compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Victorin Lurel,

M. Michel Raison.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions de contrôle au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions de contrôle au Gouvernement.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, si nous mesurons la gravité de la situation, qui justifie les mesures exceptionnelles adoptées ces derniers jours et que nous soutenons, le Sénat a le devoir d’accomplir de manière adaptée sa mission constitutionnelle de contrôle de l’action du Gouvernement. Nous devons assurer la continuité de la vie démocratique de notre pays. Une autre séance de questions se tiendra la semaine prochaine.

Je voudrais rappeler à nos compatriotes qui suivent nos débats l’importance du respect des mesures de confinement telles que demandées par le Gouvernement et qui sont fixées par la loi d’urgence sanitaire. À leur attention, je précise que nous siégeons en effectif restreint adapté aux contraintes sanitaires, en accord avec les présidents des groupes politiques, que je salue et remercie.

Avant de laisser la parole aux auteurs des questions, je voudrais vous faire part des suites données à nos débats de la semaine dernière sur le projet de loi d’urgence et sur le projet de loi de finances rectificative.

Je vous ai adressé deux lettres, monsieur le Premier ministre, pour rappeler les engagements pris par le Gouvernement devant notre assemblée. Je souhaite en indiquer la teneur à nos collègues.

La première rappelle que l’adoption sans modification du projet de loi de finances rectificative est, à la fois, une marque de confiance et d’exigence.

Il reviendra au Gouvernement de travailler à l’élaboration d’une mesure simple, lisible, efficace pour soutenir la rémunération des salariés et des indépendants qui travaillent dans des conditions délicates et assurent la continuité de la vie économique. C’est pour nous, aussi, essentiel.

Il faudra informer le Parlement, de manière précise et régulière, sur le déploiement des mesures de soutien à l’activité économique, ainsi que sur l’impact de la crise sur l’hôpital public et les collectivités locales.

Le second courrier souligne l’engagement pris par le Gouvernement, dimanche, en séance publique – par votre voix, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement –, d’informer mensuellement les commissions permanentes du Sénat des mesures prises en application de la loi d’urgence destinée à faire face à l’épidémie de Covid-19.

Cette information porte sur trois points : les actes pris par l’exécutif et ses représentants locaux dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ; les dispositions envisagées par le Gouvernement dans les ordonnances et leurs décrets d’application – à ce titre, je note avec satisfaction que nous avons reçu dès hier soir, de Matignon, une fiche sur les vingt-cinq ordonnances présentées ce matin en conseil des ministres ; les mesures prises pour assurer la continuité du fonctionnement des assemblées délibérantes locales et les modalités d’organisation du second tour des élections municipales.

Le Sénat entend accomplir la plénitude des missions confiées à ses soins par la Constitution, dans le respect des contraintes que nous impose la situation sanitaire et dans un juste équilibre entre ces contraintes et l’exigence démocratique. Je sais pouvoir compter sur vous, monsieur le Premier ministre, pour établir entre nous une collaboration confiante, et le Gouvernement sait pouvoir compter sur le Sénat.

Je souhaite également qu’une attention toute particulière soit portée à nos compatriotes des outre-mer et aux Français établis hors de France. Nous recevons de nombreux messages de leur part, et il est essentiel pour nous, qui les représentons aussi, de porter ces messages.

Ayez la garantie, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, que nous ferons nôtre la priorité sanitaire.

Notre séance de questions est, comme à l’accoutumée, retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

efficacité des mesures de protection et traitement des français

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour le groupe Les Républicains.

M. René-Paul Savary. Dans ce contexte très particulier, il me revient l’honneur de poser la première question, qui s’adresse bien évidemment à M. le Premier ministre. Au préalable, je veux rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui sont au front, en première ligne, comme à celles et à ceux qui, en arrière-ligne, rendent service à nos concitoyens. Au nom de mon groupe, je tiens également à rendre un hommage tout particulier à mes confrères médecins décédés au champ d’honneur.

Monsieur le Premier ministre, l’incompréhension des Français devient de plus en plus manifeste dans l’ensemble des territoires, et c’est une information que je veux vous faire remonter. Les titres de la presse locale sont clairs : « La crise des masques », lisait-on hier ; « L’état d’urgence dans les maisons de retraite », peut-on lire aujourd’hui… Je voudrais donc vous poser quelques questions, qui s’adressent aussi, bien sûr, au ministre des solidarités et de la santé, concernant l’état sanitaire du pays.

Premièrement, où en sommes-nous s’agissant des masques livrés – je parle bien des masques déjà disponibles, et non des masques commandés ?

Deuxièmement, qu’en est-il des traitements ? Si certains permettent de réduire la charge virale, peut-être vaut-il mieux les prescrire en début plutôt qu’en fin d’épidémie.

Troisièmement, quelles mesures seront prises en matière d’articulation entre les secteurs public et privé ? En clinique, il n’y a plus de consultation de spécialistes ; les lits sont vides, alors que le secteur public est surchargé.

Quatrièmement, quelles mesures comptez-vous prendre pour anticiper la fin du confinement, notamment en ce qui concerne les tests ?

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Je vous remercie pour cette question, monsieur le sénateur Savary, qui me permet de dresser un bilan à date des moyens mis à disposition des soignants, qui sauvent des vies, dans les hôpitaux et en ville, sur tout le territoire national, en particulier dans les régions sous tension.

Tout d’abord, la rumeur sur la participation des hôpitaux privés est inexacte. L’ensemble des hôpitaux, qu’ils soient publics ou privés, se sont vu intimer la consigne très stricte d’arrêter toute activité programmée depuis plusieurs semaines déjà et de libérer toutes les places en soins intensifs et en réanimation. (M. René-Paul Savary se montre sceptique.)

J’ai appelé moi-même les directeurs des cliniques de la région Grand Est, monsieur Savary,…

M. Bruno Retailleau. Nous aussi !

M. Olivier Véran, ministre. … et mon cabinet s’en est assuré. À ce stade, les lits disponibles dans les établissements privés – on en trouve aussi dans le secteur public – sont ceux qui sont destinés à accueillir des malades non atteints par le Covid-19.

Les cliniques participent donc entièrement à l’offre de soins. Elles sont totalement mobilisées, et je les en remercie d’ailleurs. Tout le monde est bien sur le pont, c’est important de le dire.

Par ailleurs, j’ai annoncé que 70 millions de masques avaient été déstockés depuis la fin du mois de février, date du début de l’épidémie, et que 20 millions de masques supplémentaires étaient déstockés cette semaine, à destination des établissements de santé et des Ehpad, notamment dans les régions où le virus circule le plus.

Je n’ai pas caché la situation. La consommation de masques est encore plus massive du fait des caractéristiques du virus. Dans les territoires et hôpitaux dans lesquels il circule, il est fondamental de protéger prioritairement les personnes travaillant dans les services de réanimation auprès des malades les plus graves. C’est indispensable !

J’ai autorisé, comme le Haut Conseil de la santé publique le demandait, la prescription collégiale, sous la responsabilité du médecin qui en décide, de traitements par hydroxychloroquine aux malades hospitalisés les plus gravement atteints.

En l’absence de recommandations et parallèlement à cela, je l’ai déjà dit, plusieurs centaines de patients accueillis dans les différents hôpitaux français participent actuellement à des protocoles cliniques, à différents stades de la maladie. Un protocole d’étude va même être lancé afin de tester différentes molécules, dont celle à laquelle vous faites référence, dès le début de la maladie, et ce afin que la recherche puisse nous permettre, si nous avions le moindre argument scientifique et médical qui permette de concilier sécurité et efficacité, de rendre ce traitement disponible sans délai aux Français.

Croyez-moi, monsieur le sénateur, la mobilisation est totale. Tout le monde – ministère, soignants, agences régionales de santé, caisses d’assurance maladie, public et privé – est sur le pont, chaque heure de chaque jour et de chaque nuit.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour la réplique.

M. René-Paul Savary. La situation est compliquée, monsieur le ministre. Je comprends que vous écoutiez les remontées de votre administration – c’est tout à fait légitime –, mais écoutez aussi les remontées des élus : la grogne est en train de monter !

Peut-être qu’en période de guerre on pourrait prendre des décisions qui ne soient pas scientifiquement correctes, mais qui permettraient parfois de soigner la population dans de bonnes conditions. Nous avons besoin de masques, nous avons besoin de traitements, et nous aurons besoin de tests. Il serait peut-être bon d’anticiper, notamment pour sortir du confinement.

situation de l’agriculture

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe Union Centriste.

M. Vincent Capo-Canellas. Ma question a trait à l’agriculture.

Hier, les marchés ont été interdits, dans des conditions qui peuvent d’ailleurs faire débat. Pour compenser le manque à gagner, le ministre de l’économie a enjoint la grande distribution – on peut être d’accord avec lui sur ce point – à acheter des produits français.

Dans le même temps, nous savons que, du fait de la fermeture des frontières, l’agriculture va manquer de saisonniers au cours des mois à venir. Environ 200 000 d’entre eux feront défaut, d’après la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), et c’est là un enjeu considérable auquel nous devons faire face.

Dans ce contexte, le ministre de l’agriculture a lancé hier un vibrant appel aux Français pour que, lorsqu’ils sont sans activité, ils aillent travailler dans les champs. Cette déclaration a d’abord suscité l’incompréhension : alors que les mesures de confinement viennent d’être renforcées, comment des centaines de milliers de personnes pourraient-elles rejoindre les campagnes pour prêter main-forte aux agriculteurs ? Pourtant, l’appel semble avoir été entendu, puisque plus de 40 000 personnes se seraient déjà portées volontaires.

Hier soir, tard, le Gouvernement a annoncé par communiqué la création d’une plateforme dédiée.

Dès lors, plusieurs questions se posent : comment ce dispositif va-t-il fonctionner, en particulier dans quelles conditions sanitaires ? Si la mobilisation est insuffisante, comment notre agriculture pourra-t-elle continuer de répondre à la demande ? N’y a-t-il pas un risque de pénurie ?

Ce sont des questions légitimes que se posent nos agriculteurs et les Français.

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Oui, monsieur le sénateur Capo-Canellas, ce sujet est très important ! La santé est notre priorité à tous. Garantir une alimentation de qualité dans les semaines et les mois à venir est essentiel.

C’est le printemps, période des premières récoltes et des semis pour l’automne. C’est pourquoi, depuis quelques jours, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, le ministre de l’économie et des finances et moi-même travaillons avec les professionnels du secteur pour faire face, ensemble, à la situation que vous décrivez. Effectivement, ce sont 200 000 saisonniers qui doivent être employés dans les semaines à venir ; sur cet effectif, on dénombrait par le passé 70 000 travailleurs détachés.

Nous avons donc prévu trois mesures.

Premièrement, d’ici à la fin de la semaine, mon ministère établira, en collaboration avec les professionnels du secteur, un guide des bonnes pratiques en matière de santé et de sécurité, afin que les travailleurs saisonniers et employés du secteur agricole soient certains de travailler sans risque pour leur santé.

Deuxièmement, nous avons lancé une plateforme commune à Pôle emploi et à la FNSEA afin de collecter toutes les offres et les demandes. Nous ferons ensemble un point journalier, département par département, avec l’objectif de pourvoir tous les emplois.

Troisièmement, nous avons décidé – l’annonce a été faite ce matin dans le cadre de la présentation des ordonnances faisant suite à la loi d’urgence sanitaire – d’autoriser le cumul entre chômage partiel et activité agricole saisonnière pour les semaines à venir. Une personne qui ne travaille plus, parce que son entreprise a fermé ou son activité a cessé, pourra venir en renfort dans les champs, bien sûr de façon volontaire, pour aider les agriculteurs, en cumulant le bénéfice du chômage partiel et la rémunération liée à son contrat de travail dans le secteur agricole.

Nous faisons de même dans le cadre du mécanisme de solidarité mis en place pour les indépendants. Un indépendant empêché d’exercer son activité – je pense, par exemple, aux restaurants ou aux bars qui ont fermé – pourra aussi prêter main-forte, en cumulant l’indemnité de 1 500 euros tirée du fonds de solidarité et la rémunération liée au contrat de travail dans l’agriculture.

En matière de santé, nous sommes tous sur le pont ; nous devons l’être, aussi, pour l’alimentation ! Je me réjouis donc du travail que nous menons actuellement avec tous les professionnels sur ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour la réplique.

M. Vincent Capo-Canellas. Je vous remercie de ces éléments de réponse, madame la ministre. Trois questions restent néanmoins en suspens.

D’un point de vue sanitaire, comment le comité scientifique appréciera-t-il ces mesures ?

Sous l’angle économique, s’il n’y a pas assez de main-d’œuvre, la question de la pénurie pourra ressurgir.

Enfin, à plus long terme, ne faut-il pas envisager des mesures de soutien plus spécifiques au secteur agricole, sachant que certaines de ses filières sont particulièrement touchées et que les mesures économiques que nous avons adoptées jusqu’à présent sont relativement générales ? Je pense notamment aux mesures concernant le chômage partiel ou les heures supplémentaires, qui ne touchent pas forcément beaucoup le secteur agricole.

situation sanitaire dans les territoires ultramarins

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe La République En Marche.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le ministre des solidarités et de la santé, depuis lundi minuit, les vols entre l’Hexagone et l’outre-mer sont interdits, sauf dérogations exceptionnelles.

Les outre-mer ne sont pas épargnés par cette pandémie : plus de 330 cas confirmés de coronavirus sont à ce jour diagnostiqués, qui s’ajoutent parfois, comme c’est le cas à Mayotte et à La Réunion, à ceux liés à l’épidémie de dengue, d’une exceptionnelle ampleur. Ce nombre est certainement sous-estimé.

Si ces territoires sont en apparence moins touchés, leur situation sanitaire compliquée, liée à leur insularité, leur isolement et leur éloignement, mais surtout à la faible capacité d’accueil des malades, fait unanimement craindre une explosion du nombre de contaminations. Mon département, qui a connu son premier cas le 14 mars, en compte aujourd’hui trente-cinq.

Vous connaissez la faiblesse du système de santé à Mayotte. Malgré le travail considérable des professionnels soignants, que je tiens ici à remercier chaleureusement, l’hôpital, déjà saturé, ne compte que seize lits de réanimation et seuls vingt-huit médecins libéraux exercent sur ce territoire, pour une population officielle de 257 000 habitants, mais qui s’élève probablement au double en raison de l’immigration clandestine.

Une grande partie de la population vit dans des conditions de précarité et de promiscuité propices à l’expansion de cette épidémie.

Sur place, les gestes barrières et de confinement ne sont pas bien respectés, souvent par impossibilité. Comment faire autrement lorsque l’on vit à plusieurs dans une habitation traditionnelle sans accès aux sanitaires ? Mais à ceux qui peuvent respecter ces règles et qui agissent par insouciance, je le redis : ne prenez pas ce virus à la légère, ne croyez pas que le climat ralentira sa progression et restez chez vous pour protéger vos familles !

Hier, par audioconférence, le préfet et les élus de Mayotte, tous très mobilisés, ont fait le point.

Monsieur le ministre, hormis les mesures sur les transports aériens, pourriez-vous nous dire quelles sont les dispositions prises par le Gouvernement pour aider les territoires ultramarins, particulièrement vulnérables, à faire face à cette pandémie ?

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Permettez-moi, monsieur le sénateur, de m’associer au coup de chapeau, pour le dire trivialement, que vous adressez aux professionnels de santé, notamment à ceux du centre hospitalier de Mamoudzou et de tous les centres associés. La situation à laquelle ils doivent faire face depuis longtemps, indépendamment de l’épidémie de coronavirus, est si difficile qu’elle suscite une grande inquiétude parmi nos concitoyens.

Vous avez souligné les efforts consentis depuis quelques années pour tenter de rehausser le niveau de soins, en particulier à Mayotte – mais je sais que votre question dépassait très largement le cadre de ce département. Il s’agit de la création de l’agence de santé, qui doit permettre une meilleure organisation des soins, et des moyens supplémentaires accordés à l’hôpital de Mamoudzou. Chacun ici a également à l’esprit les moyens importants mis en œuvre en Guadeloupe pour construire un nouveau CHU plus résilient, lequel n’est pas encore achevé, et pour faire face à des situations sanitaires complexes.

En vérité, monsieur le sénateur, cette épidémie doit être prise au sérieux davantage encore dans les territoires insulaires, compte tenu des caractéristiques que vous avez évoquées. C’est la raison pour laquelle nous avons pris des décisions, très rudes, de limitation, voire de très grande limitation, des vols commerciaux à destination des outre-mer, afin de limiter au maximum les flux et les échanges de populations entre des territoires qui sont, par nature, plus fragiles que ceux de métropole sur le plan de l’organisation sanitaire. C’est pourquoi aussi, en plus des restrictions portant sur l’utilisation des vols commerciaux, nous avons imposé à tous ceux qui partaient vers les territoires ultramarins une quatorzaine stricte à leur arrivée. Néanmoins, vous savez comme moi qu’un certain nombre de cas sont à déplorer en Guadeloupe, à la Martinique, à Mayotte et dans d’autres territoires ultramarins.

Notre objectif est d’abord d’affirmer clairement la solidarité de la Nation à l’égard de tous ces territoires, ceux d’outre-mer comme les autres.

Dans les outre-mer, compte tenu des limites de l’offre sanitaire existante, nous veillons à freiner encore plus fortement qu’en métropole la circulation et la propagation du virus. Pour ces raisons, les préfets d’outre-mer seront sans doute amenés à prendre des mesures strictes, notamment de couvre-feu et de confinement, encore plus sévères que celles qui prévalent sur le territoire métropolitain.

J’ai indiqué lors de mes dernières interventions que, sur tout ou partie du territoire, nous serions conduits, si les circonstances l’exigeaient, à prendre des mesures plus dures qu’actuellement. Au vu de cette perspective éventuelle, et la situation étant différente en Guyane, à La Réunion, en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte, j’ai demandé à l’ensemble des préfets de me faire remonter leurs propositions en tenant compte de l’analyse fine de chacun des territoires concernés.

C’est à ce prix que nous pourrons freiner la circulation du virus. Bien entendu, s’il fallait programmer des moyens supplémentaires à destination des outre-mer, nous le ferions, dans la limite de nos capacités.

C’est de cette façon que nous pourrons aider les populations françaises à faire face – je le dis sans ambages et sans fard – au défi considérable qui s’annonce.

producteurs locaux et marchés

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

M. Joël Labbé. Je tiens tout d’abord à affirmer la solidarité de mon groupe avec l’ensemble des personnes mobilisées dans la lutte contre le coronavirus, notamment les soignants.

Le 23 mars dernier, la décision est tombée comme un coup de massue sur les territoires : le Gouvernement a interdit l’ensemble des marchés, sauf autorisation du préfet accordée après avis du maire. Pourtant, sur le terrain, de nombreux marchés avaient déjà mis en place de bonnes pratiques allant bien au-delà de celles des grandes surfaces, dans lesquelles les clients peuvent circuler et manipuler librement les produits.

Pourquoi créer du gaspillage alimentaire ainsi qu’une rupture d’égalité de traitement entre les grandes surfaces et les marchés, où se trouvent des acteurs locaux porteurs de résilience ? Par cette décision, en effet, ce sont notamment des petits producteurs en vente directe, mais aussi des acteurs de la pêche artisanale et des ostréiculteurs qui voient leur survie économique menacée. Alors que l’alimentation est un secteur stratégique, n’est-il pas nécessaire de soutenir et de sécuriser les marchés et l’ensemble des initiatives de vente directe ?

La réponse du Premier ministre sur le sujet, hier à l’Assemblée nationale, n’a pas permis de clarifier la situation, et cette mesure continue de faire fortement débat dans nos territoires.

Oui, il faut faire confiance aux maires ! Mais se sentiront-ils en confiance pour demander des dérogations, alors que les préfets ont des interprétations diverses de l’arrêté et que certains ont déjà refusé des demandes ?

Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, avoir une parole bien claire pour encourager les maires et les préfets à maintenir les marchés et les pratiques de vente directe dans le respect des règles sanitaires ? (MM. Vincent Capo-Canellas et Hervé Marseille applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur, je tiens à répondre à votre question, car je sais qu’elle suscite beaucoup d’interrogations et d’appréhension chez les agriculteurs et nombre de nos concitoyens, les uns ayant besoin de ces marchés pour écouler leur production, les autres pour s’approvisionner en produits frais, mais aussi chez les élus et parfois même les préfets, lesquels doivent prendre ces décisions délicates. J’essaierai d’être le plus clair possible.

Le principe général est celui de l’interdiction des marchés. Il nous semble en effet qu’il vaut mieux être prudent sur le plan sanitaire en posant ce principe auquel, cependant, il est possible d’apporter des dérogations.

Ces dérogations doivent être accordées par les préfets, après demande et avis des maires, lesquels sont mieux placés que quiconque pour apprécier si, dans telle commune, le marché est à la fois nécessaire et susceptible d’être organisé dans le respect des conditions de sécurité sanitaire exigées par le Gouvernement.

Les maires, j’y insiste, sont les mieux placés pour porter cette appréciation pour ce qui concerne leur commune, ou tel ou tel quartier de ladite commune. Vous le savez, monsieur le sénateur, j’ai été maire. Je sais donc que, dans une grande ville, il est impossible de faire respecter dans certains marchés les bonnes conditions sanitaires du fait de la disposition des lieux. Je sais aussi qu’à d’autres endroits de ladite ville de petits marchés locaux qui permettent à la population de s’approvisionner en produits frais peuvent parfaitement être organisés en ce sens. Il appartiendra donc au maire de faire une demande d’autorisation pour ces marchés, en justifiant de cette bonne organisation, auprès du préfet, qui pourra accorder une dérogation.

Vous avez évoqué la question de l’interprétation par les préfets de la règle générale et de la possibilité de dérogation. Il nous faut, évidemment, bien expliquer cette règle ; je l’ai fait et le ministre de l’intérieur continuera de le faire.

Les préfets – comment le leur en faire le reproche ? – sont en premier lieu préoccupés par les impératifs de préservation de la santé et, donc, par la limitation maximale des risques. Si telle n’était pas leur préoccupation première, certains leur adresseraient sans aucun doute le reproche inverse.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous allons expliquer le sens de cette règle.

Dans les communes rurales et dans les quartiers des grandes villes où le marché est indispensable et peut être organisé dans de bonnes conditions, mon objectif est qu’il puisse se tenir, et ce pour une raison simple : nos agriculteurs ont besoin d’écouler leur production et nos concitoyens ont besoin de s’approvisionner en produits frais. Ce n’est ni un luxe ni un accessoire : c’est indispensable ! Mais, pour que ces dérogations soient possibles, les conditions de civisme et de respect des règles sanitaires doivent être suffisantes.

J’ai plaisir à le répéter devant le Sénat, les maires sont les mieux armés et les mieux placés pour faire de telles propositions.

M. René-Paul Savary. C’est vrai !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous adresserons aux préfets des consignes d’écoute et de bon sens, et il leur appartiendra de prendre les décisions, ce qu’ils sauront faire de façon satisfaisante.

Il est vrai que, entre l’annonce de cette mesure relative aux marchés et le moment de sa mise en œuvre, des questionnements se sont fait jour.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous y répondrons le plus rapidement possible.

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.

M. Joël Labbé. L’urgence est aujourd’hui à la souveraineté alimentaire des territoires et non à la seule concentration des pouvoirs des grandes surfaces. Car, malgré tout, il y a distorsion de concurrence.

Pour les temps « d’après », qui ne ressembleront plus jamais à ceux « d’avant », notre agriculture paysanne, nos producteurs locaux et nos territoires ruraux sont porteurs d’avenir. Préservons-les dès maintenant !

politique de nationalisations pour l’avenir économique, social et sanitaire du pays

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Éliane Assassi. L’heure est grave. L’épidémie de coronavirus s’étend sur toute la planète, et notre pays est particulièrement frappé. Des mesures exceptionnelles sont prises, mais elles ne sont pas suffisantes. Nos hôpitaux, nos Ehpad appellent à l’aide. Ils ont besoin de masques, de réanimateurs, de tests et, bientôt, de médicaments.

L’incapacité de la sixième puissance économique mondiale à fournir ce qui pourrait paraître une évidence est dramatique. Cette incapacité est révélatrice du ravage du libéralisme, système que vous portiez aux nues avec d’autres – mais ça, c’était avant…

L’État doit maintenant reprendre la main, un État citoyen au service du peuple. Deux voies d’action immédiate s’offrent à nous.

Il faut rouvrir et nationaliser en urgence l’usine Luxfer, seul fabricant en Europe de bouteilles d’oxygène, usine fermée il y a quinze mois par son propriétaire britannique. Les 134 ex-salariés ont maintenu en état le matériel. Annoncez la nationalisation et la réouverture !

Il faut réquisitionner des usines de textile pour la fabrication massive de masques. Contrairement à d’autres, elles sont aujourd’hui indispensables à la gestion de l’urgence sanitaire.

Oui, Emmanuel Macron a raison quand il déclare qu’un modèle de développement dévoile ses failles au grand jour !

Nationaliser n’est plus un gros mot. M. Le Maire et vous-même, monsieur le Premier ministre, l’évoquez ; le Medef lui-même adjure le Gouvernement d’y recourir.

Les sociétés construites sur la quête du profit, la concurrence, la primauté des intérêts privés vacillent. La crise sanitaire en est le terrible révélateur.

Oui, il faut redonner à l’État la maîtrise du destin de notre pays ! Mais, contrairement au Medef, nous ne voulons pas de nationalisations temporaires pour sauver les actionnaires. Il faut libérer définitivement les services publics de la loi du marché.

Monsieur le Premier ministre, allez-vous engager des mesures immédiates et à long terme ? Le pays a cruellement besoin aujourd’hui de ces mesures de rupture.