression sur les équivalents temps plein (ETP) empêche tout dynamisme : pour ouvrir une nouvelle filière dans un établissement, il faut aujourd’hui en fermer une autre.

L’enseignement agricole perd 80 ETP cette année, et 110 supplémentaires devraient disparaître l’année prochaine, selon ce projet de loi de finances. Dans ces conditions, nous sommes certains que des suppressions de classes auront lieu dès la rentrée prochaine.

Autre conséquence directe des restrictions financières et humaines : la réforme du baccalauréat ne peut pas se déployer dans de bonnes conditions. Par manque de dotations horaires, les chefs d’établissement ne peuvent proposer qu’une doublette de spécialités en terminale ; ceux qui font le choix de proposer deux doublettes le font au détriment des options proposées. Cette situation est inacceptable : il y a rupture d’égalité de traitement entre lycéens !

Enfin, le budget 2021 ne répond pas aux problèmes que nous signalons depuis plusieurs années : la revalorisation des agents de catégorie 3 et le différentiel de traitement des assistants d’éducation.

L’enseignement agricole apparaît clairement comme le parent pauvre du ministère de l’agriculture, et aussi du ministère de l’éducation nationale.

Monsieur le ministre, si 6 millions d’euros ont été débloqués dans le quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020 pour soutenir les établissements en faillite imminente du fait de la covid-19, dans le même temps, 13 millions d’euros ont été annulés… L’enseignement agricole est donc l’un des rares secteurs ayant perdu des crédits en 2020.

Pour toutes ces raisons et pour tirer vigoureusement la sonnette d’alarme, la commission de la culture a émis, de façon unanime, un avis défavorable sur les crédits du programme 143. Des amendements d’abondement de crédits vont certainement être votés ; nous espérons que la chambre basse aura à cœur de conserver les nouvelles dotations, avec un avis favorable du Gouvernement ! (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Enseignement scolaire », comme malheureusement l’ensemble de ce projet de loi de finances pour 2021, prend bien peu en compte la crise sanitaire qui se prolonge en une crise économique et sociale très profonde.

En termes de moyens humains, par exemple, rappelons que les 2 039 postes supplémentaires budgétés pour le premier degré sont pour la plupart, comme il vient d’être rappelé, issus de la mobilisation du Sénat pour qu’aucune classe ne ferme en milieu rural sans l’accord du maire. Souvenons-nous aussi des batailles menées par certains d’entre nous pour empêcher des fermetures de classe décidées en plein confinement, au moment même où tout le monde s’inquiétait des possibles décrochages à venir.

Ces créations de postes demeurent insuffisantes, y compris au regard de vos propres objectifs. Par ailleurs, elles sont à mettre en parallèle avec la suppression de 900 postes de stagiaire. Enfin, elles se font détriment du secondaire, où 1 800 postes sont supprimés,…

Mme Céline Brulin. … en contradiction avec la réalité démographique et la nécessité d’un accompagnement renforcé pour faire face aux réformes qui bousculent profondément, en particulier, le lycée.

Au motif de compenser ces suppressions, vous industrialisez les heures supplémentaires, qui atteignent près de 10 % du temps d’enseignement ! Si, sur le papier, vu du ministère, cet allongement du temps de travail des enseignants semble fonctionner, la réalité est tout autre : plus de 12 millions de crédits d’heures n’ont pas été consommés en 2019, et des expériences toutes plus kafkaïennes les unes que les autres nous remontent des établissements, qui ne parviennent pas à les réaliser concrètement.

L’enseignement agricole, comme il a été signalé, est le parent le plus pauvre du secondaire, au point que la commission de la culture a émis un avis défavorable sur les crédits du programme correspondant. Établissements au bord de la faillite et suppressions de postes mettant en cause le devenir même de l’enseignement agricole : nous sonnons l’alerte ! Le nombre élevé d’amendements relatifs à l’enseignement agricole en témoigne, je crois.

Aux moyens nécessaires en termes d’enseignants je pourrais ajouter le soutien aux directeurs d’école, qui n’est pas du tout à la mesure des tâches qu’ils ont à réaliser dans le contexte actuel, ni des SOS qu’ils ont lancés avec force ces derniers temps – tout cela malgré vos annonces. Sans compter la situation des AESH, encore trop peu nombreux pour accompagner les enfants en situation de handicap.

Nous assistons, dans ce projet de loi de finances, à une explosion des recrutements hors titre 2. Ce phénomène affaiblit considérablement vos annonces en ce qui concerne l’école inclusive, pourtant présentée comme une priorité. La situation salariale et le statut de ces personnels demeurent, dans nombre de cas, indécents.

De même, les élèves scolarisés en classe ULIS (unité localisée pour l’inclusion scolaire) ne sont toujours pas comptabilisés dans les effectifs généraux dans toutes les académies. C’est inhumain au sens propre du terme ! C’est aussi profondément injuste, car cela ôte des moyens aux établissements, alors qu’il leur en faudrait, au contraire, davantage.

J’en viens au plan de revalorisation des enseignants, qui n’est absolument pas de nature à répondre à la crise de recrutement que nous traversons. Ainsi, alors qu’un professeur certifié, dont le temps de travail est estimé à 44 heures hebdomadaires, est payé environ 1 600 euros, croyez-vous réellement qu’une revalorisation qui va se résumer, pour les deux tiers des enseignants à une prime informatique de 150 euros par an va susciter de nouvelles vocations ?

Par ailleurs, pourquoi vous obstinez-vous à refuser de piocher dans les listes complémentaires aux concours pour faire face aux postes non pourvus dans certaines disciplines ou académies ? Nous disposons là de personnels motivés et disponibles, qui ont déjà un pied dans la formation !

Monsieur le ministre, je suis un peu stupéfaite que vous ayez choisi de faire des annonces très inquiétantes sur l’éducation prioritaire au moment où plus d’une centaine de maires, dans une très large diversité politique, alertent sur les risques de décrochage de certains de nos quartiers et sur la nécessité que le plan de relance accorde une attention toute particulière à ces quartiers – et plus qu’une attention : des moyens.

Oui, il y a besoin de remettre le chantier de l’éducation prioritaire sur la table, car trop de communes, d’élèves et de familles qui devraient en relever en sont exclus. Non, les difficultés sociales ne sont pas l’apanage des milieux urbains, mais ce chantier doit être guidé par la promesse républicaine d’égalité et l’affirmation de notre République sociale. Car défendre la République, c’est aussi refuser une République à la carte, où tout se contractualise et se négocie dans une concurrence d’autant plus redoutable qu’elle vise à se partager des moyens qui manquent.

Je terminerai en abordant la situation des collectivités territoriales. Les 100 millions d’euros qui leur sont affectés vont essentiellement répondre à l’instruction obligatoire à 3 ans et à son corollaire de compensations à accorder à l’enseignement privé. Ce montant ignore les efforts importants réalisés par les collectivités territoriales pour mettre en place les protocoles sanitaires. Je crois qu’il y aura là un vrai sujet dans les prochaines semaines, parce qu’il va falloir qu’elles continuent à mettre en œuvre ces protocoles.

À moins que nombre de nos amendements et de ceux de nos collègues ne soient adoptés, nous ne pourrons pas, malheureusement, voter les crédits de cette mission ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en temps normal, chacun sait que l’école est notre avenir. Après le confinement et l’assassinat de Samuel Paty, cette formule est aujourd’hui plus vraie que jamais.

La nécessaire mobilisation de la société autour de son école se manifeste dans le budget de l’État, dont elle constitue le premier poste de dépenses. Plus récemment, elle s’est également traduite par des mesures que nous soutenons : l’instruction obligatoire dès l’âge de 3 ans, l’obligation de formation des jeunes jusqu’à 18 ans et, bien sûr, le dédoublement des classes de CP et CE1 en REP et REP+. Sans oublier un socle élargi et affermi, que vous avez baptisé, monsieur le ministre, l’école de la confiance.

Un socle élargi et affermi, mais un socle perfectible. Je pense à l’éternel problème du zonage des REP et REP+ : certaines écoles, dites orphelines, en sont exclues, surtout en zone rurale, alors qu’elles devraient pouvoir bénéficier d’un accompagnement spécifique. Dans ces conditions, nous serons très attentifs à l’expérimentation de la suppression de la carte REP. Si l’idée est de rebattre les cartes pour coller au mieux aux besoins réels des établissements, nous ne pourrons que la soutenir.

Le socle de l’école de la confiance est aujourd’hui mis à mal par la situation sanitaire. C’est bien ce qu’ont prouvé les évaluations de cette année en CP et CE1 : elles ont mis en évidence un creusement de l’écart entre les élèves en éducation prioritaire et les autres. Le confinement a donc eu pour ces derniers un effet négatif ; il a, en quelque sorte, annulé les effets bénéfiques du dédoublement des classes.

La leçon est sans équivoque : si l’école de la République peut compenser un environnement sociologique défavorable, c’est à la condition qu’elle soit physiquement présente.

Ce qui ne signifie évidemment pas qu’il faille manquer le virage de l’école numérique. La création d’une dotation informatique de 150 euros par enseignant prouve d’ailleurs que le Gouvernement en a bien conscience.

Certes, 150 euros, cela peut paraître peu, mais le montant importe moins que le signal envoyé : celui d’une mutation du métier d’enseignant et de l’école tout entière.

Les grandes orientations tracées pour cette école de la confiance nous semblent donc aller dans le bon sens, à condition de ne pas négliger le secondaire. Nous comprenons bien que la priorité soit donnée au primaire, mais cela ne doit pas nous faire oublier que le niveau des élèves ne s’apprécie pas uniquement au travers du français et les mathématiques.

En tant que présidente de la délégation sénatoriale aux droits des femmes, j’aimerais mettre l’accent sur une problématique spécifique au secondaire : les cours d’éducation sexuelle. Le code de l’éducation prévoit que les élèves doivent avoir trois rendez-vous sur ce thème au cours de leur scolarité. Monsieur le ministre, est-ce effectivement le cas ? La loi sur les cours d’éducation sexuelle est-elle respectée sur tout le territoire de la République ? En réalité, je n’attends pas la réponse : elle ne fait aucun doute… Comptez sur l’implication de notre délégation, en liaison avec votre ministère, pour que cette éducation devienne effective partout : c’est un enjeu d’égalité !

En miroir de l’école de la confiance se construit aussi une école de l’inclusion, ce qui soulève toute la problématique des AESH. Plus de postes, c’est bien, mais une approche du sujet exclusivement quantitative n’est pas satisfaisante. D’un point de vue qualitatif, il faut se poser la question de la formation et de l’attractivité du métier.

S’agissant de la qualification, nous ne pouvons que saluer la mise en place d’une véritable formation ad hoc, mais celle-ci demeure incomplète. Par exemple, les AESH ne sont pas formés, ou peu, aux enfants atteints de surdité.

En ce qui concerne l’attractivité, il faut rappeler que la rémunération des AESH est très faible, de l’ordre de 600 à 800 euros par mois. À cet égard, gare aux fausses bonnes idées : on ne rendra pas plus attractif ce métier en encourageant les AESH à accompagner plusieurs enfants en même temps, sans prendre en compte les difficultés de mobilité.

L’école de l’inclusion est donc encore perfectible.

Je terminerai en évoquant l’enseignement technique agricole. Que dire, monsieur le ministre, si ce n’est que le constat est amer ? L’enseignement technique agricole ne représente que 2 % des crédits de la mission « Enseignement scolaire ».

Amer, le constat l’est d’autant plus que le gouvernement auquel vous appartenez n’a eu de cesse de valoriser les agriculteurs, leur fonction nourricière de la Nation et leur rôle déterminant dans la crise sanitaire que nous traversons. Or la crise de la covid a particulièrement affecté l’enseignement agricole et pose désormais la question de sa survie.

Menaces de fermetures de classe, impossibilité d’ouvrir de nouvelles filières sans en fermer d’autres, mise en œuvre complexe de la réforme du baccalauréat, fortes difficultés financières d’un tiers des établissements : la situation est d’autant plus grave que ces établissements accompagnent souvent des enfants en difficulté.

Force est de constater que les élèves de l’enseignement agricole sont les laissés-pour-compte de ce budget. Ils représentent pourtant l’avenir de l’agriculture ; à ce titre, ils doivent pouvoir être formés aux nouveaux enjeux technologiques et environnementaux, afin que notre agriculture reste l’une des meilleures du monde.

Comme l’a souligné la rapporteure pour avis, Nathalie Delattre, que je salue pour la qualité de son travail,…