Mme le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Monique Lubin. Madame la ministre, j’ai trouvé revigorants vos propos sur l’insertion par l’activité économique. Je dois dire qu’ils m’ont un peu surprise, parce qu’ils ne correspondent pas vraiment à ce que nous avions entendu jusqu’à maintenant. En effet, je me souviens que, au début du quinquennat, on nous expliquait, pour justifier leur suppression, que les contrats aidés, qui constituent eux aussi une forme d’IAE, ne servaient à rien. J’apprécie donc ce nouveau discours sur l’insertion par l’activité économique.

Nous sommes d’accord avec un certain nombre de dispositions du texte relatives à l’IAE. Nous nous abstiendrons sur d’autres.

J’en viens à l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », objet essentiel de cette proposition de loi. Ce dispositif est d’abord le fruit de la rencontre entre une initiative d’une structure particulièrement performante en matière de lutte contre la pauvreté, ATD Quart Monde, et d’une volonté politique, incarnée par deux députés, Laurent Grandguillaume et Dominique Potier. L’objectif était de redonner aux personnes les plus éloignées de l’emploi un travail, en leur confiant des tâches d’intérêt général, ne relevant pas en tout état de cause du secteur marchand et concurrentiel, et, surtout, une dignité et une place dans la société.

Contrairement à notre collègue Laurence Cohen, nous accueillons favorablement cette proposition de loi, car elle réinstaure davantage d’humanité dans l’action publique, au rebours de ce à quoi ce gouvernement nous a habitués depuis trois ans avec son antienne de la « start-up nation » et des « premiers de cordée », bien éloignée des réalités de la vie de millions de Français laissés sur le bord de la route de l’emploi.

Nous pensons pour notre part que l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » s’articule parfaitement avec d’autres composantes de l’insertion par l’activité économique. C’est peut-être là une de nos divergences, madame la rapporteure. Nous pensons même qu’elle peut s’inscrire dans la continuité de ce que font les acteurs de l’IAE, dans la mesure où elle ne vise pas simplement à une insertion de courte durée : elle peut aussi déboucher sur de véritables créations d’emplois à valeur ajoutée – non pas marchande, mais sociale – très importante.

En revanche, nous souhaitons des moyens supplémentaires pour les comités locaux, de manière qu’ils puissent, dès le début de leur action, recruter suffisamment de personnes pour la mener à bien.

Nous souhaitons aussi que le nombre des territoires concernés par l’expérimentation ne soit pas figé. Nous vous avons entendue sur ce point, madame la ministre. Nous écouterons avec beaucoup d’attention ce que vous nous proposerez. Nous savons que plus de 120 territoires sont prêts à rejoindre dès aujourd’hui l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ». Dès lors, pourquoi les en priver ?

Surtout, nous demandons que l’on fasse confiance aux acteurs de terrain. Laurent Grandguillaume nous a dit que jamais aucun projet n’avait été soumis à autant d’évaluations en si peu de temps. Cela me paraît particulièrement révélateur. Qu’un nouveau dispositif tel que celui-ci fasse l’objet d’évaluations ne me choque pas, mais il est un peu étonnant qu’elles soient beaucoup plus nombreuses que pour certains dispositifs d’allégements fiscaux qui auraient mérité la même attention et qui ne produisent certainement pas les effets attendus.

Nous souhaitons enfin que l’on fasse confiance à la connaissance des territoires qu’ont les acteurs du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée ». C’est la raison pour laquelle nous n’approuvons pas tous les dispositifs de contrôle en amont ou en aval que vous avez prévus, madame la rapporteure : ils nous semblent disqualifier les acteurs du territoire, en qui, pour notre part, nous avons parfaitement confiance, parce qu’ils connaissent parfaitement leur travail.

En conclusion, nous sommes favorables à l’expérimentation en elle-même, mais nous attendons la suite des débats pour déterminer notre vote final. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, il nous est proposé aujourd’hui de prolonger la durée et le périmètre de l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ».

Le chômage est une véritable calamité pour notre pays : endémique depuis des décennies, il a été accentué, ces derniers mois, par un confinement forcé qui n’en finit toujours pas pour certaines professions, notamment pour les restaurateurs et cafetiers des Bouches-du-Rhône.

Les catastrophiques décisions gouvernementales ne vont faire qu’ajouter la crise économique à la crise sanitaire. Quand des millions de Français auront plongé dans la pauvreté, croyez-vous que notre système de santé en sera renforcé ? Allez regarder ce qui se passe dans les pays pauvres ! Allez voir comment la population y est soignée ! Protéger l’économie et les emplois, mesdames les ministres, c’est protéger nos hôpitaux, donc sauver des vies.

Ce sont évidemment les déclassés et les plus fragiles de notre société qui font les frais de la situation actuelle. Un salarié en insertion sur cinq a vu son contrat prendre fin pendant le confinement. Il est donc primordial, en parallèle du plan de relance et des lois de finances pour 2021, de parler d’inclusion et d’honorer le troisième terme de notre devise nationale : la fraternité.

Le dispositif que vous nous proposez n’a de sens que si l’on applique la priorité nationale. La proposition de loi omet volontairement cette dimension de l’accès à l’emploi pour les Français d’abord. Il ne s’agit pourtant que de solidarité nationale, et donc de justice sociale. Occupons-nous des nôtres d’abord ! Nous n’allons pas prendre à notre charge toute la misère du monde quand 10 millions de Français survivent désormais au-dessous du seuil de pauvreté et 6 millions, dans la réalité, sont au chômage.

Je vous le dis, mes chers collègues, pas un seul étranger de plus ne doit être mis à notre charge tant qu’un seul de nos compatriotes sera dans la pauvreté ! (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.) Occupons-nous des Français honnêtes et travailleurs, laissés pour compte de la mondialisation sauvage et de la concurrence déloyale !

Ce n’est évidemment pas la direction que prend le Gouvernement, puisque Marlène Schiappa propose d’accorder prioritairement un emploi aux « choufs », c’est-à-dire aux guetteurs des réseaux de trafic de drogue. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) Après la préférence donnée aux étrangers pour l’emploi via la discrimination positive, voilà la priorité aux crapules… Il s’agit là sans doute de la nouvelle méritocratie républicaine en marche ! (Exclamations et huées sur les travées des groupes CRCE et SER.)

On ne peut qu’encourager le recours aux dispositifs favorisant le retour à l’emploi, surtout dans les zones désindustrialisées. Néanmoins, votre dispositif paraît, sous certains aspects, tenir plus du maquillage des chiffres du chômage que d’une politique volontariste de retour à l’emploi. La durée des contrats d’insertion passant de vingt-quatre à soixante mois et celle des contrats à durée déterminée d’usage à plus de cinq ans sont deux points qui m’inquiètent. De nombreux travailleurs vont se trouver précarisés. Or, depuis la crise sanitaire, on voit que les intérimaires, les salariés modestes, tous ces travailleurs qui ont souvent été en première ligne pendant le confinement se retrouvent à la limite de la pauvreté.

Il n’y aura plus de chômage de longue durée quand nous aurons recouvré notre souveraineté économique et migratoire pour relocaliser, nous protéger et nous libérer. Vous parlez d’inclusion, mais la mondialisation, c’est la loi du moins cher et du plus fort ; c’est la loi de l’exclusion !

Ces remarques étant faites, je partage évidemment l’impératif de retour à l’emploi des chômeurs de longue durée et voterai en faveur de ce texte, malgré ses imperfections.

Mme le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le consensus parlementaire sur le dispositif d’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » et d’inclusion dans l’emploi par l’activité économique s’explique par un constat partagé : le chômage est une injustice sociale et un fléau national, que la puissance publique doit combattre activement, sans jamais tomber dans le fatalisme, car la priorité des priorités est la politique de l’emploi.

Loin des envolées lyriques ou des caricatures méprisantes qui voudraient qu’il suffise de traverser la rue pour trouver du travail, cette expérimentation destinée à la recherche d’emploi est pragmatique. Elle repense l’action publique au service des chômeurs de longue durée.

Cette approche est fondamentale. Le rapport sénatorial sur les chiffres du chômage l’a démontré : plus il y a de chômeurs de longue durée, plus il est difficile de faire baisser le chômage durablement ; plus une personne reste éloignée du marché du travail, moins elle a de chances de retrouver un emploi.

Entre bénéfice social et équation financière, ce dispositif met en lumière l’échec de la logique de compensation sociale du chômage de longue durée par des aides de toutes sortes, financées par une fiscalité sur le travail toujours plus pesante, sans succès pour l’emploi.

A priori, le dispositif ne devrait pas coûter très cher, puisque l’État économise autant en prestations sociales et en coûts indirects supportés par la solidarité nationale. Il répond surtout à un objectif concret : redonner une chance, une dignité, un élan économique et social à une personne durablement éloignée de l’emploi.

Si jamais un désaccord se fait jour au Parlement, c’est évidemment sur le périmètre, puisque tous les territoires volontaires ne peuvent bénéficier du dispositif. Devant ce numerus clausus, vous avez déclaré, madame la ministre, que, d’ici à deux ou trois ans, il serait possible de rediscuter du seuil. Sachez que, dans mon département, la communauté d’agglomération du pays de Grasse et la métropole Nice-Côte d’Azur sont volontaires. Cette expérimentation serait la bienvenue dans les Alpes-Maritimes, tant pour les élus que pour les entreprises et la population.

Par ailleurs, si l’heure est au contrôle et à l’évaluation, nous ne pouvons pas écarter d’un revers de main les critiques de plusieurs rapports, qui soulignent des carences budgétaires et une réalité éloignée de la théorie. C’est la raison pour laquelle je veux rendre hommage au travail pragmatique de Mme le rapporteur, qui, au travers des auditions qu’elle a menées et des déplacements qu’elle a effectués, a cherché à adapter au mieux ce dispositif sur les territoires.

Dès lors, je pense qu’une évaluation parlementaire via une mission d’information serait opportune, afin de pouvoir rendre le dispositif toujours plus efficient, même si, d’un point de vue budgétaire, après trois lois de finances rectificatives et un plan de relance, le Gouvernement a décidé de faire sauter tous les compteurs, au nom du fameux « quoi qu’il en coûte ».

Plusieurs réformes antérieures ont été lourdement critiquées pour leur coût. Je pense notamment au CICE. Cependant, l’effondrement économique et social est un péril beaucoup plus grave et imminent, pour les Français, que la dette. Au regard de l’ampleur de la crise, il faudra certainement aller plus loin, plus vite, et encourager la généralisation du dispositif à l’échelle nationale.

Le président de la région des Hauts-de-France l’a dit : « nous l’avons expérimenté, et ça marche ». Pourquoi ne pas aller, demain, vers une régionalisation du dispositif, là où il a été expérimenté avec succès ?

Cela signifie que la période de contrôle et d’évaluation devra être resserrée, car, je vous le rappelle, entre l’annonce de l’extension du dispositif, érigée en priorité dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté présenté en septembre 2018 et le vote d’aujourd’hui, il se sera tout de même écoulé plus de deux ans. De nouveaux territoires sont prêts pour l’expérimentation, et les collectivités locales volontaires sont les mieux placées pour raccourcir le chemin vers l’emploi, ajuster les mesures et témoigner des besoins sur le terrain.

Une telle généralisation, qui est une demande fondée, sera la reconnaissance par l’État de l’implication des collectivités locales sur le front de l’emploi. Elle ne devra pas trop tarder, au risque d’éteindre les énergies dans les territoires.

Enfin, alors que l’Assemblée nationale a commencé l’examen des crédits du plan de relance, la discussion de ce texte est aussi l’occasion de rappeler que c’est avant tout par le travail que la France remboursera ses dettes et retrouvera le chemin de la croissance.

Bien évidemment, le groupe Les Républicains suivra les propositions et la position de Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Michelle Meunier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Michelle Meunier. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi est porteuse d’espoir et attendue par toutes celles et tous ceux qui œuvrent à faire de l’inclusion une réalité, afin que toute personne en capacité de se rendre utile à la vie de la cité puisse être accueillie et accompagnée dans ses aspirations.

Cette proposition de loi rime avec « enfin ! » pour les territoires engagés sur le chemin de la labellisation. En effet, pour les dix territoires bénéficiaires de l’expérimentation, la première loi a permis de vérifier la robustesse d’un modèle audacieux, viable et à visage humain.

Permettez-moi d’ancrer mon propos dans la réalité de mon territoire. Depuis 2016, la commune de Pontchâteau, en Loire-Atlantique, est engagée dans la démarche. À l’époque, j’avais assisté à l’une des premières réunions du comité local pour l’emploi. Comme vous le savez, ce comité réunit en même temps les porteurs locaux du projet et les futurs bénéficiaires, dans un dialogue constructif et bienveillant. Tous œuvrent avec les mêmes préoccupations, en ayant à l’esprit les particularismes territoriaux, en vue de créer une entreprise à but d’emploi et de l’activité.

De ce comité local se dégage une énergie forte et transpartisane, soutenue par l’envie d’essayer ce qui ne l’a pas encore été. Depuis son lancement, le comité local a travaillé, réfléchi, défini son périmètre de mission. Les femmes et les hommes qui le constituent, que j’ai de nouveau rencontrés voilà quelques semaines, ont gardé cette envie. Aujourd’hui, les énergies sont décuplées par la perspective de l’extension de l’expérimentation.

Pour autant, j’ai aussi entendu exprimer quelques inquiétudes, inspirées légitimement par le travail parlementaire. En première lecture, l’Assemblée nationale a voté un texte fortement empreint de l’esprit de la loi adoptée sous le quinquennat précédent, fixant même le nombre des nouveaux territoires concernés par l’expérimentation à cinquante, en plus des dix déjà engagés, alors que la proposition de loi initiale n’en prévoyait que trente. En revanche, l’examen par la commission des affaires sociales du Sénat a introduit des zones d’ombre. Mme la rapporteure et la droite sénatoriale ont posé des principes qui remettent en cause l’autonomie et la confiance accordées aux territoires candidats ; je le regrette. Ainsi, la mise sous tutelle du service public de l’emploi pour le choix des futurs salariés de l’entreprise n’est pas conforme à l’esprit initial du texte. Le Sénat, représentant des territoires, devra donc, au cours du débat, redonner toute latitude à l’échelon local.

Au travers de cette esquisse en demi-teinte du texte issu des travaux de la commission des affaires sociales, il apparaît que la majorité sénatoriale persiste dans sa vision négative, voire punitive, des demandeurs d’emploi. Là où nous voulons tout essayer, quitte à bousculer les approches, vous préférez, mes chers collègues, surcontrôler, encadrer et, finalement, freiner les énergies des chômeurs et des chômeuses. Avez-vous oublié que, à terme, dans ces entreprises à but d’emploi, il y aura des femmes et des hommes aux parcours de vie marqués, hachés, empêchés par un handicap ou des obstacles indépendants de leur volonté ?

Samedi 17 octobre 2020, journée mondiale du refus de la misère, alors même que la Banque mondiale prévoit que la pauvreté s’intensifiera du fait de la crise sanitaire, le Gouvernement présentera une énième version de sa stratégie de lutte contre la pauvreté, et les spécialistes s’accordent à n’y voir que des ajustements mineurs.

Ne ratons donc pas ce rendez-vous et amendons cette proposition de loi selon son esprit initial. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Antoine Lefèvre. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord adresser mes plus vives félicitations à ma collègue Pascale Gruny, qui assure sa première présidence de séance en sa nouvelle qualité de vice-président du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Fine connaisseuse de notre maison, elle saura faire montre de ses qualités de modératrice pour animer et pondérer les débats dans notre hémicycle. Je lui adresse tous mes vœux de réussite et d’épanouissement dans ses nouvelles fonctions !

Les différentes observations sur la conjoncture économique et la situation actuelle de l’emploi font froid dans le dos. D’après de récentes prévisions de l’Unédic, pas moins de 900 000 emplois sont appelés à être détruits sur l’ensemble de l’année 2020 en France. La pandémie est venue considérablement aggraver le problème du chômage de longue durée, symbolisé par le dépassement, cette année, de la barre des 4 millions de chômeurs relevant de la catégorie A.

Selon une étude réalisée en 2015 par l’association ATD Quart Monde, le chômage coûte à l’État 43 milliards d’euros chaque année, dont 15 milliards d’euros de manque à gagner en impôts et en cotisations sociales. Outre son coût, le chômage agit comme un catalyseur de disparités et un facteur d’aggravation de la fracture sociale et de la pauvreté. Il crée de la frustration et un sentiment d’injustice, tant chez de jeunes demandeurs d’emploi confrontés à un marché du travail saturé que chez des candidats à l’emploi seniors, en situation de handicap ou à faible qualification.

L’Aisne, mon département, souffrait au premier trimestre de 2020 d’un taux de chômage de 11 %, très nettement supérieur à la moyenne nationale. Quatre de ses zones d’emploi figurent parmi les trente le plus durement touchées par le chômage dans notre pays. On y compte 13 000 bénéficiaires du RSA, dont environ la moitié retournent chaque mois à l’emploi.

En tant que président de la maison de l’emploi et de la formation de Laon, je suis sensible à cette problématique particulièrement importante. C’est donc avec joie que j’accueillerai l’extension du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée ». En effet, quoi de plus volontariste qu’une politique publique ayant fait ses preuves et visant à opérer un transfert des coûts du chômage, qui relèvent des dépenses passives, vers des dépenses actives d’investissement dans le retour à l’emploi ?

La flexibilité introduite dans le dispositif, s’agissant notamment de la suppression de l’agrément obligatoire par Pôle emploi, est bienvenue pour fluidifier les procédures d’embauche dans les entreprises à but d’emploi et responsabiliser les travailleurs. Une action concertée entre les services publics de l’emploi, les entreprises à but d’emploi du secteur de l’économie sociale et solidaire et le département permettra non seulement aux publics les plus précarisés de remettre le pied à l’étrier, mais aussi, dans une perspective plus large, de recréer une dynamique de cohésion et de renforcer le lien entre citoyens et institutions.

Je me dois cependant d’émettre quelques réserves sur certains volets du texte. Par bien des aspects, celui-ci révèle que, en dépit de ses promesses renouvelées de décentralisation, le Gouvernement semble avoir bien du mal à lâcher la bride et à accorder véritablement aux collectivités territoriales la marge de manœuvre qu’elles demandent.

Cela fait trois ans que l’on nous parle d’accélérer la décentralisation, que l’on nous dit que la gouvernance des politiques publiques peut et doit véritablement passer par l’échelon local, afin d’en augmenter l’efficacité et la plus-value pour nos citoyens. Restreindre l’extension de l’expérimentation du dispositif à cinquante nouveaux territoires ne porte d’autre message que celui d’une frilosité au regard de la lettre du projet. Si les résultats des essais effectués dans dix premiers départements ont été concluants, pourquoi ne pas repousser encore la limite afin de permettre au dispositif de faire ses preuves sur l’ensemble des territoires de la République dans les cinq prochaines années ?

Quant à la réintégration annoncée du préfet dans le comité de pilotage, elle s’apparente à un rétropédalage au regard de l’autonomisation des collectivités. Les comités locaux pour l’emploi et l’Assemblée des départements de France l’ont dit : au niveau local, la demande est forte de pouvoir mettre en œuvre en toute liberté des projets locaux pour l’emploi, sans que la main centralisatrice de l’État intervienne systématiquement.

Par ailleurs, il est primordial que nous prêtions aujourd’hui la plus grande attention à ce que le financement du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée » ne se solde pas purement et simplement par l’ajout d’une nouvelle charge publique relevant de la seule responsabilité des départements. Sur la base du rapport établi par la commission, seuls 26 % des salariés embauchés dans les entreprises à but d’emploi percevaient antérieurement une allocation du type du RSA. Ainsi, contraindre les départements à financer l’intégralité des emplois créés grâce au dispositif reviendrait, ni plus ni moins, à tirer sur l’ambulance.

Je veux également alerter les défenseurs du projet sur les tensions qui affectent déjà le budget de nombreux départements. Dans l’Aisne, le coût du chômage atteint 114 millions d’euros : plus de 71 % des dépenses de fonctionnement sont dédiées au seul financement des minima sociaux. Eu égard à la diminution des subventions de l’État, solliciter une nouvelle contribution en faveur des politiques de l’emploi semblerait donc peu raisonnable, voire malvenu, et ne ferait que créer une macrocéphalie de ce poste de dépense, au préjudice des autres domaines de l’action publique locale.

Une disposition de sagesse serait de rendre dégressive la participation financière des départements, dans une mesure inverse à leur taux de chômage ou, dans l’absolu, au volume financier qu’ils allouent déjà à l’aide sociale. L’accent mériterait en outre d’être mis sur le rôle et la participation des intercommunalités, dans la mesure où celles-ci assument déjà la compétence emploi et développement économique.

En somme, l’arbitrage que nous devrons rendre pour ce dispositif devra permettre de trouver un juste équilibre entre le risque d’un désengagement public du financement du chômage et l’accumulation des coûts liés à la lutte contre la pauvreté.

Enfin, il faudra veiller tout particulièrement à ce que la mise en œuvre du dispositif n’impose pas une concurrence malvenue aux divers organismes déjà déployés dans les territoires et actifs dans la politique de l’emploi. Ainsi, pour ce qui concerne le contrat passerelle, il semble nécessaire de rappeler qu’un certain nombre de dispositifs existants, tels les groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification, les GEIQ, ou les périodes de mise en situation en milieu professionnel, ont déjà fait leurs preuves. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2018, 70 % des contrats conclus dans le cadre des GEIQ avaient conduit à l’obtention d’un emploi et près de 60 % à l’obtention d’un emploi durable. Il est donc nécessaire que la mise en œuvre de ce dispositif aille encore plus loin dans la logique de responsabilisation des demandeurs d’emploi. Élever le niveau et la qualité des formations proposées et en diversifier l’offre seront des moyens renforcés pour maintenir les jeunes dans les territoires, raviver l’attractivité et le dynamisme de ceux-ci et former de la main-d’œuvre spécialisée et qualifiée pour de potentiels futurs bassins d’emploi.

À un contexte économique et socioprofessionnel tendu, il est urgent de répondre par des projets d’action sociale ambitieux. Si le projet « territoires zéro chômeur de longue durée » semble sur la bonne voie, il reste encore à lui accorder les moyens financiers et techniques nécessaires pour lui donner toutes les chances de réussir, afin de pouvoir enfin déployer, à terme, une politique sociale digne de ce nom. À ce titre, je suivrai la position de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre. Je me réjouis du très large soutien apporté, sur vos travées, à la proposition de loi.

Madame Doineau, il ne s’agit pas, effectivement, d’un outil de lutte contre le chômage de masse. Pour autant, la lutte contre le chômage est bien au cœur de l’action du Gouvernement. Avant la crise, je le rappelle, le chômage avait atteint son plus bas niveau depuis dix ans. Depuis le début de la crise, le Gouvernement est mobilisé pour protéger les emplois, les entreprises et les salariés. Tel est le sens des trois projets de loi de finances rectificative, qui ont permis d’engager 470 milliards d’euros, ainsi que du plan de relance de 100 milliards d’euros pour soutenir notre économie et nos emplois, qui est examiné actuellement par l’Assemblée nationale et sur lequel vous serez également amenés à vous prononcer.

Aujourd’hui, au travers de l’élaboration du présent texte, il s’agit d’effectuer un travail de dentelière en vue d’apporter dans les territoires des solutions aux personnes les plus éloignées de l’emploi, afin qu’elles puissent retrouver le chemin de l’emploi et, partant, s’insérer dans notre société.

Je confirme à M. le président Requier que, comme je m’y suis engagée à l’Assemblée nationale, nous veillerons à ce qu’aucun territoire candidat à l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » ne reste sur le bord de la route. J’aurais souhaité pouvoir vous présenter l’amendement permettant de tenir cet engagement et de ne pas limiter le bénéfice du dispositif aux soixante territoires prévus à l’heure actuelle. Malheureusement, certaines mises au point techniques sont encore nécessaires. Quoi qu’il en soit, d’ici à la tenue de la commission mixte paritaire, je poursuivrai le travail avec les rapporteurs des deux assemblées afin de faire en sorte qu’aucun territoire prêt à rejoindre le dispositif ne soit laissé sur le bord de la route. Je confirme cet engagement de manière très ferme.

Je regrette que le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires n’entende pas voter cette proposition de loi, pour des raisons que je n’ai pas bien comprises. Je regrette également que le groupe CRCE ait lui aussi annoncé ne pas vouloir la voter. Elle me semble pourtant plus utile que jamais pour permettre aux personnes les plus éloignées de l’emploi de trouver une réponse à leur situation dans le contexte très difficile que nous connaissons.

Je ne peux pas laisser dire que nous ne consacrerions que 200 millions d’euros aux personnes les plus fragiles. Je le rappelle, les 470 milliards d’euros que j’ai mentionnés ont pour objet de soutenir les entreprises et l’emploi. Selon moi, la meilleure réponse à la crise est de permettre aux Français de rester dans l’emploi. À cet égard, 30 milliards d’euros ont été prévus en 2020 pour soutenir l’activité partielle, qui permet d’éviter les destructions d’emplois que nous avons pu connaître après la crise de 2008–2009. Au plus fort de la crise sanitaire, la rémunération de près de 9 millions de salariés a été prise en charge par l’État. Les 22 milliards d’euros d’ores et déjà engagés ont permis aux entreprises de garder des emplois, mais aussi de former des salariés. Les 7,6 milliards d’euros prévus dans le budget pour 2021 en faveur de l’activité partielle et de l’activité partielle de longue durée permettront également aux entreprises de garder leurs salariés et de les former pour maintenir les compétences, malgré la crise. Nos entreprises seront ainsi plus fortes et pourront rebondir au sortir de la crise. Plus de 1 600 entreprises ont déjà signé des accords d’activité partielle de longue durée. Ainsi, plus de 120 000 emplois sont protégés. Je me réjouis de la signature par Airbus, hier, d’un accord permettant d’éviter des licenciements, ce qui n’était pas gagné compte tenu de la situation actuelle du secteur aéronautique.