Sommaire

Présidence de M. Philippe Dallier

Secrétaires :

Mme Annie Guillemot, M. Michel Raison.

1. Procès-verbal

2. Décès d’un ancien sénateur

3. Avenir des transports express régionaux. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. Didier Mandelli, pour le groupe Les Républicains

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports

Débat interactif

M. Olivier Jacquin ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Olivier Jacquin.

Mme Josiane Costes ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

M. Bernard Buis ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

Mme Éliane Assassi ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; Mme Éliane Assassi.

M. Jean-Pierre Decool ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Jean-Pierre Decool.

Mme Michèle Vullien ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

M. Stéphane Piednoir ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

M. Joël Bigot ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

M. Jean-François Longeot ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

M. Michel Vaspart ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

M. Gilbert-Luc Devinaz ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

M. Daniel Gremillet ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Daniel Gremillet.

M. Jean-François Rapin ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

Mme Patricia Morhet-Richaud ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

Mme Agnès Canayer ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

Conclusion du débat

Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains

Suspension et reprise de la séance

4. Plan d’action en faveur des territoires ruraux. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. Jacques Genest, pour le groupe Les Républicains

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

Débat interactif

M. Jean-Claude Requier ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

M. Bernard Buis ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

M. Guillaume Gontard ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; M. Guillaume Gontard.

M. Franck Menonville ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Mme Nadia Sollogoub ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; Mme Nadia Sollogoub.

M. Didier Mandelli ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; M. Didier Mandelli.

Mme Viviane Artigalas ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

M. Jean-Marie Janssens ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

M. Dominique de Legge ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; M. Dominique de Legge.

M. Hervé Gillé ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

M. Jean-Paul Émorine ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; M. Jean-Paul Émorine.

Mme Angèle Préville ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Mme Christine Bonfanti-Dossat ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

M. Alain Dufaut ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

M. Michel Savin ; Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; M. Michel Savin.

Conclusion du débat

M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

5. Réforme des retraites. – Débat organisé à la demande de la commission des affaires sociales

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales

M. Martin Lévrier

Mme Cathy Apourceau-Poly

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

M. Patrick Kanner

M. Stéphane Artano

M. René-Paul Savary

M. Claude Malhuret

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites

Débat interactif

M. Martin Lévrier ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites.

Mme Michelle Gréaume ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites.

M. Daniel Chasseing ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites ; M. Daniel Chasseing.

Mme Sylvie Vermeillet ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites ; Mme Sylvie Vermeillet.

M. Philippe Dallier ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites.

Mme Monique Lubin ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites.

M. Stéphane Artano ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites ; M. Stéphane Artano.

Mme Élisabeth Doineau ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites.

Mme Catherine Deroche ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites ; Mme Catherine Deroche.

Mme Laurence Rossignol ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites ; Mme Laurence Rossignol.

M. René-Paul Savary ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites ; M. René-Paul Savary.

M. Jean-Louis Tourenne ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites.

M. Guillaume Chevrollier ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites ; M. Guillaume Chevrollier.

M. Michel Savin ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites.

M. Jean-Raymond Hugonet ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites ; M. Jean-Raymond Hugonet.

Conclusion du débat

M. René-Paul Savary, au nom de la commission des affaires sociales

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé

6. Sauvetage en mer : replacer les bénévoles au cœur de la décision. – Débat sur les conclusions du rapport de la mission d’information sur le sauvetage en mer

M. Didier Mandelli, rapporteur de la mission commune d’information sur le sauvetage en mer

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports

Débat interactif

Mme Céline Brulin ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

M. Emmanuel Capus ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

Mme Annick Billon ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

M. Jean-François Rapin ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Jean-François Rapin.

M. Jean-Luc Fichet ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Jean-Luc Fichet.

Mme Mireille Jouve ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

M. Bernard Cazeau ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

M. Michel Canevet ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Michel Canevet.

Mme Dominique Estrosi Sassone ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; Mme Dominique Estrosi Sassone.

M. Yannick Vaugrenard ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Yannick Vaugrenard.

M. Michel Vaspart ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

M. Jean-Luc Fichet ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.

M. Dominique de Legge ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Dominique de Legge.

Mme Agnès Canayer ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; Mme Agnès Canayer.

M. Max Brisson ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Max Brisson.

Conclusion du débat

Mme Corinne Féret, présidente de la mission commune d’information sur le sauvetage en mer

7. Ordre du jour

COMPTE RENDU INTÉGRAL

Présidence de M. Philippe Dallier

vice-président

Secrétaires :

Mme Annie Guillemot,

M. Michel Raison.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 18 décembre 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décès d’un ancien sénateur

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue François Autain, qui fut sénateur de la Loire-Atlantique de 1983 à 2011.

3

Avenir des transports express régionaux

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur l’avenir des transports express régionaux.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je vous rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Didier Mandelli, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)

M. Didier Mandelli, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les transports express régionaux (TER) sont un élément essentiel du maillage de nos territoires.

En France, 7 000 trains TER circulent sur 20 000 kilomètres de lignes de chemin de fer, dont 9 000 kilomètres de lignes de desserte fine du territoire, sans oublier les 1 300 autocars qui complètent cette offre de mobilité. Ils transportent chaque jour quelque 900 000 voyageurs.

Grâce aux financements des autorités organisatrices régionales, l’offre TER a progressé de plus de 25 % depuis 1997, et le trafic a crû de plus de 50 %.

Malgré ce rôle essentiel de maillage, notamment dans les territoires ruraux, où l’offre de mobilité est réduite, les TER souffrent aujourd’hui de nombreux maux, qui nous amènent à nous interroger sur leur pérennité. En effet, ils subissent une baisse de fréquentation qui s’explique essentiellement par le manque de régularité du réseau : des trains en retard ou supprimés, ou encore des incidents d’exploitation.

Alors que nous évoquons l’intermodalité dans les transports et la nécessité de faire du transport ferroviaire la colonne vertébrale de cette dernière, une telle tendance ne peut que nous alarmer.

Ce manque de régularité a une cause très claire, soulignée d’ailleurs par le récent rapport de la Cour des comptes : il s’agit de l’état très dégradé du réseau. En janvier 2019, SNCF Réseau indiquait que seuls 29 % de ces lignes régionales étaient jugées en bon état, tandis que plus de la moitié était touchée par des ralentissements, voire par une suspension de service.

Un rapport sur les lignes de desserte fine du préfet François Philizot est d’ailleurs très attendu par l’ensemble des élus et des acteurs de la mobilité.

Dans le cadre de la rédaction du rapport sur la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM), j’avais pu auditionner le préfet Philizot. Selon lui, 7,4 milliards d’euros seraient nécessaires pour remettre en état l’ensemble de nos petites lignes ferroviaires. C’est une somme colossale, qui nous amène à nous interroger sur le manque de moyens consacré dans le temps à l’entretien de notre réseau ferré.

Si un tel coût venait à se confirmer, le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) devrait être totalement revu.

Les TER sont aujourd’hui majoritairement couverts par la subvention des régions, à hauteur de 3,1 milliards d’euros, et par les voyageurs, à hauteur de 1 milliard d’euros. La Cour des comptes pointe, là aussi, une hausse continue des coûts d’exploitation depuis 2012.

Ainsi, les coûts complets d’exploitation, en comptant l’impact environnemental et le régime de retraite des cheminots – sujet d’actualité –, s’élevaient à 8,5 milliards d’euros en 2017, dont le financement était assuré à 88 % par des subventions publiques.

L’État avait d’ailleurs indiqué son souhait de se désengager des petites lignes en demandant à SNCF Réseau, dans son contrat de performance, de ne plus investir sur ce segment et en réduisant son intervention dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER).

Logiquement, les régions sont désormais seules en première ligne pour maintenir cette offre de mobilité dans les territoires, et ce dans le cadre de budgets de plus en plus restreints.

Néanmoins, des réformes majeures engagées ces dernières années devraient aider les régions à améliorer cette offre de mobilité et permettre au TER de regagner en attractivité.

La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire prévoit l’ouverture à la concurrence des services non conventionnés à partir du 1er janvier 2019, en vue d’une exploitation à partir de décembre 2020.

Depuis le 3 décembre 2019, et jusqu’au 23 décembre 2023, l’État et les régions pourront ainsi attribuer des contrats de service public de transport ferroviaire de personnes, après publicité et mise en concurrence. Trois régions ont d’ores et déjà marqué leur volonté de mettre en concurrence certaines lignes, en entamant les procédures pour ce faire : les régions Grand Est, Hauts-de-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Le Sénat a joué un rôle clé dans la préparation de cette réforme, avec l’adoption en mars 2018 de la proposition de loi d’Hervé Maurey et de Louis Nègre relative à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs.

Grâce à cette proposition de loi, nous avons pu coconstruire, en bonne intelligence avec le Gouvernement, le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire.

Enfin, lors de l’examen de la loi d’orientation des mobilités, le Sénat a réaffirmé son engagement pour les lignes à desserte fine, qui représentent une offre de mobilité indispensable.

La LOM répond d’ailleurs à une des préconisations de la Cour des comptes et clarifie les rôles entre l’État, les régions et le gestionnaire d’infrastructure.

Ainsi, concernant les lignes de desserte fine, la LOM prévoit la possibilité de transférer leur gestion aux régions qui en feraient la demande. Cette disposition est issue d’un amendement, qu’avait accepté le Gouvernement. Les régions seraient ensuite en capacité, dans le cadre de cette ouverture à la concurrence, de faire appel à l’exploitant ou à un tiers pour la gestion de l’infrastructure.

Cette liberté accordée aux régions a pour objectif de pérenniser ces lignes ferroviaires, tout en maitrisant les coûts d’exploitation.

Bien entendu, ce transfert de compétence ne règle pas le problème du manque d’investissement de l’État, afin d’accompagner les régions dans cette offre de mobilité.

De même, l’ouverture à la concurrence ne pourra pas apporter une solution miracle à tous ces problèmes, notamment le coût de régénération du réseau ferré. Ainsi, nombre de ces lignes de desserte fine sont aujourd’hui menacées, et il appartiendra aux régions d’évaluer la pertinence de conserver chacune d’entre elles, selon les spécificités de chaque territoire.

Le Sénat, compte tenu de son rôle auprès des collectivités territoriales, continuera de veiller à l’avenir de ces petites lignes, qui permettent à nos territoires ruraux de sortir des zones blanches de la mobilité et à nos concitoyens de bénéficier d’une offre de mobilité alternative à la voiture, partout en France, de Chavagnes-en-Paillers, en Vendée, dont je salue les représentants présents en tribune, à Cherbourg, en passant par l’ensemble des régions et des départements chers à chacun d’entre nous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avec cette nouvelle année, pour laquelle je vous présente mes meilleurs vœux, entrent en vigueur plusieurs dispositions majeures issues du nouveau pacte ferroviaire voté en 2018, dans le plus strict respect des engagements pris par le Gouvernement.

Ainsi, la SNCF est depuis le 1er janvier un groupe public unifié, constitué de sociétés nationales à capitaux publics. En recréant un groupe plus intégré, il s’agit d’améliorer l’efficacité opérationnelle de la SNCF, pour en faire une entreprise apte à affronter les enjeux de demain.

La loi de finances pour 2020, qui vient d’être adoptée, organise la reprise de 25 milliards d’euros de dettes de SNCF Réseau. C’est un effort sans précédent pour notre système ferroviaire, qui doit permettre à ce dernier de retrouver une trajectoire soutenable : dès cette année, plus de 400 millions d’euros de frais financiers seront économisés et réinjectés dans la rénovation du réseau ; ce point me paraît essentiel à souligner.

La fin du recrutement au statut de cheminot est par ailleurs effective depuis le 1er janvier dernier.

Enfin, et cela fait directement le lien avec notre débat d’aujourd’hui, l’État et les régions sont depuis le 3 décembre libres de mettre en concurrence l’exploitation des services qu’ils organisent, respectivement les trains d’équilibre du territoire (TET) et les TER.

Le train express régional transporte chaque jour près de 1,3 million de voyageurs dans environ 7 900 trains et 1 300 autocars. Il s’agit donc d’un maillon essentiel des transports du quotidien pour nos concitoyens, sur l’ensemble du territoire national, comme cela a été rappelé par M. Mandelli.

Je tiens à rappeler que les TER sont et resteront des services conventionnés, c’est-à-dire déficitaires et subventionnés par de l’argent public. C’est vrai pour absolument toutes les lignes, avec un taux de subvention du contribuable de 75 % en moyenne à l’échelle nationale, les recettes des billets couvrant les 25 % restants, soit moins que dans la plupart des pays européens. En 2019, les régions ont versé environ 3 milliards d’euros de subventions d’exploitation à la SNCF.

Avec l’ouverture à la concurrence, ce principe ne changera pas : il ne s’agit nullement d’une privatisation, comme on a pu l’entendre dire à tort ici et là. Les régions resteront aux commandes de ces services publics, dont elles continueront de définir l’ensemble des aspects : dessertes, horaires, confort, tarifs, services à bord et en gare.

Ainsi, il ne revient pas à l’État de se substituer aux régions, à qui appartient le suivi de la performance des services qu’elles organisent, en vertu du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, auquel je sais votre assemblée spécialement attachée.

Par ailleurs, l’amélioration de la productivité constitue un enjeu fondamental pour la compétitivité du transport ferroviaire par rapport aux autres modes de transport et une préoccupation majeure d’acteurs tels que la Cour des comptes, préoccupation sur laquelle je reviendrai plus tard.

Cet objectif relève avant tout du management de SNCF Voyages, entreprise publique. En particulier, la négociation des conditions de travail participe des prérogatives des partenaires sociaux, et il ne revient pas à l’État de remettre en cause ce que ceux-ci négocient, dans le respect du cadre posé par le pacte ferroviaire.

Le rôle de l’État est de créer les conditions optimales pour favoriser l’attractivité du mode ferroviaire. C’est bien ce qui guide l’action du Gouvernement depuis 2017.

Ainsi, l’ouverture du secteur ferroviaire à la concurrence permettra d’offrir aux voyageurs de nouveaux services, au meilleur coût. L’État travaille à préparer le système ferroviaire à cette ouverture en fixant les règles pour que celle-ci puisse s’exprimer dans des conditions équitables entre tous les opérateurs. De nombreux textes d’application ont ainsi été publiés au cours des dix-huit derniers mois, après concertation avec l’ensemble des acteurs.

En ce qui concerne l’organisation de la SNCF, le choix de faire de SNCF Voyages une société à part entière lui offrira la flexibilité nécessaire pour adapter son organisation en fonction de ses besoins. En particulier, l’entreprise aura désormais le choix d’exploiter ses services nationaux directement ou à travers des filiales.

Sur le plan social, l’État a engagé la création d’un nouveau cadre harmonisé pour les salariés du transport ferroviaire. Au-delà de la fin des embauches au statut, cela se traduit par les négociations en cours entre les partenaires sociaux sur la convention collective de branche, que le Gouvernement veut de haut niveau.

Enfin, en ce qui concerne les infrastructures, comme je l’ai souligné en introduction, l’État a consenti un effort sans précédent avec la reprise de 35 milliards d’euros de dette de SNCF Réseau, dont 25 milliards d’euros au 1er janvier 2020. À terme, cela permettra à SNCF Réseau d’économiser de l’ordre de 1 milliard d’euros par an de frais financiers, donc d’intensifier ses investissements en faveur de la remise en état de ses infrastructures ferroviaires sans dégrader sa situation financière.

Je vous rappelle que 3,6 milliards d’euros par an sur dix ans, auxquels s’ajouteront 200 millions d’euros par an à partir de 2022, seront ainsi consacrés aux investissements de régénération du réseau ferré national, qui représentent aujourd’hui 90 % des circulations et 80 % des circulations de TER. Cela correspond à une hausse de 50 % par rapport à la précédente décennie.

S’agissant des petites lignes ferroviaires, dont les investissements de régénération sont pris en charge par l’État et les collectivités dans le cadre des contrats de plan État-région, il convient de rappeler que leur coût complet, en incluant les dépenses d’entretien et d’exploitation, reste financé aujourd’hui par l’État et par SNCF Réseau à plus de 70 %, en tenant compte de l’effort accru des régions ces dernières années pour cofinancer les investissements nécessaires à leur remise en état.

Nous sommes tous conscients ici de la nécessité de faire face à un pic d’investissements historique pour la décennie à venir sur ces lignes, dont les rails et les plateformes sont arrivés au terme de leur durée de vie.

Cela représente plusieurs centaines de millions d’euros par an au cours des prochaines années, pour lesquels je tiens à vous confirmer, d’une part, que le Gouvernement respectera les engagements pris par l’État dans le cadre des CPER actuels, prolongés jusqu’à la fin de 2022, et, d’autre part, que les travaux du préfet Philizot, menés en partenariat avec les régions, ont permis de recenser l’ensemble des besoins et de bâtir des plans d’action régionaux, qui seront signés dans les prochaines semaines, avec des solutions innovantes et adaptées à chaque ligne, en termes techniques et de gouvernance.

Ces solutions pourront notamment s’appuyer sur les possibilités introduites par l’article 172 de la LOM, qui ouvre par exemple la voie à des transferts de gestion de certaines petites lignes au profit des régions qui en feraient la demande.

En parallèle, je souhaite que l’État impulse la création d’une véritable filière de « trains légers », pour redonner au TER la place qu’il mérite, y compris sur des dessertes fines des territoires. En jouant simultanément sur le dimensionnement des infrastructures, de la signalisation et des matériels roulants, je suis convaincu que des économies de l’ordre de 30 % à 40 % sont réalisables, en investissement comme en exploitation.

Ces nouvelles possibilités permettront de mieux faire face aux besoins de chaque territoire, en fonction du contexte et des besoins identifiés par les acteurs locaux en matière de transport public. En cela, le Gouvernement répond pleinement à la première recommandation du rapport que la Cour des comptes a rendu public à l’automne 2019 sur la gestion des TER entre 2012 et 2017.

Pour terminer, je souhaite revenir quelques instants sur ce rapport, qui a pu faire l’objet d’interprétations caricaturales, à commencer par le niveau d’engagement de l’État en faveur du ferroviaire.

Des neuf recommandations de la Cour, seules deux impliquent directement l’État : la première, que j’évoquais à l’instant, et la septième, relative à la disponibilité des données afin de réussir l’ouverture à la concurrence.

Cette seconde recommandation a été également satisfaite, à travers le décret Données, publié cet été pour permettre à l’État, pour les TET, et aux régions volontaires de préparer les premiers appels d’offres : il s’agit des régions Grand Est, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Hauts-de-France.

Toutes les autres recommandations de la Cour s’adressent aux régions et à la SNCF. Elles concernent notamment la qualité du service, les analyses socioéconomiques, les coûts d’exploitation, le niveau de présence des agents en gare et à bord, les plans de transport, la tarification, l’expertise des régions ou encore l’organisation interne de l’activité TER à la SNCF.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d’État !

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat. Sans remettre en cause la pertinence économique des analyses de la Cour, je tiens à replacer ces aspects dans le contexte plus global des transports sur les six années considérées, au cours desquelles l’offre et la fréquentation ont augmenté de 50 %.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de l’occasion que vous nous offrez de débattre aujourd’hui de ce sujet important, qui nous préoccupe tous, ici et dans les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Olivier Jacquin.

M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous présente mes meilleurs vœux, que j’adresse également au système ferroviaire !

Monsieur le secrétaire d’État, vous venez de nous dire que les engagements que vous avez pris dans le cadre du nouveau pacte ferroviaire contenu dans la loi d’orientation des mobilités avaient été tenus. Or, mauvais concours de circonstances, nous vivons, aujourd’hui encore, l’une des grèves les plus dures du système ferroviaire.

Nous nous rappelons tous des déclarations du Premier ministre, alors que celui-ci recevait le fameux rapport Spinetta, selon lesquelles tout irait mieux avec le nouveau pacte ferroviaire ; or ce n’est pas ce que l’on constate…

Permettez-moi d’ajouter, monsieur le secrétaire d’État, que ce premier budget de la nouvelle SNCF interroge et suscite l’inquiétude sur la situation financière de l’entreprise. SNCF Réseau n’est pas dans la trajectoire prévue.

Bien sûr, et je l’avais souligné, la dette a été reprise. Félicitations ! Mais, si je m’en tiens à l’avis qu’elle a rendu le 19 décembre, l’Autorité de régulation des transports s’inquiète fortement du non-respect de la trajectoire financière par le contrat de performance SNCF Réseau 2017-2026 et de l’insuffisance des investissements de renouvellement du réseau, même si les investissements nouveaux s’inscrivent plutôt dans une bonne trajectoire.

Monsieur le secrétaire d’État, vous nous dites tenir vos promesses. Or de nombreuses promesses avaient été tenues devant le Parlement au sujet des petites lignes – un débat totémique s’il en est dans notre République. Habilement, la ministre Élisabeth Borne a su jouer des Assises nationales de la mobilité, puis du rapport Spinetta, avant de nous promettre un rapport génial, le rapport Philizot, que l’on attend toujours, pour éviter d’engager un débat dans le cadre du nouveau pacte ferroviaire et de la loi d’orientation des mobilités. Nous n’avons toujours pas eu ce débat démocratique nécessaire.

Aussi, monsieur le secrétaire d’État, quand disposerons-nous du rapport Philizot ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, je soulignerai deux points.

Tout d’abord, les faits sont têtus. S’agissant du budget et des promesses qui ont été faites, l’État est au rendez-vous : comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, environ 3,6 milliards d’euros sont prévus, à savoir 3 milliards d’euros pour la régénération des lignes et 600 millions d’euros pour les gares.

Ensuite, s’agissant des travaux de la mission Philizot, j’ai eu l’occasion de rencontrer à la fin du mois de décembre dernier des représentants de l’Association des régions de France. Nous leur avons présenté les éléments de cette mission et nous leur avons fait part des discussions que nous avions eues avec les différentes régions concernées, dans la perspective des accords qui seront signés entre celles-ci, l’État et SNCF Réseau, accords que nous envisageons de signer en tout état de cause avant le 15 février, pour un volume financier considérable.

L’objectif est de solidifier les lignes structurantes, d’être au rendez-vous des lignes qui sont aujourd’hui incluses dans les CPER et de faire plein usage, notamment, de l’article 172 de la LOM, pour trouver des solutions innovantes, souvent d’ailleurs, si ce n’est toujours, à la demande des régions, de manière à préserver le maximum de petites lignes de desserte fine du territoire.

Vous le savez, un certain nombre de ces lignes ont déjà été supprimées, et je suis donc toujours quelque peu étonné d’entendre parler de moratoire.

Financièrement, l’État est bien présent au rendez-vous. Je le répète, globalement, ce sont 6 milliards d’euros qui seront consacrés au système ferroviaire, en augmentation de 400 millions d’euros cette année par rapport à 2019, notamment à la suite de la reprise de la dette de SNCF Réseau, dont les frais financiers diminueront.

En lien avec les régions, l’État est au rendez-vous, de manière à conclure très rapidement avec elles des accords bilatéraux et à régénérer un certain nombre de petites lignes vitales pour nos territoires.

M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour la réplique.

M. Olivier Jacquin. Mes chers collègues, nous venons d’entendre un aveu remarquable !

J’ai posé une question claire, et il m’a été répondu que nous n’aurions pas le rapport Philizot, puisque, déjà, des discussions importantes ont lieu directement entre les régions et le ministère des transports. Il n’y aura donc pas de rapport Philizot, lequel nous avait été promis à plusieurs reprises. D’ailleurs, Mme la ministre Élisabeth Borne, que j’avais interrogée à ce sujet lors de l’examen de la loi de finances, avait déjà fait une réponse similaire.

Je demande la tenue d’un débat démocratique sur cette question importante !

M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes.

Mme Josiane Costes. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en Auvergne, les lignes d’irrigation du territoire représentent 60 % du réseau ferroviaire. C’est dire l’importance qu’elles revêtent pour assurer la desserte de territoires fortement enclavés. Or leur coût fait peser le risque d’une fermeture totale ou partielle de certaines d’entre elles.

Si une étude approfondie et impartiale de la fréquentation de chaque ligne doit, de toute évidence, être menée, ce seul critère, bien sûr très pénalisant en zone rurale, ne saurait être retenu, d’autant plus que cette appréciation peut se révéler subjective.

En effet, le rapport de la Cour des comptes, publié en octobre 2019, portant sur l’avenir des TER souligne une diminution de leur fréquentation sur la période 2012-2018 à l’échelon national : nous pourrions y voir surtout une stagnation après une forte hausse sur la période précédente, due aux efforts des régions ; cela correspond également à une stabilisation de l’offre de transport, qui avait également évolué.

En ce qui concerne les explications apportées, à savoir la dégradation continue de la qualité du service pour partie liée à un mauvais état du réseau, nous les partageons. En Auvergne, le réseau est électrifié à hauteur de 18 % seulement. Ce sont là, pour nous, les véritables causes de la baisse de fréquentation de ces petites lignes.

Aussi, plutôt que d’aborder la question à travers le seul prisme de l’analyse économique, nous espérons que l’utilité sociale et environnementale sera prise en compte pour juger de la pertinence de ces lignes.

Dans le cadre du plan de sauvegarde des lignes d’irrigation du territoire de la région Auvergne-Rhône-Alpes, adopté en 2016, la contribution de 50 millions d’euros prévue pour l’État est insuffisante. Malgré les efforts de la région, qui apporte trois fois plus, sa réalisation est donc incertaine.

Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous rassurer nos concitoyens, en confirmant que l’État soutiendra les petites lignes pour mettre fin au contre-report modal et répondre à leurs besoins en mobilité ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, je soulignerai deux points.

En matière d’utilité socioéconomique, l’ensemble des textes qui ont été votés récemment n’a pas pour objet une approche purement financière, singulièrement pour les petites lignes.

Je l’ai rappelé dans mon propos liminaire, ces lignes de service public dans les territoires sont conventionnées et sont toutes structurellement déficitaires. Elles sont subventionnées par la collectivité publique à hauteur de 75 %, l’usager payant en moyenne 25 %, voire bien moins dans un certain nombre de territoires, notamment ceux du grand Massif central, que vous connaissez bien. Notre logique n’est donc évidemment pas financière.

La philosophie qui a inspiré les travaux du préfet Philizot est de définir, en lien avec les régions, les solutions adaptées à chacune des petites lignes, soit parce que celles-ci présentent un caractère structurant d’aménagement pour le territoire, soit pour mener des expérimentations en vue de trouver des moyens de régénération plus économes, soit pour assurer la pérennité des lignes inscrites aux contrats de plan État-région par des travaux d’aménagement.

En conclusion, la philosophie qui nous guide au travers de ce plan d’action concertée avec les régions, c’est bien l’utilité socioéconomique et environnementale de ces lignes, et non pas une approche budgétaire ou financière, même si, effectivement, l’ensemble des opérations est cadré, conformément aux textes que vous avez votés, parce qu’il s’agit d’argent public.

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis un mois, les régions peuvent organiser des appels d’offres pour l’exploitation de lignes de trains express régionaux.

Cette ouverture progressive à la concurrence des lignes de TER, instituée par le pacte ferroviaire, a été saluée par le rapport thématique de la Cour des comptes, publié en octobre dernier. Celui-ci définit cette évolution comme un facteur essentiel de réussite du TER.

La réussite des TER est fondamentale, car elle conditionne le maillage, la vitalité et la cohésion des territoires auxquels ce type de mobilité a vocation à concourir.

Ce point est justement au cœur de l’action du Gouvernement, dans les choix qu’il a faits. Rappelons qu’il avait écarté, dans le cadre du pacte ferroviaire, la préconisation du rapport Spinetta relative à la fermeture de lignes peu fréquentées. Je mesure bien ce que veut dire le maintien d’une ligne dans un territoire pour ses étudiants, ses lycéens, ses salariés ou encore ses touristes pour rejoindre des lignes centres.

Il me plaît de souligner votre engagement pour la ligne Grenoble-Veynes et l’engagement de l’État lors du tour de table financier pour assurer la régénérescence de cette ligne. Monsieur le secrétaire d’État, je vous en remercie.

La Cour des comptes le reconnaît elle-même dans son rapport : une suppression n’est pas la seule solution. Il préconise à ce titre que soit réalisée une analyse sociale, économique et objective des lignes peu fréquentées, pour permettre aux régions de choisir entre plusieurs options sur leur devenir. En effet, la fréquentation ou la rentabilité ne peut être l’unique critère du maintien ou du non-maintien d’une desserte ferroviaire quand celle-ci est indispensable à la vie d’un territoire. C’est d’ailleurs là la raison même d’être d’un service public.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez accueilli plutôt favorablement cette recommandation. Si l’arbitrage sur l’offre des services TER revient à la région, comment le Gouvernement entend-il éclairer, notamment par l’expertise technique des services de l’État, cette prise de décision, afin qu’elle ne freine pas la réduction de la fracture territoriale ?

Aussi, dans quelle mesure estimez-vous que l’ouverture à la concurrence généralisée en 2023 dans les TER aura un impact sur le maintien ou non des lignes peu fréquentées ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, je soulignerai rapidement trois points.

Vous avez évoqué la question de la rentabilité. Je le redis ici : on ne peut parler de rentabilité des lignes de desserte fine du territoire, étant donné qu’elles sont en déficit structurel. C’est bien le service public, ce qui est normal et nécessaire, qui remplit ici sa tâche, en lien avec les autorités organisatrices de la mobilité que sont les régions, ce qui répond à l’exigence démocratique mise en avant par M. Jacquin,…

M. Olivier Jacquin. Je vous parlais du Parlement !

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat. … puisque ce sont bien les régions qui sont aujourd’hui chargées, au nom des populations, d’organiser de tels transports.

L’ouverture à la concurrence est un moyen, et elle a bien souvent été réclamée par ces mêmes régions. Pour qu’elle soit effective et se déroule dans des conditions sereines, elle requiert des conditions préalables.

Tout d’abord, il faut un réseau qui soit en bon état, ou tout du moins en meilleur état. Cela renvoie aux discussions que nous avons eues précédemment.

Ensuite, l’accès à ce réseau doit être équitable et non discriminatoire. C’est l’objet de l’ensemble des textes qui ont été votés récemment, notamment ceux que j’ai évoqués dans mon propos liminaire sur la transmission des données, de manière que les entreprises ferroviaires, les régions et l’ensemble des parties prenantes puissent avoir accès aux informations nécessaires afin de concevoir les offres qui, plus tard, feront l’objet d’une convention de service public avec les régions.

Enfin, je vous remercie de votre mot sur Grenoble-Veynes. C’est effectivement un dossier important, car il s’agit d’une ligne structurante, sur laquelle un premier accord de financement a été conclu. L’État prendra sa part, en lien avec les différents acteurs du territoire, pour pérenniser une ligne qui est à la fois belle et nécessaire.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, mes chers collègues, je vous présente tous mes vœux.

Monsieur le secrétaire d’État, depuis le mois dernier, les régions peuvent lancer des appels d’offres pour les TER. Vous le savez, nous avons combattu cette disposition du pacte ferroviaire. En effet, alors que certains voient dans l’ouverture à la concurrence la solution aux problèmes de la SNCF, nous y voyons plutôt, de même que dans la balkanisation de cette entreprise publique, l’outil de la casse du service public ferroviaire.

Nous ne croyons pas que la libéralisation entraînera une progression de la qualité du service aux usagers. L’ensemble des expériences européennes nous donne d’ailleurs raison, et ce n’est pas pour rien que les Britanniques souhaitent faire marche arrière.

Nous considérons que la dimension territoriale nationale de la SNCF est un atout à préserver. Perdre cela, c’est mettre à mal le caractère universel du droit à la mobilité.

Nous croyons que la solution est ailleurs, par exemple dans une implication plus grande des régions et des usagers au sein même de la gouvernance de cette société à 100 % publique, cette démocratisation s’appuyant sur des objectifs de présence territoriale renforcée, et non, comme le soutient la Cour des comptes, sur l’abandon de certains tronçons.

Par ailleurs, comment penser que changer d’opérateur tout en gardant des réseaux vétustes permettra une quelconque amélioration de l’offre ? Comment croire que, en période de disette budgétaire, les régions ne vont pas chercher à faire des économies en donnant prime au moins-disant social, environnemental et économique, voire en taillant dans l’offre ?

Monsieur le secrétaire d’État, comment prétendre vouloir réussir la transition écologique tout en permettant, sous couvert de décentralisation et par le jeu de la concurrence, la rétraction du réseau et la diminution de l’offre ?

Comment le Gouvernement compte-t-il accompagner les régions pour garantir un haut niveau de service public, alors que la LOM n’a prévu aucune ressource nouvelle pour les autorités organisatrices ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, vous avez posé beaucoup de questions, auxquelles je vais m’efforcer d’apporter quelques éléments de réponse.

Tout d’abord, vous avez beaucoup cité le modèle britannique, qui, je le rappelle, n’est pas le nôtre. C’est en effet un modèle de concurrence dérégulée, l’État ayant choisi au Royaume-Uni de privatiser son système ferroviaire, ce qui n’est pas le cas chez nous, où le réseau reste bien un monopole national.

La société SNCF demeure une société nationale à capitaux publics, qui, effectivement, est mise en concurrence sur le marché du TER par des conventions de service public. J’y insiste, nous maintenons des conventions de service public subventionnées.

Mme Éliane Assassi. C’est antinomique avec la notion de marché !

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat. Je le rappelle, ces lignes sont très largement déficitaires, et l’État et les collectivités territoriales remplissent bien ici leur rôle.

Vous parlez de « balkanisation » du réseau ferroviaire. Pour ma part, je note que la balkanisation a été à l’œuvre au cours de ces dernières années, les petites lignes ferroviaires, dans un certain nombre de territoires – c’est le cas dans le mien, en Limousin – ayant fermé une à une.

La réalité d’aujourd’hui, c’est un réseau qui s’est très largement dégradé et balkanisé à cause d’un sous-investissement chronique. Or c’est bien à cette situation que nous tentons de remédier, en accordant des moyens considérables – 35 milliards d’euros de dettes repris, dont 25 milliards d’euros dès cette année –, ce qui permet à la fois de diminuer les frais financiers et de réinvestir massivement sur le réseau. J’ai donné les chiffres tout à l’heure.

Vous parliez de moins-disant social. Je réponds que, avec l’ouverture à la concurrence, il est effectivement nécessaire de mettre en place des protections pour les salariés du rail à l’échelle de la branche. Tel est l’objet des discussions en cours pour la conclusion d’une convention collective de haut niveau.

Ces travaux avancent bien et, autour de la mi-janvier, les principaux syndicats d’employés et les employeurs du ferroviaire devraient être en mesure de signer un accord qui comportera, je le souhaite, des avancées considérables.

Enfin, s’agissant de l’aspect démocratique, vous avez évoqué l’ouverture à la concurrence, qui a été une demande forte des régions.

Je rappelle qu’un certain nombre de régions s’y sont lancées dès que possible. C’est le cas des Hauts-de-France, de PACA et du Grand Est, qui y voient la capacité d’opérer sur des lignes de façon plus économe et d’offrir un meilleur service à la population.

Contrairement à ce que vous affirmez, ce cadre a permis, dans un certain nombre de pays – la Suède, l’Allemagne… – d’offrir une offre de transport ferroviaire, notamment sur le TER, de meilleur niveau et à un coût plus acceptable pour l’usager et pour les collectivités publiques.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la réplique.

Mme Éliane Assassi. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de votre réponse.

J’aurais voulu aborder une autre question, relative à la sécurité. Après l’accident du 13 octobre, nous avons déjà eu un débat, à l’occasion duquel nous avions posé cette question qui me paraît fondamentale : comment garantir la sécurité lorsqu’un seul agent de l’opérateur est dans le train ?

Cette question reste en suspens, alors qu’elle mériterait des réponses plus approfondies de la part du Gouvernement. En effet, c’est un point essentiel, à la fois pour les cheminots et pour les usagers.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le contexte dans lequel nous débattons de l’avenir des TER est particulier.

La grève entamée en décembre dernier est toujours d’actualité, et la prochaine ouverture à la concurrence inquiète. La question se pose d’autant plus que, en octobre dernier, la Cour des comptes s’interrogeait sur l’efficacité du modèle, notamment économique, des TER.

Dans ma région, les Hauts-de-France, la nouvelle grille TER est entrée en fonction le 15 décembre dernier, mais l’évaluation des résultats est nécessairement retardée à cause des blocages que nous connaissons. J’ai cependant eu l’occasion, dès le 18 octobre, de saluer le cadencement renforcé entre la métropole lilloise et le Dunkerquois.

Ce nouveau cadre est le fruit de négociations ardues entre la SNCF et le conseil régional ; il inclut une clause de rendez-vous essentielle. L’ambition politique collective est claire : la réussite des territoires et de la région.

Le réseau TER constitue un pilier essentiel du dynamisme de nos régions et une source d’opportunités pour nos concitoyens. Une offre adaptée correspondant aux spécificités de chaque territoire est primordiale afin de répondre au mieux aux besoins des Français.

La mise en concurrence apparaît, selon certains, comme une solution pour améliorer la qualité de l’offre TER dans nos régions, et garantir un service public ferroviaire efficient. À l’heure où les premiers appels d’offres de mise en concurrence voient le jour, notamment en région PACA, pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État, que la SNCF, nos régions et, surtout, nos infrastructures soient prêtes à faire face à l’arrivée de la concurrence ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, il y a plusieurs éléments dans votre question.

Tel que nous l’envisageons, à la lumière des discussions que nous avons pu avoir, notamment ici, le réseau doit être le pivot du système ferroviaire. Et pour avoir une concurrence effective ou simplement un trafic ferroviaire qui permette de fournir un bon service aux usagers des entreprises ferroviaires, il faut que le réseau soit assaini. C’est l’objet de l’ensemble des investissements que j’ai détaillé à l’instant.

L’ouverture à la concurrence, vous l’avez rappelé, est une demande d’un certain nombre de régions, notamment la vôtre, qui y voient le moyen de continuer à faire croître le trafic TER, ce dernier ayant quelque peu stagné de 2012 à 2017, avant de repartir à la hausse. Depuis lors, il a crû de 50 %, avec une fréquentation qui ne cesse d’augmenter également.

Vous avez évoqué rapidement le contexte politique de réformes, des retraites notamment, dans lequel se déroule notre débat.

J’en profite pour vous dire que, au gré des rencontres que j’ai pu avoir avec les syndicats du ferroviaire, en tout cas avec les syndicats progressistes, qui sont venus échanger avec nous, nous avons posé un certain nombre de garanties pour les cheminots, de même que pour les agents de la RATP. Ces éléments, qualifiés d’ailleurs par certains de bon compromis, permettent à la fois de prévoir la transition sur un temps assez long et de donner des garanties très concrètes sur le niveau de leur pension, en tout cas sur le mode de calcul de leur pension, ce qui me paraît de nature à les tranquilliser.

Je souhaite rebondir sur la question de Mme Assassi et aborder la dimension de la sécurité, qui doit effectivement nous intéresser. À cet égard, il est nécessaire d’avoir des débats éclairés sur ce qui se pratique depuis des dizaines d’années en France. Madame la sénatrice, vous faisiez allusion aux équipements agent seul (EAS) et au fait que des centaines de TER circulent chaque jour sur nos voies avec un conducteur à bord.

Je rappelle que cette procédure d’exploitation est autorisée, certifiée et utilisée depuis les années 1970 en France, le respect de la sécurité étant parfaitement démontré. Par ailleurs, les TER sont équipés en ce sens et les personnels sont formés. Ce sont plus de 6 millions de voyageurs par jour qui empruntent les trains en toute sécurité.

Toutefois, nous pouvons en discuter plus longuement si vous le souhaitez.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d’État !

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat. La sécurité est garantie parce que les systèmes que nous exploitons remplissent leur fonction, comme la preuve en a été faite depuis quarante ans.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour la réplique.

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le secrétaire d’État, je ne demande qu’à partager votre optimisme. Néanmoins, je resterai très vigilant quant à l’évolution de ce dossier.

M. le président. La parole est à Mme Michèle Vullien.

Mme Michèle Vullien. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme d’autres orateurs avant moi, je regrette en préambule que nous débattions sur l’avenir des TER alors que nous attendons vainement depuis plusieurs mois le rapport du préfet Philizot sur le devenir des petites lignes.

Nous disposons en revanche, depuis octobre dernier, du rapport de la Cour des comptes sur « les transports express régionaux à l’heure de l’ouverture à la concurrence », dans lequel cette instance émet neuf recommandations.

L’une d’entre elles a retenu mon attention, car elle formalise une vision que je défends depuis de nombreuses années, à savoir la nécessité de réaliser une analyse sociale, économique et environnementale de chaque ligne peu fréquentée, pour permettre à chaque région de choisir entre les options suivantes : développer la ligne ; la maintenir en la gérant de façon plus économique ; l’organiser avec un autre mode de transport, ce qui peut d’ailleurs induire un changement d’autorité organisatrice ; enfin, la supprimer. Sont concernées les régions, bien sûr, mais aussi SNCF Mobilités et SNCF Réseau.

Je me permettrai de compléter cette recommandation en intégrant une option complémentaire, qui consiste à confier la ligne à un autre opérateur dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, en associant dans le tour de table les collectivités locales et territoriales, ainsi que les intercommunalités, qui ont une place importante dans la LOM récemment promulguée, sans oublier la métropole de Lyon, collectivité locale de plein droit à statut particulier.

Dès lors, ma question est simple : comment inciter fortement, pour ne pas dire contraindre – cela n’est pas possible, vous l’avez dit, les collectivités ayant chacune leurs compétences –, l’ensemble des acteurs à choisir la meilleure option pour la ligne concernée et à trouver conjointement une clé de répartition financière indépendamment du mode choisi ?

Pour m’être impliquée sur le sujet depuis vingt-cinq ans, je crois pouvoir dire que le temps de l’analyse et des rapports – Dieu sait s’il y en a eu ! – doit laisser la place au temps des décisions, de l’action, et, bien sûr, du financement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, vous servez mon propos : j’ai eu l’occasion de dire dans cet hémicycle que le temps des rapports était passé et qu’il était nécessaire de mettre en place de véritables plans d’action.

C’est la raison pour laquelle j’ai demandé au préfet Philizot, quand il m’a remis son pré-rapport, de repartir en mission dans les régions, de manière à présenter un plan d’action concerté, qui sera signé par la voie d’accords bilatéraux et qui portera sur plusieurs milliards d’euros ; c’est tout à fait considérable. Le temps des réalisations concrètes est donc venu.

Ce plan permettra de régénérer un certain nombre de petites lignes qui sont aujourd’hui en déshérence, qui font l’objet de limitations de circulation ou de vitesse et qui, d’une manière générale, n’ont pas un avenir assuré.

À cet effet, nous avons travaillé à une typologie très précise, distinguant les lignes qui sont structurantes, les lignes qui font déjà l’objet de travaux de régénération prévus dans les contrats de plan État-Région et les lignes sur lesquelles pourront être utilisés les articles de la LOM prévoyant notamment l’implantation ou l’expérimentation de solutions innovantes, comme le train léger ou le train hydrogène.

Je le redis, c’est bien ce cadre complet qui est mis en place aujourd’hui. Le temps n’est plus aux rapports ; le temps est à l’action. Ces accords bilatéraux seront signés, en tout état de cause, avant la fin du mois de février prochain. Nous sommes en train d’étudier avec les régions la façon d’organiser tout cela de la façon la plus fluide possible.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir.

M. Stéphane Piednoir. Monsieur le secrétaire d’État, depuis le 3 décembre dernier, en application du nouveau pacte ferroviaire, les régions ont la possibilité de signer des contrats de service public de transport ferroviaire de voyageurs avec des opérateurs autres que SNCF Mobilités.

Il s’agit d’une réelle avancée pour ces collectivités, qui espèrent améliorer leur service régional de transport ferré et profiter d’une baisse des coûts de fonctionnement, aujourd’hui à leur charge.

Un rapport récent de la Cour des comptes fait d’ailleurs état d’un fort investissement des régions dans ce domaine entre 2012 et 2017, avec 2,1 milliards d’euros investis sur le réseau et les gares. Les auteurs de ce rapport rappellent aussi que la propriété du réseau et des gares relève non pas des régions, mais bien de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités.

Cela dit, j’aimerais m’attarder sur la situation particulière des petites lignes ferroviaires, qui ont fait l’objet d’un rapport du préfet Philizot, commandé par le Gouvernement, mais toujours pas rendu public.

Ces petites lignes sont presque toutes menacées par défaut d’entretien. C’est notamment le cas dans ma région des Pays de la Loire. Or, nous sommes tous d’accord pour le dire ici, les plus petites lignes sont essentielles au développement équilibré de l’ensemble du territoire. Cela fait explicitement partie des objectifs de la LOM.

Pour répondre en partie à cette problématique, la Cour des comptes préconise de clarifier les rôles respectifs des régions, du groupe public ferroviaire et de l’État dans le financement des infrastructures. Elle va même plus loin en suggérant de transférer aux régions qui le souhaitent la propriété des infrastructures régionales et de leur laisser le choix des modalités de gestion et d’entretien.

J’y vois, à titre personnel, une possibilité intéressante, notamment en ce qui concerne les petites gares locales, qui pourraient jouer le rôle de lieux multimodaux accueillant d’autres services publics ou privés.

Monsieur le secrétaire d’État, une clarification du rôle de chacun dans l’entretien du réseau et des gares fera-t-elle partie de votre plan d’action pour les petites lignes ? Donneriez-vous des moyens financiers suffisants aux régions, qui en récupéreraient la responsabilité, dans le cadre des solutions innovantes que vous avez évoquées tout à l’heure ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, l’article 172 de la LOM, que vous avez évoqué, met essentiellement en place trois dispositifs à l’usage, notamment, des régions.

Tout d’abord, il prévoit que le transfert de gestion de lignes locales ou régionales à faible trafic peut être réalisé vers des autorités organisatrices du transport ferroviaire qui en feraient la demande, sous réserve de l’accord du ministre des transports.

Ensuite, il permet à SNCF Réseau de mettre en place des partenariats publics-privés pour la régénération, puis l’entretien des lignes locales ou régionales.

Enfin, il autorise le transfert de certaines missions de gestion de l’infrastructure sur des lignes peu fréquentées du réseau ferré national aux régions qui en feraient la demande et qui financeraient la majeure partie des investissements sur ces lignes.

Voilà ce que prévoit l’article. Évidemment, la dimension financière, c’est-à-dire l’équilibre financier ou les moyens qui seront engagés de façon concomitante par l’ensemble des acteurs, doit être un préalable. C’est bien l’objet des accords bilatéraux que j’ai évoqués précédemment.

L’objectif, pour ce volet « volume financier » qui est considérable, c’est bien de voir l’État, SNCF Réseau, les régions se mettre d’accord sur une clé de financement, en fonction de la typologie des lignes concernées.

J’ai parlé des lignes les plus structurantes, c’est-à-dire de celles qui sont très fréquentées, des lignes qui font déjà l’objet de CPER et des lignes qui, demain, feront l’objet, notamment au travers des dispositions de ces articles, de solutions innovantes. Il est positif de disposer d’un volume financier, ou plus précisément d’un plan qui soit financé et qui permette de concourir à l’objectif que nous nous fixons collectivement, à savoir régénérer effectivement ces lignes si utiles à nos territoires.

M. le président. La parole est à M. Joël Bigot.

M. Joël Bigot. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans un rapport publié le 23 octobre dernier, la Cour des comptes pointait la dégradation continue de la qualité de service des transports express régionaux.

Les magistrats y dénonçaient, notamment, un sous-investissement récurrent dans les infrastructures. En France, l’âge moyen des voies est d’environ 30 ans, contre 17 ans chez nos voisins allemands. Le propriétaire chargé de leur entretien, SNCF Réseau, reconnaît que moins d’un tiers de ces lignes régionales sont en bon état.

Cet état dégradé du réseau conduit à des retards, voire à des suppressions de train pour des raisons de sécurité.

Par exemple, la région Pays de la Loire a choisi de privilégier le ferroviaire. L’offre s’est accrue de 23 % sur la période 2012-2017, mais la fréquentation a stagné, car la concurrence est vive entre les TGV et les TER pour circuler sur des infrastructures ferroviaires saturées. C’est d’ailleurs pour cette raison que trois liaisons quotidiennes viennent d’être supprimées entre Angers et Le Mans.

Il existe une grande hétérogénéité dans la fréquentation des lignes.

Certaines, autour des métropoles, sont surchargées et peuvent être inconfortables pour les voyageurs. D’autres concourent à l’aménagement du territoire et au désenclavement de zones rurales, avec des gares parfois peu fréquentées. Ces dernières, déjà fragilisées par leur vétusté, doivent subir, comme l’ensemble du réseau, une réduction du nombre de contrôleurs dans les trains et de nombreuses fermetures de guichets.

Dans ces conditions, comment pouvoir offrir au public un égal accès à l’offre de mobilités ? L’ouverture à la concurrence, obligatoire dans toutes les régions en décembre 2023, pourrait constituer une menace fatale pour ces lignes, qui jouent un rôle considérable contre les fractures territoriales.

Le Premier ministre a annoncé sa volonté d’investir 200 millions d’euros supplémentaires dans les infrastructures ferroviaires à partir de 2022, alors que, selon le préfet Philizot, lors de son audition par le Sénat, le besoin a été évalué à 7,4 milliards d’euros pour la seule remise en état du réseau des lignes de desserte fine du territoire.

Monsieur le secrétaire d’État, une accélération des investissements se révèle donc indispensable. La sécurité de notre réseau en dépend. Quelle est la volonté de l’État pour décliner cette priorité ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous avez parlé de sous-investissements chroniques sur le réseau, et vous avez parfaitement raison.

Vous avez souligné que notre réseau a, en moyenne, 30 ans d’âge, mais parfois, sur certaines petites lignes, c’est plus de 80 ans qu’ont les plateformes et les voies. Les conséquences de cette situation, ce sont les retards et les suppressions, à cause des limitations de vitesse sur les voies et, parfois, des fermetures administratives, qui entraînent l’arrêt du trafic. Telle est la réalité.

Pour répondre à votre question, je rappelle les chiffres que j’ai annoncés et qui ont été votés au conseil d’administration de SNCF Réseau : 3,6 milliards d’euros, soit 3 milliards d’euros pour le système voies et signalisation et 600 millions d’euros pour les gares.

S’y ajoute un plan RER métropolitain, avec 2,6 milliards d’euros sur dix ans, qui permettra de désaturer les nœuds ferroviaires, comme on dit dans le jargon, et qui donnera la priorité aux transports du quotidien.

S’agissant des petites lignes, vous avez raison de rappeler notre ambition, que les travaux du préfet Philizot ont contribué à faire émerger : un financement important, éclairé par des plans d’action régionaux et supporté de façon partenariale par l’État, SNCF Réseau et les régions.

C’est l’objet des discussions que j’ai pu avoir, fin décembre, avec l’Assemblée des régions de France (ARF) et c’est l’objet des accords bilatéraux que nous allons signer, d’ici au 15 février prochain, avec les régions volontaires dont les dossiers sont suffisamment matures. Ces accords porteront effectivement l’ambition de régénérer des petites lignes en fonction des besoins et des ressources identifiés de l’ensemble des partenaires.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe Les Républicains d’avoir programmé ce débat, tant il est vrai que la situation des transports express régionaux est pour le moins floue.

La SNCF avait pourtant lancé en 2016 un plan stratégique, Cap TER 2020, orienté vers la réduction des coûts et l’amélioration de la qualité des TER, tandis qu’une mission avait été confiée au préfet Philizot, au début de 2019, sur la question des petites lignes. La publication du rapport se fait toujours attendre, mais il semblerait qu’il n’apporte que des embryons de solutions.

Enfin, en octobre dernier, la Cour des comptes déplorait un état dégradé du réseau et un service insuffisant pour un transport coûteux.

Où en est-on des efforts de transformation du TER en ce début d’année 2020, qui marque l’ouverture à la concurrence ?

On le sait, deux chantiers sont prioritaires. Le premier est celui de la réorganisation des rôles respectifs des régions, du groupe public ferroviaire et de l’État dans le financement des infrastructures. Le second chantier de modernisation du TER est celui de son attractivité. Il doit être valorisé, car il constitue un mode de transport s’ancrant dans les territoires de nature à accompagner la transition énergétique.

Au passage, mes chers collègues, je vous fais remarquer que cette transition est malmenée depuis quelques semaines par la grève à la SNCF, qui met beaucoup de camions, de voitures et d’avions en circulation. L’environnement est en train de payer un lourd tribut, sans que personne en parle.

Il s’agit enfin de réorganiser la SNCF dans une logique de décentralisation en permettant un report modal des passagers de la route vers le rail.

Monsieur le secrétaire d’État, où en est-on de la clarification de la gouvernance du TER et de l’amélioration de son attractivité ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué le plan Cap TER 2020, qui porte déjà ses fruits, avec des premiers résultats positifs depuis 2019.

Ainsi, la régularité du TER s’est améliorée, passant de 91 % sur les cinq premiers mois de 2017 à 93 % sur les mêmes mois en 2019, ce qui est tout à fait encourageant. Le trafic TER a augmenté de près de 4 % sur la même période. Les charges d’exploitation, en hausse continue depuis 2012, ont diminué entre 2017 et 2018. Cette tendance est toujours à l’œuvre. La transformation de la gouvernance de la SNCF et, en son sein, de l’organisation de l’offre TER est en donc cours.

Par ailleurs, sur l’état dégradé du réseau, je vous renvoie aux discussions que nous avons eues préalablement et aux chiffres que j’ai évoqués. Il faut évidemment remettre le réseau en état, notamment les lignes très empruntées par les TER, ce qui permettra d’améliorer le service aux usagers dans son ensemble.

M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Vaspart. Monsieur le secrétaire d’État, en l’absence du rapport Philizot, permettez-moi de vous adresser une question régionale.

La ligne Lamballe-Dinan-Dol-de-Bretagne est une ligne secondaire structurante pour la liaison de l’est des Côtes-d’Armor avec le nord de l’Ille-et-Vilaine.

Ligne à voie unique, sa rénovation, réclamée depuis plus de trente ans par la société civile et les élus locaux, a débuté en 2013 par la réfection complète de la section entre Dinan et Pleudihen-sur-Rance.

Cette même société civile, au travers d’une association et des élus locaux, a obtenu de haute lutte la poursuite de la rénovation entre Pleudihen-sur-Rance et Dol-de-Bretagne. Celle-ci a commencé en décembre 2019 et devrait durer une année. Elle permettra d’améliorer l’offre de transport entre Dinan et Rennes et entre Dinan et Saint-Malo.

Ces travaux sont estimés à 62 millions d’euros et prévoient la rénovation de la section Dinan-Lamballe vers Saint-Brieuc. Inscrits au CPER 2015-2020, quelque 26 millions d’euros sur 62 millions concernent la première partie. Les 36 millions d’euros restants sont affectés à la rénovation de la section Dinan-Lamballe.

Le calendrier n’étant pas encore bien établi, la société civile et les élus locaux craignent une rupture entre les travaux qui sont en cours et ceux de la partie occidentale de la ligne. Ils sont inquiets pour la pérennité des financements qui ont été actés en 2015 et qui se terminent à la fin de cette année avec le contrat de plan.

La continuité des travaux entre les deux parties de la ligne est indispensable. Les retards et tergiversations ont assez duré !

SNCF Réseau, seul maître d’œuvre de ces rénovations, demande aux collectivités et à l’État de provisionner des montants considérables, aussi bien pour les études que pour les travaux, avec, monsieur le secrétaire d’État, un manque total de transparence sur les fonds publics versés par les collectivités à SNCF Réseau.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous m’assurer de la continuité des travaux et du maintien du fléchage des 62 millions d’euros, pour, enfin, finir la rénovation du barreau nord Côtes-d’Armor-Ille-et-Vilaine, tant attendu par les élus et nos concitoyens ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous avez rappelé les travaux qui sont en cours et pour lesquels l’État prend sa part.

Le Premier ministre avait rappelé, en signant le pacte d’accessibilité et de mobilité pour la Bretagne, le 8 février 2019, l’engagement de l’État sur les 5,6 millions d’euros qui ont été contractualisés pour garantir la convention de financement des travaux sur la section Dol-de-Bretagne-Pleudihen, que vous avez citée, et, au même titre que les partenaires du CPER, pour apporter les crédits nécessaires à la réalisation des travaux de la section Dinan-Lamballe, que vous avez également citée et dont les études se poursuivent jusqu’à la fin de 2020.

Dans l’attente de ces prochains travaux, SNCF Réseau consacre depuis 2018 une somme de 350 000 euros par an à la maintenance renforcée pour garantir la circulation des trains et le déplacement des voyageurs.

Je vous confirme que l’objectif est bien d’assurer la continuité de ces opérations entre les CPER, qui courent jusqu’en 2022, éventuellement à l’aide d’avenants, et la nouvelle génération des contrats, l’idée étant évidemment d’assurer la continuité du service public ferroviaire.

M. le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.

M. Gilbert-Luc Devinaz. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, je me réjouis de ce débat, que l’on doit au groupe Les Républicains et qui porte sur un sujet du quotidien pour nos concitoyens, en particulier ceux qui vivent en périphérie des grandes métropoles ou des grandes agglomérations.

Je regrette toutefois que ce débat soit limité à la seule question des TER. Il me semble en effet que, pour améliorer la mobilité de nos concitoyens, il faut penser intermodalité et non pas mode par mode.

J’en viens à ma question. En octobre 2018, le P-DG de SNCF Réseau souhaitait sous-traiter certaines petites lignes au privé. Laisser le privé gérer la maintenance ou l’exploitation de certaines lignes était vu comme une solution pour augmenter leur rentabilité ; dans le cas contraire, la dette de SNCF Réseau allait se creuser.

Des critiques avaient été émises sur les risques pour la sécurité du réseau ou sur les réelles économies à attendre de cette solution.

La loi réformant le statut de la SNCF est entrée en vigueur le 1er janvier dernier. La majeure partie de la dette de SNCF Réseau a été reprise par l’État. L’argument unique des économies paraît moins prégnant que celui d’une desserte fine du territoire ou d’un service de qualité aux usagers.

Monsieur le secrétaire d’État, quelle sera la position du Gouvernement, actionnaire des nouvelles entités de la SNCF, sur la sous-traitance privée de la maintenance ou de l’exploitation de certaines lignes de TER ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Il s’agit d’un sujet intéressant.

Le taux d’externalisation au sein de SNCF Réseau est passé de 9 % à 25 % pour la maintenance et l’entretien depuis l’accident de Brétigny-sur-Orge, en 2012. Ce taux est bien supérieur – 80 % environ – pour les travaux, en raison de la vétusté du réseau structurel et des efforts consentis après Brétigny-sur-Orge. À l’époque, le montant des travaux de régénération était d’environ 1 milliard d’euros ; il s’élève aujourd’hui à plus de 3 milliards d’euros par an.

Une réflexion doit être menée sur le taux d’externalisation souhaitable. C’est d’ailleurs l’une des seules discussions fécondes et intéressantes que j’ai pu avoir avec la CGT Cheminots…

Il faut, au sein de la SNCF, poser le curseur au bon endroit, pour que les compétences demeurent au sein de l’entreprise, singulièrement au sein de SNCF Réseau, tout en assumant la densité de travaux qu’il faudra conduire dans la décennie à venir.

Comme je l’ai déjà souligné, l’article 172 de la LOM prévoit un certain nombre de modalités de délégation de gestion : soit SNCF Réseau, monopole public, est en mesure de déléguer un certain nombre de travaux sous sa responsabilité, soit le gestionnaire d’infrastructure délégué ou conventionné est titulaire de l’ensemble des autorisations de sécurité ferroviaire, à l’instar de ce qui existe déjà pour le fret.

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet.

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, le transport régional est une toile d’araignée. Alors que, oubliant la proximité, nous étions dans le tout TGV, il semblerait que l’on soit aujourd’hui tenté d’arrêter les investissements sur ce réseau pour ne plus se consacrer qu’aux TER. Or ces maillages à grande vitesse et cette toile d’araignée plus fine qui dessert les territoires sont tous deux nécessaires pour répondre aux besoins de la population.

Je voudrais rendre hommage au travail mené par notre collègue Didier Mandelli. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez cité à plusieurs reprises les régions qui se sont engagées, au nombre desquelles la région Grand Est : sur un budget annuel de 3,3 milliards d’euros, celle-ci consacrera 880 millions d’euros à la mobilité en 2020.

La cour régionale des comptes évalue à 1,5 milliard d’euros le coût des travaux de remise en état des lignes TER du Grand Est. Dans les Vosges, la totalité des lignes TER sont des lignes « 7 à 9 », c’est-à-dire qui nécessitent des travaux très importants pour maintenir la circulation des trains. La situation est telle que, sur certaines lignes, un vélo électrique va parfois plus vite qu’un train, quand ce n’est pas un train très performant qui va moins vite qu’un train à vapeur ! Il y a là une vraie question.

Par ailleurs, le Président de la République s’était engagé sur la remise en état de la ligne Épinal-Saint-Dié, pour laquelle 26 millions d’euros de travaux sont nécessaires, financés à plus de 50 % par la région. Sur quelle dynamique financière les régions pourront-elles s’appuyer pour supporter l’abandon de l’État ?

M. Jean-François Husson. Excellent, monsieur Gremillet !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, le Gouvernement partage le constat de la concentration des investissements sur les lignes à grande vitesse.

Durant la décennie précédente, quelque 40 % des investissements ont été consacrés au système TGV, au détriment des lignes de desserte du territoire. Les lignes TER, parce qu’elles étaient vétustes, ne fournissaient plus le service requis aux usagers. Elles entraient alors dans un cercle vicieux, les conduisant à avoir de moins en moins d’usagers, donc à souffrir d’un désengagement.

Le Gouvernement a choisi de concentrer les efforts sur les transports du quotidien, donc sur les lignes TER. Cet engagement, inscrit dans la loi, s’est traduit par des efforts budgétaires. C’est un engagement que le Gouvernement s’honore de prendre, avec les chiffres que j’ai rappelés.

Comme vous l’avez souligné, le coût de la remise en état de la ligne Épinal-Saint-Dié s’élève à 26 millions d’euros, dont 8,4 millions sont pris en charge par l’État.

M. Daniel Gremillet. Et plus de 50 % par la région !

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat. Oui, c’est exact, monsieur le sénateur. Les additions tombent juste !

Vous avez rappelé ce qui pourra être mis en œuvre au travers des travaux de la mission Philizot. La région est tout à fait allante sur la ligne Nancy-Vittel pour mettre en œuvre l’article 172 de la loi et ainsi trouver les voies de la pérennisation de cette ligne.

C’est par ces efforts concertés, par l’activation de l’ensemble de ces dispositifs au bénéfice des petites lignes que nous arriverons à faire vivre ce système quelque peu dual, typiquement français, dans lequel coexistent un réseau TGV, qui assure bien souvent la desserte du territoire, notamment en bout de ligne, et un réseau « TER-petites lignes », à rénover à la hauteur des aspirations des régions.

Il n’y a pas de dualité dans la politique du Gouvernement. Nous avons simplement l’ambition d’opérer un rattrapage au profit des petites lignes ferroviaires, trop longtemps délaissées.

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour la réplique.

M. Daniel Gremillet. Monsieur le secrétaire d’État, merci de cette partie de réponse.

Que les choses soient très claires entre nous : nous sommes entrés dans une nouvelle ère de compétitivité, pour apporter une réponse aux besoins de la population et rendre le transport accessible.

Toutefois, je n’imagine pas que l’État prenne ce prétexte pour se désengager du financement des solidarités. Je me permets d’insister, car ce piège peut être tendu… La solidarité passe aussi par le financement des lignes TER. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin.

M. Jean-François Rapin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la région Hauts-de-France constate aujourd’hui un refus de SNCF Voyageurs de fournir des informations précédemment demandées pour préparer la mise en concurrence de son service public de transport ferroviaire.

Le 10 mai dernier, la région a publié un avis de pré-information sur les services qu’elle entend réattribuer à compter du mois de mai 2020. Elle ne dispose plus que de six mois pour préparer les appels d’offres, et SNCF Voyageurs profite de sa situation de monopole en ne transmettant pas les informations nécessaires.

Pourtant, la région a veillé à signaler son besoin avec un maximum d’anticipation. En effet, le 12 mars 2018, une première demande a été formulée par courrier. Au lendemain de la promulgation de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire, la demande a été réitérée. Il convient de préciser que les dispositions concernant les informations dues aux autorités organisatrices par les opérateurs ferroviaires étaient pleinement applicables.

Le 13 novembre 2018, la région Hauts-de-France a renouvelé et complété sa demande, après avoir rempli l’obligation préalable d’adopter un plan de gestion des informations couvertes par le secret des affaires, tel qu’en dispose la réglementation idoine, que l’État a mis plus d’un an à préciser dans un décret du 20 août 2019.

Enfin, le 15 octobre dernier, dans un contexte d’information asymétrique dénoncé par la Cour des comptes et par la chambre régionale des comptes, la région a adopté un nouveau contrat de service public, sans pour autant avoir pu obtenir contractuellement les informations recherchées.

Face à l’absence de transmission des informations de la part de l’opérateur historique, la région, dans l’incapacité d’exercer pleinement ses prérogatives, a saisi l’Autorité de régulation des transports (ART) dès le 19 avril 2019. À cette occasion, elle a pu préciser ses demandes d’information dans de nombreux courriers et au cours de cette procédure contentieuse.

À ce jour, le règlement de différend n’a pas encore abouti, et l’acte de régulation sur lequel le collège de l’Autorité aura à se prononcer est, quel qu’en soit son contenu, susceptible d’un recours de SNCF Voyageurs, ce qui retarderait davantage la mise en œuvre effective de la réforme voulue par le législateur. Il apparaît donc urgent que l’État, en tant qu’actionnaire unique de SNCF Voyageurs, rappelle l’entreprise à ses obligations.

Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je vous prie de bien vouloir m’indiquer quelles sont vos intentions sur ce sujet. (Mme Valérie Létard applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous avez raison de rappeler le décret du mois d’août dernier. Comme vous l’avez souligné, les régions ont la faculté de saisir l’Autorité de régulation des transports. L’État en fait d’ailleurs de même en ce qui concerne les TET.

Nous serons très vigilants pour que l’ART délibère rapidement, de manière à rester dans le calendrier politique des régions.

J’en profite pour rebondir sur les propos de M. Gremillet, qui évoquait un désengagement de l’État. En termes de volumes, 70 % des investissements sont bien portés par les régions et 30 % par l’État. Mais, si l’on cumule investissements et maintenance, le ratio s’inverse : ce sont alors l’État et SNCF Réseau qui prennent en charge 70 % des dépenses globales.

M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 4 décembre dernier, l’État et les collectivités locales ont annoncé, lors d’un comité interrégional, le financement de la rénovation de la ligne ferroviaire Grenoble-Veynes, à hauteur de 34 millions d’euros.

L’absence d’investissements durant plusieurs décennies rend ce financement nécessaire pour sauver l’étoile de Veynes et maintenir une « petite ligne », essentielle à la vie d’un territoire rural et de montagne.

Lors de ce dernier comité de pilotage, SNCF Réseau a annoncé qu’une communication positive serait faite début 2020 pour valoriser l’engagement de l’ensemble des partenaires pour le maintien durable du service. Or, en ce début d’année, force est de constater que les faits ne correspondent absolument pas aux déclarations de bonne intention.

Actuellement, deux trains, l’un au départ de Grenoble, à dix-huit heures neuf, et l’autre au départ de Gap, à sept heures, sont remplacés par des cars sur la section Clelles-Veynes – une solution de rechange devenue de plus en plus fréquente hors période de travaux ; je ne dresserai pas ici la liste des exemples qui se multiplient, notamment dans mon département des Hautes-Alpes.

Or le recours au transport par la route doit rester occasionnel, qui plus est sur les lignes régionales, où la tentation est grande de fermer les guichets, puis les gares et, demain, les lignes.

C’est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d’État, les élus, tant de l’Isère que des Hautes-Alpes, et les usagers ne peuvent se satisfaire des réponses techniques apportées aujourd’hui par SNCF Réseau et demandent à l’État de ne pas relâcher sa vigilance pour obtenir de l’exploitant le maintien des trajets intégralement en train, sauf en cas de force majeure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, votre constat est juste. Cette situation est due aux travaux préparatoires mis en œuvre sur la ligne Grenoble-Gap avant 2022. L’adaptation de l’offre se fait en lien avec les services de la région responsables de cette organisation.

Après les semaines de discussion que nous avons connues, le comité de pilotage du 4 décembre 2019 a établi un programme des travaux sur la ligne Livron-Veynes en 2020 et 2021, ainsi que des travaux plus lourds dès la fin de l’année 2021 entre Vif et Aspres. Une enveloppe de 28,3 millions d’euros sera débloquée à cet effet, dont 11 millions d’euros apportés par l’État, ainsi que 3 millions par SNCF Réseau, au titre de la maintenance renforcée, pour assurer le maintien de la circulation des TER sur la ligne des Alpes jusqu’à Clelles, pendant les travaux de la ligne Livron-Veynes.

Voilà précisément quelle est la situation. Vous avez raison de souligner que l’offre est actuellement adaptée au regard des travaux préparatoires avant 2022.

M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer.

Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il s’agit d’un débat passionnant. Nous sommes très souvent sollicités sur ce sujet essentiel pour nos concitoyens.

La Normandie a été pionnière en la matière. C’est en effet la première région à avoir obtenu le transfert de l’État des lignes Intercités. La Normandie met tout en œuvre pour améliorer au plus vite les problèmes récurrents d’allongement du temps de trajet sur ses lignes TER et Intercités.

Avec le vieillissement des trains et des rails dont souffrent aussi d’autres territoires, le temps de trajet entre Le Havre et Paris ne cesse de se rallonger depuis vingt ans. Les trains sont parfois vétustes, à l’image de celui, très vintage, que j’ai pris ce matin. (Sourires.)

En contrepartie de la prise en charge par l’État du renouvellement complet du matériel ferroviaire, la région s’est investie dans l’amélioration des transports du quotidien par sa gouvernante. Grâce à ses choix, les usagers des lignes Paris-Caen-Cherbourg et Paris-Rouen-Le Havre embarqueront bientôt dans des trains neufs particulièrement attendus.

Nous sommes au milieu du gué. Le problème de modernisation du rail demeure en Normandie, en raison d’un vieillissement certain des voies et des gares, qui contribue également à l’allongement du temps de trajet.

Comme certains orateurs l’ont déjà souligné, la Cour des comptes préconise dans son rapport de transférer aux régions la propriété des infrastructures régionales. Pensez-vous transmettre à la région Normandie les infrastructures concernées, notamment pour permettre la mise en œuvre d’un meilleur service dans les petites gares, qui sont parfois vides de personnel ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, l’État consacre 860 millions d’euros au renouvellement du matériel roulant. Le premier train est entré en circulation hier, et la livraison des autres s’étalera sur les vingt-quatre prochains mois.

Nous avons eu l’occasion d’aborder en profondeur la question de la régénération des voies. La région Normandie a évidemment fait valoir ses besoins. Elle participera de la même façon aux accords bilatéraux que nous envisageons de signer de façon tripartite avec SNCF Réseau, de manière à faire plein usage de l’article 172 de la loi d’orientation des mobilités et de permettre, le cas échéant, la mise en place de solutions de substitution.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Christine Lavarde, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons beaucoup parlé des plus petites lignes, les lignes « 7 à 9 », selon la classification internationale.

Or nous aurions pu évoquer bien d’autres sujets, comme la qualité du service ou l’impact écologique des trains. Nous avons préféré nous focaliser sur les petites lignes, qui représentent 45 % des 20 000 kilomètres du réseau TER, soit 9 000 kilomètres, pour seulement 2 % des voyageurs par kilomètre.

Si nous nous sentons tellement concernés par ces lignes, c’est qu’elles sont au plus près de nos territoires, ou plutôt de vos territoires, mes chers collègues, la région Île-de-France étant très largement supérieure à la moyenne européenne, avec 160 trains par jour, contre 13 en moyenne sur ces petites lignes.

Cette situation illustre bien une des difficultés de notre « métier » : la dette de la France ayant dépassé 100 % du PIB, nous devrions être soucieux de diminuer la dépense publique, mais nous voulons aussi assurer l’unicité de notre territoire et participer à son aménagement. Or ces plus petites lignes sont au cœur de cette question, en ce qu’elles permettent à chacun de circuler librement sans être dépendant d’une voiture.

Quand ils circulent sur des lignes électrifiées, les trains et les TER sont un outil au service de la transition écologique et énergétique. C’est beaucoup moins vrai quand ils fonctionnent au fioul, ce qui est malheureusement encore le cas sur les plus petites lignes…

Lors de la dernière session, la délégation à la prospective du Sénat a travaillé sur les nouvelles mobilités et publié un rapport signé par nos collègues Françoise Cartron, Alain Fouché, Olivier Jacquin et Michèle Vullien. Quels nouveaux outils utiliser aujourd’hui, pour faire évoluer la mobilité et s’assurer que celle-ci réponde aux enjeux à la fois de soutenabilité financière et d’aménagement du territoire ?

Le numérique apporte un certain nombre de solutions. L’État a lancé des appels à projets, afin de promouvoir de nouvelles mobilités, adaptées à chaque situation locale. Il serait intéressant que ces appels fassent l’objet d’une communication, afin de voir quelles solutions pourraient être généralisées à l’échelle nationale.

Monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes largement félicité de la bouffée d’oxygène qu’a constitué, pour SNCF Réseau, la reprise de sa dette par l’État. Cette réponse était nécessaire pour la régénération du réseau, mais sera-t-elle suffisante ?

Oui, si SNCF Réseau se montre capable de poursuivre des gains de productivité. Si cette reprise de dette permet à l’entreprise d’économiser environ 1 milliard d’euros par an en frais financiers, SNCF Réseau doit encore améliorer sa productivité de 400 millions d’euros par an d’ici à 2026, pour mener à son terme l’ensemble des opérations de régénération sans reconstituer la dette. Il s’agit d’un effort significatif, mais nous avons envie de croire, avec vous, que cet opérateur en est capable.

Vous avez également évoqué la décentralisation des transports et le rôle dévolu aujourd’hui aux régions, amenées à devenir de véritables autorités organisatrices, à même de décider des lignes à maintenir ou non. Espérons que cet élan se propage à d’autres domaines lors de l’examen du projet de loi dit « 3D » : les collectivités, notamment celles qui se situent au plus près des citoyens, sont souvent les plus en capacité d’apporter des réponses adaptées.

Je tiens à remercier l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés et, puisque l’occasion m’en est donnée, à vous souhaiter à tous une bonne année, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’avenir des transports express régionaux.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Plan d’action en faveur des territoires ruraux

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le plan d’action en faveur des territoires ruraux.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Jacques Genest, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Genest, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat ne perd jamais une occasion de parler de la ruralité.

Tout d’abord, parce que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » et que celles-ci sont rurales à 90 %. Ensuite, et surtout, parce que les élus locaux savent à quel point les maux dont souffre le monde rural sont profonds. Et ses habitants vivent avec le sentiment d’évoluer dans une société bloquée, qui entrave la promesse républicaine d’égalité.

D’ailleurs, d’où vient cette crise de la ruralité ? Tout simplement de ce que nous ne faisons plus d’aménagement du territoire. Cette politique a pourtant existé, notamment grâce à la création de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar) en 1963, par le général de Gaulle.

Néanmoins, la réforme de 1963 n’a pas consisté en la création d’une nouvelle direction hyperspécialisée : elle a reposé sur un objectif simple, à savoir créer des pôles de croissance capables de réorienter les flux économiques avec un pilotage pragmatique et, surtout, des moyens financiers. Très exactement le contraire de la situation actuelle !

Cette politique a fonctionné aussi longtemps qu’elle a été maintenue. Hélas, les chocs pétroliers et leurs conséquences auront peu à peu conduit à considérer l’aménagement du territoire comme un luxe superflu.

Depuis lors, la ruralité n’a droit qu’à des soins palliatifs. Un bel exemple : on veut recréer des cafés, des stations-service, des petits commerces et redynamiser les bourgs-centres, après avoir tout fait pour les faire disparaître avec, entre autres, de gigantesques zones commerciales. C’est donner un cachet d’aspirine à quelqu’un sur qui on a tiré au bazooka !

Aujourd’hui, en 2020, le volume total des dispositifs d’aide est au plus bas. Je vous renvoie à la lecture du rapport de mon collègue Louis-Jean de Nicolaÿ sur le budget 2020, qui détaille les crédits consacrés à l’aménagement du territoire. Sa hausse ne résulte que de la création de l’Agence de la cohésion des territoires. L’effort réel de la part de l’État n’est que de 10 millions d’euros, sur lesquels les élus locaux n’auront guère leur mot à dire.

Si la responsabilité de ce désengagement est collective, que voyons-nous pour le monde rural quand nous regardons en avant ? Certains pensent encore que l’économie numérique va créer un mouvement massif et spontané vers le monde rural, qu’une start-up corrézienne ou, mieux, ardéchoise pourra travailler sans difficulté avec des clients brésiliens et des fournisseurs coréens.

Toutefois, jusqu’à présent, le développement du numérique a encore accentué la concentration géographique de la création de richesses. Je pense, par exemple, à l’installation de la fibre optique, gratuite pour les grandes agglomérations et payante pour les autres territoires. Ainsi, la communauté de communes de la Montagne d’Ardèche, avec ses 5 000 habitants, devra payer 2 millions d’euros. Quel bel exemple de solidarité territoriale !

Avant d’espérer, il faut déjà s’accorder sur certains postulats et tailler en pièces les idées reçues : oui, le monde rural peut s’insérer dans la mondialisation ; oui, le monde rural peut accueillir des activités économiques à forte valeur ajoutée ; enfin, non, le monde rural ne peut être cantonné au rôle de réserve naturelle destinée à combler la soif d’authenticité de nos amis citadins.

Concrètement, nous connaissons les deux défis à relever : l’un est économique, l’autre démographique. Aujourd’hui encore, les jeunes quittent le monde rural par manque de débouchés, et les entreprises ne s’y installent pas, faute de main-d’œuvre.

Il existe, madame la ministre, beaucoup de propositions intéressantes dans le plan du Gouvernement, et parfois des propositions de bon sens, qui ne sont ni coûteuses ni complexes à mettre en œuvre.

Vous savez pourtant, madame la ministre, que deux difficultés majeures préoccupent les élus que nous sommes : la fracture numérique et les déserts médicaux.

Comment encourager l’installation de nos concitoyens en zone rurale, si l’on ne peut s’y faire soigner ni même communiquer, que ce soit par internet ou même par téléphone ? Il est d’ailleurs particulièrement difficile de construire dans ces zones, parce que nos règles d’urbanisme sont inadaptées au développement de la ruralité.

Pis encore, comment voulez-vous y retenir des habitants qui perdent patience ? Cela n’a rien d’étonnant : quand on prend conscience que l’on n’a accès ni aux mêmes droits ni aux mêmes chances que ses compatriotes, l’impatience se transforme en colère.

La révolte des « gilets jaunes » s’illustre ainsi par quatre revendications essentielles : ils veulent pouvoir nourrir leur famille, se loger décemment, se déplacer et, surtout, se faire soigner. Le reste n’est que littérature !

Venons-en aux propositions du Gouvernement : je commencerai par le numérique, domaine où votre plan d’action est le plus timide, ce qui est bien dommage. Mon collègue Patrick Chaize, qui conclura ce débat, aura l’occasion d’y revenir plus en détail.

La technologie elle-même est sans doute moins importante que les usages qu’on peut en faire. De ce point de vue, je regrette, madame la ministre, votre passivité en matière de télétravail. Les grèves que nos concitoyens subissent devraient vous faire comprendre à quel point s’impose une véritable mesure d’allégement fiscal en la matière.

Concernant les déserts médicaux, je relève dans votre plan plusieurs solutions intéressantes : vous proposez notamment de renforcer le champ d’intervention des professionnels de santé non-médecins et d’assurer le déploiement de 400 postes de médecins salariés. Si l’on ne peut que soutenir ces mesures, je rappelle qu’elles sont de court terme, et que leur dose n’est qu’homéopathique.

S’agissant des réponses à plus long terme, vous proposez de déployer les stages d’internes en médecine dans les zones sous-denses, en priorité dans les territoires ruraux. Nous souscrivons évidemment à cette proposition ! Notre groupe y est tellement favorable qu’il avait, sur l’initiative de notre collègue Corinne Imbert, voté en faveur d’un dispositif analogue lors de l’examen de la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.

Vous proposez ensuite de formaliser un partenariat entre les différents acteurs des territoires pour agir contre les difficultés d’accès aux soins, en particulier dans les territoires ruraux. Concrètement, on ne peut pas, à mon sens, attendre grand-chose de cette mesure, qui ne résoudra pas le problème de fond. Cela exigerait des actions fortes prises bien en amont, telles qu’une réforme du cadre des études de médecine.

En définitive, les propositions de votre plan d’action en matière de lutte contre les déserts médicaux et la fracture numérique ne me posent aucun problème.

J’irai jusqu’à dire qu’il y a une certaine indécence à produire un plan d’action aussi ambitieux pour, à peine trois mois plus tard, soumettre à consultation un nouveau cahier des charges pour le financement des réseaux d’initiative publique qui conduira, tout simplement, à la disparition du plan France très haut débit.

Les habitants du monde rural – vous le savez, madame la ministre – n’attendent pas de miracles. À force de promesses non tenues, ils sont devenus indifférents aux grandes opérations de communication dont ils sont les destinataires.

En la matière, comme dans tous les autres domaines de la vie publique, il ne faudrait jamais dire plus que ce que l’on est capable de faire.

C’est d’ailleurs tout à fait la philosophie qui a présidé à la création, par notre groupe, du groupe de travail sur la ruralité, que j’anime conjointement avec mes collègues Jean-Marc Boyer et Daniel Laurent. Ses propositions, qui seront simples et peu coûteuses à mettre en œuvre, seront connues dans les prochains jours ; elles compléteront celles que nous avions faites dès 2016.

Toutefois, aujourd’hui, madame la ministre, c’est de votre plan d’action qu’il est question. Qu’est-ce qui peut nous laisser penser que cette initiative aura un sort différent de celui des comités interministériels aux ruralités, lancés par la précédente majorité, où de vos conférences territoriales, déjà oubliées ?

Mobilité, santé, emploi, accès aux nouvelles technologies : souvenons-nous que le monde rural et les ruralités sont au carrefour de toutes les grandes problématiques du XXIe siècle. Y répondre, c’est déjà préparer, pour tous les Français, l’émergence d’une nouvelle société au sein de laquelle le monde rural aura davantage qu’une place : un avenir ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à saluer l’initiative du groupe Les Républicains, qui est à l’origine de la tenue de ce débat consacré à notre agenda rural.

Je me réjouis que le thème des ruralités soit l’objet de débats réguliers dans votre assemblée ; je sais combien il vous tient à cœur. Je me souviens que, peu après mon arrivée au ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, il m’apparut que ce ministère aurait tout aussi bien pu s’appeler « ministère de l’aménagement du territoire » : la cohésion présente dans sa dénomination implique en effet un tel travail d’aménagement.

Plusieurs groupes ont été à l’origine de telles discussions : je me souviens notamment de la tenue, sur l’initiative du groupe RDSE, d’un débat sur le thème : « La ruralité, une chance pour la France. » En mars dernier, le même groupe a pris l’initiative d’un autre débat, qui visait à dresser le bilan des dispositifs de soutien aux territoires ruraux les plus fragiles. Plus récemment encore, la délégation aux collectivités territoriales de la Haute Assemblée a organisé un colloque sur le rôle des collectivités territoriales comme levier de développement pour la ruralité.

Toutes ces initiatives témoignent à l’évidence du vif intérêt que vous portez à ce sujet. Je ne puis que me réjouir que nous ayons cette préoccupation en commun.

Avant de vous présenter les grandes lignes de l’agenda rural du Gouvernement, je tenais à vous faire part de quelques-unes de mes convictions les plus profondes en la matière.

Je crois tout d’abord que, pour donner corps à la notion de cohésion des territoires, ou d’aménagement du territoire, il faut cesser d’opposer les territoires entre eux et, notamment, les villes et les campagnes.

Je suis également convaincue qu’il est de notre devoir de battre en crèche certaines idées reçues qui ont cours au sujet des territoires ruraux.

On entend ainsi trop souvent dire que les Français privilégient toujours la ville au détriment de la campagne. C’est inexact : aujourd’hui, comme la presse l’a relevé, les territoires ruraux accueillent plus de nouveaux habitants que les villes. Non seulement l’exode rural est terminé, mais on observe désormais un phénomène inverse : les campagnes gagnent chaque année 100 000 habitants.

Je m’empresse de préciser – nous l’avons tous ici constaté – que ces nouveaux habitants ont des demandes importantes quand ils décident de renouer avec la ruralité. C’est un vrai enjeu.

Selon une autre idée reçue, les territoires ruraux seraient des territoires paupérisés en voie de relégation. Certes, je ne nie pas les difficultés de certains territoires, que je connais d’ailleurs très bien. J’estime néanmoins qu’il faut également réaffirmer la richesse et la potentialité de ces territoires, ainsi, plus largement, que la pluralité des ruralités. Certaines se portent mieux que d’autres, et, à l’évidence, il faut aider celles qui rencontrent le plus de difficultés.

Une telle vision des territoires ruraux, essentielle pour la cohésion territoriale et l’aménagement du territoire, est portée par le Gouvernement au travers de son agenda rural. Celui-ci exprime un engagement pris par le Président de la République en réponse à une demande de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) et surtout de son président, Vanik Berberian, que je tiens à saluer.

Au-delà du projet national, il est important de rappeler que cet agenda rural est également un projet européen. En novembre 2018, le Parlement européen a en effet adopté une résolution appelant la Commission et le Conseil à mettre en place un agenda rural européen. La France a été le premier État membre à soutenir cette démarche et à la mettre en œuvre à l’échelon national.

C’est dans ce contexte que j’ai mis en place une mission composée d’élus ruraux. J’ai souhaité m’appuyer sur leur expérience et sur leurs propositions, avec l’objectif, à la fois simple et complexe, d’améliorer la vie quotidienne des habitants des territoires ruraux.

Après plusieurs mois de travaux, ces élus m’ont remis un rapport où figuraient 200 propositions. Le Gouvernement s’est appuyé sur ces recommandations pour élaborer l’agenda rural annoncé par le Premier ministre le 20 septembre dernier à l’occasion du congrès de l’AMRF à Eppe-Sauvage, dans le Nord.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cet agenda rural est le premier plan d’action mené par un gouvernement en faveur des ruralités à regrouper des enjeux aussi larges que la transition écologique, l’agriculture, l’éducation, la santé, la formation, l’emploi, le développement économique et la culture.

Plus encore, il s’agit du premier plan d’action à destination des territoires ruraux qui ait été élaboré en partant du terrain et des propositions d’élus, et non d’idées préconçues et imposées depuis l’échelon national. Il inaugure en cela le commencement d’une nouvelle politique publique : ce sera la politique des ruralités, qui a tout autant le droit d’exister que la politique de la ville, menée depuis quarante ans.

Cet agenda constitue désormais le cadre gouvernemental de mise en œuvre des politiques publiques d’aujourd’hui et de demain en faveur des territoires ruraux. S’il comporte à ce jour 181 mesures, il a vocation à s’enrichir de nouvelles actions dans les mois et années à venir. Toutes les propositions sont naturellement bienvenues, car l’ambition du Gouvernement est bien de disposer d’un outil vivant et inscrit dans la durée.

Depuis l’annonce de ce plan, à la dernière rentrée, tout l’enjeu pour le Gouvernement est d’assurer la mise en œuvre rapide et concrète des mesures concrètes qu’il comporte.

C’est dans cette perspective que je présiderai personnellement un comité de suivi de l’agenda rural toutes les six à huit semaines. La première réunion de ce comité s’est tenue à la fin du mois de novembre dernier, en présence de six ministres et avec une représentation de tous les ministères. De manière inédite, j’ai souhaité y associer les auteurs du rapport de la mission « Agenda rural », tant parlementaires que représentants des associations d’élus, qui pourront ainsi suivre la mise en œuvre complète de ce plan d’action.

Depuis le 1er janvier, plusieurs dispositifs de l’agenda rural sont d’ores et déjà effectifs. Il s’agit, notamment, des mesures de soutien au petit commerce dans les territoires ruraux.

Dans la dernière loi de finances, nous avons en effet ouvert la possibilité, pour les collectivités qui le souhaitent, de mettre en place des exonérations fiscales en faveur des petits commerces dans les communes de moins de 3 500 habitants : pour la première fois, l’État compensera cette exonération de cotisation foncière des entreprises, de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, et de taxe foncière sur les propriétés bâties, à hauteur de 33 %.

Nous déployons en outre, toujours depuis le 1er janvier dernier, les 460 premiers espaces France services, un peu partout sur le territoire national. En effet, la présence des services publics dans les territoires ruraux est un enjeu majeur.

Nous avons souhaité déployer ce nouveau réseau pour offrir aux habitants de ces territoires un service public de proximité et de qualité. Nous avions tous fait le constat que les services publics avaient beaucoup reculé sur nos territoires. Nous poursuivrons évidemment le déploiement de ces espaces ; j’y reviendrai à l’occasion des questions qui me seront posées à ce sujet.

Enfin, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), dont la création était effective sur le plan juridique depuis le 1er novembre dernier, est opérationnelle depuis le 1er janvier : cet outil sera particulièrement important pour les projets de territoires.

M. le président. Madame la ministre, il faudrait songer à conclure votre propos…

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Volontiers, monsieur le président ! J’aurai de toute façon l’occasion de revenir sur les autres questions au cours du débat.

La création de l’ANCT est évidemment très importante. Les élus y sont largement représentés. La présidence de cette agence revient d’ailleurs à une élue, Mme Caroline Cayeux, présidente de la Fédération des villes de France, une personnalité que le groupe Les Républicains connaît bien. (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Genest. Excellent choix !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je préciserai bien évidemment tout à l’heure les missions qui incomberont à l’ANCT.

Dès à présent, je tiens à vous dire que c’est au sein de cette agence que sera gérée toute la politique de l’État en direction de la ruralité, dans les domaines techniques et d’ingénierie, en complément – je connais la sensibilité du Sénat sur ce point – de ce qui existe déjà sur les territoires ; je pense notamment à l’action des services techniques des départements ou des régions.

C’est à la demande des élus que nous interviendrons, et le préfet du département sera le représentant de l’ANCT sur son territoire. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer, en préambule, la création au 1er janvier 2020 de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, portée par notre groupe, qui devrait être fortement mobilisée dans le cadre de l’agenda rural pour accompagner les projets portés par les élus locaux, au travers d’un soutien en ingénierie et de la prise en compte de leurs spécificités.

Nos territoires ont un potentiel d’attractivité inexploité. Tel est le cas des petites villes, dont un regain d’activité peut avoir un effet particulièrement bénéfique pour les territoires ruraux environnants.

Au-delà de l’amélioration de l’habitat et du cadre de vie, il est impératif de favoriser le retour de la vie économique et de l’emploi dans ces petites villes. N’oublions pas d’encourager la renaissance des petits commerces, des cafés et des bistrots, lieux de vie et de convivialité qui disparaissent ! (Sourires.)

Sans de tels efforts, le bâti sera certes agréable, mais il restera vide ! (Marques dapprobation sur des travées du groupe Les Républicains.)

L’ANCT pilotera cette année son premier programme territorialisé : le plan Petites villes de demain, annoncé en septembre dernier. Il s’agira, je l’espère, d’une concrétisation de l’utilité de cette agence, mais aussi d’un changement de logique et de culture administrative. Les élus doivent être associés à l’élaboration de cette politique publique.

Entre 800 et 1 000 villes de moins de 20 000 habitants exerçant une fonction de centralité devraient être sélectionnées en fonction du nombre et de la nature des équipements dont elles disposent, ainsi que sur des critères de fragilité. Un indice lié à l’éloignement, qui permet de mesurer le temps d’accès au prochain pôle de centralité, mesure pourtant essentielle, ne serait utilisé qu’en dernier recours, à la lecture de l’instruction adressée aux préfets.

Madame la ministre, pourriez-vous nous préciser la pondération des critères retenus pour la sélection des villes concernées, afin de garantir un ciblage des territoires les plus fragiles, ainsi que les moyens financiers consacrés à cette initiative ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Le programme Petites villes de demain est, à mes yeux, complémentaire de la politique créée pour les villes moyennes, « Action cœur de ville », qui marche d’ailleurs très bien.

Nous n’ignorons pas pour autant qu’il existe de petites villes au sein des ruralités. C’est sciemment que je préfère ne pas les définir par le nombre de leurs habitants : que ces petites villes aient 3 000, 4 000, ou 7 000 habitants, elles représentent toutes une centralité dans un territoire et ont besoin d’être soutenues, qu’il s’agisse du commerce, de l’habitat, ou de la restructuration des centres-bourgs. Il faut une politique suffisamment souple pour pouvoir intervenir dans différents endroits.

Nous menons cette politique en partenariat avec les collectivités territoriales. Dans certaines régions, des initiatives ont déjà été lancées. C’est le cas dans le Centre-Val de Loire ; nous allons nous rapprocher de la région pour agir en complémentarité avec ce qu’elle accomplit déjà. Notre action sera donc menée avec les régions et les départements : nous déciderons, ensemble, quelles petites villes seront aidées dans le cadre de ce programme.

Quant aux moyens financiers qui seront consacrés à ce programme, la Banque des territoires, avec laquelle nous avons négocié un accord, financera les postes de chef de projet à hauteur de 25 % et prendra en charge à 100 % les missions d’assistance au management de projet pour les territoires en difficulté. Par ailleurs, elle interviendra au travers de l’octroi de prêts et investira dans certains projets. Une enveloppe de près de 200 millions d’euros devrait en outre couvrir les demandes.

Quant à l’investissement, une enveloppe de 50 millions d’euros permettra la réalisation d’une centaine d’opérations dans le cadre de ce plan.

L’Agence nationale de l’habitat (ANAH) apportera bien sûr un cofinancement des postes de chef de projet. Enfin, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) représente également pour nous un outil absolument remarquable de valorisation des projets locaux.

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le plan d’action en faveur des territoires ruraux présenté en septembre dernier traduit l’ambition forte du Gouvernement en faveur de la cohésion territoriale et de la lutte contre les inégalités et les disparités entre zones rurales.

Par cet agenda rural, vous ancrez dans la durée les actions en faveur des territoires ruraux, dans une démarche de concertation et de coconstruction à l’échelon national, mais aussi au sein de l’Union européenne.

Vous témoignez ainsi, madame la ministre, de l’écoute que vous accordez aux demandes des élus des territoires ruraux et à certaines préoccupations qu’avait pu exprimer notre Assemblée, notamment dans le rapport sénatorial sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs.

L’un des axes principaux du plan d’action en faveur des territoires ruraux est le soutien aux petits commerces et aux lieux de convivialité. Est notamment prévu un appui de votre ministère à l’initiative « 1 000 cafés », qui est portée par le groupe SOS, acteur essentiel de l’économie sociale et solidaire.

Il s’agit de revitaliser les communes rurales, en ouvrant ou en reprenant 1 000 cafés dans 1 000 communes de moins de 3 500 habitants n’ayant plus de café ou risquant de les perdre. Les appels à candidatures à destination des maires ont été lancés le 12 septembre 2019.

Madame la ministre, pourriez-vous dresser un bilan d’étape de la mise en œuvre de l’initiative « 1 000 cafés » ? Pourriez-vous en particulier nous indiquer le nombre de candidatures présentées à ce jour par les élus ? Comment vos services travaillent-ils concrètement avec le groupe SOS pour superviser cette action essentielle au renforcement sinon au maintien du lien social en milieu rural ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Buis, je vous remercie de m’avoir posé cette question sur le déploiement du projet « 1 000 cafés ».

Ce projet est effectivement issu de l’initiative du groupe SOS et soutenu par le Gouvernement dans le cadre de l’agenda rural. Le projet en question repose sur un double constat : d’une part, 90 % des Français considèrent que la présence dans une commune d’un café, lieu de convivialité et de rencontres, est fondamentale ; d’autre part, comme M. Genest le soulignait déjà tout à l’heure, les cafés ont disparu dans un trop grand nombre de nos communes.

M. Michel Savin. Et même dans les villes !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Dans le cadre de leur rapport, les élus ayant participé à la mission de préparation de l’agenda rural ont appelé à soutenir ce projet. Depuis l’annonce de cette mesure, en septembre dernier, dans le cadre de notre plan, le groupe SOS a lancé un appel à candidatures à l’attention des communes qui ne disposent plus de cafés ou dont le café subsistant voit sa survie menacée.

Depuis le lancement de cet appel à candidatures, le groupe SOS a reçu 500 candidatures de communes souhaitant accueillir un café sur leur territoire et 1 200 candidatures spontanées de personnes souhaitant tenir et gérer des cafés.

Ces candidatures sont toutes en cours d’examen, de manière à assurer l’adéquation entre projets et candidats. Ce travail nécessite du temps : il s’agit notamment de trouver un lieu susceptible d’accueillir le café, de former le personnel et de réaliser toutes les démarches pratiques nécessaires à son ouverture. En effet, la démarche de ce projet doit tenir compte de la liberté commerciale et de la liberté de s’installer. L’ouverture d’une quinzaine de cafés est déjà prévue pour le début de cette année.

Je tiens à rappeler qu’une telle démarche a été rendue possible par l’adoption de la loi « Engagement et proximité », fruit d’une commission mixte paritaire conclusive entre les deux assemblées. Y figure la mesure législative qui nous permet de garantir la création de ces cafés : les licences IV qui leur seront accordées ne pourront pas être transférées hors du département de création de l’établissement.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Madame la ministre, la lecture de votre plan d’action est engageante. J’y retrouve par moments la vision dynamique d’une ruralité française revivifiée par la transition écologique, sociale et démocratique qui est au cœur de mon engagement politique.

Lutter contre l’artificialisation des sols, promouvoir l’agroécologie, faire des forêts le poumon de notre pays, revitaliser les petites villes, soutenir le commerce de proximité, lutter contre les déserts médicaux, faciliter l’accès aux services publics, développer l’ingénierie publique : à part le développement à l’aveuglette de la 5G, vous feriez presque carton plein !

Je parle au conditionnel, parce que, malheureusement, comme d’habitude, ce travail relève de l’opération de communication. Concrètement, vous ne mettez pas un euro sur la table. En outre, vos propositions vont souvent à l’encontre de la politique de votre gouvernement.

Ainsi, vous voulez développer l’agroécologie tout en supprimant les aides au bio, préserver nos forêts tout en démantelant l’ONF, l’Office national des forêts, soutenir le commerce de proximité tout en permettant aux grandes surfaces de consigner le plastique, lutter contre les déserts médicaux sans contraindre, même a minima, les médecins, accompagner les élus, développer les petites villes et les tiers lieux, tout en supprimant la taxe d’habitation, et tenter de renforcer l’ingénierie publique sans lui offrir de nouveaux moyens, mais simplement par des opérations de plomberie administrative ! C’est encore et toujours le même double discours !

Dès lors, je m’inquiète pour les promesses que vous ne faites pas, notamment dans le domaine de la mobilité, enjeu prioritaire pour nos concitoyens.

Les territoires ruraux n’ont pas besoin de lignes aériennes subventionnées qui les mettraient à une heure de Paris ; ils ont besoin de dessertes ferroviaires fines, dont le sort est à nouveau renvoyé au rapport Philizot, que l’on attend comme on attend Godot ; ils ont besoin de transports publics structurants qui permettent la mise en place de solutions adaptées à chaque contexte – covoiturage, vélo électrique, autopartage –, de manière à limiter l’usage de la voiture individuelle ; ils ont besoin que l’on parle, enfin, de « démobilité » et d’un aménagement du territoire équilibré, qui reviendrait sur l’hypermétropolisation, car celle-ci à la fois concentre et éloigne tout.

Madame la ministre, après la promulgation de la loi d’orientation des mobilités, toujours en manque de financement, quelles sont les ambitions concrètes du Gouvernement en faveur de la mobilité en zone rurale ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Gontard, je vais prendre mon temps pour vous répondre : je ne dispose que de deux minutes, mais, comme je sais que je ne vous convaincrai pas, ce n’est pas la peine de se presser.

Je vous rappellerai tout d’abord que ce plan a été élaboré à partir des propositions faites par les élus auteurs du rapport qui en est à l’origine. Ce n’est pas moi qui ai inventé ces 200 propositions ! Parmi elles, 173 ont été retenues ; nous en avons encore ajouté quelques autres, pour un total actuel de 183 propositions retenues.

Certes, on peut faire de l’esprit, on peut faire de l’humour sur la politique que mène le Gouvernement – c’est tout à fait autorisé. Toutefois, prenons l’exemple de la santé. M. Genest, tout à l’heure, a présenté une partie du plan qui a été mis en place par ma collègue Buzyn. Il y a une mesure à laquelle je tiens particulièrement et que M. Genest n’a pas citée : la création de contrats d’engagement de service public.

Il s’agit d’offrir la possibilité de recevoir, au cours des études, une sorte de bourse en échange d’un engagement à servir une fois le diplôme reçu. Un système comparable existait jadis pour les enseignants au sein des instituts de préparation aux enseignements de second degré : j’ai pu en bénéficier moi-même pendant ma jeunesse.

Nous étions rémunérés pendant nos études, mais nous devions ensuite donner une partie de notre temps professionnel au service public : on nous envoyait dans les régions où il y avait particulièrement besoin d’enseignants. Notre idée est de créer un tel système, aujourd’hui, pour les médecins. Ce serait une mesure très importante.

Monsieur le sénateur, vous avez évoqué l’absence de mesures contraignantes. Il se trouve qu’il n’y a pas de majorité, au Parlement, pour adopter de telles mesures. Nombre de gens y ont déjà réfléchi, mais j’estime en tout cas que toutes les mesures que nous avons prises, y compris l’envoi de médecins salariés – 400 à l’origine, 600 grâce à l’agenda rural – dans les zones où ils sont nécessaires, sont importantes.

Je signalerai par ailleurs que certains départements et régions s’engagent sur la même voie, afin de compléter l’agenda rural. C’est notamment le cas – pardonnez-moi de toujours citer ma région ! – de la région Centre-Val de Loire.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.

M. Guillaume Gontard. Madame la ministre, je souscris complètement à la plupart des propositions de ce rapport. Comme vous venez de le rappeler, elles sont issues des élus. Je l’ai d’ailleurs bien souligné dès le début de ma question.

Je souhaitais plutôt connaître la manière dont vous comptiez mettre en place ces mesures concrètement. Car c’est ce qui manque : des moyens, mais aussi de l’ingénierie directe. L’ANCT n’est qu’un bidouillage de ce qui existe déjà sur les territoires, sans financement complémentaire. Quant à la question des mobilités, sur lesquelles je vous interrogeai, vous ne m’avez pas répondu, alors qu’elle est très importante et demande des moyens supplémentaires sur les territoires.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Guillaume Gontard. Sans mobilité, il n’y a pas d’emploi, mais il n’y a pas non plus de santé !

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)

M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis sa création en 1989, le fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce (Fisac) a su s’imposer comme un formidable levier de développement de l’attractivité et du dynamisme économique des territoires, en contribuant au maintien du tissu économique local.

Ce fonds joue un rôle essentiel pour la revitalisation du commerce et de l’artisanat sur l’ensemble du territoire. Il constitue donc un instrument de développement local très important, puisqu’il a financé jusqu’à 1 000 projets annuels de soutien, de revitalisation, ou de reprise d’entreprises commerciales et artisanales de proximité.

Malgré son efficacité, le Fisac a vu sa dotation passer de 78 millions d’euros en 2010 à seulement 16 millions en 2018. Depuis 2019, ce fonds est placé en gestion extinctive, ce qui soulève l’inquiétude de nombreux territoires ruraux quant à sa disparition, qui aurait des conséquences très préjudiciables.

Certes, le programme Action cœur de ville doit prendre le relais du Fisac. Néanmoins, d’une part, ce programme ne concerne que 222 villes, essentiellement des agglomérations de taille moyenne et non des bourgs en zones rurales, et, d’autre part, il ne cible pas tout à fait les mêmes actions.

Force est de constater que ce dispositif est moins souple et moins adaptable aux spécificités locales. Dans le cadre des débats sur le projet de loi de finances pour 2020, notre collègue Serge Babary a déposé un amendement tendant à augmenter les crédits, afin de doter le Fisac de 30 millions d’euros. Cette initiative, largement soutenue par le Sénat, a été supprimée par l’Assemblée nationale.

Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser quelle solution vous comptez promouvoir dans votre plan d’action, afin de poursuivre l’accompagnement et le maintien de nos entreprises de proximité, notamment en milieu rural ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, vous le savez, et je vais le dire très simplement : le Fisac a disparu. (Exclamations sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je savais que cela aller faire hurler certains d’entre vous, mais ce n’est pas grave, car c’est la réalité ! Quand nous sommes arrivés au gouvernement, l’engagement pour le Fisac s’étalait sur plusieurs années. Il a donc fallu trouver un système de remplacement.

Pour répondre aux questions successives qui se posent, je rappelle que le montant du Fisac était de 15 millions d’euros dans le dernier budget. Or, pour le plan Action cœur de ville, le Gouvernement a prévu une enveloppe de 5 milliards d’euros.

En remplacement de ce fonds, nous venons de créer, dans le cadre de l’agenda rural, une nouvelle mesure de soutien en faveur des petits commerces dans les territoires ruraux, dont j’ai déjà rapidement parlé.

Cette mesure a été adoptée dans le cadre de la loi de finances pour 2020 et elle est effective depuis le 1er janvier. Elle consiste en la possibilité d’ouvrir, pour les collectivités qui le souhaitent, des zones de revitalisation commerciale qui permettent de bénéficier d’exonérations fiscales sur la cotisation foncière des entreprises (CFE), la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE) et le foncier bâti.

Pour les petits commerces de moins de onze salariés situés dans des communes de moins de 3 500 habitants, l’État compense pour la première fois cette exonération à hauteur de 33 % : c’est totalement inédit. Nous souhaitons vivement que les territoires puissent se saisir de cette nouvelle opportunité en faveur du soutien aux petits commerces dans nos campagnes.

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nadia Sollogoub. Madame la ministre, selon les termes du Premier ministre, le plan d’action en faveur des territoires ruraux, sur lequel porte ce débat, correspond à « la mise en place d’une politique spécifique à l’égard des campagnes, à l’image de celles qui existent dans les domaines de la politique de la ville et du soutien aux quartiers en difficulté ».

À mon sens, le point premier de toute politique à destination des territoires ruraux doit traiter du sujet vital, essentiel et primordial qu’est la santé. En effet, qui viendrait vivre dans une région, fût-elle la plus belle, la plus attractive, la plus charmante, offrant des possibilités d’accès à l’enseignement supérieur, au sport ou à la culture, s’il ne peut accéder aux soins ?

Dans le chapitre du plan relatif à la santé, je lis en particulier qu’est prévue l’obligation pour les internes en médecine de réaliser un stage en zone sous-dense. Je me souviens même avoir voté au printemps dernier l’obligation pour les étudiants en fin de cycle de formation d’effectuer quelques mois d’exercice en zone déficitaire.

À ce jour, cette mesure, qui serait pourtant une réelle avancée, attend son décret d’application. Idem pour les mesures de délégation d’actes et de pratique avancée qui figurent dans le plan.

De nombreux décrets d’application restent en attente : la liste des pathologies pour lesquelles les infirmiers pourront adapter la posologie de certains traitements, les modalités selon lesquelles les pharmaciens seront habilités à délivrer des médicaments pour certaines pathologies, les autorisations de vaccination des femmes et des enfants par les sages-femmes, la prescription par les pharmaciens de certains vaccins, la mise en œuvre et les conditions de prise en charge des activités de télésoins, etc.

Madame la ministre, face à des enjeux cruciaux d’accès aux soins en milieu rural, sera-t-il possible de passer outre les pressions des différents professionnels et de mettre en application dans les meilleurs délais les mesures votées par le Parlement au mois de juillet dernier ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice, vingt-huit décrets sont déjà sortis en application de la loi Santé ; d’autres sont à venir. Les stages accueillant les internes dont vous avez parlé sont prévus pour la rentrée 2020. Ce décret sera pris dans les prochaines semaines.

Toutefois, le Gouvernement a souhaité anticiper ces échéances. L’un des facteurs limitants est le nombre de maîtres de stage accueillant des internes, malgré une hausse de 15 % en un an. Il faut donc aussi travailler sur ce sujet.

J’en viens aux nouvelles compétences des professionnels de santé. Dans le cadre des campagnes de vaccination hivernale, les pharmaciens peuvent désormais vacciner contre la grippe et les infirmières peuvent faire la primo-vaccination contre la grippe, ce qui leur était impossible auparavant. Ils peuvent également pratiquer les tests de l’angine pour vérifier s’il s’agit d’une angine bactérienne, qui nécessite un traitement antibiotique. Depuis le 1er janvier dernier, ils peuvent aussi dispenser sans ordonnance quelques médicaments.

Toutes ces évolutions, au-delà des textes, doivent évidemment se traduire dans le quotidien des Français. C’est donc aux professionnels de santé de s’en saisir.

C’est tout l’enjeu de la mise en application de la loi Santé, votée récemment.

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.

Mme Nadia Sollogoub. En ce qui concerne les maîtres de stage, un décret d’application est également en attente concernant les modalités de validation de leur habilitation. C’est également dans les tuyaux.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Tout à fait !

Mme Nadia Sollogoub. Madame la ministre, je vous remercie des bonnes nouvelles que vous m’apportez.

En revanche, l’étape suivante est la réflexion sur la prise en charge des urgences vitales et chirurgicales. En effet, dans ce plan, on parle beaucoup de la médecine dite « de ville », mais pas de l’organisation des plateaux techniques chirurgicaux, publics ou privés. Dans le département de la Nièvre, dont je suis élue, il serait question d’un maillage terriblement large : rien entre Nevers et Montargis ou entre Bourges et Auxerre pour les urgences chirurgicales de nuit !

Si l’État souhaite réellement agir en faveur des territoires ruraux, vous comprendrez que cette situation n’est pas acceptable. Les déclarations et les actes sont par trop discordants. C’est pourquoi, madame la ministre, il faudrait traiter ces sujets, essentiels pour nous, sans quoi ce plan pourrait rester au fond d’un tiroir.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Puis-je répondre ?…

M. le président. Madame Sollogoub, si vous posez une nouvelle question dans votre réplique, Mme la ministre ne peut y répondre, alors qu’elle est très tentée de le faire ! (Sourires.)

La parole est à M. Didier Mandelli.

M. Didier Mandelli. Madame la ministre, mon propos fera ici écho au débat sur l’avenir des transports express régionaux que nous venons d’avoir avec votre collègue Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État aux transports.

La voiture est aujourd’hui le moyen indispensable pour se déplacer dans les territoires ruraux ; je ne puis donc que saluer les mesures visant à permettre un accès plus rapide au permis de conduire, notamment grâce au développement des simulateurs de conduite et au permis à un euro par jour. Cela faisait suite à la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui contenait également des dispositions permettant, entre autres, à La Poste d’accueillir des élèves.

Toutefois, il est important que nos concitoyens qui ont choisi de vivre ou de s’installer dans les territoires ruraux puissent eux aussi avoir accès à une offre de mobilité pertinente et adaptée à la situation locale.

Le Sénat a œuvré pour faire de la loi d’orientation des mobilités un véritable texte de lutte contre les zones blanches de mobilité. Ainsi, les intercommunalités pourront, si elles le souhaitent, organiser leurs propres solutions de mobilité dans leur territoire, afin de permettre à nos concitoyens d’avoir accès à cette intermodalité.

Néanmoins, la question centrale reste ici celle du financement, en particulier la nécessité de donner aux intercommunalités les moyens de prendre la compétence mobilité, cela a déjà été évoqué. Sans ces moyens financiers, ces évolutions législatives n’auront pas de portée suffisante.

Madame la ministre, que comptez-vous proposer pour répondre aux attentes légitimes sur ce sujet, dans l’intérêt de nos concitoyens ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, je suis de la campagne : je sais ce qu’est le besoin de voiture quand on vit en milieu rural. On ne le dit pas assez : cessons de penser que l’on va supprimer les voitures dans le monde dans lequel nous vivons. Je le dis aussi simplement que cela.

Par ailleurs, dans la ruralité, le covoiturage se développe beaucoup, et de nombreux ruraux prennent de plus en plus de telles habitudes. C’est une bonne chose.

M. Michel Savin. C’est vrai !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Enfin, vous posez une question sur le financement de la compétence mobilité dans la ruralité.

Plusieurs solutions sont envisageables. Évidemment, il a été discuté – je mets à ce terme tous les guillemets qui s’imposent – de créer le versement transport dans les territoires ruraux et d’abaisser le seuil du nombre de salariés dans les entreprises pour élargir cette prime. Néanmoins, nous avons pensé que ce n’était pas une bonne idée, car cela constituait une charge nouvelle pour les PMI, les PME et les très petites entreprises.

Pour l’instant, sur la question du financement, nous n’avons pas tranché, même si je ne sais pas ce que vous a dit mon collègue chargé des transports.

Hier, par exemple, lors d’une réunion à Arras, cette question a été évoquée. Des propositions quelque peu disruptives ont surgi, notamment pour que le versement transport soit mutualisé sur l’ensemble d’un département.

M. Michel Savin. C’est une solution !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Cette suggestion émane d’un élu du Pas-de-Calais, non du Gouvernement, mais il faut trouver le moyen de financer mieux la mobilité dans la ruralité, même si je n’ai pas aujourd’hui de réponse plus précise à vous donner.

M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.

M. Didier Mandelli. Madame la ministre, nous avions évoqué une solution simple à mettre en œuvre : verser une fraction de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) directement aux intercommunalités qui prendraient la compétence. En effet, pour les intercommunalités qui ne le feraient pas, ce sera la région qui le fera.

Notre interrogation porte sur les inégalités que cela entraînera : certaines régions iront très loin sur les questions de mobilité en direction de leurs intercommunalités ou de leurs concitoyens, d’autres un peu moins loin, ce qui n’est pas le système équitable que nous souhaitons pour chacun de nos concitoyens.

En outre, la solution d’un financement départemental n’est pas tenable au regard de ce qui figure dans la loi d’orientation des mobilités, sur le plan juridique et financier.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je le sais !

M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas.

Mme Viviane Artigalas. Madame la ministre, il est flatteur de voir la majeure partie des recommandations de la mission « Ruralités » reprises dans votre plan d’action en faveur des territoires ruraux. On peut néanmoins déplorer un grand manque de précisions, tant sur la question du financement que sur celle du calendrier des actions proposées.

De nombreux sujets sont évoqués, et je pourrais m’attarder sur les propositions concernant la revitalisation des petites villes, qui pèchent par leur imprécision et leur incohérence. S’il est louable de souhaiter revitaliser les centres-bourgs, pourquoi alors avoir supprimé le Fisac il y a un an ?

Je m’attacherai à évoquer seulement deux points, qui préoccupent particulièrement nos territoires.

Sur le déploiement de la 5G, votre plan d’action s’occupe des détails avant de se concentrer sur l’essentiel. « Résorber les zones blanches pour renforcer l’attractivité des territoires » et équiper tous les pylônes existants en 4G d’ici à la fin 2020 ne répond absolument pas à la problématique des zones dites « grises », ces zones couvertes par un seul opérateur, ni à celle des zones où les réseaux sont défaillants et où les pannes d’internet et la baisse des débits sont fréquentes. Cela concerne de nombreux territoires ruraux et montagnards, où les habitants ressentent une forme d’insécurité, mais avant tout un sentiment d’abandon et de fracture numérique.

De même, sur le maillage territorial des services publics, vous promettez une maison France services par canton d’ici à deux ans, mais les agents d’accueil seront rémunérés par les collectivités et le fonctionnement sera compensé par une dotation de l’État jusqu’à une date indéterminée. C’est particulièrement flou et inquiétant pour les collectivités, qui voient leurs charges et leurs missions s’alourdir.

Cette proposition suit exactement la même problématique que celle de la modernisation des services des trésoreries, où l’État prévoit d’augmenter les accueils de proximité, qui seront en réalité de simples permanences de conseil, sans possibilité de transactions, et où très peu de services seront proposés. Le tout-numérique ne peut pas être la seule solution aux besoins de proximité de nos territoires ruraux.

Votre plan, qui se veut une réponse aux légitimes inquiétudes des élus locaux et des habitants, est flou, ce qui ne tend pas à les rassurer. Madame la ministre, êtes-vous en mesure de présenter des actions plus concrètes et mûries ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. En ce qui concerne les petites centralités, madame la sénatrice, nous sommes en train de construire cette politique. De manière générale, toutes les mesures que nous avons annoncées dans le plan Ruralité sont financées. On ne fait pas de politique sans apporter les moyens !

D’ailleurs, le Gouvernement n’est pas toujours seul : souvent, les collectivités territoriales, les régions, les départements, les intercommunalités, les communes participent à un certain nombre de financements. La réponse aux politiques publiques dans les territoires ne peut se faire que par des accords entre l’État et les collectivités territoriales, j’en suis intimement convaincue.

Vous parlez des maisons France services : un financement est prévu, incluant le fonds inter-opérateurs, l’État et le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNAT), qui finance chaque maison France services à hauteur de 30 000 euros. Les agents d’accueil seront formés – nous avons passé une convention avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).

Vous avez parlé du haut débit. Là aussi, il existe une enveloppe de l’État, d’un montant de 3,3 milliards d’euros, à laquelle s’ajoutent des participations des collectivités territoriales. Dans certaines régions, ce sont les régions qui sont à l’initiative de cette politique ; dans d’autres, ce sont des syndicats, qui existent dans les départements ou sur deux départements.

Ce sont des politiques que nous contractualisons avec les collectivités territoriales, et c’est concret ! Il faut donc cesser de dire qu’il n’y a rien, qu’il n’y a pas d’argent.

J’en profite pour répondre à la question de Mme Sollogoub, ce qui intéressera également le sénateur de la Nièvre, qui se trouve dans mon champ de vision. Sur les hôpitaux, je suis d’accord, mais un avion sanitaire a été créé à Nevers – un blanc, comme on dit –, pour rapprocher les habitants de la Nièvre des urgences ; c’était absolument nécessaire.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Janssens. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Marie Janssens. Madame la ministre, au cours du grand débat national qui s’est tenu l’année dernière, la question de la santé et de l’accès aux soins médicaux est arrivée en tête des préoccupations. En effet, 4 millions de Français vivent dans des territoires en situation alarmante en matière d’accès à des professionnels de santé.

Cette situation très grave est particulièrement difficile à vivre pour nos concitoyens habitant dans des territoires ruraux, déjà fortement touchés par la fracture territoriale. Le plan d’action en faveur des territoires ruraux comprend un volet consacré à la question des déserts médicaux.

Face à cette urgence, le plan propose notamment le recrutement de 600 médecins salariés dans les zones à faible densité, le déploiement de médecins supplémentaires et d’internes dans ces zones. Ce sont des mesures nécessaires, mais largement insuffisantes.

L’un des objectifs de votre plan d’action est de soutenir les initiatives locales dans les campagnes. Précisément, en matière de santé et d’accès aux soins, des initiatives locales efficaces existent et méritent d’être mieux mises en valeur. Je pense en particulier au dispositif PAIS, plateforme alternative d’innovation en santé, qui est développé dans le département de Loir-et-Cher et que vous connaissez bien, madame la ministre.

Le dispositif PAIS revitalise l’offre de médecine de proximité en favorisant les synergies entre médecins, au sein d’un même bassin de vie. Cela passe, par exemple, par la mutualisation du secrétariat ou par l’organisation à tour de rôle de la prise en charge des soins sans rendez-vous. Depuis plusieurs années, PAIS fait ses preuves ! Cette forme d’organisation plus souple semble bien adaptée aux nouvelles pratiques des médecins généralistes de proximité.

Le Gouvernement est-il disposé, avec l’appui des médecins qui le souhaitent, à faire entrer ce dispositif dans les mesures de soutien à la ruralité et, ainsi, à le généraliser à l’échelle nationale ? Et si oui, à quelle échéance ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, je connais bien le dispositif PAIS, plateforme alternative d’innovation en santé, qui est un formidable outil développé par les professionnels de santé de Loir-et-Cher, leur permettant, à l’échelle d’un territoire, d’accueillir des patients en consultation sans rendez- vous. Je tiens d’ailleurs à citer le docteur Isaac Gbadamassi, qui est à l’origine de ce système.

C’est pourquoi l’Agence régionale de santé soutient ce dispositif depuis plusieurs années, notamment financièrement. Cette dynamique est d’ailleurs au cœur de la stratégie Ma santé 2022. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sont nées après des rencontres que j’ai moi-même organisées avec le docteur Gbadamassi, et elles s’inspirent du système PAIS.

Bien sûr, cela n’existe pas qu’en Loir-et-Cher : plusieurs autres départements fonctionnent sur ce modèle. Naturellement, toutes les agences régionales de santé soutiennent ce système, qui ne demande qu’à être connu. Les CPTS sont financées par l’assurance maladie pour assurer ces fonctions d’accès aux soins sur les territoires – jusqu’à 360 000 euros par an et par CPTS. Le dispositif PAIS en fait partie.

Notre travail à tous, c’est de faire connaître le système PAIS, pour qu’il se développe le plus largement possible. Toutefois, nous allons non pas l’imposer, mais le proposer.

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.

M. Dominique de Legge. Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur le dispositif Ville-vie-vacances, dans son volet de stage à caractère éducatif, plus communément appelé « dispositif Argent de poche ».

De nombreuses communes rurales ont mis en place ce dispositif permettant à des jeunes de travailler dans les collectivités territoriales ou dans des associations, jusqu’à ce que des préfets – comme cela a été le cas en Bretagne –, se réveillent et fassent valoir que ce dispositif n’était applicable que dans les quartiers dits « politique de la ville ». (Mme la ministre acquiesce.)

Je trouve cela fâcheux. Je sais que vous avez déjà été alertée sur ce sujet et que vous avez laissé espérer un réexamen de cette question, considérant qu’il n’y avait pas de raison que les jeunes ruraux ne puissent pas bénéficier de ce dispositif, d’autant qu’il semble fonctionner davantage en milieu rural qu’en milieu urbain.

Madame la ministre, où en êtes-vous de vos réflexions sur le sujet ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, vous avez raison : le dispositif Argent de poche, dont la dénomination technique est « chantiers et stages à caractère éducatif », est un mécanisme propre à la politique de la ville.

Il a été créé dans les années 1980 et adossé au programme Ville-vie-vacances. En 2015, les sommes versées aux jeunes âgés de 14 ans à moins de 26 ans, au titre de leur activité dans le cadre de ce programme, sont devenues assimilables à des gratifications versées aux stagiaires en entreprise. Elles sont par conséquent exclues de l’assiette des cotisations et contributions sociales dans les mêmes conditions.

Si ce dispositif était initialement et est encore conçu seulement pour la politique de la ville, je sais que certains territoires, notamment en Bretagne, en particulier en Ille-et-Vilaine, ont mis en place des dispositifs dérogatoires permettant d’en faire bénéficier les jeunes ruraux. Aujourd’hui, il s’agit donc d’un système dérogatoire pour la ruralité.

Cependant, si cela existe dans certains territoires, ce n’est pas le cas à l’échelon national et l’Association des maires ruraux de France (AMRF) a d’ailleurs récemment interpellé mes équipes à ce sujet. Dans ce cadre, j’ai souhaité solliciter ma collègue ministre de la santé, pour étudier les conditions d’une extension de ce dispositif aux territoires ruraux.

Des échanges sont en cours. Je ne manquerai pas de vous tenir informé, tout comme l’AMRF d’ailleurs, de la suite que nous pourrons réserver à cette demande, qui me semble tout à fait légitime.

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.

M. Dominique de Legge. Madame la ministre, je vous remercie de souligner qu’il s’agit d’une demande légitime.

Maintenant, il y a urgence ! Voilà une mesure qui ne coûte pas un centime à l’État et qui est bien utile pour nos jeunes. Je compte donc plus que jamais sur vous pour convaincre vos collègues du Gouvernement de lever cet obstacle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé.

M. Hervé Gillé. Madame la ministre, un plan d’action et un agenda rural en faveur des territoires ruraux, oui, c’est incontournable : plus de 22 millions de Français vivent dans ces territoires, où s’additionnent les difficultés de mobilité et d’accès à l’emploi, aux services, à la santé.

Dans le même temps, 22 métropoles capitalisent l’essentiel des richesses, des créations d’emploi, de l’accès aux mobilités, à la culture, à la santé… Ces dynamiques métropolitaines s’accélèrent, et leur développement devrait bénéficier aussi aux villes moyennes, aux zones périurbaines et rurales. Ces métropoles fournissent des emplois, des services et des équipements qui profitent à la plupart, mais est-ce suffisant quand persistent autant d’inégalités territoriales ?

L’opposition permanente entre métropoles et territoires ruraux ne peut être une fatalité ou une instrumentalisation politique. Nous voulons construire une alliance en complémentarité, mais il faut de nouvelles solidarités territoriales, des moyens concrets, un partage des richesses plus juste, un devoir vis-à-vis de territoires souvent déshérités, mais indispensables à nos équilibres.

Ces territoires sont également des acteurs incontournables de la mise en œuvre des politiques liées aux défis environnementaux ; ils constituent souvent les espaces de compensation nécessaires à l’activité urbaine, insuffisamment valorisés.

Grâce à une forte concentration d’entreprises, les métropoles capitalisent des recettes fiscales, qui pourraient être des outils au service de contrats de coopération, dont la réciprocité financière n’est pas toujours assurée.

Des propositions ont été formulées pour de nouvelles coopérations financières par des dispositifs de solidarité fiscale. Ainsi, le 1 % métropole, construit à partir des recettes de la contribution économique territoriale, n’aurait pas d’impact à l’échelle des métropoles, tout en offrant des perspectives.

La taxe transport, ou versement transport – Didier Mandelli et vous-même avez évoqué ce sujet –, essentiellement captée par ces territoires métropolitains, pourrait être mise en partie à profit en faveur du désenclavement des zones rurales.

Madame la ministre, je vous ai écoutée avec beaucoup d’attention sur une éventuelle redistribution en ce sens. La mesure de votre plan consistant à augmenter les ressources des autorités organisatrices des mobilités par une fraction de la TVA est insuffisante et, surtout, trop conjoncturelle.

M. le président. Il faudrait songer à poser une question, mon cher collègue.

M. Hervé Gillé. Ces péréquations financières sont indispensables. Madame la ministre, quelles sont vos propositions en la matière ? Comment souhaitez-vous développer les coopérations entre la région et les départements ? Enfin, comment rendrez-vous compte du comité interministériel de suivi du plan ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, votre question s’inscrira de façon opportune dans le cadre de la réflexion que nous mènerons lors de l’examen de la loi 3D – déconcentration, différenciation et décentralisation : je varie l’ordre, car, selon les circonstances, le terme le plus important vient à la fin.

En effet, aujourd’hui, nous avons besoin de renforcer la coopération entre les différents échelons de collectivités territoriales, et même entre les territoires.

Nous ne pouvons qu’encourager ces dispositifs qui commencent à exister, mais qu’il faut améliorer, et que l’on appelle les contrats de réciprocité.

Il en existe déjà. On peut citer le contrat de réciprocité entre l’Eurométropole de Strasbourg et le territoire de Saint-Dié dans les Vosges, celui entre Toulouse et l’arrière-pays de Comminges, celui de Brest où a eu lieu l’expérimentation de ce dispositif. (M. Pierre Louault sexclame.) Et je ne saurais oublier Tours, car je vois s’agiter Pierre Louault, sénateur d’Indre-et-Loire. (Sourires.) Lui aussi a mis en place des contrats de réciprocité.

Aujourd’hui, ces contrats de réciprocité sont à la main entière des collectivités territoriales, sans cadre et sans incitation au partage de la ressource.

Je le répète : il serait intéressant d’encourager ce dispositif de contrats de réciprocité et d’y réfléchir dans le cadre de la loi 3D.

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Émorine.

M. Jean-Paul Émorine. Madame la ministre, au moment où nous parlons de la ruralité et où est mis en place un plan d’action en faveur des territoires ruraux, il est bon de rappeler que la ruralité représente 80 % de la superficie de notre territoire et qu’y habitent à peu près 20 % de la population. (Mme la ministre acquiesce.)

La loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux était la première loi en direction de la ruralité, vous vous en souvenez, madame la ministre.

En milieu rural, les zones de revitalisation rurale (ZRR) souffrent de handicaps majeurs. Or ces zones représentent 50 % de la superficie de notre territoire et 10 % de la population, soit 14 250 communes et 6,25 millions d’habitants. La loi relative au développement des territoires ruraux a prévu des exonérations fiscales pour les professionnels de santé, les vétérinaires, les entreprises s’installant dans ces zones, pour une durée de cinq ans.

La loi de finances rectificative de 2015 a revu les critères de classification en ZRR, lesquels sont entrés en vigueur en 2017, pour prendre en compte les nouveaux EPCI.

Désormais, sont classés en ZRR les territoires dont la densité de population est inférieure ou égale à 63 habitants par kilomètre carré, soit la moyenne nationale, contre 35 habitants précédemment, et dont le revenu médian est inférieur ou égal à 19 111 euros. Or, aujourd’hui, on voit bien que ces dispositions ne sont pas suffisantes pour animer la ruralité.

Madame la ministre, de nombreux rapports ont été réalisés sur la ruralité. Pour ma part, ce sont les zones de revitalisation rurale qui me préoccupent. Votre plan d’action offre-t-il des perspectives crédibles ? Pour quelle durée les dispositifs seront-ils prévus : cinq, dix, quinze ou vingt ans ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sylvie Vermeillet et M. Pierre Louault applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, comme vous le savez, il était prévu de mettre fin à un certain nombre de zones de revitalisation rurale au mois de juillet de l’année prochaine, mais nous avons prorogé ce dispositif jusqu’à la fin du mois de décembre 2020 dans la loi de finances.

Je rappelle qu’environ la moitié des communes françaises sont classées en ZRR. Il s’agit donc là d’une politique très importante. Si nous avons prolongé ce dispositif, c’est parce que les élus qui ont réfléchi à cette question dans le cadre de la mission « Agenda rural » nous ont demandé de définir une géographie prioritaire de la ruralité. Nous allons donc consacrer l’année 2020 à travailler sur ce sujet, y compris sur les critères que vous venez d’évoquer.

Il est toujours difficile de changer de système. Lorsque l’on propose un dispositif nouveau, il y a ceux qui en sortent – ceux-là, on les entend immédiatement – et ceux qui y entrent – ceux-là sont contents. C’est toujours ainsi que cela se passe.

Il nous faut trouver un système adapté à la ruralité d’aujourd’hui. Pour ma part, je suis ouverte à toute proposition. Soit on ne trouve pas de meilleure solution que les ZRR, auquel cas, on les conservera, soit on invente une géographie prioritaire des ruralités, avec de nouveaux critères, sachant, je le répète, que certains territoires sortiront de ce système, c’est sûr. Même si c’est difficile, je pense que cela en vaut la peine. Tel est en tout cas le souhait de ceux qui ont rédigé l’agenda rural.

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Émorine, pour la réplique.

M. Jean-Paul Émorine. Madame la ministre, je pense que vous allez mettre en place de nouveaux dispositifs. Ce qu’il faut, c’est les inscrire dans la durée.

Offrir des perspectives à cinq ans n’est pas suffisant. On l’a bien vu s’agissant des médecins en milieu rural : il faut leur donner des perspectives de carrière sur dix, quinze ou vingt ans. Il en va de même pour les entreprises qui s’installent dans ces territoires.

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville.

Mme Angèle Préville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne puis que souscrire à votre plan d’action en faveur des territoires ruraux. Les intentions sont belles et devront se traduire par des mesures concrètes.

Rappelons nos atouts et les enjeux. Nos territoires constituent un véritable capital et représentent une formidable richesse. Nos campagnes doivent donc être un moteur du modèle écologique.

La France, qui compte 30 000 millions d’hectares de surfaces agricoles, reste la première puissance agricole de l’Union européenne.

L’agriculture est au cœur de la lutte contre le changement climatique. Elle en est l’une des principales causes, car le secteur agricole émet trop de gaz à effet de serre, mais elle en subit également les conséquences : sécheresses, inondations. À cela s’ajoutent les effets délétères du recours aux produits phytosanitaires sur les espèces et sur notre santé.

L’agroécologie est la réponse à la crise agricole et écologique actuelle. Oui, il faut soutenir les nouvelles pratiques agricoles. Oui, l’agriculture conventionnelle doit évoluer et se diversifier, car la préservation de la biodiversité n’est plus une option. Il est donc urgent de soutenir nos agriculteurs et de leur apporter de véritables garanties financières, afin de leur permettre de modifier leurs pratiques.

Nos systèmes de production doivent, plus que jamais, s’appuyer sur les potentialités offertes par les écosystèmes, c’est-à-dire la nature, en somme. Les circuits courts et bios sont un levier vertueux pour revitaliser nos territoires et sortir de la crise.

De belles initiatives sont d’ores et déjà prises dans nos territoires, qu’il faudrait pouvoir généraliser, mais de trop nombreux obstacles demeurent : terres trop chères, indisponibles, frais d’investissement bien trop élevés. Développer l’économie locale et miser sur le bio sont des paris sur l’avenir. Il s’agit non seulement de produire une alimentation de qualité, mais également de réduire les coûts économiques et écologiques.

Par ailleurs, face à la moyenne d’âge des agriculteurs, il nous faut investir, nous appuyer sur la motivation de nos jeunes et répondre à leur quête de sens professionnel face aux enjeux environnementaux.

Ma question est très simple, madame la ministre : pensez-vous qu’il faille seulement « encourager » le développement des circuits courts, comme cela figure dans le plan ? Qu’entendez-vous par « promouvoir l’agroécologie » ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice, je vous ai déjà entendu parler de ces sujets, auxquels, je le sais, vous êtes particulièrement sensible.

L’agenda rural prévoit en effet la promotion de l’agroécologie et des nouvelles pratiques agricoles, en développant, par exemple, les projets alimentaires territoriaux et les programmes agricoles expérimentaux. Ces projets fédèrent les acteurs d’un territoire autour d’une ambition partagée pour développer l’agriculture durable et une alimentation de qualité.

L’agenda rural prévoit également d’encourager l’approvisionnement en circuits courts des collectivités territoriales et des services déconcentrés de l’État ; c’est très important. J’insiste beaucoup sur les produits issus de circuits courts, certains produits bios venant parfois de très loin.

Cet agenda prévoit aussi de soutenir les nouvelles pratiques agricoles, notamment l’agriculture biologique et l’exercice collectif. Les initiatives vertueuses en matière d’écologie, via les groupements d’intérêt économique et environnemental ou le volet agricole du grand plan d’investissement, ainsi que les associations qui interviennent dans ce domaine, bénéficieront d’un soutien renforcé.

Vous avez évoqué, madame la sénatrice, le nécessaire accompagnement des agriculteurs, afin de permettre la transformation de l’agriculture de notre pays. À cet égard, l’agenda rural prévoit de renouveler le plan « Enseigner et produire autrement ». L’enseignement agricole a un rôle très important à jouer, car c’est dans les lycées agricoles que sont formés les futurs agriculteurs et, d’une manière générale, ceux qui s’occupent de la terre, de la forêt, etc.

Enfin, les crédits du fonds de structuration Avenir bio, gérés par l’Agence Bio, ont été augmentés dans la loi de finances initiale pour 2020 et portés à 8 millions d’euros, même si c’est sûrement encore insuffisant. Quant au crédit d’impôt bio, il a été revalorisé et prolongé jusqu’en 2020.

M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat.

Mme Christine Bonfanti-Dossat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nombreux sont les villages qui ont vu se fermer successivement commerces, écoles, cabinets médicaux, hôpitaux, services publics, et bien d’autres. Ces lieux sont pourtant essentiels au quotidien.

Les cris d’alarme du monde rural, qui représente 35 % de la population française, sont devenus assourdissants. L’intensité des manifestations des « gilets jaunes », particulièrement fortes dans le Lot-et-Garonne, nous oblige à agir.

Ayant été maire pendant vingt-cinq ans et infirmière libérale, je tenais à attirer votre attention sur les enjeux de démographie médicale et d’accès aux soins. Vous le savez, la situation s’est considérablement dégradée.

Les collectivités locales ont pourtant pris leurs responsabilités en créant des maisons de santé ou en salariant des médecins, afin que ce service public vital ne disparaisse pas totalement de leurs territoires.

Certes, la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé a permis de donner un souffle nouveau, en encourageant l’installation des médecins dans les zones sous-denses. Pour sa part, le Sénat a soutenu la pratique des délégations de tâches entre professionnels de santé, afin de faciliter l’accès aux soins.

Toutefois, il est possible d’aller plus loin. En effet, le maillage dense des réseaux d’infirmiers et d’aides à domicile et leur proximité avec les patients pourraient être plus largement exploités. Chaque année, 120 000 infirmiers libéraux interviennent auprès de 11 millions de patients, soit 18 % de la population, dans 90 % des cas à domicile. De même, 1,5 million d’aides à domicile interviennent auprès de plus de 3 millions de Français.

Le plan d’action en faveur des territoires ruraux préconise d’augmenter de façon urgente les délégations de tâches au profit des infirmiers. De telles délégations pourraient également être envisagées pour les aides à domicile.

Quel est votre avis, madame la ministre, sur ces propositions, qui permettraient d’améliorer l’accès aux soins dans les zones rurales sans dégrader leur qualité ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice, vous avez dressé un constat tout à fait juste de la situation de la ruralité dans le domaine de la santé. Les délégations que vous proposez me paraissent, à moi qui ne suis ni une spécialiste de la santé ni en charge de ce secteur, être de bon sens. J’en parlerai à ma collègue la ministre des solidarités et de la santé.

J’ai évoqué, en réponse à une question précédente, les vaccinations et un certain nombre de tests qui peuvent d’ores et déjà être pratiqués par les infirmières. Je pense que l’on peut également leur déléguer d’autres tâches, mais peut-être faut-il pour cela modifier ou accroître leur formation.

On le sait, il faut dix ans, au minimum, pour former un médecin. Un certain nombre de mesures qui viennent d’être prises seront efficaces très rapidement, mais d’autres nécessiteront d’attendre la fin de la formation des futurs médecins, afin qu’un vivier suffisant soit constitué.

Votre proposition me semble de bon sens ; je la transmettrai à la ministre des solidarités et de la santé.

M. le président. La parole est à M. Alain Dufaut.

M. Alain Dufaut. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois de plus, j’évoquerai les différences notoires d’application d’une loi à caractère urbanistique, selon qu’elle est mise en œuvre en région parisienne, dans une grande agglomération ou simplement dans un petit village dans nos territoires ruraux.

La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », avait été votée pour relancer la construction, en particulier pour limiter les zonages où les coefficients d’occupation des sols (COS) pénalisaient considérablement les constructions nouvelles. Force est de constater que son application stricte dans nos villages de Vaucluse nuit à la beauté de nos sites.

Comme le dit fort justement le président des maires du département de Vaucluse, il faut impérativement revoir la loi ALUR, qui risque de conduire au massacre des territoires ruraux, car elle privilégie la concentration de l’habitat plutôt que la qualité esthétique de nos villages.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’importe quoi !

M. Alain Dufaut. Par ailleurs, le maire d’un village me disait récemment que l’on pouvait désormais construire sur un confetti. Je pense que tous deux ont raison.

La multiplication des lotissements autour de nos beaux villages de Provence, ainsi que leur densification excessive, dénature leur authenticité et réduit leur attrait touristique. On ne peut plus tolérer aux abords des magnifiques villages du Lubéron ou du Ventoux la même densité de construction que dans les banlieues de nos villes, c’est une évidence.

Très sincèrement, il me paraît urgent, dans les départements ruraux à vocation touristique, de redonner la main et la maîtrise des règles d’urbanisme aux élus locaux et de revenir à des COS de 0,10 ou de 0,20, afin d’empêcher un bétonnage massif et anarchique, lequel enlaidit les villages exceptionnels de notre ruralité.

Madame le ministre, quel est votre avis, sur ce sujet ? Il est selon moi absolument nécessaire de revoir la loi ALUR. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Appliquons-la, plutôt !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Les avis contradictoires sur ce sujet prouvent bien que la différenciation est absolument nécessaire !

M. Genest a évoqué la Datar. Celle-ci est née lorsque j’avais 13 ans – aujourd’hui, j’ai les cheveux blancs… La Datar a été créée à une époque où la France était en phase de reconstruction. On avait alors besoin de mettre en œuvre un peu partout les mêmes solutions, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

L’intervention de M. Dufaut montre bien que les règles d’urbanisme ne peuvent être les mêmes, bien sûr, dans les villages de Vaucluse, que je connais bien d’ailleurs, afin de ne pas gâcher les paysages, et dans d’autres territoires. Dans d’autres territoires, votre intervention, monsieur le sénateur, susciterait une levée de boucliers. Cela signifie que la réglementation en matière d’urbanisme doit être aux mains des collectivités territoriales, qui doivent rédiger des documents d’urbanisme en relation avec leur territoire.

S’il y a un certain nombre de blocages à l’échelon national… (M. Jean-Raymond Hugonet proteste.) Attendez, monsieur le sénateur, je n’ai pas fini ! J’ai été maire pendant vingt-cinq ans, je sais ce que c’est qu’un plan d’occupation des sols ou un plan local d’urbanisme intercommunal, j’en ai fait plusieurs. Je sais qu’ils relèvent des collectivités territoriales. (M. Jean-Raymond Hugonet sexclame.)

Il nous faut étudier ce qui, dans le règlement national d’urbanisme – c’est de cela que vous parlez –, bloque son application dans les territoires.

Je comprends tout à fait vos propos, monsieur le sénateur, et je vous répète ce que j’ai dit au début de mon intervention : il faut pouvoir adapter les règles aux territoires et accorder des dérogations. (M. Jean-Marie Janssens et Mme Michèle Vullien applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Michel Savin.

M. Michel Savin. Madame la ministre, le plan d’action en faveur des territoires ruraux propose deux mesures afin de développer la pratique sportive. C’est une ambition que nous ne pouvons que saluer, même si elle est loin d’être suffisante.

Toutefois, le diable se cache souvent dans les détails. Vous proposez de permettre le recrutement mutualisé d’éducateurs sportifs polyvalents entre une commune ou une intercommunalité rurale et les acteurs de l’économie sociale et solidaire. Vous proposez également de renforcer le soutien aux clubs sportifs en milieu rural, notamment via le soutien aux équipements sportifs et aux associations en milieu rural.

Madame la ministre, vous souhaitez donc encourager les communes rurales à recruter du personnel qualifié. Malheureusement, nous savons tous que nombre d’entre elles connaissent de graves difficultés budgétaires, qui empêchent toute nouvelle dépense de fonctionnement. Quel soutien financier l’État compte-t-il apporter à ces communes afin qu’elles puissent créer de tels postes ?

Par ailleurs, je vous rappelle, madame la ministre, que le financement des équipements sportifs des territoires par l’Agence nationale du sport, l’ancien Centre national pour le développement du sport (CNDS), est en baisse cette année de 10 millions d’euros. Comment croire à vos paroles quand les actes du gouvernement auquel vous appartenez vont à leur encontre ?

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. Michel Savin. Enfin, les dispositifs en matière d’emploi sont trop souvent méconnus et inadaptés aux besoins des territoires.

Madame la ministre, le développement de la pratique sportive dans nos territoires est une nécessité, alors que la sédentarité est une problématique très lourde pour les générations futures.

D’autres propositions ont été formulées par les parlementaires, notamment ici au Sénat : soutien au mécénat, 1 % artistique et sportif, simplification des réglementations, développement de la pratique du sport à l’école. Quand le Gouvernement reprendra-t-il ces propositions ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, sachant que vous alliez m’interroger sur ce sujet, j’ai demandé à la ministre des sports de me donner quelques chiffres.

Le soutien à la rénovation et à la construction d’équipements sportifs au service des habitants des zones rurales est bien entendu une priorité.

Lors de son conseil d’administration du 9 décembre dernier, au cours duquel elle a entériné son budget pour l’année 2020, l’Agence du sport, malgré les contraintes budgétaires que vous avez évoquées, a souhaité maintenir son soutien aux équipements sportifs, à hauteur de 20 millions d’euros pour les équipements sportifs de niveau local, dont 5 millions d’euros pour les territoires. Il s’agit de permettre des investissements là où ils sont nécessaires. Le mouvement sportif et les collectivités territoriales ont souhaité mettre en place une co-gouvernance, afin de mettre en œuvre une déclinaison territoriale.

En 2019, 172 dossiers ont été traités par l’Agence nationale du sport. Au total, 133 projets ont été retenus dans les zones rurales, c’est-à-dire dans des communes classées en ZRR ou ayant signé un contrat de ruralité, pour un montant de 12 millions d’euros. Ces sommes viennent en complément des fonds d’intervention généralistes, que tout le monde connaît, c’est-à-dire la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), et la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL).

Enfin, 49 millions d’euros seront affectés au soutien de 4 151 emplois d’éducateurs sportifs au sein des clubs. Il a été demandé aux délégués territoriaux de l’Agence de veiller à accompagner le recrutement des emplois prioritairement dans les territoires ruraux classés en ZRR et dans les quartiers relevant de la politique de la ville.

Tels sont les éléments précis que je tenais à vous apporter.

M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour la réplique.

M. Michel Savin. Madame la ministre, j’ai bien entendu les informations que vous a transmises Mme la ministre des sports.

Concrètement, les crédits sont en baisse de 10 millions d’euros, c’est indéniable, ce qui signifie qu’aucune aide ne sera apportée aux collectivités. Les aides que vous venez de citer sont destinées aux clubs sportifs.

Lorsqu’une collectivité souhaite recruter des éducateurs sportifs pour les écoles, elle doit les prendre en charge elle-même. Aucune aide ne lui est aujourd’hui apportée.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Patrick Chaize, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous achevons ce nouveau débat sur la ruralité. Assurément, ce ne sera pas le dernier, car le Sénat entend bien maintenir la pression qu’il exerce sur le Gouvernement.

L’exigence que nous cultivons à votre endroit, madame la ministre, se justifie par deux raisons.

La première, c’est que nous sommes, aux termes de l’article 24 de la Constitution, les représentants des collectivités territoriales de la République et, de ce fait, les obligés, en quelque sorte, des élus locaux. La seconde, c’est que le Gouvernement n’a cessé, depuis sa formation, de renouveler les témoignages d’amour, de compassion et de considération à l’endroit des territoires ruraux, que je ne crois pas encore perdus.

En politique, nous connaissions l’existence des « candidatures de témoignage ». Prenez garde de ne pas créer le concept de « politique publique de témoignage ».

Les conférences des territoires ont laissé un goût amer à de nombreux élus, leur déception étant proportionnelle à l’enthousiasme que vous avez suscité chez eux. Ne reproduisez pas la même erreur avec ce plan d’action en faveur de la ruralité, que je ne condamne pas a priori.

Sous l’impulsion de l’Association des maires ruraux de France, qui ont bien voulu vous aider sur ce sujet, le Premier ministre a présenté le 20 septembre dernier, lors du congrès des maires ruraux de France, ce plan ou agenda rural, qui est une émanation du rapport du 26 juillet 2019 de la mission « Agenda rural », dont l’AMRF était membre.

Comme certains, je salue de bonnes idées et l’important travail qui a été réalisé. Pourtant, je ne puis m’empêcher de relever une certaine dissonance entre ce plan, qui se veut la vitrine de votre politique publique en faveur de la ruralité, et vos actes quotidiens.

J’aborderai en premier lieu les maisons France services. Évoquées par le Président de la République lors du grand débat national, ces structures doivent rapprocher les citoyens des services publics dont ils sont bénéficiaires. Comment s’opposer à une telle idée ?

Cela étant, plus le temps passe, plus je me demande si ces structures vont réellement apporter une valeur ajoutée par rapport aux actuelles maisons de services au public (MSAP). J’en viens même à me demander si elles ne constituent pas une régression déguisée.

Ces maisons vont-elles conserver une dimension véritablement rurale ? Surtout, pourquoi, comme nous le voyons aujourd’hui, adopter une approche technocratique de ces structures en les obligeant, par exemple, à disposer de deux équivalents temps plein ? Ceux qui se plaignaient du manque de souplesse des MSAP vont être servis avec les nouvelles maisons France services !

Je m’arrêterai en second lieu un instant sur le sort que vous réservez au plan France très haut débit. Vous l’avez suspendu en 2017 avant de le relancer en 2019, mais sans moyens. C’est pour cette raison que le Sénat a souhaité, dans sa sagesse, amender la loi de finances, pour alimenter ce plan non pas en crédits de paiement, mais en autorisations d’engagement. Comme vous le savez, ce plan est le moteur de l’aménagement numérique de nos territoires.

Avec cette décision, avec ce nouveau cahier des charges, vous actez la mort du plan France très haut débit. Dans un récent communiqué, vous avez d’ailleurs évoqué l’objectif de couvrir 92 % de la population, laissant 5,5 millions d’habitants sur le bord de la route.

Aussi est-ce avec une certaine prudence que je considère le plan d’action en faveur des territoires ruraux. Je ne puis présumer d’un échec ou de votre incapacité à le mettre en œuvre, mais, compte tenu de vos difficultés à accorder vos paroles et vos actes, permettez-moi de ne pas présumer non plus d’une formidable réussite. Faites confiance aux élus, madame la ministre, associez-les, considérez-les. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le plan d’action en faveur des territoires ruraux.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

5

Réforme des retraites

Débat organisé à la demande de la commission des affaires sociales

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la réforme des retraites, organisé à la demande de la commission des affaires sociales.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous souhaite la bienvenue au Sénat, et le meilleur dans vos nouvelles fonctions. Vous les entamez dans une période un peu délicate, mais c’est souvent le cas dans la vie ministérielle.

Notre débat s’organisera en deux temps.

Tout d’abord, après l’intervention du président de la commission des affaires sociales, chacun des groupes disposera d’un temps de parole de cinq minutes, à raison d’un orateur par groupe, avant que le Gouvernement ne réponde aux intervenants.

Nous procéderons ensuite à un débat interactif, sous la forme de quinze questions-réponses.

La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi portant réforme des retraites devrait être présenté au conseil des ministres le 24 janvier, dans quinze jours.

Mais cela fait déjà plus d’un mois qu’a commencé un mouvement social d’ampleur, et cela fait plus longtemps encore que, bien au-delà des syndicats et des grévistes, les Français se posent des questions sur l’avenir de leurs retraites.

C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, la commission des affaires sociales a souhaité l’organisation de ce débat au Sénat dès la rentrée, afin que le Parlement et, à travers lui, le plus grand nombre de nos compatriotes puissent dès à présent y voir clair sur l’essentiel.

Qu’elle s’inscrive dans le présent, dans un proche avenir ou dans une perspective lointaine, chacun se sent concerné par la retraite. De ce fait, il s’agit d’un sujet politique hautement inflammable.

Pour qu’une réforme, a fortiori un changement complet des règles de calcul, soit acceptable, il faut que les Français aient confiance dans ce qui leur est proposé. Or on ne peut que constater qu’ils ne font guère confiance au Gouvernement.

Pour partie, cette situation s’inscrit dans une évolution générale et préoccupante de défiance dans la parole publique. Mais, pour partie également, elle résulte directement des actions du Gouvernement, que le Sénat a régulièrement dénoncées.

Ainsi, comment croire dans des promesses de maintien du niveau de vie des retraités – le Premier ministre évoque une « sanctuarisation » de l’évolution de la valeur du point – quand, depuis trois ans, le Gouvernement ne cesse de fouler aux pieds l’actuelle règle de revalorisation censée garantir que les pensions progressent au même rythme que l’inflation ?

Gel des pensions en 2018, quasi-gel en 2019, assorti d’une augmentation de 1,7 point de la CSG sur les pensions, reconduction de cette mesure en 2020 pour les retraités dont la pension dépasse 2 000 euros : le Gouvernement a tout fait pour démonétiser sa propre parole et celle de ses successeurs.

Par ailleurs, comment faire partager l’idée de travailler plus longtemps quand le Président de la République, durant sa campagne, n’a cessé de répéter qu’il ne toucherait pas à l’âge légal de départ à la retraite, sans jamais évoquer un quelconque âge pivot, quand ce même président clamait haut et fort son refus des réformes paramétriques et quand, depuis trois ans, vous n’avez cessé de vous opposer aux initiatives du Sénat visant à augmenter progressivement l’âge légal de départ à la retraite ? Comment les Français pourraient-ils s’y retrouver après de telles incohérences et un tel manque de pédagogie ?

Enfin, comment nos concitoyens pourraient-ils croire à l’impérieuse nécessité de redresser les comptes de la branche vieillesse alors que, depuis deux ans, le Gouvernement a artificiellement réduit de 2,6 milliards d’euros les recettes de cette même branche en ne compensant ni la désocialisation des heures supplémentaires ni la baisse du forfait social ? Le Gouvernement a été prompt à présenter ces mesures comme des cadeaux aux salariés et aux entreprises. Certains pourraient avoir le sentiment qu’on leur en présente désormais la facture…

Face à un État impécunieux et à un système de retraites en déséquilibre structurel, comment les différents régimes ayant accumulé des réserves pour garantir leurs engagements futurs pourraient-ils ne pas interpréter le régime universel comme une tentative de « hold-up » d’un État cigale qui devra, notamment, faire face aux pensions de ses fonctionnaires avec un ratio démographique de plus en plus défavorable ?

En somme, monsieur le secrétaire d’État, depuis le début du quinquennat, le Gouvernement a tout fait pour créer le doute et la confusion dans l’esprit de nos compatriotes lorsqu’il est question des retraites. Il a, hélas, parfaitement réussi, et ne doit donc pas s’étonner de récolter de la défiance eu égard aux promesses qu’il formule, en particulier en termes de justice sociale et de maintien du pouvoir d’achat des retraités.

Dans ce contexte, il est nécessaire que nous prenions le temps de faire le point sur le projet de réforme du Gouvernement, alors que s’achève la phase de concertation et que la rédaction de l’avant-projet de loi est presque finalisée.

La formule de notre débat est vivante : après les interventions liminaires des représentants des différents groupes politiques, une séquence de questions-réponses s’engagera. Elle devrait nous permettre de balayer de nombreuses questions de nos concitoyens et des parlementaires que nous sommes.

Reconnaissons-le, les sujets d’interrogation, voire d’inquiétude, ne manquent pas.

Je pense aux conséquences du basculement du calcul des pensions en fonction des trimestres vers un système à points, singulièrement quand on a connu une carrière hachée en raison de périodes de chômage ou quand on s’est arrêté pour élever des enfants.

Je pense à l’évolution du calcul des avantages familiaux, qui risque de pénaliser de nombreuses familles, tout particulièrement celles de trois enfants.

Je pense à la transition pour les personnes relevant de l’un des régimes appelés à disparaître. Si l’on a beaucoup parlé d’un ou deux régimes spéciaux, bien davantage de personnes sont concernées, notamment les travailleurs indépendants.

Je pense aussi à l’équilibre financier, car, à force de concessions discrètes et ciblées aux grévistes disposant des plus grandes capacités de nuisance, le Gouvernement pourrait bien réaliser l’exploit de proposer une réforme qui mécontente une majorité de Français, tout en plombant nos finances publiques.

Les questions risquent donc d’être nombreuses et précises, monsieur le secrétaire d’État. J’espère que vos réponses, contrairement à celles qui nous ont été apportées jusqu’à présent, le seront tout autant et permettront d’éclairer le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Indépendants.)

M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour le groupe La République En Marche.

M. Martin Lévrier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dès sa conception, le système de retraite pour l’ensemble des Français avait pour objectif l’équité et la volonté d’une logique universelle. Pourtant, au fil du temps, il s’est complexifié afin de s’organiser autour de logiques catégorielles. Ces logiques étaient respectables et cohérentes, car elles s’appliquaient à un temps où l’on cotisait à une même caisse toute sa vie.

De ce système sont nés des régimes à différentes vitesses, créant des incompréhensions entre les Français. Et les réformes paramétriques, qui recherchaient presque toutes l’équilibre budgétaire, ont démultiplié la complexité et ont fini par opposer les Français au lieu de les unir.

Oui, mes chers collègues, la défiance en notre système actuel de retraite est généralisée. Les seuls Français qui pensent sereinement à leur retraite sont ceux qui ont conservé le même travail toute leur vie et qui ont été inscrits à une caisse de retraite complémentaire avantageuse.

Oui, je le répète, la défiance en notre système actuel de retraite est généralisée. Et pour cause ! Comment accepter de ne pas avoir les mêmes droits en fonction de la caisse à laquelle l’on cotise ? C’est ainsi que nous sapons la solidarité entre les générations, cœur du principe de répartition sur lequel repose notre système.

Solidarité, simplification, équité, équilibre financier : l’ambition de la réforme est de replacer ces quatre objectifs au cœur du système de retraite, dans le respect des promesses du candidat Macron à l’élection présidentielle et dans la philosophie des concepteurs du système à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. (Protestations sur les travées du groupe SOCR.)

Pour ce faire, cette réforme doit être systémique, tout en gardant son objectif d’équilibre financier à moyen terme.

Citons quelques piliers qui en feront la stabilité : l’universalité, avec un système unique de cotisations par points ; la solidarité, avec la suppression des 42 caisses et la volonté de conforter notre régime de répartition ; l’équité, car chaque euro travaillé donnera les mêmes droits à chacun ; une gouvernance ouverte qui garantira la prise en compte de tous, la stabilité à long terme et la certitude que la valeur du point et les pensions ne régresseront pas ; la protection des plus fragiles, enfin.

Je me dois, en cet instant, de tordre le cou à certains détracteurs de la réforme, qui aiment à laisser penser que le système que nous entendons mettre en place favoriserait la capitalisation. C’est tout simplement faux !

Le système universel fera cotiser chacun, à hauteur de 28 % de ses revenus, jusqu’à un plafond de 120 000 euros annuel, contre 324 000 euros actuellement. En d’autres termes, les droits à la retraite universelle par répartition s’établiront sur l’ensemble des revenus jusqu’à 120 000 euros par an. Au-delà, il sera demandé une cotisation de solidarité de 2,81 % qui ne donnera aucun droit à point de retraite, mais servira à la solidarité nationale.

Les Français conçoivent que le système universel est le meilleur système, à la condition qu’il soit redistributif, solidaire et par répartition. Et c’est bien dans cette logique que les syndicats réformistes sont prêts à accompagner cette réforme.

Pour autant, régime universel ne veut pas dire régime unique. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SOCR et CRCE.) Cela signifie qu’un euro cotisé, quel que soit le métier, ouvrira les mêmes droits.

Parler d’universalité impose des réflexions sectorielles, et même des réflexions sur les spécificités de chacun, et demande des aménagements clairs et consensuels. C’est la raison pour laquelle un nouveau cycle de discussions s’est ouvert ce matin avec les organisations syndicales.

Ces dernières se sont rassemblées aujourd’hui autour du Gouvernement pour lancer des travaux sur quatre objectifs qui font consensus, et qui sont centrés sur la pénibilité et les seniors.

De plus, à l’issue de cette réunion, le Premier ministre a proposé aux partenaires sociaux un rendez-vous vendredi matin, afin de définir les contours de la conférence de financement de la future réforme des retraites, répondant ainsi positivement à la demande de Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT.

Ainsi, après plus de deux ans de concertations avec l’ensemble de nos concitoyens, en particulier avec les partenaires sociaux, il ne fait plus aucun doute que l’idée d’universalité, ainsi construite, est partagée.

Alors, loin des débats politiciens – avec cette réforme, nous engageons tous les Français pour des dizaines et des dizaines d’années –, nous savons, en tant que sénateurs, que la cristallisation des mécontentements s’est opérée autour du seul volet paramétrique de cette réforme, l’âge d’équilibre à 64 ans.

La proposition du Premier ministre est un premier pas, et notre débat peut apporter des éléments constructifs et consensuels permettant un compromis acceptable par toutes les parties.

M. Rachid Temal. Les Français ne veulent pas de cette réforme !

M. Martin Lévrier. Mes chers collègues, je crois à la solidarité intergénérationnelle, je crois en notre système de répartition, je crois en la capacité de notre chambre de formuler des propositions positives qui seront à la hauteur de cette réforme que les Français méritent. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Cheminots, agents des transports urbains, salariés des transports routiers, des raffineries, d’EDF, d’Air France, enseignants, avocats, personnels paramédicaux, notamment : je tiens tout d’abord, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à rendre hommage à tous ces salariés qui, depuis maintenant plus d’un mois, se mobilisent courageusement contre le projet de réforme des retraites, à travers un mouvement social de grande ampleur, largement soutenu par la population.

Malgré cela, monsieur le secrétaire d’État, votre gouvernement a décidé de faire passer en force cette réforme, sans concertation. Votre attitude est irresponsable quand on sait qu’une très large majorité des citoyens est opposée à ce projet, et ce depuis la sortie du rapport de M. Delevoye, feu M. Retraites du Gouvernement, auquel les mensonges et la tricherie ont valu d’être aujourd’hui sur le banc de touche.

Et ce n’est pas vous, monsieur le secrétaire d’État, qui changerez la donne. Vous n’avez en réalité qu’un seul but : alimenter les fonds de pension gérés par BlackRock !

Face à la colère massive et à la détermination des travailleurs de l’ensemble des secteurs professionnels, votre gouvernement a certes été contraint de descendre de sa tour d’ivoire… Mais les pseudo-concessions accordées sont très loin de satisfaire la population. Au contraire, plus les membres de votre gouvernement y vont de leurs annonces, plus ils renforcent l’élan de solidarité interprofessionnelle, car plus personne n’est dupe.

Tout le monde a bien compris en effet que cette réforme visait à obliger les salariés à travailler plus longtemps pour toucher moins de pension, d’autant que vous avez clairement annoncé votre volonté de bloquer les dépenses des retraites à 14 % du PIB. Avec des retraités plus nombreux et des dépenses bloquées, il faudra nous expliquer comment le montant des pensions ne baissera pas mécaniquement.

Malheureusement pour vous, la lutte sociale a permis de mettre à jour toutes les duperies de ce prétendu « système universel de retraite par points ».

L’universalité, mise en avant, n’est qu’une illusion pour masquer le véritable objectif : niveler les droits sociaux vers le bas.

Vous voulez d’abord inciter les salariés à travailler plus longtemps, avec un recul de l’âge de départ à la retraite à taux plein à 64 ans, voire au-delà, âge pivot ou pas.

Le Gouvernement va faire payer aux salariés son désengagement du financement des retraites. Les politiques successives que vous poursuivez – exonération de cotisations sociales et casse de l’emploi – entraînent un chômage de masse et minent les comptes de la sécurité sociale. Vous organisez le déficit de la sécurité sociale pour mieux la casser !

Vous vous attaquez également directement au montant des pensions de retraite.

Vous le faites, d’une part, par le biais du système par points, un système bien connu des Suédois et des Allemands ; or les retraités de ces pays sont les plus pauvres d’Europe. Ce régime permet en effet d’ajuster la valeur du point en fonction des variations du marché. Ainsi, les salariés ne connaîtront le montant de leur pension qu’au moment de partir à la retraite, avec comme mauvaise surprise un faible revenu qui les incitera malheureusement à travailler plus pour augmenter leur pension. Sincèrement, je pense que vous ne mesurez pas – ou alors vous n’en avez que faire – ce que cela représente, par exemple pour des ouvriers du bâtiment ou d’usine, des déménageurs ou des femmes de ménage, de travailler encore plus longtemps.

Vous le faites, d’autre part, en calculant le montant des pensions sur l’ensemble de la carrière des salariés du public comme du privé. Les salariés aux revenus modestes, dont la carrière a été entrecoupée de périodes de chômage, ceux qui sont entrés tard sur le marché du travail, ou encore les femmes, qui sont déjà pénalisées par les inégalités salariales et sociales, feront partie des plus grands perdants de votre réforme.

Pour notre part, nous sommes dans le camp de ceux qui défendent le progrès social, et j’attire à ce titre votre attention sur la pétition concernant les retraites, en ligne depuis dimanche, dont nous sommes signataires avec d’autres personnalités politiques et syndicales, de même que des artistes et des chercheurs. Nous vous demandons encore une fois de retirer votre projet de réforme de retraite par points et d’améliorer notre système de retraite par répartition sur ses bases actuelles. Nous avons des propositions, les syndicats vous ont aussi fait part des leurs, mais, évidemment, vous n’avez pas écouté !

En réponse, vous avez envoyé votre texte au Conseil d’État et l’avez inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale dès le 17 février. Véritable provocation ! Mais les salariés restent déterminés et seront de nouveau dans la rue dès jeudi. Nous serons à leurs côtés dans la lutte pour exiger le retrait de votre projet de loi néfaste pour les salariés, toutes catégories confondues ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Union Centriste, ainsi que l’ensemble des partis centristes, ont depuis longtemps milité pour une réforme universelle des retraites. Mais, il faut bien en convenir, si la préparation de cette réforme par Jean-Paul Delevoye fut exemplaire dans sa démarche – le Sénat y a d’ailleurs largement contribué –, la suite fut plus chaotique !

Que faire aujourd’hui pour réussir cette réforme ?

Rappelons tout d’abord qu’elle est nécessaire. Le système actuel est en perpétuelle recherche d’équilibre et génère trop d’inégalités.

Il est injuste pour les personnes dont les carrières sont hachées, pour celles qui travaillent à temps partiel, pour les agriculteurs, pour les artisans et commerçants, pour les femmes, sans parler des pensions de réversion. Nous approuvons ainsi la proposition d’une retraite de base garantie à 1 000 euros par mois pour une carrière complète au SMIC.

Rétablissons aussi la vérité pour tous ceux qui prétendent que le nouveau système sera par capitalisation. Une fake news de plus ! Le système à points reste par répartition, c’est-à-dire que les actifs payent pour les pensions des retraités. Avec ce système, chaque heure travaillée donne des droits à la retraite, ce qui n’est pas le cas dans le mécanisme actuel. De plus, la réforme ne s’appliquera qu’aux générations nées après 1975, voire ultérieurement pour certains régimes, et les droits antérieurs constitués seront garantis.

Nous portons donc une appréciation positive sur le système proposé, avec prudence toutefois, en l’absence d’étude d’impact.

Précisons tout d’abord que la valeur de service du point ne baissera pas. Elle sera indexée sur le salaire moyen, qui croît actuellement plus vite que le PIB. Les pensions continueront à augmenter au rythme de l’inflation, conformément à la loi de 1994 – nous pouvons toutefois l’espérer.

Ensuite, la gouvernance du système sera paritaire, confiée aux partenaires sociaux, lesquels seront également chargés de l’équilibre financier du système, sur le modèle des complémentaires Agirc-Arrco qui, rappelons-le, gèrent 80 milliards d’euros de pensions, sont en équilibre et possèdent même 70 milliards d’euros de réserves. Il n’y a pas plus bel exemple de réussite du paritarisme à la française. Faisons-lui confiance !

L’architecture du nouveau système, on le voit, est simple et claire.

L’équilibre s’établit entre la valeur du point de cotisation, le nombre d’actifs, le montant des pensions et le nombre de retraités.

Est-il besoin de faire des ajustements paramétriques avant la mise en place de ce système ? Nous ne le pensons pas ! Ceux-ci se feront progressivement, à condition de respecter un âge de départ à la retraite à 62 ans, qui devra sans doute évoluer pour éviter les déséquilibres démographiques. En clair, mettons pour l’instant entre parenthèses l’âge pivot.

À ce propos, l’idée d’une conférence financière nationale évoquée par Laurent Berger rejoint la proposition avancée récemment par les présidents des groupes parlementaires centristes à l’Assemblée nationale et au Sénat. Une telle conférence devrait permettre de trouver les mesures d’équilibre du nouveau système, qui devront intégrer les nouveaux transferts de solidarité proposés par le Gouvernement et le déficit constaté par le Conseil d’orientation des retraites (COR) pour 2025, lequel provient pour moitié d’une baisse des recettes de l’État employeur. Celui-ci doit donc prendre sa part et ne pas se défausser sur le secteur privé. En revanche, la loi devrait fixer une règle d’or contraignant la nouvelle caisse de retraite à l’équilibre sur cinq ans, par exemple.

Je ferai également quelques suggestions pour rassurer les salariés, en particulier ceux qui exercent des métiers pénibles.

Les critères qui définissent la pénibilité sont précis, mais il faut les reconsidérer, notamment pour les charges lourdes. Il faut aussi préciser si la pénibilité donnera lieu à des points de bonification ou à des années de retraite anticipée. Et il faut également aménager la fin de carrière des seniors.

Je me permets toutefois une mise en garde : nous ne devons pas recréer de régimes spéciaux par branche ou entreprise. Les droits doivent être individuels ou par métier.

Enfin, les régimes spéciaux, qui concernent 5 % des actifs, sont « budgétivores » selon la Cour des comptes : 9 milliards d’euros sont versés pour compenser leurs déficits. D’où la pertinence de passer à un système universel, qui donnerait une base plus large, et donc plus stable, à ces dispositifs.

Une dernière recommandation concerne la transition entre les deux systèmes. Deux Français sur trois relèvent du secteur privé et un quart du secteur public, où il existe de fortes disparités entre professions qu’il faut compenser pour le calcul de leur retraite.

Compte tenu de ces disparités, la transition doit être différenciée, avec une durée plus ou moins longue de convergence vers le système universel, pour s’assurer qu’il n’y aura pas de perdants. Les compensations financières sont en effet gérables dans le temps avec la croissance de la masse salariale, les réserves Agirc-Arrco et le Fonds de réserve des retraites, qui représentent au total 100 milliards d’euros, à condition bien évidemment de ne pas dilapider ces ressources.

Ces propositions me paraissent de nature à redresser les contre-vérités, à calmer les inquiétudes légitimes, à rassurer le plus grand nombre et à sortir du conflit actuel.

Il appartient maintenant au Parlement de graver dans le marbre de la loi ces principes et les nouvelles orientations pour un système universel plus équitable, plus juste et plus solidaire.

Le Gouvernement serait bien inspiré, après avoir consulté et négocié avec les partenaires sociaux, d’écouter aussi le Parlement, notamment le Sénat, qui s’est beaucoup investi dans cette réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes Les Indépendants et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, trente-quatre jours ! Voilà trente-quatre jours que nous vivons une crise sociale majeure, la plus longue que nous ayons eu à connaître. Trente-quatre jours d’incertitudes, trente-quatre jours de crainte de nombreux Français pour leur avenir et celui de leurs proches, trente-quatre jours au cours desquels s’exprime majoritairement le rejet du projet porté par le pouvoir en place, trente-quatre jours que les grévistes en lutte perdent une partie de leur salaire, trente-quatre jours qu’une partie des Français ne peut plus mener une vie normale !

Le Gouvernement, de son côté, se félicite d’une réforme des retraites bien calibrée, bien pensée, dont chaque point a été soupesé, disséqué, et qui a nécessité deux ans de travail… En somme, la meilleure réforme qu’un gouvernement n’ait jamais portée ! Il n’y aurait pas d’impasse, pas de rejet et, de ce fait, pas d’inflexion non plus. C’est droit dans ses bottes de hussard que le Premier ministre mène ce travail, y compris en nous imposant une procédure accélérée.

On sent néanmoins que la fébrilité gagne votre gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, car, bien que représentants du prétendu nouveau monde, vous utilisez les mêmes vieilles recettes, les mêmes rengaines ! Rien de mieux pour décrédibiliser le mouvement social que dénoncer une minorité de privilégiés bloquant le pays pour conserver leurs avantages.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Patrick Kanner. Mais de quels privilégiés parle-t-on ? De ceux qui ne souhaitent pas partir toujours plus tard à la retraite, toujours moins dotés et en mauvaise santé ?

Cela m’ennuie de répéter devant vous, monsieur le secrétaire d’État, une chose que vous savez déjà, vous qui êtes un homme du Nord : un ouvrier a six ans d’espérance de vie de moins qu’un cadre. Quant à l’espérance de vie en bonne santé, c’est-à-dire sans incapacité, elle est de 64,5 ans pour les femmes et de 63,5 ans pour les hommes : l’âge pivot à 64 ans est donc une aberration, une régression sociale !

Mais ce n’est pas la seule ligne rouge pour nous. Avec la réforme qui se profile, l’ouvrier qui a les conditions de travail les plus pénibles ne partira pas plus tôt à la retraite que le cadre. Il ne récupérera jamais les six ans d’écart d’espérance de vie. Les plus modestes paieront la retraite des plus favorisés. Et on nous parle d’égalité !

Oui, monsieur le secrétaire d’État, cette réforme est structurellement inégalitaire. Et pour viser l’égalité et la justice sociale, il ne suffira pas de moduler l’âge pivot ni même de reculer sur ce paramètre financier.

Il faut revoir la prise en compte de la pénibilité. Rappelons à cet égard qu’une des premières mesures d’Emmanuel Macron a consisté à revenir sur les dix critères de pénibilité mis en œuvre sous le précédent quinquennat au profit des salariés que le travail use. Le Medef – le Medef ! – les trouvait trop compliqués – traduction : trop favorables aux salariés…

Le Gouvernement a réduit ces critères à six. Désormais, pour pouvoir bénéficier d’un départ à la retraite quand on est exposé aux facteurs de pénibilité, il faut soit être victime d’invalidité soit souffrir d’une maladie professionnelle, donc avoir dit définitivement adieu à une retraite en bonne santé.

Car à quoi servaient ces dix critères du compte pénibilité ? À acquérir des droits spécifiques à la formation pour évoluer professionnellement, à réduire son temps de travail en fin de carrière ou sa durée d’activité pour partir plus tôt à la retraite. N’oublions pas non plus que le taux d’emploi des plus de 60 ans était de 32,2 % en France l’année dernière. C’est bien toute une partie de la population que vous allez plonger dans une trappe à pauvreté sans fond.

Quant à nous, c’est parce que nous avons pris nos responsabilités et réussi à sauver notre système universel de retraite par répartition avec la réforme Touraine que nous pouvons dire aujourd’hui qu’une autre voie est possible.

Le système actuel est naturellement perfectible. Il peut et doit encore évoluer, mais l’argument d’autorité employé par le Gouvernement est un leurre. Il n’y a pas d’urgence à réformer du fait d’un prétendu sous-financement du système des retraites, et encore moins de le faire dans ces termes.

Monsieur le secrétaire d’État, gouverner en instrumentalisant la peur des Français est délétère pour la démocratie. Notre système est viable et il peut être amélioré selon plusieurs axes qui doivent être au cœur de nos réflexions : prise en compte de la pénibilité et des carrières longues qui doivent être au centre d’une réforme de justice ; amélioration de l’égalité entre les hommes et les femmes, en renforçant prioritairement l’acquisition de droits à la retraite pour les carrières discontinues et les droits dérivés.

Parce que niveau de vie et espérance de vie sont fortement corrélés, le financement du système de retraite doit responsabiliser davantage les entreprises en fonction de leur politique en matière de pénibilité et de santé au travail, ainsi que les salariés percevant de hauts revenus puisqu’ils sont le plus longtemps à la retraite. Ces nouvelles sources de financement doivent permettre de garantir à moyen et long terme le niveau de vie des retraités.

Tels sont les axes de progrès social que nous entendons soumettre au débat. Entendez-nous, monsieur le secrétaire d’État ! Ne méprisez pas les Français, ne méprisez pas le Parlement ! Votre réforme devait rassurer : c’est déjà un échec de ce point de vue. Le climat de régression sociale dans lequel vous menez vos travaux ne peut qu’accentuer la déchirure du tissu social.

Réformer le système de retraite, c’est refonder le pacte social. Quand allez-vous écouter la population pour présenter un projet d’avenir, un projet de confiance, un projet de justice sociale ?

Votre projet à l’impact indéterminé, systématiquement et paramétriquement incontrôlé, est fondamentalement injuste. Monsieur le secrétaire d’État, retirez-le ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur des travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Stéphane Artano. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 1945, le Conseil national de la Résistance souhaitait déjà donner une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours. Bien plus qu’un acquis social, notre système de retraite par répartition incarne les valeurs humanistes chères au groupe RDSE et qui sont au cœur du pacte républicain.

Soixante-quinze ans plus tard, ce pilier de notre équilibre social est de plus en plus fragilisé par une évolution démographique défavorable et un déficit qui pourrait devenir important. Selon les prévisions du COR, le régime serait déficitaire de 8 à 17 milliards d’euros en 2025 et la trajectoire se dégraderait jusqu’en 2030.

Cette situation ne date malheureusement pas d’hier. En préface du Livre blanc sur les retraites, Michel Rocard rappelait : « Nous avons […] vis-à-vis des générations futures un devoir de lucidité et un impératif de solidarité. Nous leur devons des choix pour garantir leur avenir. » C’était en 1991…

Cela fait bientôt trente ans que les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, tentent d’apporter des réponses satisfaisantes – en vain ! Et cela fait plusieurs années que nos concitoyens, notamment les jeunes, sont particulièrement inquiets quant à l’avenir du système actuel.

Ce dossier est en instance depuis trop longtemps. Oui, une réforme de notre système de retraite est évidemment nécessaire. En effet, ne rien faire menacerait la pérennité de notre régime par répartition et hypothéquerait l’avenir des générations futures. On ne peut se permettre de faire peser sur ces générations tout le poids du financement de nos retraites ; cela ne serait pas raisonnable. Comme l’a récemment rappelé le président Jean-Claude Requier dans cet hémicycle, ne rien faire serait tout simplement irresponsable. Nos concitoyens ne comprendraient pas que nous n’ayons trouvé ni le temps ni les mots d’une réforme juste.

C’est pourquoi nous notons la volonté du Gouvernement de mettre en place un régime universel de retraite par points, tel que le Président de la République s’y était engagé pendant la campagne présidentielle. Le RDSE y est globalement favorable, mais pas unanimement, et l’a indiqué à plusieurs reprises dans cet hémicycle.

Toutefois, comme nous le rappellent nos concitoyens dans le cadre des grèves qui durent depuis plus d’un mois, la méthode du Gouvernement pose question et nous avons surtout besoin de plus de clarté sur le financement des futures retraites. Cette réforme ne doit pas être synonyme de rupture sociale ni de paupérisation des Français.

Oui, monsieur le secrétaire d’État, une réforme systémique est nécessaire et le souhait du Gouvernement de mettre en place un système qui repose sur trois grands principes – l’universalité, l’équité et la responsabilité – est honorable.

Ainsi, pour garantir la pérennité et l’universalité de notre système de retraite, il est souhaitable d’adopter un régime identique dans ses fondements pour tous les Français. C’est sans doute l’utilisation du terme « universel » qui crée autant d’incompréhension dans la population. Cependant, un système équitable doit permettre de mieux protéger nos concitoyens, en tenant compte notamment des périodes de maternité, des carrières heurtées ou de la pénibilité qui, pour nous, est un élément essentiel qu’il faut prendre en considération. À titre d’exemple, comment imaginer qu’un marin pêcheur doive travailler jusqu’à 64 ans, comme le suggère dans son état actuel le projet du Gouvernement ? Dès lors, comment peut-on raisonnablement penser qu’un euro puisse ouvrir les mêmes droits pour tous ?

Par ailleurs, le pacte originel imaginé en 1945 par le Conseil national de la Résistance prévoyait le maintien des régimes spéciaux antérieurs pour une période provisoire. Le COR s’est lui-même interrogé à plusieurs reprises sur la simplification de notre système de retraite particulièrement complexe. Ainsi, votre projet d’alignement des régimes spéciaux semble s’inscrire dans cette logique historique. Mais est-ce pour autant possible ?

Cette réforme suscite une réelle inquiétude, la défiance, le mécontentement et la colère d’une partie de nos concitoyens. Aussi, pour sortir de l’impasse, plusieurs secteurs ont obtenu des aménagements, voire le maintien de leur spécificité. Les régimes spéciaux laisseraient ainsi la place à des régimes « spécifiques », mais basés sur quelle universalité ?

Lors d’un débat sur la réforme des retraites à Rodez le 3 octobre dernier, le Président de la République avait affirmé qu’il n’accepterait aucune exception dans son futur régime universel de retraite. Et lors de ses vœux aux Français, le 31 décembre, il a de nouveau rappelé que ce projet était un projet de justice et de progrès social, parce qu’il assurait l’universalité. Loin de toute intention de ma part d’opposer le secteur public et le secteur privé, n’est-il pas à craindre, au regard des adaptations qui semblent se dessiner, une fracture de notre pays qui verrait un régime universel s’adresser essentiellement aux salariés du privé ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Bernard Buis applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. René-Paul Savary. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Les Républicains n’est pas farouchement opposé à toute réforme. Depuis un certain nombre d’années, nous avons d’ailleurs prouvé que nous avions l’esprit réformateur quand nous étions au pouvoir et nous avons pris des décisions particulièrement importantes qui ont permis de maintenir l’équilibre et le niveau du système de retraite. (Mêmes mouvements.)

Ces réformes, monsieur Lévrier, n’étaient pas seulement financières ; elles étaient également des réformes de justice puisqu’elles se sont accompagnées d’un rapprochement des droits entre les différents régimes. Il est important de le rappeler !

Si notre groupe n’est pas forcément hostile à une réforme, il commence néanmoins à se poser de plus en plus de questions et à s’inquiéter. Je reprendrai d’ailleurs les propos de Jean-Marie Vanlerenberghe : l’affaire avait bien commencé, mais je ne suis pas sûr qu’elle se termine tout à fait bien… (Sourires sur plusieurs travées.)

Quand nous avons fait des déplacements en Europe avec le haut-commissaire, nous avons constaté que les autres pays avaient renoncé à mettre en place un système unique et qu’ils avaient plutôt rapproché les différents régimes complémentaires. Nulle part en Europe, il n’y a un régime unique. Nulle part en Europe, l’âge légal n’est de 62 ans. Nulle part en Europe, un pays ne met tous ses œufs dans le même panier, en écartant systématiquement la capitalisation.

Les Français, sûrement plus malins que les autres, vont inventer un nouveau régime, qui serait unique, en supprimant les quarante-deux qui sont équilibrés à terme. On nous dit que les régimes spéciaux seront supprimés, mais ils seront en fait maintenus jusqu’en 2037… S’il y a des inégalités, elles vont donc perdurer !

Nous devons évidemment être attentifs à apporter de la simplicité, mais sans casser des systèmes qui fonctionnent. C’est souvent le poids de l’histoire qui explique les différences. Je prends l’exemple des indépendants : le système est équilibré avec des taux de cotisation différenciés, et la réforme aboutira à alourdir les cotisations, tout en diminuant les pensions. Qui plus est, il faudra procéder à des calculs complexes sur la CSG et à des compensations et les situations resteront différentes selon des catégories de métiers. Vous voyez que le système ne sera pas nécessairement plus simple.

Globalement, nos inquiétudes grandissent.

Pour les femmes d’abord. Une augmentation de pension de 5 % dès le premier enfant ne compensera pas le système des trimestres qui existe aujourd’hui et qui va être supprimé. Il faudra vraiment faire des efforts pour maintenir notre politique familiale.

Quant à la pension de réversion, le décalage à 62 ans de l’âge à partir duquel il est possible de la percevoir constitue plus une régression sociale qu’une progression. Là aussi, nous aurons besoin de précisions.

Le président Milon a soulevé une autre de nos inquiétudes : l’équilibre financier. Je rappelle tout d’abord que, si les réformes que j’ai mentionnées n’avaient pas été adoptées, le système de retraite pèserait pour plus de 20 % dans le PIB, soit 40 milliards d’euros supplémentaires, ce qui serait intenable et entraînerait un profond déséquilibre.

Monsieur le secrétaire d’État, nous avons de sérieux doutes sur l’équilibre financier du nouveau système unique, ce quarante-troisième régime… Vous n’avez notamment jamais expliqué comment seraient financés les nouveaux mécanismes de solidarité, par exemple la fixation à 1 000 euros du minimum contributif pour une carrière complète – le poids financier de cette mesure est tout de même d’environ 2 milliards d’euros.

En outre, le Gouvernement fait droit, au fil des semaines et en catimini, à des revendications catégorielles de certaines professions sans que les conséquences financières en soient jamais évaluées. Vous créez des spécificités et des régimes supplémentaires apparaîtront demain à la place des régimes complémentaires, parce qu’il faudra bien tenir compte de ces spécificités.

Quant à l’âge pivot, nous en reparlerons plus tard, pas d’histoire d’argent entre nous… (Sourires sur plusieurs travées.)

Ce n’est pas tout à fait comme cela que nous envisageons la manière de donner confiance à nos concitoyens. Nous devons au contraire faire en sorte que le régime de retraite soit un régime qui garantisse le niveau des pensions et qui fixe un âge de départ à la retraite – demain, nous ne pourrons pas connaître notre âge de départ ! La confiance n’est pas au rendez-vous. Preuve en est la poursuite des manifestations !

Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, nous ne pouvons que vous conseiller d’écouter le Sénat. Lors de l’examen des différents projets de loi de financement de la sécurité sociale, nous avons fait des propositions pour équilibrer le régime de retraite, dont le déséquilibre, organisé, provient de l’absence de compensation. Si des mesures d’âge doivent être prises, il faudra trouver des critères universels de prise en charge de la pénibilité ; j’insiste sur ce point, car nous sommes attachés à la prise en compte de la pénibilité en fonction du poste de travail, et pas du statut – cette prise en considération doit être identique qu’on soit salarié du privé ou du public ou indépendant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vous le voyez, nous sommes prêts à formuler des propositions, mais encore faut-il que nous ayons le sentiment d’être écoutés, ce qui n’a clairement pas été le cas jusqu’à présent ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Bismarck disait : « Les lois, c’est comme les saucisses, il vaut mieux ne pas savoir comment elles sont préparées. » (Sourires et applaudissements sur plusieurs travées.) Mais les Français ne sont pas comme Bismarck, ils préfèrent le savoir. Et nous, parlementaires, encore plus. D’où l’utilité de ce débat, monsieur le président de la commission des affaires sociales.

Lorsqu’un gouvernement décide une réforme des retraites, monsieur le secrétaire d’État, on sait d’avance qu’il y aura des bosses sur la route. En France, la réforme porte en elle la grève comme la nuée l’orage. Notre pays est donc reparti pour une nouvelle crise de nerfs, énième tentative de remake de 1789 qui menace désormais de se renouveler tous les ans.

Vous avez les grèves et les manifs, comme Juppé en 1995, Raffarin en 2003, Villepin en 2006, Fillon en 2010, El Khomri en 2016, Macron l’an dernier – enfin un sport où nous sommes champions du monde incontestés… Marx disait que l’histoire se répète, la première fois comme une tragédie, la deuxième comme une farce ; mais au vingt-cinquième épisode, ce n’est plus une farce, c’est une série Netflix – en l’occurrence une mauvaise…

Les grèves, c’est long, surtout vers la fin, et surtout pour ceux qui les subissent, mais les bloqueurs se moquent de ceux qui les subissent. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.) Et voilà comment le pays est aujourd’hui en marche, mais en marche arrière, et comment depuis un mois les Français sont en marche, mais à pied…

Au moment où, dans le calme, nos voisins européens ont tiré les conséquences de l’allongement de la vie en instaurant la retraite à 65 ans, en France, les démagogues du Rassemblement antinational, de la France soumise à Cuba et de la CGT proposent la retraite à 60 ans. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Indépendants, UC et LaREM.)

Mme Éliane Assassi. Il faut changer de discours, c’est toujours le même !

M. Claude Malhuret. Pour eux, l’argent public, c’est comme l’eau bénite, tout le monde se sert. Mais à part eux, tous les Français savent que la réforme est inéluctable : déséquilibre démographique, déficit structurel, inégalités criantes sont des épées de Damoclès qui pèsent sur les retraités et sur les futurs retraités dans un pays où le système coûte 14 % du PIB contre 10 % en moyenne en Europe.

Cela dit, une majorité de nos concitoyens est plutôt favorable à l’universalité du nouveau système, aux mesures en faveur des femmes, des agriculteurs, des titulaires de petites retraites ou de ceux qui ont une carrière hachée et à la suppression des régimes spéciaux pour lesquels les Français qui partent à la retraite en moyenne à 63,5 ans payent 8 milliards d’euros afin que d’autres y partent à 52 ou 57 ans.

M. Fabien Gay. C’est faux !

M. Claude Malhuret. Alors, pourquoi une telle confusion aujourd’hui ? Pas seulement parce que nous sommes, dit-on, des « Gaulois réfractaires » ni même parce que la CGT a pour devise « Je bloque, donc je suis » (Sourires sur plusieurs travées.), mais aussi parce que le service après-vente a connu des ratés.

Le Gouvernement a réussi à rassembler, mais hélas contre lui, en suivant une ligne droite qui a beaucoup zigzagué. Je ne lui jette pas la pierre puisque, comme je le disais, chaque réforme depuis cinquante ans met des centaines de milliers de gens dans la rue et personne n’a jamais trouvé la recette pour l’éviter.

Nous aimerions donc quelques clarifications.

Notre première inquiétude, c’est de voir chaque étape de la négociation augmenter la facture. Nous voudrions connaître le chiffrage exact de la hausse des dépenses publiques induite par toutes les mesures nouvelles annoncées chaque jour. Bien sûr, le Premier ministre a raison de refuser la distinction purement fictive entre réformes systémique et paramétrique ; le système doit être équilibré sur le long terme comme sur le court terme – c’est une évidence. Âge pivot ou augmentation pure et simple de l’âge de départ, c’est un débat assez académique à mes yeux. Je crains seulement que dire qu’on va faire cette réforme en l’équilibrant grâce au seul âge pivot, et a fortiori sans lui, ce soit comme prétendre qu’on va faire rentrer un édredon dans une valise. Il va falloir nous expliquer comment.

Deuxième inquiétude, les concessions qui s’accumulent à chaque rencontre avec les partenaires sociaux et qui ont abouti dans les faits au maintien de plusieurs régimes particuliers, souvent justifiés, sont-elles terminées ? Ou bien va-t-on, à travers les mesures de compensation demandées à la RATP et à la SNCF, les faire payer par des entreprises qui cumulent la sous-rentabilité, le surendettement, l’effondrement de la qualité des services rendus et le sous-investissement ? Visitez les toilettes des trains Intercités qui ont cinquante ans – je dis bien cinquante ans ! – et que je prends chaque semaine, et vous vous demanderez à quel moment on a fait un looping !

Enfin, beaucoup de gens attendent une réponse précise sur le devenir des 130 milliards d’euros d’excédents des régimes autonomes. Si ces réserves, fruits de l’épargne et d’une bonne gestion, devaient devenir la variable d’ajustement d’une facture trop lourde, j’ai peur que de nombreuses personnes qui vous sont plutôt favorables ne deviennent quelque peu courroucées.

Monsieur le secrétaire d’État, cette réforme est indispensable et il faut savoir gré au Gouvernement de l’avoir lancée. Nous souhaitons pouvoir la voter, comme le Sénat l’a fait pour d’autres depuis deux ans – le code du travail, l’école ou le statut des cheminots –, mais notre grande question à ce stade, c’est : quelle réforme exactement ? Vous l’avez compris, nous voulons savoir comment sont fabriquées les saucisses, mais nous souhaitons aussi qu’à la sortie elles ne soient pas saucissonnées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en préambule, je veux souhaiter la bonne année à l’ensemble des parlementaires et des collaborateurs qui contribuent au rayonnement de la Haute Assemblée.

Je suis très heureux d’être parmi vous pour ce moment d’échange sur la réforme des retraites. Vous avez souhaité que nous ayons ce débat et je vous en remercie.

Je crois pouvoir dire qu’aucune politique publique n’a donné lieu à autant de travaux que cette réforme. Le Sénat est particulièrement bien placé pour le savoir, puisqu’il y a contribué par de nombreux rapports, préconisations, débats et colloques.

Au fil des réformes précédentes, les gouvernements successifs et les partenaires sociaux ont dû prendre des décisions importantes, parfois difficiles, pour contribuer à équilibrer notre système de retraite – cela a été rappelé par plusieurs d’entre vous. En dépit de ces efforts, bien réels, notre système reste injuste, complexe, peu lisible et, plus que tout, inadapté à la réalité de la société et des parcours professionnels actuels et aux nouvelles précarités, en un mot aux défis de demain.

Aujourd’hui, en Europe et au-delà, de nombreux pays ont ouvert le débat sur la protection sociale. Il en ressort deux modèles radicalement distincts : l’individualisation et l’assurance, d’une part, le collectif et la mutualisation, d’autre part. C’est résolument ce second choix que le Gouvernement a fait et, conformément à l’engagement que le Président de la République a pris devant les Français et les Françaises en 2017, c’est dans ce sens que nous voulons construire la grande transformation de notre système de retraite.

Cette refondation, nous entendons qu’elle préserve le cadre auquel les Français sont profondément attachés, à savoir un système de retraite par répartition fondé sur la solidarité entre les générations : les actifs d’aujourd’hui financent par leurs cotisations les retraites d’aujourd’hui.

Pour y parvenir et parce que nous avons mis le dialogue social au centre de notre action, les travaux menés par Jean-Paul Delevoye ont permis, durant près de deux ans, de laisser le temps à une concertation approfondie. Ce temps était nécessaire, car lorsque l’on veut travailler sur le fond un dossier aussi important et qui fait réagir – nous le constatons dans cet hémicycle et à l’extérieur –, il faut prendre le temps de s’écouter et de se parler. Ces concertations continuent – j’y reviendrai sans doute dans les réponses que j’apporterai aux questions que vous me poserez ; elles ont conforté la conviction du Gouvernement de rassembler les Français autour de trois principes qui constituent le cœur du système universel de retraite.

Premier principe : l’universalité. Elle garantira une protection sociale plus forte et plus durable, parce qu’elle ne dépendra plus de la démographie de chaque profession. Elle assurera aussi une plus grande liberté et une meilleure mobilité professionnelle. Tous les Français seront affiliés au régime universel, quels que soient leur activité professionnelle ou le statut sous lequel ils exercent. Cela n’interdira pas la prise en compte de certaines spécificités – M. Savary et d’autres intervenants en ont parlé.

Deuxième principe : l’équité et la justice sociale pour faire en sorte de marquer une solidarité forte de notre pays vis-à-vis des Français les plus fragiles.

Le président Kanner s’en inquiétait tout à l’heure – il parlait d’une « trappe à pauvreté » –, mais il doit savoir que le projet du Gouvernement prévoit une pension minimale d’au moins 85 % du SMIC net pour une carrière complète et que nous pouvons encore améliorer cet aspect de la réforme – c’est l’objet des concertations que j’ouvrirai demain avec les partenaires sociaux. (Mme Éliane Assassi sexclame.)

Dans le futur système, le bénéfice du minimum de retraite sera accordé à partir de l’âge du taux plein. Nous proposons aussi – cela fait partie des progrès sociaux de cette grande réforme – que toutes celles et tous ceux qui doivent aujourd’hui travailler jusqu’à 67 ans puissent partir plus tôt en obtenant plus vite l’âge d’annulation de la décote – cela concerne 120 000 personnes chaque année, dont 80 000 femmes.

Troisième principe : la responsabilité.

En premier lieu, celle des acteurs : dans le cadre de la trajectoire définie par le Parlement et le Gouvernement, les partenaires sociaux seront pleinement concernés par le pilotage du système universel. Je sais que la Haute Assemblée est attachée au bon fonctionnement du paritarisme, et l’un d’entre vous a rappelé que les partenaires sociaux avaient piloté avec succès l’Agirc-Arrco.

Ensuite, la responsabilité que nous avons envers les jeunes générations. Il serait irresponsable de leur demander de payer, en plus de nos retraites, celle de nos parents.

Enfin, la responsabilité d’être lucide sur notre évolution démographique. Fidèle à l’engagement du Président de la République, le Gouvernement ne reviendra pas sur l’âge légal de départ à la retraite qui sera maintenu à 62 ans, mais il fait aussi le choix de la liberté individuelle, en incitant les Français à travailler un peu plus longtemps dans le but de garantir les pensions et de financer un niveau élevé de solidarité. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Éliane Assassi. Vous appelez ça de la liberté ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. En ce qui concerne la façon dont nous financerons les nouveaux droits, je crois que nous disposons aujourd’hui de la capacité de le faire grâce à la progression de l’espérance de vie et dans le cadre des règles fixées par la loi de 2003 en ce qui concerne la répartition entre le travail et la retraite du temps gagné à ce titre.

Le système universel de retraite doit également répondre à un objectif de soutenabilité et d’équilibre financier. Son fonctionnement devra assurer sa solidité, sa stabilité et sa viabilité. C’est une priorité pour le Président de la République et pour le Gouvernement, et elle est partagée par de nombreux partenaires sociaux. Les consultations ont déjà commencé sur la méthode qui permettra soit de trouver une solution alternative à celle que nous avons proposée soit d’améliorer celle-ci, en tenant compte des propositions des syndicats. Vous le savez, la CFDT a récemment proposé la réunion d’une conférence de financement et le Gouvernement a répondu positivement à cette suggestion. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

Monsieur le président de la commission, vous m’avez posé un certain nombre de questions et je vais vous apporter des réponses concrètes – si elles ne sont pas exhaustives, nous pourrons y revenir ultérieurement.

Les rémunérations versées à compter du 1er janvier 2025 permettront l’acquisition de points dans les mêmes conditions, quel que soit le statut – cela répond à d’autres questions qui m’ont été posées sur l’universalité.

Pour les droits liés à la solidarité, l’interruption volontaire d’activité, les droits familiaux et conjugaux, le droit au départ anticipé au titre des carrières longues ou de la pénibilité, le Gouvernement propose de maintenir l’ensemble des dispositifs liés aux carrières longues et à la pénibilité – j’espère ainsi rassurer le président Patrick Kanner.

Les conditions de départ seront également harmonisées au terme de la transition vers le nouveau système. Comme l’a annoncé le Premier ministre, la première génération concernée sera celle qui est née en 1975 pour le droit commun, ce qui correspond à un âge légal de départ de 62 ans en 2037. Pour toutes les générations, nous gardons le même principe de justice : les règles changeront pour les citoyens qui sont en 2020 à plus de dix-sept ans du départ à la retraite.

Pour autant, comme le Premier ministre l’a rappelé à plusieurs reprises, mise en place du système universel ne signifie pas application de règles rigides, identiques pour tous. C’est d’ailleurs un engagement qui avait été pris durant la campagne présidentielle.

On procédera à des adaptations, notamment sur les taux de cotisation ou les conditions de départ à la retraite. Ces adaptations, annoncées dès 2017, figurent explicitement dans les préconisations du rapport Delevoye de juillet 2019. Elles ont été confirmées par le Premier ministre devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE) le 11 décembre dernier.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la volonté du Gouvernement n’est pas de placer tous les Français dans un modèle unique. C’est dans cet esprit que nous menons des concertations avec les représentations professionnelles.

Il s’agit, pour nous, de préparer l’entrée dans le système universel dans les meilleures conditions possible, sans brutalité et avec le dispositif de convergence le plus adapté. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. Mme Michèle Vullien applaudit également.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. Au fil des semaines, ce débat sur la retraite universelle laisse apparaître une division dans notre syndicalisme, avec un syndicalisme que je dirais « de salariés » et, à l’opposé, un syndicalisme que je qualifierais « de politiques ».

Aux prises avec les réalités du monde du travail, le syndicalisme de salariés innove et, par nature, est force de proposition. J’en veux pour preuve le principe du calcul par points pour les droits à la retraite réclamé par la CFDT.

Quant au syndicalisme de politiques, il joue de la posture nationale sans être investi par le suffrage universel et sombre dans l’excès… (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.) J’en veux pour preuve des syndicats qui s’opposent, par principe, à la réforme et refusent toute négociation, allant jusqu’à utiliser des moyens de pression illégaux, comme le blocage de raffineries, les coupures d’électricité, ou des menaces sur des collègues voulant travailler. (Mêmes mouvements.)

M. Fabien Gay. On va pleurer !

M. Martin Lévrier. Il n’y a rien de durable qui se construise dans l’excès ! Au-delà du débat sur la retraite universelle, l’avenir du syndicalisme se joue et nous devons le préserver !

Ne sombrons pas dans l’exemple britannique qui, à force de promouvoir un syndicalisme de politiques, a précipité sa chute.

Aujourd’hui, le point d’achoppement se trouve dans la réflexion sur l’équilibre financier du système de retraite.

Laurent Berger, au nom de la CFDT, a proposé la tenue d’une conférence de financement. En agissant ainsi, il défend les intérêts des salariés et respecte notre démocratie.

Montrer que le Gouvernement peut travailler avec lui doit constituer un signal fort, non seulement pour mener à bien cette réforme, mais aussi pour préserver l’avenir du syndicalisme.

C’est dans ce champ qu’il faut se situer, et non dans celui du politique. J’invite ceux qui se placent dans cette posture à se soumettre au suffrage universel et, ensuite, à proposer des lois. (Exclamations sur les mêmes travées.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Les syndicats sont libres !

M. Martin Lévrier. Monsieur le secrétaire d’État, quel chemin allez-vous prendre avec les syndicats réformateurs pour trouver, dans le cadre de cette réforme des retraites, une solution quant à l’équilibre financier du système ? (Nouvelles exclamations.)

M. Rachid Temal. C’est pire que la droite des années 1980 !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Effectivement, monsieur le sénateur Lévrier, le Premier ministre, dans des déclarations récentes, a répondu positivement à la proposition du leader de la CFDT d’organiser une conférence de financement.

M. Rachid Temal. Qui demande aussi la suppression de l’âge pivot !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. L’équilibre du système constitue, bien évidemment, un sujet important. Cet équilibre est nécessaire dans un système par répartition, dès lors que les cotisations d’aujourd’hui paient les pensions de retraite d’aujourd’hui.

Le Gouvernement a bien inclus cette préoccupation dans son projet de loi, mais il y a une divergence sur la mise en œuvre. Ainsi, il ne vous a pas échappé que certains partenaires sociaux réformistes, pourtant favorables, sur le fond, à cette réforme par points dont ils ont bien perçu la dimension de solidarité, sont attentifs à ce que les mesures d’équilibre, lorsqu’elles s’imposent, ne surviennent pas dans le court terme.

Le débat est ouvert. Le Premier ministre recevra l’ensemble des partenaires sociaux pour examiner ce sujet vendredi. Je ne peux pas préjuger le résultat de ces négociations. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

M. Fabien Gay. Une vraie pièce de théâtre !

M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. « On vit plus longtemps ; il faut donc travailler plus longtemps » : voilà, monsieur le secrétaire d’État, ce que vous répétez sans cesse, comme une vérité naturelle, pour convaincre que votre projet de réforme des retraites est la seule alternative possible.

Pourtant les arguments contraires ne manquent pas. Je ne citerai que la stagnation, depuis quinze ans, de l’espérance de vie en bonne santé, qui touche prioritairement les personnes confrontées aux tâches les plus pénibles.

Monsieur le secrétaire d’État, pour vous, l’ensemble des activités de l’être humain ne se réduisent-elles qu’au travail ?

Cette vision passéiste est contredite par les progrès de la médecine, par ceux de la recherche, par les bouleversements dans la société et les rapports sociaux. Ceux-ci portent en eux de nouveaux progrès pour l’humanité, pour peu qu’ils soient mis au service de la justice, du bien commun, et non du profit au bénéfice de quelques-uns.

Ainsi, la retraite est vécue non plus comme la fin de la vie, mais comme le début d’une nouvelle vie, hors travail, riche d’activités et de découvertes. Ce n’est pas une charge ; c’est un progrès pour la société, un projet de civilisation !

La grandeur d’une nation est de savoir répondre à un tel défi ; votre projet ne le permet pas, et ce n’est d’ailleurs pas son objectif. Y répondre, c’est s’interroger sur un autre projet de société, avec un réel financement, et donc, plus concrètement, sur la production et la répartition des richesses.

Voici quelques exemples de propositions.

Mettre fin au régime spécial des revenus du capital, qui ne participent pas ou participent insuffisamment au financement des retraites, en alignant le taux de cotisation sur celui des revenus du travail, rapporterait 31 milliards d’euros.

Préférer aux exonérations généralisées et aveugles de cotisations patronales – 66 milliards d’euros cette année – une modulation des cotisations sociales des entreprises pourrait également être envisagé.

Faire appliquer l’égalité salariale entre femmes et hommes nous ferait gagner 11 milliards d’euros supplémentaires.

Engager un processus d’augmentation générale des salaires serait enfin une bonne voie à suivre. La seule hausse de 20 % du SMIC représenterait 240 euros de plus par mois en salaire net et, surtout, 3 milliards d’euros supplémentaires pour les caisses de retraite.

Monsieur le secrétaire d’État, allez-vous enfin retirer cette réforme massivement rejetée et accepter de débattre des alternatives et des financements qui les accompagnent ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Ma circonscription n’est pas tout à fait la même que la vôtre, madame la sénatrice Michelle Gréaume… J’ai assisté dimanche aux vœux du maire d’un petit village situé entre Armentières et Lille, Prémesques, et les citoyens que j’ai pu rencontrer à cette occasion ne m’ont pas forcément dit ce que vous venez d’exprimer.

Je comprends qu’il puisse y avoir certaines divergences. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) Entendez, vous aussi, qu’il puisse y en avoir d’autres !

Si j’ai bien compris, votre question porte plutôt sur la problématique de la durée.

Nous proposons de maintenir à 62 ans l’âge légal auquel il sera possible de partir à la retraite.

Mme Michelle Gréaume. Oui, mais avec une décote !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Nous proposons aussi, comme je l’ai indiqué au cours de mon intervention générale, de maintenir les dispositifs en matière de pénibilité. Nous cherchons même actuellement à les améliorer : c’est l’objet des concertations que Muriel Pénicaud et moi-même menons avec les partenaires sociaux.

Les dispositifs dits « de carrière longue » perdureront également dans le nouveau système.

La notion de taux plein est aujourd’hui très individualisée, car elle renvoie à une période de travail propre à chacun. D’où les questions qui se posent – et cela, aussi, entre dans les débats que nous avons avec les partenaires sociaux – quant à la façon d’individualiser la référence collective proposée par le Gouvernement, à savoir celle de l’âge d’équilibre.

Pour autant, on ne peut pas dire qu’aucune référence collective n’existe dans le système actuel. Il y en a une, d’ailleurs relativement significative : en 2035, les citoyens, dans leur ensemble, devront avoir travaillé durant quarante-trois ans. Avec une moyenne constatée, indépendamment du niveau de diplôme, de 22 ans pour l’entrée dans la vie active, on obtient par simple addition un départ à la retraite à 65 ans.

Mme Cécile Cukierman. Nous nous sommes opposés aux quarante-trois ans !

M. Fabien Gay. Nous sommes cohérents !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. J’ai donc un peu l’impression d’un faux débat. La réalité – objective –, c’est qu’en additionnant 22 et 43, on obtient 65 !

Mme Cécile Cukierman. Considérez les positions des uns et des autres lorsque vous répondez !

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Indépendants.)

M. Daniel Chasseing. Le projet de loi, dont les grandes lignes ont été présentées par le Premier ministre au CESE, a reçu un accueil favorable au sein du monde rural.

Des revendications soutenues de longue date par les agriculteurs devraient figurer dans le texte définitif, notamment un système par points et une pension minimale à 85 % du SMIC pour une carrière pleine. De même, les avancées concernant le cumul entre activité et retraite, ainsi que la fin des conditions de ressources pour la pension de réversion sont autant de bonnes nouvelles pour la profession.

Toutefois, ces mesures, dont nous espérons qu’elles seront effectivement retenues dans la version présentée en conseil des ministres à la fin du mois, ne concernent pas la majorité des agriculteurs déjà à la retraite ou à quelques années d’y partir, non plus que les artisans, commerçants ou les personnes ayant eu des carrières hachées, notamment certaines femmes qui sont obligées de travailler après 65 ans pour, en définitive, obtenir une retraite inférieure à 1 000 euros.

La situation de nombre de retraités commande d’agir de toute urgence. Nous sommes nombreux, dans cette enceinte, à vouloir augmenter le montant des pensions de retraite agricoles, parfois si faible que certains en viennent à commettre l’irréparable.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser quelles seront les mesures du projet de loi concernant les agriculteurs et les artisans nés avant 1975 et, notamment, ce qu’il en sera de la pension de retraite minimale de 1 000 euros pour une carrière pleine ?

Par ailleurs, le projet de système universel par répartition et par points ne peut être un système parfaitement uniforme. En fonction des métiers ou du travail pénible, la valeur du point augmentera-t-elle, de façon à permettre aux intéressés de partir plus tôt à la retraite ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Le sujet des petites pensions de retraite préoccupe, à raison, les assemblées. Le Président de la République a très clairement souhaité dès le mois de décembre qu’il puisse être traité.

Sur le fond, nous prévoyons d’instaurer, pour 2022, une pension minimale de retraite de 1 000 euros et, monsieur le sénateur Chasseing, vous avez raison de signaler que les principaux bénéficiaires – c’est tant mieux – seront sans doute les agriculteurs. Ils travaillent bien plus de 35 heures par semaine en général, ils sont en permanence attentifs à leur environnement et, ne l’oublions pas, si nous mangeons aujourd’hui et mangerons demain, c’est grâce à eux !

Mais ce ne seront pas les seuls bénéficiaires. Seront aussi concernés ceux qui ont eu des carrières hachées.

Vous le savez, enfin, le dispositif évoluera puisque notre ambition est d’atteindre 85 % du SMIC en 2025.

Ici comme à l’Assemblée nationale – j’ai dû répondre à une question sur le sujet juste avant de vous rejoindre –, je n’en dirai pas plus, car cette thématique fait partie des négociations qui vont être menées avec les partenaires sociaux dès cette semaine. C’est dire qu’elle est d’actualité !

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour la réplique.

M. Daniel Chasseing. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le secrétaire d’État. J’espère qu’elles suffiront à apaiser les craintes remontant du terrain.

Il est indispensable de repenser l’architecture de notre système pour bâtir un modèle juste sur le long terme, de retrouver la confiance. Mais il ne faut pas oublier de répondre à la situation d’urgence, parfois de détresse, dans laquelle se trouvent de nombreux agriculteurs, artisans et personnes ayant connu des carrières hachées.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Sylvie Vermeillet. Monsieur le secrétaire d’État, en tant que rapporteure spéciale, au sein de la commission des finances, de la mission « Régimes sociaux et de retraite », je suis amenée à vous poser une question relative aux régimes spéciaux de la SNCF et de la RATP.

En vertu du principe de solidarité nationale, l’État verse chaque année 6,2 milliards d’euros à dix régimes spéciaux déficitaires, qui sont principalement ceux de la SNCF, de la RATP, des marins et des mines.

Ces régimes spéciaux sont déficitaires en raison de leur déséquilibre démographique : il n’y a plus assez d’actifs, donc de cotisations, pour couvrir les pensions des retraités. Il est par conséquent nécessaire et légitime que l’État comble le manque de contributions.

Au cours de vos récentes négociations, monsieur le secrétaire d’État, vous avez notamment reconnu aux pilotes de ligne des dispositions spécifiques liées à la pénibilité et la pression de la sécurité dans l’exercice de leur métier. Vous avez dans le même temps précisé, je vous cite, « ce sont eux qui les financeront. Pas la collectivité ».

J’en viens donc aux deux régimes spéciaux de la SNCF et de la RATP, pour lesquels la contribution de l’État s’élève à plus de 4 milliards d’euros. Dans un récent rapport, la Cour des comptes a estimé que, sur ce total de 4 milliards d’euros, l’État finançait 300 millions d’euros d’avantages spécifiques à la RATP et 600 millions d’euros à la SNCF.

Ce montant annuel de 900 millions d’euros n’a rien à voir avec la légitime compensation démographique. Il finance des avantages spécifiques propres à ces deux régimes.

Monsieur le secrétaire d’État, est-ce à la solidarité nationale d’honorer ces sommes ? En cohérence avec vos propos concernant les pilotes de ligne, à travers lesquels vous affirmez que l’État ne paiera pas les suppléments au régime universel, allez-vous retirer à la SNCF et à la RATP ces 900 millions d’euros d’avantages spécifiques ? Si tel n’est pas le cas, pensez-vous en accorder aux autres ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Je vous remercie, madame la sénatrice Vermeillet, de lire mes propos avec autant d’intérêt ! J’ai peut-être repéré, aussi, une petite pointe de taquinerie dans votre question. Mais, sur le fond, vous soulevez un point important, qui nous pousse à nous interroger de nouveau sur les régimes spéciaux.

Le Président de la République s’y est engagé, tout comme un certain nombre d’entre nous, durant la campagne électorale : nous mettrons fin aux régimes spéciaux, conformément à l’attente de nos concitoyens.

Ces derniers veulent que soient considérés de la même façon l’ensemble des métiers. Or il n’y a pas de raison de regarder différemment le transport ferroviaire ou le transport par bus à Lille, Marseille ou Paris : c’est le même métier. Il est par conséquent important que les règles soient les mêmes pour tous, ce qui ne signifie pas pour autant qu’une activité dans le transport ferroviaire n’a forcément aucun caractère pénible.

Donc, oui, nous mettrons fin aux régimes spéciaux, mais, comme le Président de la République et le Premier ministre l’ont indiqué, nous le ferons sans brutalité.

En effet, il faut comprendre que celles et ceux qui se sont engagés dans ces entreprises disposant de régimes spéciaux l’ont fait en connaissance de cause. Ils ont projeté leur parcours personnel et professionnel en fonction de ceux-ci, et il importe que nous respections cela.

C’est pourquoi nous avons posé le principe que cette grande transformation du système des retraites ne s’adresserait pas à ceux qui sont à moins de dix-sept ans de la retraite, y compris pour les bénéficiaires des régimes spéciaux.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour la réplique.

Mme Sylvie Vermeillet. Je ne suis pas certaine que vous ayez répondu à ma question, monsieur le secrétaire d’État.

Je veux attirer votre attention sur le fait que l’universalité de cette réforme, à laquelle nous souscrivons, ne doit pas conduire à s’éloigner de l’équité. Dans votre réponse, qui n’en est pas tout à fait une, j’entends qu’il y aura un délai de transition pour certains et qu’il n’y en aura pas pour d’autres. Je me dois de vous alerter sur le danger que cela représente. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Il aura tout de même fallu attendre pratiquement deux ans et demi pour que la question financière, celle de l’équilibre de nos régimes de retraite dans le cadre de cette réforme, remonte à la surface. C’est assez surprenant !

Pourquoi en sommes-nous là ? Chacun connaît la réponse !

En 2017, le Président de la République, alors candidat en campagne électorale, avait expliqué qu’il n’y avait aucun problème et que l’on ne reculerait pas l’âge de départ à la retraite. On allait faire une réforme systémique, garantissant à chacun qu’il percevrait au moins autant que précédemment, et tout se passerait tout à fait tranquillement.

C’est seulement à l’été dernier, avec la fameuse apparition de l’âge d’équilibre, que l’on a pu découvrir que Jean-Paul Delevoye était parvenu à la conclusion suivante : ce n’était pas possible !

Malgré cela, nous venons de passer quasiment six mois sans que le Gouvernement soit capable de préciser quels sont les enjeux budgétaires. C’est pourtant là la question principale !

L’âge d’équilibre, monsieur le secrétaire d’État, on ne sait plus si vous avez le retenir ou pas. Laurent Berger propose d’augmenter les cotisations, mais nous sommes bien évidemment nombreux à considérer, comme les représentants du patronat, que ce n’est pas envisageable. Comment allez-vous faire ?

Ma question est simple. Si l’on distingue trois périodes – la période courant jusqu’en 2025, pour laquelle le COR annonce qu’il manque entre 7 et 17 milliards d’euros, la période intermédiaire de convergence et la période où seul subsistera le nouveau système –, quels sont les enjeux budgétaires pour chacune d’entre elles ? Donnez-moi un ordre de grandeur !

Je vous demande non pas de m’expliquer comment vous allez régler le problème – vous allez me répondre que les négociations sont en cours avec les partenaires sociaux –, mais simplement de me donner un ordre de grandeur !

À cela, j’ajouterai une autre question. On a beaucoup parlé du cas des enseignants : le Gouvernement va devoir augmenter les traitements sur la longue durée pour que cette catégorie de fonctionnaires ne soit pas perdante. Mais, à mon sens, les enseignants ne sont pas les seuls concernés : de nombreux fonctionnaires territoriaux, hospitaliers ou d’État de catégorie C seront aussi affectés.

On nous annonce 10 milliards d’euros pour les enseignants. Monsieur le secrétaire d’État, combien pour tous les autres ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Une partie des réponses à vos questions, monsieur le sénateur Dallier, se trouvera dans l’étude d’impact du projet de loi.

Mme Cécile Cukierman. Ils n’ont pas fini de l’écrire !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Je comprends votre enthousiasme à vouloir obtenir des réponses immédiatement et, très franchement, je ne trouve pas vos interrogations inintéressantes…

M. Philippe Dallier. Merci ! (Sourires.)

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Mais peut-être peut-on en rester à une vision un peu macroéconomique et attendre l’examen du projet de loi pour aborder les points de façon plus précise.

La réalité – c’est le premier chiffre que nous pouvons partager –, c’est le budget ! L’enveloppe constante attribuée aux retraites s’élève à 325 milliards d’euros – environ 14 % du PIB – et, on le sait, elle augmente lorsque ce dernier progresse. On a donc une vision de l’effort que le système de retraite universel demandera à la Nation.

M. Patrick Kanner. Cela ne suffira pas !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. C’est un point intéressant, car il démontre qu’il n’y a pas de visée budgétaire, que le but n’est pas de faire des économies.

Prenons maintenant les régimes spéciaux évoqués dans la question précédente. Ainsi, 9 milliards d’euros de dotation leur sont consacrés chaque année. La suppression de ces régimes spéciaux entraînera donc progressivement, mais sûrement, un gain de 9 milliards d’euros.

Quant à la situation des enseignants…

M. Patrick Kanner. Douze milliards d’euros !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. … effectivement, il faut s’interroger sur le contrat social passé entre la Nation et les enseignants.

On peut envisager la problématique sous l’angle du coût ; on peut aussi l’envisager sous l’angle de l’investissement. L’éducation nationale, c’est un investissement !

M. Patrick Kanner. Des chiffres !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Au moment de revoir le dispositif de retraite des enseignants, il paraît donc intéressant de se poser la question du contrat social qui les lie à la Nation.

M. Rachid Temal. Ça rame !

M. le président. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d’État !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. Est-il logique qu’ils soient parmi les moins bien payés des pays de l’OCDE ?

Il y a un certain nombre de questions sur lesquelles nous reviendrons au moment de l’examen du projet de loi.

M. Rachid Temal. Deux minutes sans un chiffre !

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Monique Lubin. « Je refuse ce que j’appelle les réformes paramétriques, les approches comptables qui rognent des droits sans offrir de nouvelles perspectives » : ces propos sont ceux du Président de la République lors de l’audience solennelle de la rentrée de la Cour des comptes le 22 janvier 2018. D’où vient, dès lors, cet acharnement à vouloir imposer un âge pivot ?

Après les annonces du Premier ministre sur la future réforme, les services ad hoc ont sorti des pseudo-simulateurs, censés donner des indications aux citoyens sur leurs droits futurs. En fait, il s’agirait plutôt de pratiques divinatoires, tant il est aléatoire de prévoir une situation pour des gens qui ont aujourd’hui la vingtaine et qui sont supposés prendre leur retraite dans quarante ans !

Pourtant un simulateur serait simple à proposer. Je ne l’ai vu nulle part. Remarquez, mes chers collègues, il est tellement simple qu’on peut en définitive faire les calculs très rapidement…

Jean a 60 ans, il travaille depuis l’âge de 19 ans. Grâce aux services en ligne de sa caisse de retraite, il sait qu’il pourra faire valoir ses droits à la retraite à 62 ans, car il aura alors atteint l’âge légal de départ et comptera le nombre de trimestres requis. Il sait aussi qu’il percevra une retraite d’un montant de 1 400 euros.

Que se passera-t-il pour lui si un âge d’équilibre à 64 ans est mis en place entre-temps ?

Première solution, Jean travaille deux ans de plus pour conserver une retraite à taux plein, sachant qu’il travaille déjà depuis 43 ans. Seconde solution, Jean décide de faire valoir ses droits à 62 ans et perdrait jusqu’à 140 euros mensuels, et ce définitivement. À ce niveau de revenu, 140 euros en moins, ça fait réfléchir ! Pile, Jean perd ; face, il ne gagne pas !

C’est, monsieur le secrétaire d’État, le seul simulateur crédible aujourd’hui !

Jean fera partie de cette cohorte de salariés qui auront largement contribué au financement des retraites et à qui on demandera de contribuer encore et encore…

Mais tout cela va se discuter, n’est-ce pas, monsieur le secrétaire d’État ? C’est ce que le Gouvernement clame urbi et orbi !

Ça va tellement se discuter que vous fermez systématiquement la porte à toutes les demandes syndicales de retrait de l’âge pivot !

Ça va tellement se discuter que, visiblement, vous choisiriez l’examen du texte au Parlement dans le cadre de la procédure accélérée !

Rassurez-nous, monsieur le secrétaire d’État : tout cela n’est pas vrai ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. J’ai écouté avec attention vos propos relatifs au cas d’espèce que vous avez évoqué, madame la sénatrice Monique Lubin, mais je me fais la remarque suivante : si Jean a commencé à travailler à 19 ans, il entre dans les dispositifs liés aux carrières longues, car il a cotisé quatre trimestres avant 20 ans.

Mme Laurence Rossignol. C’est cinq trimestres avant 20 ans, monsieur le secrétaire d’État !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. C’est tout l’intérêt des cas d’espèce : on peut en trouver qui, au fond, sont représentatifs de très peu de personnes, voire de pratiquement personne, et les mettre en avant plutôt que de s’intéresser à l’immense majorité.

Mme Laurence Rossignol. Profitez de votre présence parmi nous pour vous former !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. La question, c’est bien celle de l’immense majorité.

Nous allons maintenir, comme je l’ai dit, les dispositifs concernant les carrières longues et la prise en compte de la pénibilité. Madame la sénatrice, vous n’évoquez nullement le fait que, la plupart du temps, on entre à 22 ans dans la vie active. C’est une donnée connue ! (Exclamations.) Additionnez 22 et 43, vous obtenez 65 !

Mais l’immense majorité ne vous intéresse pas… Vous avez préféré vous arrêter sur un cas particulier ; je vous réponds pour la majorité ! (Exclamations sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Annie Guillemot. Où est la réponse ?

M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Ce débat intervient lors d’une semaine que beaucoup annoncent comme décisive dans le conflit actuel. J’ai le sentiment, d’ailleurs, que nous assistons cette semaine enfin à une véritable discussion entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, et ce depuis l’engagement du conflit. Pourtant, depuis deux ans, les choses semblaient bien engagées… tout au moins en apparence !

Dès le début de la présentation du projet, monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement a martelé les trois grands principes présidant à cette réforme : l’équité, l’universalité et la responsabilité.

Entre gens responsables, je pense que l’équilibre financier de notre système de retraite fait partie des points sur lesquels nous pouvons converger dans cet hémicycle – en tout cas, je le souhaite. Malgré cette perspective louable, aucune réponse satisfaisante n’est apportée à cette question dans les débats actuels sur la réforme.

J’irai même plus loin en disant que tout élu responsable doit, en abordant une réforme quelle qu’elle soit, s’assurer d’abord des modalités de son financement et des conséquences qu’elles peuvent entraîner.

À cet égard, j’ai pu noter que le Gouvernement allait mettre en ligne un simulateur, qui permettra aux Français, en théorie, de mesurer l’impact personnel de la réforme, telle qu’elle est envisagée. Pourtant, dans le flou régnant en l’espèce, cela risque d’être la quadrature du cercle. Mais ce n’est pas le sujet de ma question…

Ce mardi, le Gouvernement s’est dit prêt à envisager la tenue d’une conférence de financement de la réforme, comme le suggère la CFDT, dissociant de fait la réforme de son financement. La discussion sur ce point aura lieu vendredi prochain.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire si le Gouvernement envisage de faire voter la réforme des retraites avant la tenue de la conférence de financement, évoquée ce jour par le Premier ministre ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. J’ai écouté avec intérêt votre question, comme votre intervention à la tribune, monsieur le sénateur Artano.

Vous évoquez la problématique de l’équilibre financier, déjà abordée précédemment. Si nous voulons un système solide, de la confiance entre les générations, il faut que les personnes qui cotisent aujourd’hui puissent se dire que, lorsqu’elles seront en situation de recevoir une pension de retraite, le système sera à l’équilibre. Cette notion d’équilibre est donc essentielle.

Le Gouvernement a avancé une première proposition, en encourageant les partenaires sociaux à s’emparer du sujet et en leur disant : si vous trouvez quelque chose qui tient la route, nous le prendrons ! À défaut, nous avons présenté un mécanisme, qui est celui de l’âge d’équilibre.

Cette ouverture est toujours d’actualité, et l’on peut parler d’une véritable démocratie sociale, à tel point que, quand Laurent Berger a proposé de tenir une conférence sur le financement, le Gouvernement a répondu : banco !

Le Premier ministre reviendra sur la méthode retenue vendredi prochain. Dès lors, je ne peux pas aller beaucoup plus loin !

Si j’ai bien compris votre propos, c’est un élément sur lequel nous partageons le même point de vue : solidité et solidarité vont de pair, et la solidité passe par un dispositif qui soit à l’équilibre, et ce durablement.

Très franchement, je crois, pour avoir été de toutes les dernières réunions multilatérales, que les partenaires sociaux réformistes sont très clairs sur ce point. La question est plutôt de savoir comment construire ce système.

Mme Laurence Rossignol. Vous comptez le Medef parmi les partenaires sociaux réformistes ?

M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour la réplique.

M. Stéphane Artano. Monsieur le secrétaire d’État, ma question portait non pas sur le calendrier qui va être décliné ce vendredi, mais sur le principe même.

Les membres qui siègent dans cet hémicycle sont des élus responsables. Pour preuve, je vous renvoie tout simplement à ce qui s’est passé lors de l’examen du PLFSS, notamment à propos du plan Hôpital : nous avons refusé de statuer alors que des discussions étaient en cours. Pensez-vous réellement que nous allons travailler sur un projet de texte alors que des discussions sur une convention de financement vont avoir lieu ? Le Gouvernement va-t-il passer en force, puisqu’il est prévu que le projet de loi soit présenté au conseil des ministres le 24 janvier ?

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Élisabeth Doineau. En tant que rapporteure de la branche famille du PLFSS, je souhaite formuler quelques observations sur ce projet de loi.

En tout premier lieu, je veux une nouvelle fois évoquer l’absence de politique familiale qui, de mon point de vue, est une politique d’investissement dans l’avenir face au vieillissement de la population.

Avouons-le, aujourd’hui, rien n’encourage et n’accompagne les jeunes couples à devenir parents. Or sans futurs cotisants, il sera plus difficile de maintenir une solidarité intergénérationnelle au moment de la retraite. C’est pourquoi il conviendrait de s’interroger sur la baisse de 8,5 % en dix ans du nombre de naissances.

Par ailleurs, le Premier ministre assure que les femmes seront « les grandes gagnantes de la réforme ». Laissez-moi avoir quelques doutes, car elles seront les grandes gagnantes si elles restent en couple. Or près d’un mariage sur deux se conclut par un divorce. Les femmes touchent en moyenne un salaire inférieur de 26 % à celui des hommes, et c’est encore pire pour ce qui concerne leur pension de retraite, puisque celle-ci est inférieure de 42 % à celle des hommes.

En raison de ces inégalités salariales, les familles appliqueront la majoration de 5 % de la pension perçue dès le premier enfant au salaire des hommes, bien sûr. À partir du moment où l’homme gagne davantage, il est plus judicieux, d’un point de vue purement mathématique, à l’échelle d’un couple de faire appliquer cette majoration sur le revenu le plus élevé.

Cette réalité semble évidente, mais, en cas de divorce, la situation sera préjudiciable aux mères. Cela est d’autant plus regrettable avec la réforme en prévision des pensions de réversion.

Si la future réforme sera plus avantageuse en garantissant au conjoint survivant 70 % des ressources du couple, cette garantie est soumise à une condition : que le couple soit marié. Cette condition exclura donc les couples divorcés, alors qu’aujourd’hui la pension de réversion et partagée au prorata de la durée du mariage.

Monsieur le secrétaire d’État, comment comptez-vous résorber l’écart de pension que pourront subir les femmes avec cette réforme ? Quelle place donnez-vous à la politique familiale dans cette dernière ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Madame la sénatrice, votre question est effectivement importante : au travers de la réforme des retraites, comment est-il possible d’alimenter la politique familiale ?

La politique familiale n’apparaît pas uniquement dans le dispositif de retraite ; elle a une existence propre.

La question que nous pouvons nous poser est de savoir si le système de retraite actuel favorise une accentuation des écarts entre les hommes et les femmes ou s’il est neutre. En vérité, nous le voyons bien, ce système accentue ces écarts.

À titre d’exemple, 60 % des quelque 9 milliards d’euros par an que représente la majoration de 10 % au troisième enfant bénéficient aux hommes. Autrement dit, cette majoration, censée compenser le préjudice de carrière, profite à ceux qui ne subissent pas un tel préjudice, essentiellement les papas.

Le système actuel n’est donc pas favorable aux femmes et, en plus, je le répète, accentue les écarts.

La majoration de 5 % dès le premier enfant correspond à la vie des couples aujourd’hui. Mes filles, qui ont 24 et 25 ans, n’envisagent pas pour l’instant d’avoir des enfants pas plus que d’en avoir trois ou quatre !

Le mode de vie a changé, mais il doit être possible de s’adapter. C’est notamment pour cette raison que le Gouvernement a fait évoluer sa proposition en décidant d’ajouter une majoration supplémentaire de 2 % au troisième enfant. C’est aussi une façon de montrer notre volonté d’assurer une dynamique familiale positive dans ce projet de loi.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. Ma question est assez précise. Elle porte sur l’âge pivot et le malus qui pourrait l’accompagner. Que se passera-t-il pour les personnes qui avaient totalisé un nombre suffisant de trimestres pour pouvoir partir à 63 ans ? Et au-delà de la question des carrières longues, je souhaite vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur les personnes qui ont racheté des trimestres de cotisation pour leurs années d’études, souvent au prix d’un effort financier important. Avez-vous prévu un dispositif particulier, de façon qu’elles ne soient pas pénalisées par la nouvelle réforme et que le choix pertinent qu’elles avaient fait ne soit pas remis en question ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Ce dispositif de rachat de trimestres a du sens dans la durée. Or, dans le système par points, la dynamique de la durée est moindre. Elle ne vaut que pour les carrières longues, la pénibilité et le minimum contributif.

Hormis ces trois cas, acquérir de la durée n’a guère de sens, alors qu’aujourd’hui il faut avoir cotisé pendant quarante-trois ans pour bénéficier du taux plein.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.

Mme Catherine Deroche. Je ne sais pas si vous avez écouté ma question, monsieur le secrétaire d’État, parce que vous n’y avez pas du tout répondu ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.) Elle avait pourtant été exposée clairement, puis traitée lors des précédentes réformes des retraites, dans l’ancien monde, avec des dispositifs qui permettaient justement à ces personnes qui avaient racheté leurs trimestres de cotisation pour leurs années d’études de pouvoir récupérer ce rachat tout en le fiscalisant. Vous me répondez en évoquant trois situations qui ne correspondent à ma question.

Votre prédécesseur nous a dit, avec des trémolos dans la voix à chaque fois, que cette réforme serait juste et simple. Elle est simple en effet si l’on élimine tous les cas annexes que vous ne voulez pas aborder. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le secrétaire d’État, je vous poserai quatre questions, qui appellent quatre réponses, lesquelles pourraient être très brèves et se résumer à « oui » ou « non ».

Premièrement, aujourd’hui, les pensions de réversion sont versées dès 55 ans aux veufs et aux veuves, lesquelles sont le plus souvent concernées. Confirmez-vous que, selon votre projet, les veuves devraient désormais attendre 64 ans, soit neuf ans de plus, pour toucher leur pension de réversion ?

Deuxièmement, trouvez-vous juste d’exclure les ex-conjoints divorcés du bénéfice de la pension de réversion ? Il n’est pas rare que des femmes qui ont vécu pendant vingt-cinq ans avec un homme et n’ont pas ou peu travaillé pour élever leurs enfants soient amenées à divorcer tardivement. Ne craignez-vous pas que l’exclusion des femmes divorcées du bénéfice de la pension de réversion n’accroisse la dépendance économique des femmes à l’égard de leur mari, particulièrement en cas de violences conjugales ?

Troisièmement, vous mettez en avant votre volonté de relever à 1 000 euros le montant minimal de pension, mais, si j’ai bien compris, à condition que la carrière ait été complète. Pour ma part, je n’ai toujours pas compris ce qu’est une carrière complète dans un système à points. Pouvez-vous nous le dire précisément et rapidement, monsieur le secrétaire d’État ?

Quatrièmement, 62 % des fonctionnaires sont des femmes. Dans votre réforme, vous envisagez de remplacer le calcul de la pension sur les six derniers mois par le système à points, et tout le monde sait – y compris vous, bien sûr – que cela réduira les pensions des fonctionnaires. Comment pouvez-vous à la fois réduire les pensions des femmes fonctionnaires et, dans le même temps, prétendre que votre réforme ne va pas pénaliser les femmes ? (Vifs applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Sur la pension de réversion, l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) mène actuellement une réflexion et doit produire un rapport qui avait été annoncé par Jean-Paul Delevoye. Ce point fait partie des éléments qui doivent encore être examinés. (Protestations sur les travées du groupe SOCR.)

J’essaie de vous répondre très précisément, mais pour être en mesure de le faire, il faut disposer de tous les éléments. L’IGAS devant remettre un rapport, nous le lirons ; quel est l’intérêt d’un tel rapport si on ne le lit pas ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

Cela dit, qu’est-ce qui fait la carrière complète ? Comme je l’ai indiqué, la notion de durée est maintenue dans trois cas, sur lesquels je ne reviendrai pas, dont le minimum contributif. La carrière complète, c’est quarante-trois ans, sur la base de 150 heures au SMIC pour valider un trimestre.

Dans le cas d’espèce que vous citez, il ne peut pas y avoir que des perdants, il y a des gagnants et vraisemblablement des perdants. (Exclamations sur les travées du groupe SOCR et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour la réplique.

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le secrétaire d’État, je pense que vous n’avez pas bien compris ma question. J’ai parlé non pas des perdants, mais des perdantes, c’est-à-dire les femmes qui sont au cœur de cette fameuse grande cause du quinquennat, cette grande cause qui est en train de s’effondrer dans votre réforme des retraites…

Vous attendez donc un rapport de l’IGAS pour savoir si vous allez passer la pension de réversion à 64 ans. Vous ne le savez toujours pas à cet instant ? De qui vous moquez-vous ?

Vous n’avez pas répondu pour ce qui concerne l’exclusion des femmes divorcées des pensions de réversion. Or vous exposez les femmes aux violences conjugales en les maintenant dans la dépendance économique de leur mari. Vous n’avez pas non plus répondu à propos des femmes fonctionnaires. En fait, vous n’avez répondu à aucune des quatre questions que je vous ai posées. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.

M. René-Paul Savary. Monsieur le secrétaire d’État, compte tenu des questions précédentes, je ne vais pas poser celle que j’avais prévue pour élargir le débat et je reviendrai aux simulations.

Aujourd’hui, notre système de retraite est dit « à prestations définies » comportant deux notions : la durée et le taux plein. Nos concitoyens se posent la question de savoir à quel âge ils vont partir à la retraite et quel sera le montant de leur pension.

Le système à points est totalement différent, puisqu’il est à « cotisations définies » : la pension est fonction des points cotisés. Si l’on perçoit un petit salaire, on devra travailler toute sa vie, avec la perspective de toucher une petite pension ; si l’on touche un gros salaire, on aura beaucoup de points, et sans être obligé de travailler trop longtemps, on sera certain de percevoir une bonne pension.

C’est ce qui inquiète les Français ; ils veulent des garanties quant au niveau de leur pension. Il faut donc leur donner ces garanties pour qu’ils retrouvent la confiance. D’où des simulations.

Les simulations sur des carrières prospectives – une prise en compte des vingt-cinq meilleures années à venir – sont compliquées à réaliser. Au prorata, cela revient automatiquement à fausser le calcul au départ, car il ne s’agira pas forcément des meilleures années.

Ne serait-il pas judicieux d’établir des simulations sur les carrières passées de ceux qui partent actuellement à la retraite ? C’est faisable pour les fonctionnaires et les salariés du privé en reconstituant leur carrière et en comparant les résultats du système à points s’il s’appliquait pendant quarante ans avec ceux du système à prestations définies tel qu’on le connaît aujourd’hui. Que pensez-vous de ce type de simulation, monsieur le secrétaire d’État ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Le sujet est compliqué. (Rires ironiques sur les travées du groupe SOCR.) Vous proposez de prendre en compte des carrières passées qui reflètent l’histoire de la société de l’époque avec une liquidation sur des bases précédentes.

Si nous faisons évoluer le dispositif, c’est parce qu’il ne correspond plus aux carrières actuelles. Ainsi, ma carrière – entrée dans une entreprise à 20 ans et progression constante du niveau de mes responsabilités et de ma rémunération – ne reflète plus la réalité d’aujourd’hui.

Pour ce qui concerne les carrières hachées, si les écarts restent encore trop importants entre les femmes et les hommes, ils ont heureusement tendance à se réduire. Les dynamiques, là aussi, sont positives. Pourquoi comparer avec un système mis en place à une autre époque ? Il en est de même pour le taux de fécondité des femmes, qui a changé depuis les années 1960. La comparaison est donc difficile. (Marques dironie sur les travées du groupe SOCR.)

Je comprends votre logique et ses fondements. Mais si l’on se dit que le dispositif doit évoluer parce que la société évolue, comme le marché de l’emploi et le rapport à l’emploi, on est obligé de se projeter dans ce type de comportement. Par conséquent, il est difficile de répondre à votre question. (Exclamations sur les mêmes travées.)

En revanche, il sera possible de s’interroger sur les dispositifs à mettre en place lors de l’examen du projet de loi et de procéder à des simulations à l’issue de la discussion du texte, lorsque l’on disposera de tous les éléments nécessaires.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour la réplique.

M. René-Paul Savary. Vous ne me rassurez pas, monsieur le secrétaire d’État. (Rires et applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et SOCR.) J’espérais pouvoir redonner confiance à nos concitoyens. Si l’on n’est pas capable de procéder à des simulations sur des carrières passées, comment pourrait-on en faire sur des carrières à venir ? (Nouveaux rires et vifs applaudissements.)

Le monde n’a pas profondément changé en quelques années, même s’il existe, je le sais bien, un nouveau monde et un ancien monde.

Nous savons que la CNAV dispose de toutes les données sur des millions de personnes ; il est donc possible de reconstituer des carrières et d’établir des comparaisons.

Je vous propose une piste pour redonner confiance aux Français. Vous n’êtes pas obligé de l’accepter, mais ne la rejetez pas d’un revers de main ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Jean-Louis Tourenne. Monsieur le secrétaire d’État, c’est à tort que vous invoquez la justice sociale pour justifier votre réforme des retraites. Notre système actuel unique ne nécessitait que des aménagements pour devenir encore plus juste, voire universel.

C’est à tort que vous revendiquez l’esprit du CNR, qui aspirait, après les horreurs, à une société plus harmonieuse, plus épanouissante. Votre réforme, au contraire, détricote le collectif, et votre projet n’a plus de répartition que le nom. Chacun paie pour lui.

Les conséquences de votre réforme seraient terribles. J’ai pris le temps d’effectuer une simulation comparative à partir de chiffres que vous ne contesterez pas, car ce sont les vôtres – sauf erreur –, sortis de votre simulateur.

J’ai conjugué deux de vos exemples avec des carrières linéaires sans interruption, sans bas salaires, sans galères pour le premier emploi, sans période de chômage ni de maternité ; bref, le paradis professionnel virtuel.

Ainsi, Mme X – je l’ai appelée ainsi, pour que vous ne disiez pas que c’est un cas d’espèce –,…

Mme Laurence Rossignol. Il n’y a pas de cas d’espèce dans un régime universel.

M. Jean-Louis Tourenne. … secrétaire pendant seize ans, suit des cours du soir et engage une formation d’un an rémunérée. Elle devient développeuse web. Son salaire passe de 1 520 euros à 3 140 euros – ce sont vos chiffres.

Aujourd’hui, avec le système des vingt-cinq meilleures années – c’est la part de solidarité –, sa pension de retraite serait de 2 516 euros. Avec le système à points, sur quarante-deux ans de bons et loyaux services, avec les bas salaires de début, elle ne bénéficiera que de 1 606 euros mensuels : moins 1 000 euros par mois. Comme les carrières linéaires n’existeront plus, comme le premier emploi sera difficile à trouver, ceux qui commenceront à un niveau bas, qui auront des carrières hachées, soit la quasi-totalité de la population, auront commis le péché originel qu’ils devront payer jusqu’à la fin de leur vie. C’est la condamnation des efforts de qualification et de formation ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Monsieur le sénateur, je veux bien regarder ce cas d’espèce avec vous.

M. Jean-Louis Tourenne. Ce n’est pas un cas d’espèce !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. J’ai bien compris que vous l’aviez pris dans l’outil.

Le système par points favorise les plus petites pensions, ce qu’on appelle les plus petits déciles, les quatre premiers.

C’est une réalité, démontrée par l’ensemble des économistes. (Exclamations sur les travées du groupe SOCR.) Vous pouvez la contester, mais même Thomas Piketty le confirmera. Je le redis, je veux bien réexaminer avec vous ce sujet, mais la réalité, c’est que le système de retraite universel va favoriser – c’est très bien comme cela, il ne sera plus redistributif – l’ensemble des petites pensions inférieures à 1 400 euros. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le secrétaire d’État, la situation dans laquelle est plongé notre pays depuis le mois de décembre est anxiogène, car la question des retraites est non pas une question technique, mais une question sociale importante, qui correspond à l’effort de toute une vie de travail et qui touche à l’avenir de nos aînés. Sur ce sujet majeur, les Français ont le droit à un débat clair et honnête ; vous leur devez.

Le Premier ministre a mis en avant un certain nombre de mesures qui étaient attendues, notamment par ceux qui travaillent dur et gagnent peu. Je pense au minimum contributif des salariés du privé et des régimes alignés, qui serait porté à 1 000 euros en 2022.

Ce complément de pension serait attribué aux assurés qui ont travaillé durant leur vie active, afin qu’ils gagnent un peu mieux que le minimum vieillesse accordé aux personnes qui n’ont pas cotisé.

Cette retraite à 1 000 euros est indispensable eu égard à la justice, l’équité et la solidarité envers nos aînés, dont certains se retrouvent sous le seuil de pauvreté. Qui aujourd’hui peut trouver normal de percevoir une faible pension après une vie de travail ?

La question du travail est d’ailleurs essentielle dans ce débat sur les retraites : pour pérenniser notre système de retraite par répartition, il faut promouvoir le travail tout au long de la vie pour garantir un équilibre entre actifs et cotisants. Nous devons revaloriser la valeur du travail dans la société. Cela passe aussi par la revalorisation des pensions de retraite.

Alors que les droits sont nettement plus faibles dans certains régimes, comme ceux des artisans, des commerçants et des professionnels du monde agricole – la majorité d’entre eux touchent de faibles pensions, notamment en raison de carrières incomplètes –, il ne faudrait pas que la retraite à 1 000 euros devienne un leurre, d’autant qu’elle a été très longtemps repoussée.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous confirmer que cette mesure s’appliquera réellement ? Quelles en seront les modalités ? Quelles seront les interférences avec les retraites complémentaires ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Je vous le confirme, le minimum contributif sera bien de 1 000 euros dès 2022, selon le souhait du Président de la République. Et dans la perspective du système de retraite universel, nous visons 85 % du SMIC en 2025, soit plus de 1 000 euros. De plus, la dynamique de ce minimum contributif est positive, puisque, étant liée au SMIC, elle va continuer à évoluer avec lui. L’enjeu, c’est d’assurer, en 2025, une dynamique réelle au minimum contributif.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.

M. Guillaume Chevrollier. Sur le sujet des petites retraites, notamment agricoles, vous êtes attendu, monsieur le secrétaire d’État. Nous serons particulièrement vigilants. Pensez également aux retraités d’aujourd’hui !

M. le président. La parole est à M. Michel Savin.

M. Michel Savin. Monsieur le secrétaire d’État, Frédérique Puissat et moi-même avions préparé une question sur la pension de réversion réservée aux couples mariés. Cette question a été posée par Laurence Rossignol, et elle est d’ailleurs restée sans réponse. Heureusement, j’avais anticipé la situation et prévu une seconde question, que je vais maintenant vous poser.

Elle risque de paraître minime par rapport aux grandes inquiétudes et aux questionnements qui ont été évoqués depuis le début de ce débat.

En effet, en tant que président du groupe d’études sur les pratiques sportives et les grands événements sportifs, je souhaite aborder la question des quelques centaines de jeunes athlètes de haut niveau qui font briller les couleurs de notre pays dans les différentes compétitions internationales. Ces sportifs de haut niveau ne sont pas des professionnels et perçoivent des revenus qui avoisinent les 1 000 euros par mois.

Le PLFSS pour 2012 a introduit dans la loi un dispositif spécifique d’ouverture de droit à la retraite pour les sportifs de haut niveau. Relevant du régime général de la sécurité sociale, sous certaines conditions de ressources et d’âge, ceux-ci bénéficient de la validation de trimestres – jusqu’à seize trimestres, soit une olympiade – correspondant à un revenu fictif d’environ 1 500 euros par mois.

Par ailleurs, ce même PLFSS prévoyait qu’avant le 1er octobre 2013 le Gouvernement remet au Parlement un rapport présentant le coût du dispositif prévu et étudiant la possibilité d’augmenter le nombre de trimestres. Comme souvent, ce rapport n’a pas été rendu…

Monsieur le secrétaire d’État, comment comptez-vous traiter le cas de ces sportifs de haut niveau dans le cadre de la réforme des retraites qui sera prochainement examinée ?

Par ailleurs, deux situations doivent être largement améliorées.

D’une part, le système actuel ne profite qu’aux sportifs âgés de plus de 20 ans. Avec la hausse du nombre de disciplines précoces, provoquant un décalage ultérieur des études, c’est une injustice pour ces jeunes. Il serait bon de revoir cette clause d’âge.

D’autre part, seize trimestres, soit une olympiade, ne représentent finalement pas la réalité du parcours d’un sportif qui s’étale souvent sur deux olympiades. Il serait bon également de revoir cette durée.

Quelle est votre position sur ces deux questions, monsieur le secrétaire d’État ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Je travaille ce sujet avec ma collègue Roxana Maracineanu, mais nous n’en sommes qu’au démarrage, puisque j’ai pris mes fonctions voilà trois semaines.

Le principe est de substituer des points aux trimestres. La dynamique que vous évoquez est inchangée.

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le secrétaire d’État, après une année en jaune avec des ronds-points occupés, le désordre organisé, des saccages perpétrés et 12 milliards d’euros dépensés pour acheter la paix sociale, voilà maintenant la vie en rouge ! (Ah ! sur les mêmes travées.) Le chaudron est de nouveau en ébullition, et j’évoque malheureusement non pas le stade Geoffroy-Guichard, cher à notre collègue Bernard Bonne, mais notre beau pays et sa réforme des retraites !

Que nous disaient le candidat Emmanuel Macron et sa majorité en 2017 ? « Notre projet est de clarifier et de stabiliser les règles du jeu une fois pour toutes en mettant en place un système universel, juste, transparent et fiable, dans lequel chacun bénéficie des mêmes droits. » Qui peut raisonnablement être contre un tel objectif ?

En revanche, s’agissant de la méthode, vous repasserez !

Après avoir satellisé pendant dix mois M. Delevoye, votre prédécesseur, dont on se demande encore avec qui il a dialogué en France pendant tout ce temps pour aboutir à une telle impasse, après les conclusions dithyrambiques du désormais fameux Conseil d’orientation des retraites selon lequel « les perspectives financières permettent d’envisager l’avenir avec une sérénité raisonnable » – à la bonne heure ! –, après qu’une minorité d’énergumènes a pris un pays en otage et même empêché scandaleusement des étudiants de passer leurs diplômes, après ce qui ressemble de près ou de loin à une authentique chienlit, monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple.

Les partenaires sociaux des deux régimes de retraite complémentaires du secteur privé Agirc-Arrco, fusionnés en 2019, ont été capables, eux, de signer, le 30 octobre 2015, un accord national permettant d’envisager un retour à l’équilibre des comptes pour 2020.

Quand allez-vous vous résoudre à adopter une méthode semblable et crédible, afin que ce triste épisode cesse dans notre pays et que nous retrouvions enfin la vie en rose à laquelle nous aspirons tous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Monsieur le sénateur, les partenaires sociaux ont bien géré et gèrent bien l’Agirc-Arrco, la caisse de retraite complémentaire de 70 % des actifs français. Sur le fond, vous le précisez, ils sont eux-mêmes attentifs à la notion d’équilibre. Ils ne peuvent dès lors pas y être complètement hostiles quand on parle d’un régime universel. Ils l’ont démontré en créant aussi un âge d’équilibre avec un dispositif de bonus et de malus temporaires.

Richard Ferrand notamment s’est exprimé sur ce point, lequel pourra être évoqué lors de la conférence de financement. Nous aurons l’occasion de reparler de tout cela très prochainement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.

M. Jean-Raymond Hugonet. Je visais la méthode, monsieur le secrétaire d’État. Un texte est devant le Conseil d’État, les négociations en cours patinent depuis un bon moment, le conseil des ministres va examiner ce texte le 24 janvier.

Heureusement que le présent débat a été demandé, parce que les parlementaires sont tenus à l’écart. Il serait temps de trouver une méthode logique et cohérente. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. René-Paul Savary, au nom de la commission des affaires sociales.

M. René-Paul Savary, au nom de la commission des affaires sociales. Merci, monsieur le secrétaire d’État, de vous être livré à cet exercice difficile, redoutable même. Vous l’avez vu, les sénateurs connaissent bien le sujet, car ils y travaillent depuis un certain nombre d’années. Du fait de votre prise de fonctions récente, nous avons constaté un certain flou dans vos réponses. Nous sommes tout à fait aptes à le comprendre ! C’est un bon départ, mais nous verrons à l’arrivée…

Le système part sur des bases contestables. La France est le seul pays à maintenir un âge légal fixé à 62 ans. Quelles que soient les solutions proposées, âge pivot ou autre, il faudra faire comprendre à nos concitoyens que, progressivement, ils devront travailler plus longtemps.

Quand on regarde les simulations effectuées par le COR – c’est la question prospective posée par Philippe Dallier –, on voit se profiler un déficit de 7 à 18 milliards d’euros pour 2025. La tendance s’accentue jusqu’en 2030 – ne raisonnons pas de manière figée ! – et, ensuite, la courbe ne remonte que très progressivement, le pouvoir d’achat augmentant dans des proportions plus importantes que le niveau des retraites.

Or les nouvelles propositions de mode de calcul sont fondées sur la même courbe budgétaire. En conséquence, le montant moyen des pensions, qui est de 105 %, passera à 85 % ou 90 %. Disons la vérité aux gens ! Si l’on ne prend pas des mesures correctives face à cette réalité, le système élaboré deviendra une fabrique à retraités pauvres.

Quant à la phase de transition, elle constitue la période la plus difficile. Le temps passé au travail est d’environ quarante-deux ans et, en moyenne, les pensionnés restent à la retraite pendant vingt-six ans ; voilà pourquoi la transition pose problème.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez fait un choix – en tout cas, votre prédécesseur, Jean-Paul Delevoye, a fait un choix, que vous ne suivrez peut-être pas : la coexistence de deux systèmes parallèles.

En vertu de ce dispositif, seules les personnes nées à partir de 2004 cotiseront intégralement au système universel de retraites. Ces cotisations manqueront aux systèmes complémentaires, qui, de ce fait, seront automatiquement mis en difficulté et qui, dès lors, se révéleront déficitaires. En outre, le nouveau système ne servira ses premières prestations, qui représenteront ses premières dépenses, qu’en 2037 au plus tôt, et encore de manière partielle : toutes les personnes nées avant 1975 dépendront uniquement du régime actuel.

On le voit bien : les personnes nées entre 1975 et 2004 bénéficieront, au plus tôt à partir de 2037, d’un système mixte dont on ne sait pas encore s’il sera viable. À cet égard, la fixation du point aujourd’hui n’apportera aucune garantie : ce point ne sera appliqué qu’en 2037, soit dans un certain nombre de quinquennats…

Bref, soyons attentifs à cette phase de transition ; il s’agit d’une étape importante. Il ne faut surtout pas partir sur une mauvaise base financière, ne garantissant pas l’équilibre. Si l’on veut donner confiance, on ne peut pas se dispenser de prendre les mesures nécessaires à ce titre. Or vous avez conçu un système calé, non sur le modèle du privé, à savoir l’Agirc-Arrco, qui concerne tout de même 70 % de nos cotisants, mais sur le modèle public.

Votre préoccupation était de ne pas dissoudre le régime intégré dont disposent les fonctionnaires, regroupant la retraite de base et la complémentaire. On le voit bien : ce calcul pose quelques difficultés. Nous sommes un certain nombre à penser qu’il eût été plus logique de partir, plus humblement, avec un seul plafond de sécurité sociale.

En fixant ce plafond à 3 000 euros, l’on englobait déjà 85 % de la population. Progressivement, l’on menait à bien l’uniformisation des systèmes de retraite complémentaire en maintenant un certain nombre de différences, puisque le régime des salariés du privé n’est ni celui du public ni celui des indépendants et des professions libérales. Dès lors, la réforme aurait peut-être été plus facile à accepter.

Monsieur le secrétaire d’État, soyez attentif aux préconisations que le Sénat formule à votre intention. Nous arrivons au terme d’une séance de questions tout à fait intéressante, même si nous n’avons pas toujours obtenu de réponses, ce que nous pouvons tout à fait comprendre.

Sachez que nous continuons à travailler et que, quelles que soient nos différences, nous arrivons à faire des propositions communes.

Je me tourne vers ma collègue Monique Lubin, avec qui j’ai consacré un rapport aux seniors ; le Gouvernement, ne faisant pas confiance au Sénat, en a commandé un autre… C’est dommage, car notre rapport contenait des préconisations acceptables sur toutes les travées de cette assemblée…

Mme Monique Lubin. Tout à fait !

M. René-Paul Savary. Ces recommandations représentaient donc, automatiquement, l’ensemble des territoires de la France.

C’est en partant de positions divergentes pour construire, ensemble, quelque chose que l’on pourra avancer vers la réforme du système des retraites ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la réforme des retraites.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à vous remercier de cette séance de débats, d’échanges et de questions. De toute évidence, nous n’en avons pas terminé avec ce sujet, qui appartient, me semble-t-il, à la représentation nationale : en définitive, c’est elle qui devra l’arbitrer.

Je remercie également la commission des affaires sociales, en particulier son président, d’avoir eu l’initiative de proposer ce débat à la conférence des présidents ; et je remercie les membres de la conférence des présidents d’avoir approuvé cette demande à l’unanimité.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé.)

PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Sauvetage en mer : replacer les bénévoles au cœur de la décision

Débat sur les conclusions du rapport de la mission d’information sur le sauvetage en mer

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la mission d’information sur le sauvetage en mer, sur les conclusions du rapport Sauvetage en mer : replacer les bénévoles au cœur de la décision.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. le rapporteur de la mission d’information auteur de la demande.

M. Didier Mandelli, rapporteur de la mission commune dinformation sur le sauvetage en mer. « Aussi suis-je venu vous dire ce matin que nous nous battrons pour faire vivre ce beau modèle, solidaire et fraternel, du sauvetage en mer. Le Gouvernement et le Parlement le feront et j’y veillerai. » Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ces mots ont été prononcés par le Président de la République le 13 juin 2019, lors de la cérémonie d’hommage aux victimes du drame des Sables-d’Olonne, survenu le 7 juin précédent, au cours duquel Yann, Alain et Dimitri, trois sauveteurs en mer, ont perdu la vie lors d’une opération de sauvetage d’un bateau de pêche.

Ce drame a été à l’origine de la création de la mission commune d’information sur le sauvetage en mer et la sécurité maritime.

C’est une décision de la conférence des présidents, prise sur l’initiative de notre collègue Bruno Retailleau, qui a permis la constitution de cette mission très rapidement, dès le 9 juillet 2019.

L’événement tragique du mois de juin avait provoqué une émotion immédiate de l’opinion publique et des hommages sincères de la part de tous les responsables locaux et nationaux. Notre mission avait pour objet d’aller plus loin, de dépasser la réaction compassionnelle pour comprendre comment cet accident, où l’état du matériel a tenu une part déterminante, avait pu se produire et écouter la réaction, parfois marquée de colère, des acteurs du sauvetage en mer.

En nous focalisant sur la Société nationale de sauvetage en mer, la SNSM, il nous appartenait donc d’examiner le modèle économique du sauvetage en mer, financé en quasi-totalité par des dons, son modèle social, reposant sur le bénévolat, et ses besoins en termes de logistique et d’investissement.

En parfait accord avec Corinne Féret, présidente de la mission – je la remercie du soutien qu’elle m’a apporté et de la très bonne ambiance qui a régné tout au long de nos travaux –, la mission d’information a décidé de travailler selon une méthode assez particulière.

Tout d’abord, nous avons privilégié l’écoute des intervenants du terrain au format plus convenu des auditions au Sénat. Ainsi, le programme de nos déplacements – douze au total – a conduit des délégations de sénateurs à se rendre en Vendée – aux Sables-d’Olonne, où un hommage a été rendu aux sauveteurs disparus –, puis dans les départements des Alpes-Maritimes, du Calvados, de la Manche, du Finistère, de Loire-Atlantique, du Pas-de-Calais, des Côtes-d’Armor, d’Ille-et-Vilaine, du Morbihan, ainsi qu’en Martinique, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. À ce titre, je remercie Jean-François Rapin et Michel Vaspart qui, à la faveur d’un déplacement, ont représenté notre mission en ces contrées lointaines.

À chaque fois, nous avons recueilli les témoignages et les remarques de l’ensemble des intervenants : bénévoles de la SNSM, canotiers, patrons, présidents et trésoriers des stations, responsables des centres de formation et du pôle de soutien technique de la flotte, délégués départementaux, inspecteurs, élus locaux, responsables des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage, les Cross, préfets maritimes, etc.

Ce n’est qu’à l’issue de ces rencontres, qui nous ont beaucoup appris, que nous avons réalisé les auditions des responsables institutionnels en clôturant par le témoignage de deux des rescapés du drame du 7 juin 2019.

La seconde particularité a été la célérité. Les missions d’information disposent traditionnellement de six mois pour présenter leurs conclusions. Nous avons mené nos travaux en trois mois et demi, en utilisant au maximum la période estivale pour nos visites dans les stations et les centres de formation.

Il s’agissait non pas de battre un record, mais de tenir deux objectifs : éviter absolument de répondre à un drame humain par une énième thèse savante et bien balancée, par un rapport de plus, et s’inscrire dans un calendrier comprenant, d’une part, l’examen du projet de loi de finances et, d’autre part, la tenue à l’automne 2019 du comité interministériel de la mer, le CIMer. Pour l’ensemble de ce travail, mené avec célérité, je remercie d’ailleurs les administrateurs qui nous ont accompagnés tout au long de notre mission.

Au terme de ses travaux, la mission d’information a établi une liste de trente propositions réparties en trois grands axes : mieux reconnaître le bénévolat et son engagement humaniste, garantir sur le long terme le financement des investissements et, enfin, démocratiser le fonctionnement de la SNSM et clarifier la répartition des rôles.

Ces propositions résultent bien sûr de notre réflexion. Mais elles reprennent aussi des demandes, parfois très modestes, qui nous ont été faites lors de nos déplacements et qui ont une forte valeur, une forte portée symboliques.

Sur chacun des trois thèmes, je reprendrai les propositions qui me paraissent les plus importantes.

La mission d’information n’a jamais remis en question le principe du bénévolat, qui est en réalité l’ADN du sauvetage en mer. Mais les sauveteurs bénévoles ressentent un manque de reconnaissance de la Nation, auquel il convient de répondre par des mesures concrètes.

Avant tout, la mission appelle donc à un travail avec les employeurs des sauveteurs. Ce travail devrait viser, d’une part, à améliorer le cadre de la disponibilité des sauveteurs pour leurs interventions et, d’autre part, à renforcer l’accès des sauveteurs à la formation, via le droit individuel à la formation (DIF).

Aujourd’hui les bénévoles sont trop souvent laissés seuls pour négocier directement avec leurs employeurs. À nos yeux, c’est au délégué départemental de la SNSM de recenser leurs demandes et de faire la démarche auprès des employeurs des sauveteurs pour formaliser des conventions leur permettant d’être plus facilement détachés de leurs obligations professionnelles dès lors qu’ils sont appelés à intervenir en mer.

Ce sont bien toutes les institutions qui doivent mieux reconnaître le bénévolat, l’État comme les organismes de formation et, bien sûr, la SNSM. La mission préconise ainsi l’accès aux congés de formation, l’octroi de jours de délégation pour certains cadres de la SNSM, la reconnaissance d’équivalence et l’uniformisation des diplômes de formation entre le ministère de l’intérieur, le ministère de la santé et la marine marchande.

En outre, la mission considère que tous les bénévoles devraient être adhérents de la SNSM, alors qu’aujourd’hui ils n’ont aucun rôle reconnu dans la gestion de cette association.

Au titre du financement, deux points me paraissent essentiels.

En premier lieu, il est urgent de faire diminuer la pression qui pèse lourdement sur les stations locales, en les exonérant du financement systématique de l’investissement – aujourd’hui, elles assument cette charge à hauteur de 25 % grâce à un effort considérable de collecte des dons – tout en réduisant autant que possible leurs frais de fonctionnement. Ainsi, le gros entretien des navires absorbe souvent plusieurs dizaines de milliers d’euros, alors même que les stations peinent à s’alimenter en carburant pour assurer les sorties en mer.

En second lieu, il n’est pas nécessaire de créer une nouvelle taxe, particulièrement sur la plaisance, qui contribue déjà par divers prélèvements au financement du sauvetage. En revanche, deux autres voies doivent être explorées. D’une part, l’affectation à la SNSM de taxes existantes, comme la fiscalité des permis de plaisance ou le produit des redevances de l’État sur l’occupation du domaine public maritime. D’autre part, le déploiement d’incitations fortes pour que l’ensemble des usagers de la mer, de plus en plus nombreux et divers, participent au financement du sauvetage en mer.

Nous avons envisagé, en ce sens, la création d’une contribution volontaire à l’achat de navires neufs et d’engins et matériels nautiques – paddles, kitesurfs, kayaks de mer, planches à voile, etc. –, dont le montant serait progressif en fonction du coût de l’équipement.

Enfin, pour ce qui concerne la gouvernance, les recommandations de la mission sont parties d’un constat : les bénévoles des stations et le siège de la SNSM sont aujourd’hui deux mondes qui ne se comprennent et ne se parlent plus. Cette situation est due en grande partie au caractère pyramidal, centralisé et peu démocratique de la SNSM, institution, et même « vache sacrée », selon les termes mêmes de son ancien président, qui peine à se réformer.

Nous en sommes convaincus : la SNSM aurait tout intérêt à s’inspirer de l’organisation de la protection civile. Ce serait là un moyen de rendre plus attractif le recrutement des bénévoles, enfin considérés comme de véritables acteurs de leur association.

Cette évolution implique de reconnaître dans les statuts de la SNSM la notion d’adhérent dans la plénitude de ses attributions. Elle devrait conduire, dans l’idéal, à adopter une structure fédérale – la SNSM deviendrait ainsi une fédération regroupant des associations départementales affiliées.

La déconcentration de la prise de décision, aujourd’hui monopolisée par le siège, est le second axe d’une réforme de la gouvernance. Elle concerne tout d’abord les collectivités territoriales, financeurs principaux, dont la contribution ne fait encore l’objet d’aucune reconnaissance officielle dans les processus de décision. De surcroît, il est temps de donner des marges d’action aux structures locales de sauvetage en mer, pour ce qui concerne le choix des équipements et leur fonctionnement quotidien, ce qui suppose de transférer à l’échelon local un certain nombre d’attributions.

En définitive, nous avons à la fois des espoirs et des craintes.

Le bilan a été fait de notre système de sauvetage. Le rapport de la mission d’information n’est d’ailleurs pas le premier à l’avoir établi. En effet, deux rapports précédents le relevaient déjà : notre système obtient d’excellents résultats pour un coût minime pour l’État. Un certain nombre de chiffres illustrent ce constat.

Pour autant, deux bémols sont régulièrement apportés : le vieillissement de la flotte, dont le coût de renouvellement est estimé à 140 millions d’euros, et l’évolution préoccupante de la démographie des bénévoles.

Monsieur le secrétaire d’État – ce message s’adresse également à Élisabeth Borne, qui a suivi l’ensemble de nos travaux –, vous avez ajouté 4,5 millions d’euros au financement de la SNSM dans le cadre du projet de loi de finances, répondant ainsi à l’une de nos recommandations. Vous avez organisé une table ronde au ministère ; nous y avons participé. Vous avez présenté les résultats d’une enquête menée par les préfets auprès des stations locales SNSM : ceux-ci rejoignent nos conclusions.

Enfin, à l’occasion du CIMer, le Premier ministre a évoqué les effets attendus des mesures à engager – voici, après celle du Président de la République, ma seconde citation (M. le secrétaire dÉtat sourit.) : « La condition de bénévole est clarifiée et améliorée, la stabilité financière de l’association est garantie et la gouvernance est accompagnée vers un fonctionnement plus participatif. » C’est précisément ce que nous attendons.

Je me félicite des engagements pris et des changements à venir. C’est un devoir pour nous tous. Nous le devons collectivement à Yann, Alain et Dimitri, qui ont disparu. Nous le devons également à Christophe, David, Jérôme et Emmanuel, qui ont survécu au drame des Sables-d’Olonne. Nous le devons, enfin, aux 8 000 bénévoles ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la mission commune dinformation applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, notre présence ce soir dans cet hémicycle démontre clairement notre attachement collectif au modèle français du sauvetage en mer.

Ce modèle, c’est celui de la SNSM, dont le bénévolat, les dons et la solidarité des gens de mer forment le triptyque singulier.

Le naufrage tragique du canot Jack-Morisseau aux Sables-d’Olonne en juin dernier a rappelé avec violence la mesure de l’engagement des bénévoles de cette association. Il a profondément ébranlé toute la communauté maritime.

Ce soir, je rends de nouveau hommage aux disparus, à leurs familles, à toutes celles et tous ceux qui agissent pour le sauvetage en mer. Nous leur devons bien plus que des mots : comme l’a dit le Président de la République lors de l’hommage national, « faire vivre ce beau modèle, solidaire et fraternel, du sauvetage en mer », c’est honorer leur mémoire. Et, à ce titre, il faut relever les défis auxquels la SNSM fait face.

Ces défis, le rapport de votre mission d’information les souligne parfaitement : pérennité du financement et visibilité face aux besoins de renouvellement de la flotte et de la formation des bénévoles ; pérennisation du bénévolat – les bénévoles veulent aujourd’hui être mieux reconnus, mieux accompagnés et mieux protégés – ; modernisation de la gouvernance de la SNSM, pour préserver le dynamisme de sa structure et sa proximité avec les territoires.

M. le rapporteur l’a rappelé : pour relever ces défis, Élisabeth Borne a réuni en novembre dernier les acteurs concernés par l’avenir de la SNSM.

Élus, dont certains d’entre vous ici présents, délégués des associations d’usagers de la mer, mécènes, représentants des filières économiques, de la SNSM et des services de l’État : tous ont répondu « présent » ; tous ont confirmé leur attachement au modèle original de la SNSM, reposant sur ces trois piliers indissociables que sont le bénévolat, l’autonomie financière et le statut associatif.

Cet attachement est le vôtre. Il est aussi celui du Gouvernement. Et, pour le traduire en actes, le CIMer réuni en décembre dernier a entériné le renforcement du soutien du Gouvernement à la SNSM.

C’est d’abord le renforcement du soutien financier de l’État, en portant la subvention annuelle de 6 millions d’euros à près de 11 millions d’euros.

C’est aussi l’attribution de la qualité de pupille de la Nation aux enfants de sauveteurs en mer péris en opération, ainsi que le Président de la République l’avait annoncé aux Assises de l’économie de la mer. Le projet de loi permettant cela est déjà en cours d’examen. Les règles d’indemnisation des bénévoles blessés ou décédés en opération, ainsi que de leurs familles, seront également clarifiées.

C’est enfin une nouvelle dynamique partenariale entre l’État, la SNSM, les collectivités locales et les bénéficiaires de la SNSM, sur la période allant de 2020 à 2022.

Ce travail intervient à un moment clé de la vie de l’association, qui connaît une passation de présidence ; je sais qu’il importe à son nouveau président, Emmanuel de Oliveira, de construire, avec tous les membres de la SNSM, une vision stratégique. Ses deux mots d’ordre vont dans ce sens : assurer les capacités opérationnelles et la cohésion.

Dans les prochaines semaines, nous devrons stabiliser cette nouvelle dynamique partenariale. Sans prétendre à l’exhaustivité, je voudrais partager avec vous quelques-uns des chantiers qui nous attendent.

Il faut, tout d’abord, assurer le financement à long terme. J’ai déjà fait allusion au fait que l’État avait triplé son engagement financier, ce que traduit la nouvelle convention pluriannuelle 2020-2022. Toutefois, l’État ne doit pas être le seul investisseur ; la trajectoire financière de l’association doit être clarifiée et stabilisée, mais cela passera par l’assurance de l’obtention d’autres ressources financières.

Il me vient d’abord à l’esprit l’appui des collectivités territoriales, qui devra se construire en lien avec les associations représentatives, en privilégiant une approche pluriannuelle.

La collecte de fonds privés, ensuite, qu’il s’agisse de dons ou de mécénat, doit poursuivre sa montée en puissance.

Au-delà, l’État entend amorcer, avec la SNSM, un pacte d’engagement pour les sauveteurs, afin de mobiliser l’ensemble des filières économiques et des usagers bénéficiaires de l’action de l’association.

Outre ces deux volets, le paiement des prestations rémunérées assurées par la SNSM doit être facilité. Cela implique un cadre de financement des rapatriements sanitaires consolidé, une meilleure publicité des tarifs des prestations et un recouvrement des paiements plus structuré. Ces propositions font écho à votre rapport, mesdames, messieurs les sénateurs, lequel envisage également une revalorisation du rôle du bénévolat.

Il s’agit, aux yeux du Gouvernement, d’un élément majeur pour la pérennité du modèle : sécuriser l’engagement, conforter le bénévolat et susciter des vocations.

En sus du renforcement de la protection des sauveteurs et de leurs familles, que j’ai évoqué, nous devons mieux accompagner l’offre de formation. Il faut, pour cela, développer l’offre de proximité et favoriser les collaborations avec des structures de formation. La possibilité de recourir au compte personnel de formation sera ainsi examinée.

Les formations doivent également être mieux reconnues et valorisées. Mon ministère et les ministères concernés y pourvoiront, en lien avec l’organisme France compétences. Cela impliquera de comptabiliser les temps d’embarquement.

Cet effort sera partagé par les employeurs et les entreprises qui soutiennent l’engagement bénévole. Le Gouvernement sera à leur côté, en proposant un label d’employeur-partenaire de la SNSM et en assurant la promotion des dispositifs existants, comme le congé d’engagement associatif, ou encore le compte d’engagement citoyen.

Pour renforcer les équipes techniques, les ministères compétents étudieront aussi les possibilités de recourir à des voies de recrutement alternatives pour certaines fonctions d’appui, comme le service national universel ou le service civique.

Enfin, nous accompagnerons l’association dans ses choix de réorganisation. Votre rapport préconise ainsi la mise en œuvre d’actions pour réviser la gouvernance et certains fonctionnements internes. Je souhaite toutefois rappeler le principe fondamental d’autonomie de l’association, selon lequel l’État ne peut ni ne doit interférer dans ce processus.

Il sera toutefois aux côtés de la SNSM, dans les évolutions que celle-ci choisira pour améliorer son fonctionnement en matière de démocratie interne, de reconnaissance de ses membres ou de dialogue entre siège et stations.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, nous sommes attachés au même objectif : faire vivre le modèle français du sauvetage en mer.

Sur les trois chantiers prioritaires que nous avons identifiés ensemble, le Gouvernement est déjà à pied d’œuvre. Je sais pouvoir compter sur votre engagement, ainsi que votre rapport le confirme, s’il en était besoin.

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la Société nationale des sauveteurs en mer est une institution qui fait honneur à notre pays. Le drame des Sables-d’Olonne, qui a coûté la vie à trois sauveteurs en juin dernier, a rappelé les risques inouïs que ceux-ci prennent pour sauver près de 10 000 personnes par an et en assister bien davantage encore. Dans un département maritime comme le mien, on sait ce que cela signifie.

Cette institution est puissante et efficace ; elle compte 8 000 bénévoles, 450 bateaux de sauvetage et 32 centres de formation. Mais le drame des Sables-d’Olonne a mis en lumière les difficultés croissantes qu’elle rencontre. Son manque de financements, en particulier, devient de plus en plus problématique. C’est sur ce point que je souhaite vous interroger, monsieur le secrétaire d’État.

En effet, 140 bateaux doivent être renouvelés dans les dix prochaines années et un effort important de formation doit être engagé, pour ne citer que ces points. Le besoin immédiat de financement a ainsi été estimé à 9 millions d’euros.

Il nous semble que l’État doit augmenter sa participation, laquelle, je le rappelle, couvre aujourd’hui autour du tiers du budget de la SNSM. Il y va, à notre sens, de la solidarité nationale : l’État ne peut pas être à la traîne du soutien décisif qu’apportent les collectivités locales au fonctionnement de la SNSM.

Il importe donc de pérenniser et d’amplifier la rallonge de 4,5 millions d’euros votée dans la loi de finances pour 2020. Plusieurs pistes existent en ce sens, dont un certain nombre ont été rappelées à l’instant par le rapporteur, comme la mise en place d’un prélèvement par les ports de plaisance, la création d’une contribution volontaire à l’achat de navires neufs ou une mise à contribution de la fiscalité sur les permis ou les bateaux de plaisance.

Je veux toutefois relever la nécessité de taxer les yachts, mesure qui avait notamment été imaginée pour atténuer l’effet de la suppression de l’impôt sur la fortune.

M. Michel Canevet. Cela ne rapporte que 280 000 euros !

Mme Céline Brulin. En effet, cette mesure n’a rapporté que 280 000 euros, faute de contrôles ! Nous pourrions toutefois obtenir bien plus de financements pour la SNSM, par ce biais.

Monsieur le secrétaire d’État, que pensez-vous de cette proposition ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice Brulin, je vous remercie de votre question. J’ai essayé d’y répondre dès mon propos liminaire, en rappelant notamment le principe d’autonomie financière lié au statut d’association de la SNSM, qui est défendu par tous.

Vous avez rappelé que le Gouvernement a relevé son soutien annuel de 4,5 millions d’euros, l’établissant à près de 11 millions d’euros, et je porte à votre connaissance que les conditions de trésorerie actuelle de la SNSM sont de nature à satisfaire ses besoins financiers pour cette année et à lui donner une visibilité satisfaisante pour répondre à ses besoins dans les prochaines années.

Le Gouvernement va évidemment continuer d’accompagner la collecte de dons et de legs, la structuration, qui progresse fortement, avec des actions de visibilité et de mobilisation des bénéficiaires au travers du pacte d’engagement que j’ai évoqué précédemment pour les sauveteurs et le mécénat, qui pourrait être accru, au regard des pratiques qui ont cours dans certains pays riverains.

Les collectivités doivent maintenir leur soutien à la SNSM, dont les missions s’étendent, vous le savez, bien au-delà du sauvetage en mer, avec, notamment, la surveillance des plages, nous y reviendrons.

Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Le sauvetage en mer repose sur un paradoxe : l’État le dirige et décide de l’engagement des moyens, mais n’en assume pas les conséquences financières. En vérité, grâce à la SNSM, cette activité est très peu coûteuse pour l’État.

Il apparaît aujourd’hui primordial de préserver la vie des sauveteurs bénévoles tout en consolidant la trajectoire financière de la SNSM pour renouveler une flotte vieillissante. Dans ce processus, il est nécessaire que l’État prenne toute sa part.

La mission d’information a relevé l’importance de garantir l’investissement dans les navires, dont la durée de vie avoisine trente ans, par des ressources stables d’État, car le renouvellement de la flotte ne peut rester soumis aux aléas et à la forte variabilité des dons.

L’État, en prenant une plus grande part dans l’équipement des stations, leur permettrait de consacrer plus de moyens à l’amélioration de leur fonctionnement et des conditions de vie des bénévoles grâce aux dons qu’elles collectent et aux subventions que les collectivités territoriales souhaitent leur allouer.

Monsieur le secrétaire d’État, jusqu’à présent, les ressources perçues par la SNSM lui ont permis, au prix d’une charge excessive pesant sur les stations de sauvetage, de remplir sa mission avec succès et de lancer des programmes de formation des bénévoles et de renouvellement d’une partie de sa flotte d’intervention.

La nécessité d’investir fait consensus en raison de l’obsolescence croissante de la flotte actuellement en service et de la nécessité de poursuivre la démarche de qualification des bénévoles.

Aussi, à la lumière des travaux de la mission d’information, quelles mesures envisagez-vous de prendre, afin d’alléger la charge pesant sur les stations ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, je rappelle d’abord les obligations issues des traités internationaux qui pèsent sur l’État en matière de veille et à de coordination des secours. J’ajoute qu’à la suite de l’augmentation de la subvention annuelle en 2020 et en incluant les taxes affectées la part de l’État représente aujourd’hui plus de 30 % des ressources de la SNSM, sans compter la défiscalisation des dons, qui entraîne une moindre recette pour l’État.

Par ailleurs, le budget de la SNSM a substantiellement augmenté ces dernières années, notamment depuis les années 2000, et l’État a, conséquemment, accru fortement sa subvention.

Il importe de préciser également que la SNSM accomplit six missions : le sauvetage en mer, l’assistance, la surveillance des plages, la sécurité civile, l’évacuation sanitaire et différents types de prestations commerciales. La première est, certes, la plus importante, mais elle n’est pas la seule. Un plan d’action est, par ailleurs, en cours de rédaction entre la SNSM et l’État, qui prend en compte de nombreuses recommandations du rapport du Sénat.

En conclusion, les ressources aujourd’hui à la disposition de cette structure sont en adéquation avec ses besoins, en matière de renouvellement des flottes comme, vous l’avez évoqué, de formation.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en cette période d’épiphanie, les habitants de Cherbourg-en-Cotentin, de Landunvez ou de Saint-Malo peuvent soutenir les sauveteurs de la SNSM en achetant des galettes dont les fèves arborent les couleurs des stations de sauvetage.

Cette initiative s’ajoute aux nombreuses actions de bienfaisance qui s’avèrent nécessaires pour contribuer au financement d’un service à vocation régalienne.

Huit propositions figurent dans le rapport pour garantir sur le long terme le financement des investissements. Pouvons-nous parler de serpent de mer, tant le sujet a été abordé ces dernières années ?

Il a été question d’une taxe sur l’éolien en mer, sur le permis côtier, sur l’achat de navires de plaisance ou, comme l’évoquait ma collègue, Céline Brulin, sur les yachts. Ces vœux pieux n’ont pas toujours rencontré un écho favorable, car l’exception française en matière de sauvetage en mer présente l’avantage d’être peu coûteuse pour le contribuable.

De quel contribuable parlons-nous, pourtant ? S’agit-il de celui qui navigue pendant ses loisirs ou de l’ensemble des contribuables, ceux-là mêmes qui financent les hélicoptères des pelotons de gendarmerie de haute montagne sans goûter aux plaisirs de la montagne ou les avions bombardiers d’eau sans connaître les pinèdes du bassin méditerranéen ?

Après le terrible drame survenu le 7 juin aux Sables-d’Olonne et en raison des dysfonctionnements que notre délégation a constatés lors de ses déplacements, il apparaît clairement que le financement de la SNSM, qui remplit des missions de service public, doit être pris en charge par l’État.

Tout en étant consciente de l’effort que le Gouvernement a consenti dans le cadre de la loi de finances, je vous demande, monsieur le secrétaire d’État, comment vous comptez garantir un financement pérenne de la SNSM, afin que nous puissions maintenir malgré tout le système du bénévolat cher à nos saint-bernard.

Vous venez de nous assurer que la situation financière de la SNSM était très confortable, pourtant, aujourd’hui, la station des Sables-d’Olonne ne dispose toujours pas d’un canot tous temps en état de fonctionner, ce qui semble surprenant, s’agissant d’une association supposée jouir d’une telle situation.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, vous avez rappelé l’augmentation substantielle de la subvention annuelle, passant de 6 millions à 10,5 millions d’euros hors taxes affectées, qui a vocation à financer en priorité les investissements de la SNSM.

Je l’ai dit, un travail va être engagé avec la nouvelle direction de la SNSM pour stabiliser la trajectoire financière et la programmation du renouvellement des moyens ; il pourrait d’ailleurs conduire à revoir la prise en charge des investissements entre le siège de la SNSM, l’État, les collectivités et les stations.

L’État est attaché à maintenir une part de financement local dans les projets d’investissement, car cela donne aux stations du poids pour peser dans la décision sur les caractéristiques des moyens nautiques et cela les responsabilise quant à leur format, aux capacités d’armement des navires dans la durée, mais aussi quant à la bonne exploitation du matériel. Le fonctionnement quotidien de la SNSM impliquant un appui des collectivités qui en tirent un bénéfice, il importe donc que celles-ci s’engagent également sur les projets d’investissement.

Par ailleurs, s’agissant de la sécurité civile, puisque vous y avez fait allusion, je rappelle que l’État finance un certain nombre de matériels, notamment d’hélicoptères et d’avions, qui concourent, d’une manière générale, au sauvetage des personnes.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin.

M. Jean-François Rapin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me permets d’attirer votre attention sur la formation des sauveteurs en mer.

Nous comptons de moins en moins d’anciens marins parmi ces sauveteurs bénévoles. Aussi, cette formation permet-elle à ces derniers non seulement d’apprendre la mer, mais également de se familiariser avec les nouveaux bateaux.

Lors des Assises de l’économie de la mer qui se sont tenues à Montpellier, le 3 décembre dernier, le Président de la République déclarait souhaiter que le Gouvernement travaille à la reconnaissance, au soutien et à la valorisation des formations qualifiantes dispensées par la SNSM.

En ma qualité de membre de la mission d’information et de président de l’Association nationale des élus du littoral (ANEL), je demande au Gouvernement de clarifier ces engagements pris par le Président de la République.

Les instances de la SNSM ont réclamé officiellement, depuis plusieurs mois, que les formations dispensées aux sauveteurs en mer soient éligibles au fonds de la formation professionnelle de France compétences.

Le comité interministériel de la mer qui a eu lieu au mois de décembre ne semble pas avoir précisé cette demande de formation cruciale pour le sauvetage en mer. Je salue l’effort budgétaire qui a été réalisé, mais, à mon sens, ces crédits ne suffiront pas à assurer une formation pérenne aux sauveteurs.

Par ailleurs, aucun détail n’a été apporté sur l’éligibilité de ces formations à France compétences, alors que, pour la SNSM, cette garantie de financement est indispensable. Qu’en est-il à ce jour ?

Enfin, comme je l’ai fait dans le cadre de la mission, j’insiste de nouveau sur le fait que nous disposons, sur les territoires, de lieux de formation de proximité : les lycées maritimes, lesquels dépendent de votre ministère, monsieur le secrétaire d’État. Les régions en ont la responsabilité et sachez, d’ores et déjà, que la région Hauts-de-France, qui en construira un nouveau prochainement, est disposée à s’engager dans une expérimentation en ce sens.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, j’ai indiqué dans mon propos introductif qu’un effort important de formation des sauveteurs, qui sont désormais issus de milieux qui ne sont pas composés de professionnels de la mer, était en cours.

Cet effort a commencé et il doit perdurer, notamment au travers de la démarche partenariale que j’ai évoquée. L’augmentation du soutien financier permettra d’accroître les actions de formation des bénévoles et nous allons accompagner la SNSM, afin de développer, notamment, l’offre de formation de proximité, mais également de travailler à la valorisation des compétences et à la reconnaissance des formations dispensées par le pôle national de formation.

France compétences sera donc pleinement mobilisée, non seulement pour étudier l’éligibilité de ces formations nécessaires, mais aussi pour accompagner leur financement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour la réplique.

M. Jean-François Rapin. Je m’attendais à cette réponse, monsieur le secrétaire d’État, mais je termine mon propos par une proposition qui me semble claire et qui émane des territoires : j’ai organisé avec la région, la possibilité de travailler avec vous et la SNSM et je souhaite obtenir des éléments précis sur ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.

M. Jean-Luc Fichet. Le rapport de notre mission d’information pointe du doigt la nécessaire reconnaissance des acteurs bénévoles de la SNSM et préconise des améliorations ayant vocation à valoriser l’action de ceux-ci, notamment dans notre troisième proposition.

Il est également nécessaire de clarifier les relations entre le siège et les stations. Notre vingt-deuxième proposition, qui vise à constituer la SNSM en structure fédérale est, de mon point de vue, pertinente. Envisagez-vous de permettre de telles modifications statutaires, monsieur le secrétaire d’État ?

Par ailleurs, la sécurité maritime est aussi une affaire de prévention, ainsi que nous le relevons dans notre rapport, c’est-à-dire d’information des plaisanciers et de l’ensemble des acteurs de la mer.

Toutefois, la prévention ne saurait se limiter à la diffusion des bonnes pratiques, aussi importante soit-elle. L’action de l’État en la matière est primordiale. Entretenir et sécuriser la signalétique de nos littoraux est indispensable à la prévention des accidents maritimes.

Dans le Finistère nord, la réforme de la flotte se traduit ainsi par la construction d’un bateau de vingt-huit mètres en remplacement des deux bateaux de dix-sept mètres actuellement en service pour entretenir les phares et les balises du littoral.

J’ai interrogé la ministre Élisabeth Borne quant à l’effectivité de l’entretien des balises et des phares à l’issue de cette réforme dont on ne sait pas grand-chose, mais je n’ai, pour l’heure, pas obtenu de réponse.

Les personnels craignent qu’un seul bateau ne puisse garantir la même régularité dans la surveillance des nombreux sites concernés, dont nous connaissons tous la nécessité dans nos mers. Ils s’interrogent également sur la maniabilité d’un tel navire et sur les conséquences que ce changement emportera pour leurs emplois.

Il est en outre question de transférer le navire Charles-Cornic, basé à Morlaix. Si tel devait être le cas, l’entretien des balises du littoral nord-finistérien ne pourrait plus être optimal, puisqu’un navire plus grand ne pourra pas accéder à bon nombre de zones.

Je souhaite donc savoir si le Gouvernement entend corriger cette décision, afin de maintenir le parfait entretien des éléments de signalement et de balisage sur la côte et, par conséquent, le niveau de sécurité maritime.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, s’agissant de la signalisation maritime, la réforme que vous évoquez consiste notamment à moderniser la flotte des navires-baliseurs dédiés à l’entretien des ouvrages en mer avec des navires plus performants, plus endurants et permettant d’offrir de meilleures conditions de travail aux agents tout en optimisant les prestations, les coûts d’entretien et la réduction de la signature environnementale.

Certes, nous envisageons bien une réduction du nombre de navires, mais pas au détriment de la qualité du service, puisque ces navires auront un taux d’utilisation plus important et des capacités supérieures de rayon d’action et d’emport.

S’agissant de la réforme des services des phares et balises, qui exige, d’ailleurs, un ambitieux plan d’investissement lancé cette année, elle s’inscrit dans une démarche de progrès pour les usagers, avec des ouvrages de signalisation adaptés aux nouveaux besoins des navigateurs, et sera menée en concertation avec les acteurs de terrain, notamment les personnels, et les usagers.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique.

M. Jean-Luc Fichet. Merci de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État, mais elle ne me satisfait pas. On peut en effet imaginer qu’un gros bateau sera peut-être plus performant et plus écologique, mais deux petits bateaux permettent d’accéder à des lieux qui ne sont pas accessibles à un gros bateau pour l’entretien des balises, c’est donc inquiétant. En outre, se pose également la question des emplois.

Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve.

Mme Mireille Jouve. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, association reconnue d’utilité publique, la Société nationale de sauvetage en mer assure ses missions de manière bénévole avec un matériel de plus en plus vétuste. Or la structure de son financement repose à 80 % sur les dons privés, ce qui est incompatible avec la pérennité requise par de tels investissements.

Le financement de la SNSM doit donc gagner en visibilité pour garantir que, à l’avenir, ses missions pourront continuer à être assurées efficacement tout en préservant la sécurité des bénévoles et des personnes secourues.

S’agissant de la contribution des usagers de la mer, la solution visant à responsabiliser les plaisanciers qui ne disposent pas d’assurance en cas d’intervention, proposée par M. Yves Lyon-Caen, président de la Fédération des industries nautiques, lors de son audition, pourrait constituer une voie intermédiaire intéressante avant la généralisation d’une assurance obligatoire, proposée par la mission d’information.

Le recouvrement des créances de la SNSM, lorsque celle-ci intervient en assistance aux biens, doit par ailleurs être amélioré.

Pour ce qui concerne l’assistance aux personnes, si cette mission est exercée par des bénévoles, elle revêt un caractère régalien. La part de l’intervention financière de l’État doit donc évoluer pour couvrir au moins le renouvellement de la flotte de sauvetage en mer et son entretien.

Toutefois, le recours à toute création ou réaffectation de taxe doit être pesé. Les activités maritimes ne sont certes pas victimes d’une forte fiscalisation, mais il ne faudrait pas, pour autant, pénaliser les petits plaisanciers.

Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous préciser l’approche pluriannuelle des engagements de l’État auprès de la SNSM permettant de soutenir les investissements nécessaires ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, je vais essayer de vous convaincre que l’État a été au rendez-vous du financement, notamment en ce qui concerne son caractère pluriannuel. Il finance en effet environ 30 % des ressources de l’association, lesquelles ont évidemment augmenté, et maintiendra cette subvention telle qu’elle est aujourd’hui envisagée.

En revanche, l’assistance aux biens constitue une prestation commerciale qui entre dans le champ concurrentiel. Or l’État ne peut interférer dans des relations commerciales. La SNSM doit donc travailler à une meilleure visibilité des tarifs de ces prestations de remorquage, notamment, et – pourquoi pas ? – professionnaliser le recouvrement de ses créances, afin d’alléger la charge de travail des bénévoles.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Cazeau.

M. Bernard Cazeau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’an dernier, en France, plus de la moitié des plaisanciers en difficulté, soit environ 20 000 hommes, femmes et enfants, ont été secourus par la Société nationale de sauvetage en mer. Cette contribution considérable à la sécurité maritime est le fait de 8 000 bénévoles qui ont décidé de venir en aide à la vie d’autrui, au risque de perdre la leur.

Comme vous le savez, le 7 juin 2019, trois secouristes de la SNSM de la station des Sables-d’Olonne ont péri en mer au cours d’une opération de sauvetage. Ce drame nous a évidemment tous profondément bouleversés.

Lors des Assises de l’économie de la mer qui se sont tenues à Montpellier le 3 décembre dernier, le Président de la République leur a rendu hommage avec l’ensemble des acteurs du monde maritime. À cette occasion, il a annoncé que les enfants des secouristes disparus seraient reconnus pupilles de la Nation.

La parole de l’État a été partiellement respectée : une semaine plus tard, l’Assemblée nationale a voté à l’unanimité la proposition de loi qui accorde la qualité de pupille de la Nation aux enfants de sauveteurs en mer décédés. Nous attendons encore l’inscription de ce texte à l’ordre du jour du Sénat pour marquer définitivement la reconnaissance de la représentation nationale.

Grâce à la mobilisation unanime des élus, le Parlement a adopté, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020, l’augmentation, proposée par le Gouvernement, de 4,5 millions d’euros de la dotation de l’État en faveur de la SNSM, conformément à une demande faite par la mission d’information sénatoriale. Pouvez-vous nous assurer de son effectivité, monsieur le secrétaire d’État ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, concernant l’attribution rétroactive de la qualité de pupille de la Nation aux enfants de sauveteurs péris en mer lors d’une opération de sauvetage, l’Assemblée nationale a effectivement adopté à l’unanimité une proposition de loi à cet effet le 12 décembre dernier.

Le délai constitutionnel d’inscription à l’ordre du jour au Sénat est de quatre semaines ; il nous appartient donc, Gouvernement comme parlementaires, de veiller à l’inscription rapide de ce texte à l’ordre du jour de la Haute Assemblée.

S’agissant de l’augmentation du budget alloué à la SNSM, je vous la confirme. En 2019, le ministère a versé une subvention de 6 millions d’euros hors taxes affectées à la SNSM et la nouvelle convention pluriannuelle, en cours de rédaction, prévoit un montant alloué de 10,5 millions d’euros au profit de l’association.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet.

M. Michel Canevet. Monsieur le secrétaire d’État, le groupe Union Centriste remercie les trois sénateurs de Vendée d’avoir été à l’initiative de cette mission d’information à la suite du drame que nous connaissons. Nous avons été trois sénateurs du Finistère à y participer et nous nous sommes pleinement investis dans le travail pour essayer de définir la place et le rôle – éminent – de la SNSM dans notre système de sauvetage en mer.

Une des propositions formulées concerne la question de l’assurance des navires, car nous nous sommes aperçus que la plupart d’entre eux n’étaient pas assurés. Chacun sait pourtant que lorsqu’un véhicule emprunte le réseau routier, il doit être assuré ; il paraît donc légitime qu’il en aille de même pour le domaine maritime.

La mission d’information a formulé différentes propositions à ce sujet, dont une concerne la question de l’assurance remorquage. La SNSM rencontre en effet parfois des difficultés à recouvrer les créances qui lui sont dues, lesquelles sont pourtant souvent extrêmement modestes. Il faut toutefois circonscrire le processus pour les assurés, afin d’éviter des exclusions liées, notamment, à la distance par rapport au littoral et, peut-être, étendre la responsabilité civile.

Nous avons proposé que soit engagée une étude d’opportunité à ce sujet. Le Gouvernement a-t-il décidé de la lancer ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous l’avez rappelé, le sauvetage des personnes est gratuit, conformément à un principe fondamental issu des conventions internationales. La question financière qui se pose concerne les prestations d’assistance aux biens, qui sont payantes et soumises au droit de la concurrence.

Le coût facturé par la SNSM pour ces prestations est limité – généralement quelques centaines d’euros. Le régime d’assurance obligatoire n’est pas prévu pour couvrir ce type de risques, la doctrine en l’espèce étant de réserver les assurances à la protection des victimes contre l’insolvabilité des responsables, notamment en matière de préjudices corporels, dont la réparation peut atteindre un montant très élevé.

Une assurance obligatoire pour les risques dont vous parlez serait à l’origine de coûts de gestion et de contrôle disproportionnés dans le cas où tous les engins de plaisance seraient couverts. Il nous paraît préférable d’améliorer la visibilité des tarifs d’intervention, ainsi que les modalités de recouvrement.

En revanche, l’État est favorable à la généralisation des assurances pour les navires dans les ports où ils mouillent à l’année, notamment pour prendre en compte le risque lié à l’enlèvement des épaves.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, pour la réplique.

M. Michel Canevet. La position du Gouvernement me semble critiquable, car il est important de développer l’assurance afin de prévenir des conséquences qu’on ne mesure pas tout à fait pour les utilisateurs, s’agissant en particulier des engins de plaisance qu’on trouve sur les plages. Par ailleurs, cette politique permettrait aussi, par le biais de tout ou partie de la taxe sur les assurances, d’assurer à la SNSM un financement pérenne qui lui permette d’opérer dans les meilleures conditions. C’est pourquoi l’assurance est à nos yeux une question essentielle !

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.

Mme Dominique Estrosi Sassone. À mon tour, je remercie le président de notre groupe, Bruno Retailleau, du lancement de cette mission d’information et je salue le travail accompli par l’ensemble de ses membres, à commencer par sa présidente, Corinne Féret, et son rapporteur. Nous avons formulé, à l’aune notamment de nos déplacements, des propositions que le Gouvernement serait bien inspiré de suivre.

Ma question porte, d’abord, sur la gouvernance de la SNSM en matière de formation, dans le sillage de l’intervention de Jean-François Rapin.

Dans les stations des Alpes-Maritimes, les sauveteurs bénévoles de la SNSM se heurtent à un problème en matière de formation : les sessions sont organisées à Saint-Nazaire, alors que les liaisons directes entre l’ouest et le sud-est de la France sont particulièrement contraignantes.

M. Bruno Retailleau. Notre-Dame-des-Landes !

Mme Dominique Estrosi Sassone. Compte tenu de ces difficultés de mobilité, les sauveteurs doivent prévoir au moins trois jours consécutifs pour suivre une formation. Or les bénévoles sont souvent dans l’impossibilité de s’absenter plusieurs jours de leur activité professionnelle pour se rendre sur la façade atlantique. Sans compter que l’absence de prise en charge des frais de déplacement n’encourage pas à parcourir plusieurs centaines de kilomètres ni à passer deux nuits sur place…

Dès lors, la SNSM des Alpes-Maritimes souhaiterait une plus grande flexibilité lui permettant de proposer elle aussi des formations nautiques dans les lycées maritimes locaux.

Ensuite, je souhaite interroger M. le secrétaire d’État sur la reconnaissance du service bénévole dans le calcul de la pension, même a minima.

Bien que l’engagement soit libre et volontaire, les sauveteurs estiment qu’une prise en compte partielle du temps qu’ils consacrent au service des autres dans le calcul de leur retraite serait un geste fort pour reconnaître le temps qu’ils n’ont pas pu passer en famille, ainsi qu’une motivation supplémentaire face aux risques qu’ils prennent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Le Gouvernement a pris l’initiative d’élaborer avec la SNSM un plan d’action, dont la reconnaissance de l’engagement des bénévoles et la consolidation de leur condition seront un aspect fondamental.

Nous souhaitons développer l’offre de proximité en matière de formation. Au reste, nous travaillons déjà à la valorisation des compétences et à la création d’un label « employeur partenaire de la SNSM ». La mise à contribution des lycées maritimes, suggérée par un précédent orateur, pourrait être mise à l’étude, en liaison avec la SNSM.

S’agissant des retraites, la condition de bénévole ne permet pas l’attribution de trimestres, aucune cotisation n’étant versée. C’est une mesure à laquelle nous ne sommes pas favorables.

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour la réplique.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Je regrette vivement, monsieur le secrétaire d’État, que vous ne preniez pas mieux en considération l’engagement des bénévoles, notamment pour la retraite, ce qui serait un juste retour. La mission d’information a formulé des propositions très concrètes en la matière. Malheureusement, le Gouvernement ferme la porte !

M. Laurent Duplomb. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. La mission commune d’information sur le sauvetage en mer et la sécurité maritime nous a permis de faire connaissance avec des femmes et des hommes d’un grand dévouement et d’une humanité rare. Hommage doit d’abord leur être rendu !

De fait, ils exercent une mission générale au service du public. Compte tenu du service rendu, il est logique, et même indispensable, qu’ils bénéficient d’une reconnaissance bien meilleure.

En la matière, bien au-delà des mots, il faut agir, par exemple en facilitant les heures d’absence des bénévoles auprès de leur entreprise ou de leur administration et en les indemnisant. Il convient également de rendre leur formation gratuite, diplômante et de l’intégrer dans la valorisation des acquis de l’expérience. Quelles démarches comptez-vous entreprendre, monsieur le secrétaire d’État, pour réaliser ces avancées nécessaires ?

J’en viens au fonctionnement de la SNSM, notamment sous son aspect financier.

Les plaisanciers comme les nouveaux usagers de la mer, nombreux, n’ont pas, paradoxalement, l’obligation de s’assurer, alors qu’ils bénéficient gratuitement des services des sauveteurs. Situation inconcevable ! Que dirait-on si les assurances automobiles n’étaient pas obligatoires, si les cotisations sociales devenaient facultatives ? La base de la solidarité, c’est la prise en considération des dangers potentiels que chacune et chacun d’entre nous peut courir.

Il va de soi, dans mon esprit, qu’un pourcentage de ces assurances pourrait aller au sauvetage en mer, ce qui résoudrait en grande partie les difficultés financières qui se posent.

Appliquer cette mesure aux plaisanciers et à tous les usagers de la mer, c’est une question de respect d’un principe républicain – l’indispensable solidarité – en même temps que de saine organisation. Monsieur le secrétaire d’État, il est urgent d’agir !

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Je répète que le Gouvernement a pris l’initiative de l’élaboration, avec la SNSM, d’un plan d’action, dont la reconnaissance de l’engagement et la consolidation de la condition de bénévole seront un aspect fondamental. (M. Jérôme Bascher sexclame.)

Comme je l’ai déjà indiqué, nous souhaitons développer l’offre de proximité en matière de formation et nous travaillons déjà à la valorisation des compétences et à la création d’un label « employeur partenaire de la SNSM ».

S’agissant de l’aspect financier et assurantiel que vous évoquez, monsieur le sénateur, il faut distinguer le sauvetage en mer des personnes, dans le cadre duquel toute intervention est gratuite – c’est un principe fondamental et international des gens de mer sur lequel il n’est évidemment pas envisageable de revenir –, et l’assistance aux biens, qui est une activité commerciale et concurrentielle.

Les plaisanciers et l’ensemble des usagers de la mer bénéficieront donc toujours du sauvetage gratuit. Une assurance obligatoire impliquerait au mieux un alignement sur les risques automobiles, c’est-à-dire un contrat d’assurance au tiers, ne couvrant pas le remorquage. C’est pourquoi calquer l’assurance maritime sur l’assurance automobile ne serait pas opérant.

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour la réplique.

M. Yannick Vaugrenard. Par le passé, il est arrivé que nous nous apercevions, deux ou trois ans après la formulation de préconisations par une mission parlementaire d’information, qu’il ne s’était en réalité rien passé… Il convient donc que, d’ici un an ou deux, nous puissions dresser le bilan des résultats obtenus. Je souhaite que le Gouvernement s’y engage. (M. Bruno Retailleau opine.)

Si l’émotion a été forte – nous l’avons bien perçue lors de notre visite aux Sables-d’Olonne –, elle s’atténuera avec le temps. Il n’en faudra pas moins agir, car nous ne sommes pas seulement une démocratie d’émotion. J’insiste donc pour que ce bilan soit fait d’ici un an ou deux.

Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, je ne suis pas satisfait de votre réponse sur les assurances. Un des moyens de trouver des recettes pour la SNSM et ses bénévoles, c’est de responsabiliser les plaisanciers. M. Canevet, notamment, l’a souligné avant moi, et cela me paraît relever de l’évidence. Il faut avancer sur cette question !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaspart.

M. Michel Vaspart. Monsieur le secrétaire d’État, cela se passe à l’île de la Réunion, et je cite : « Ces dernières semaines, de nouveaux gilets de sauvetage nous ont été livrés. Ils sont neufs, mais périmés. Le dialogue engagé avec le siège de la SNSM a rapidement tourné au monologue. L’un des responsables et son délégué départemental nous ont enjoints à plusieurs reprises de changer nous-mêmes les étiquettes pour indiquer de nouvelles dates de validité, qui permettraient, selon le siège, d’éviter de longues discussions inutiles avec le centre de sécurité des navires. » Incroyable !

Je cite encore : « Le patron référent de notre station et l’ensemble des bénévoles ont refusé de s’exécuter, préférant privilégier la sécurité par rapport à l’obéissance. » J’en aurais fait autant…

Je cite toujours : « Ce point d’orgue a conduit le président de notre station, son vice-président, son patron référent, un patron suppléant et quatre canotiers, soit un tiers de la station, à démissionner durant la première quinzaine du mois de décembre 2019. Le sous-préfet de Saint-Paul est informé et très surpris. »

Monsieur le secrétaire d’État, 12,3 millions d’euros ont été dépensés en autofinancement pour le nouveau siège de la SNSM, pas très loin de l’Opéra de Paris, alors qu’on peine à trouver des financements pour le renouvellement des canots de sauvetage et l’entretien des matériels.

Une des propositions du rapport de Didier Mandelli consiste à faire évoluer la gouvernance de la SNSM. De fait, une association de la société civile composée de bénévoles engagés et dévoués, prêts à sacrifier leur vie pour sauver les nôtres, ne se gère ni se dirige comme l’armée des poilus de 14-18 !

Monsieur le secrétaire d’État, « un homme, ou une femme, une voix » : en vertu de ce principe démocratique fondamental, le président et les principaux dirigeants élus de la SNSM doivent l’être en toute transparence et d’une manière démocratique. C’est devenu une exigence, un impératif pour le bon fonctionnement de cette belle institution.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Michel Vaspart. Quand, monsieur le secrétaire d’État, allez-vous, au regard de cet excellent rapport du Sénat, inciter le siège de la SNSM à mettre en œuvre les réformes de gouvernance nécessaires ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. S’agissant de l’imbroglio que vous soulevez sur la date de validité des gilets, je rappelle que c’est à la SNSM de s’engager sur la capacité opérationnelle de ses équipements.

M. Bruno Retailleau. Il y a un devoir de vigilance de l’État !

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat. En ce qui concerne la gouvernance, la transparence et la démocratie, j’ai déjà rappelé que l’État, tout en respectant le statut associatif de la SNSM, accompagnera cette structure dans la refonte de sa gouvernance, de manière à la rendre plus performante et plus transparente et à la doter d’une gouvernance qui satisfasse mieux les objectifs que vous avez cités.

M. Michel Savin. Comment donc ?

M. Jérôme Bascher. C’est un peu court, monsieur le secrétaire d’État !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.

M. Jean-Luc Fichet. Mon collègue Roland Courteau, ne pouvant être présent, m’a chargé de présenter sa question.

Nous souhaitons, monsieur le secrétaire d’État, vous interroger sur la sécurisation des financements de la SNSM, enjeu d’une particulière acuité.

Comme il a été souligné à plusieurs reprises, la SNSM, l’une des institutions les plus respectées du monde associatif, remplit une véritable mission de service public, grâce à ses 8 000 sauveteurs bénévoles répartis sur plus de 200 stations, qui interviennent nuit et jour, été comme hiver, pour porter secours aux personnes en péril en mer. En 2018, plus de 10 000 personnes ont ainsi été secourues par les sauveteurs en mer, et plus de 20 000 ont bénéficié de leurs soins.

Pourtant, alors que la survie de ce modèle nous concerne tous, la SNSM ne dispose toujours pas des moyens suffisants pour lui permettre d’assurer le nécessaire renouvellement de sa flotte de sauvetage et la formation de ses sauveteurs. Ainsi appelle-t-elle régulièrement à la mobilisation de l’État, des collectivités territoriales mécènes et des donateurs individuels.

En ce qui concerne l’engagement financier de l’État, au-delà des discussions budgétaires de la fin de l’année dernière, intervenues dans le contexte particulier consécutif au drame des Sables-d’Olonne, il paraît nécessaire de garantir à la SNSM un financement pérenne, qui ne puisse pas être remis en cause au gré des lois de finances successives.

Monsieur le secrétaire d’État, face aux décisions urgentes que la SNSM se doit de prendre en matière de fonctionnement et d’investissement, quelles suites le Gouvernement entend-il donner aux propositions concrètes formulées par notre rapport ? Nous pensons en particulier à la proposition n° 14, consistant à instaurer une prise en charge habituelle par l’État de 25 % du coût du renouvellement des canots et vedette, aujourd’hui intégralement supporté par les stations.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Comme je l’ai déjà souligné, le Gouvernement a relevé son soutien annuel de 4,5 millions à près de 11 millions d’euros en 2020, avec les taxes affectées. Une convention pluriannuelle sera désormais conclue, de manière à assurer une visibilité sur plusieurs années.

Par ailleurs, le Gouvernement va continuer d’accompagner la collecte des dons et legs, qui progresse fortement, avec des actions de visibilité et une mobilisation des bénéficiaires au travers du Pacte d’engagement pour les sauveteurs. Le mécénat pourra également être accru. Enfin, les collectivités territoriales doivent maintenir leur soutien à la SNSM, dont les missions s’étendent bien au-delà du sauvetage en mer, notamment à la surveillance des plages.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge.

M. Dominique de Legge. Le sauvetage en mer s’est organisé historiquement avec et pour les professionnels de la mer. Depuis lors, le trafic maritime s’est développé avec des gros porteurs, mais aussi autour du loisir et des sports nautiques, ce qui a modifié sensiblement les populations secourues, ainsi que la fréquence et les causes des interventions.

Le modèle économique fondé sur les donateurs spontanés ou sollicités est ainsi devenu totalement inadapté aux missions. Quelles dispositions le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour remédier à cette situation et responsabiliser les usagers de la mer manifestement imprudents ?

Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, puisque mon collègue Michel Vaspart ne disposait plus du temps nécessaire pour vous répliquer, permettez-moi de le faire à sa place. Il ne m’y a certes pas autorisé, mais je le connais suffisamment, par solidarité bretonne, pour imaginer qu’il considère comme moi, avec tout le respect que nous vous devons, que votre réponse est peut-être incomplète, peu satisfaisante à tout le moins, sur les relations que l’État entend entretenir avec la SNSM.

Une véritable mission de service public pour le sauvetage en mer ne peut être laissée dans un cadre flou et peu transparent. La SNSM est certainement animée par des bénévoles de bonne volonté, mais, hélas, nous avons pu constater que la réponse apportée par cette structure n’était pas à la hauteur. Monsieur le secrétaire d’État, auriez-vous l’obligeance, sinon de répondre à ma question, du moins de compléter votre réponse à celle de M. Vaspart ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Chacun ici a rappelé son attachement au modèle original de la SNSM qui repose sur les trois piliers suivants : le bénévolat, l’autonomie financière et le statut associatif.

Ce que propose M. le sénateur Vaspart reviendrait à supprimer le statut associatif de la SNSM, ce que – je crois – personne ne veut ici. Ma réponse est donc claire sur la gouvernance de la société : l’État, le Gouvernement, ainsi que la SNSM sont déterminés à maintenir ce statut, ce que la mission démontre très bien d’ailleurs dans son rapport. Il n’y a donc aucune ambiguïté sur le sujet : nous y sommes résolus.

M. Jérôme Bascher. Tirez-en les conséquences !

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, les missions actuelles de la SNSM sont plurielles.

La mission historique de sauvetage des personnes en mer ne peut donner lieu à rémunération. La SNSM assure également la formation à titre gratuit des nageurs sauveteurs qui seront, par la suite, employés par les communes à la surveillance des baignades. La SNSM exerce d’autres missions, qui sont des activités rémunérées et qui relèvent de la sphère commerciale et concurrentielle : l’assistance et le remorquage en mer, la surveillance des manifestations, la dispersion des cendres en mer. L’État, par sa subvention annuelle, soutient la SNSM dans sa mission de sauvetage en mer. (M. Jérôme Bascher sexclame.)

Le modèle particulier du sauvetage en mer a été confirmé. Il repose sur les piliers – je les ai rappelés il y a un instant – que sont le bénévolat, le statut associatif et l’autonomie financière résultant des dons privés. Affecter à la SNSM de nouvelles taxes applicables aux plaisanciers pourrait avoir l’effet inverse de celui qui est recherché et pourrait dissuader les donateurs.

M. Jérôme Bascher. Faites de la politique, pas de la lecture de fiches !

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.

M. Dominique de Legge. Monsieur le secrétaire d’État, j’avais compris que le gouvernement auquel vous appartenez voulait marquer notre pays de son empreinte grâce à sa volonté réformatrice.

À vous entendre, j’ai vraiment l’impression que vous vous satisfaites de la situation présente. J’ai vraiment l’impression que vous n’avez pas lu le rapport de M. Mandelli. Et j’ai vraiment l’impression que, dans un an, en espérant que, d’ici là, il n’y aura pas de nouveaux accidents aussi dramatiques que celui que nous avons connu aux Sables-d’Olonne, vous lirez encore vos fiches pour nous rappeler les principes sur lesquels est fondée la SNSM.

M. Jérôme Bascher. C’est le niveau zéro de la politique !

M. Dominique de Legge. Je vous en prie, monsieur le secrétaire d’État, réformez ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jérôme Bascher. Très bien !

M. Laurent Duplomb. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer.

Mme Agnès Canayer. En 2017, l’État attribuait le label « grande cause nationale » à la SNSM, reconnaissant ainsi unanimement l’engagement et l’abnégation des 8 000 sauveteurs bénévoles, qui donnent de leur temps et de leur énergie pour sauver les usagers de la mer en détresse.

Cette mission de service public exigeante impose à ces bénévoles de nombreux sacrifices pour parvenir à concilier leur vie professionnelle, personnelle et associative. Que ce soit pour la surveillance des plages ou pour le sauvetage en mer, les missions exercées par les sauveteurs bénévoles sont de plus en plus nombreuses, longues et techniques. Elles mobilisent des compétences diverses et imposent un niveau de formation en constante augmentation pour garantir le niveau de performance exceptionnel qu’est celui de la SNSM, d’autant que de moins en moins de bénévoles sont directement issus du monde maritime.

Aujourd’hui, les formations sont réalisées soit directement dans les stations, dans les trente-deux centres de formation et d’intervention comme celui du Havre, soit, pour les formations les plus qualifiantes, au pôle de formation de Saint-Nazaire, sans oublier les formations « sur le tas », c’est-à-dire la transmission, par les plus anciens, de leur savoir-faire et de leur expérience de la mer et du sauvetage.

Le sujet de la formation des bénévoles de la SNSM a déjà été abordé à plusieurs reprises ce soir. Néanmoins, il soulève un grand nombre de questions.

Comment garantir le financement de ces formations, notamment pour les nageurs sauveteurs ? Vous affirmez que ces formations sont gratuites, monsieur le secrétaire d’État. Toutefois, on s’aperçoit sur le terrain que de nombreux jeunes doivent financer leur formation pour décrocher un job d’été sur les plages et que la gratuité reste souvent théorique. Comment assurer la prise en compte de la validation des acquis de l’expérience, notamment pour ceux qui sont formés sur le tas, via la transmission du savoir-faire des plus anciens ? Comment faire pour mieux coordonner les formations internes de la SNSM avec les formations d’autres organismes, notamment celles de l’École nationale supérieure maritime, qui constitue un grand vivier de bénévoles pour la SNSM ? Enfin, comment sensibiliser – il me semble qu’il s’agit d’un enjeu majeur – les jeunes au bénévolat de la SNSM ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, nous avons effectivement déjà eu l’occasion de parler de formation ce soir, notamment lorsque j’ai répondu aux questions de M. le sénateur Vaugrenard et de Mme la sénatrice Estrosi Sassone.

Je veux simplement rappeler que le Gouvernement, en lien avec la SNSM, a engagé un plan d’action dont l’un des aspects fondamentaux est la reconnaissance de l’engagement des sauveteurs et le renforcement de la condition de bénévole.

Comme j’ai pu le dire, nous souhaitons développer l’offre de proximité. Nous travaillons d’ores et déjà à la valorisation des compétences et à la création du label que j’ai déjà cité. Par ailleurs, pour faire suite à une suggestion de l’un de vos collègues, nous travaillerons en lien avec les lycées maritimes pour enrichir l’offre de formation qui pourra être mise en œuvre avec la SNSM.

Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.

Mme Agnès Canayer. N’oublions pas, évidemment, l’accident tragique survenu en juin 2019 aux Sables-d’Olonne. Il est urgent que chacun prenne ses responsabilités, notamment le Gouvernement, pour favoriser une meilleure connaissance des besoins des stations et des postes, pour améliorer la formation, pour agir au plus près du terrain en intégrant, par exemple, tous ceux qui agissent toute l’année sans aucune contrepartie financière, notamment dans la réforme de la gouvernance, comme le propose le rapport de Didier Mandelli et, enfin, pour encourager ce noble choix des héros du quotidien.

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson.

M. Max Brisson. Posant la dernière question, je vais me rapprocher de la plage et, ainsi, faire exactement ce que j’interdisais à mes étudiants, c’est-à-dire du hors sujet ! Compte tenu de la gravité de la question, je prie d’avance nos collègues vendéens, qui sont à l’origine de la création de la mission commune d’information, ainsi que tous ceux qui se sont impliqués, de bien vouloir m’en excuser.

Notre débat est centré sur le secours en mer au-delà de la bande des 300 mètres, ce qui était primordial après le drame des Sables-d’Olonne.

Je vais, quant à moi, saisir l’occasion de cet échange pour vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur la situation des sauveteurs côtiers qui interviennent, sous la responsabilité des maires, dans la bande des 300 mètres du littoral. Leur formation, de plus en plus technique, est assurée pour l’essentiel par la SNSM, les SDIS (services départementaux d’incendie et de secours) et les associations locales affiliées à la Fédération française de sauvetage et de secourisme. Elle repose largement sur le bénévolat.

Afin de mieux l’organiser, l’État a validé un nouveau diplôme de sauveteur secouriste aquatique en milieu naturel. Sa généralisation a cependant été différée face aux difficultés des communes, confrontées à la pénurie du recrutement.

De plus, le brevet national de sécurité et sauvetage aquatique (BNSSA), dont les sessions d’examen étaient jusqu’alors organisées par les services de l’État, est depuis le 1er janvier sous la responsabilité des associations agréées de sécurité civile, qui sont elles-mêmes déjà chargées de la formation des candidats.

Si ces réformes vont dans le sens de la responsabilisation et de la valorisation des bénévoles des associations, celles-ci hésitent à s’engager dans ces nouveaux processus de formation et d’habilitation, parce qu’elles ne comprennent pas l’articulation entre le BNSSA et le diplôme de sauveteur secouriste aquatique en milieu naturel.

Monsieur le secrétaire d’État, ne serait-il pas nécessaire d’accélérer la réforme du BNSSA, dont le contenu est peu adapté aux besoins réels de formation des sauveteurs côtiers, et d’en faire un diplôme de sauveteur secouriste aquatique en milieu artificiel, de préciser le rôle du diplôme de sauveteur secouriste aquatique en milieu naturel en l’inscrivant dans le code général des collectivités locales et le code du sport ? Bref, n’est-il pas urgent de clarifier l’adéquation entre diplômes et compétences requises en fonction des milieux d’exercice ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous avez rappelé que, durant la saison estivale, les nageurs sauveteurs employés et rémunérés par les communes sont déployés dans plus de 260 postes de secours, ce qui permet d’assurer la surveillance de plus d’un tiers des plages métropolitaines.

La participation à cette mission de surveillance et de sauvetage implique, pour les nageurs sauveteurs, de suivre une formation de haut niveau, dispensée dans les trente-deux centres de formation et d’intervention de la SNSM, qui couvrent l’ensemble du territoire et fonctionnent grâce à l’implication des instructeurs bénévoles. Ces derniers consacrent chaque année plusieurs dizaines de journées d’engagement bénévole au service de la qualification des jeunes nageurs sauveteurs.

Les stages de formation suivent des référentiels qui sont définis à la fois par l’État pour la formation aux premiers secours, le brevet national de sécurité et sauvetage aquatique, le BNSSA, et le permis côtier, et par la SNSM. Même si des évolutions peuvent être envisagées, je crois que, aujourd’hui, ils sont cohérents les uns par rapport aux autres.

Et fort de cette formation de qualité, les nageurs sauveteurs de la SNSM forment un vivier de recrutement de choix pour les maires des communes littorales. Ils sont progressivement devenus des acteurs incontournables pour l’exercice des missions de surveillance et de sauvetage des plages.

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.

M. Max Brisson. Monsieur le secrétaire d’État, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Je crois que le BNSSA n’est pas vraiment adapté aux sauveteurs côtiers, en particulier ceux qui interviennent sur les côtes de l’océan Atlantique. Le nouveau diplôme de sauveteur secouriste aquatique en milieu naturel l’est davantage.

Je pense qu’il faut clarifier les choses : l’un des diplômes est davantage adapté au sauvetage et à la surveillance des milieux artificiels, l’autre à ceux des milieux côtiers, en particulier sur la côte Atlantique.

M. Jean-Paul Émorine. Très bien !

Conclusion du débat

Mme la présidente. Pour clore ce débat, la parole est à Mme la présidente de la mission commune d’information.

Mme Corinne Féret, présidente de la mission commune dinformation sur le sauvetage en mer. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, cher Didier, mes chers collègues, je tiens à vous remercier de votre participation à ce débat. Nous avons abordé un sujet qui nous tient tous à cœur et qui réunit, d’une part, des préoccupations liées à la sécurité des usagers de la mer, aux moyens que nous y consacrons et, d’autre part, des enjeux humains qui touchent à l’engagement total et gratuit de femmes et d’hommes qui méritent notre admiration et notre soutien. Je veux ici leur rendre hommage.

Je tiens aussi à exprimer l’honneur et le réel plaisir que j’ai eus à présider cette mission commune d’information aux côtés du rapporteur Didier Mandelli, et de tous les collègues membres de la mission, qui ont été particulièrement présents et ont largement participé à l’organisation de nos déplacements sur le littoral métropolitain et ultramarin. Comme ce fut le cas dans mon département, le Calvados, où nous nous sommes rendus à la fin du mois d’août, je sais que les sauveteurs que nous avons rencontrés dans les stations et les centres de formation ont été très sensibles au fait que nous venions les entendre sur les lieux mêmes où ils exercent leur mission.

Je pense que nous avons rempli notre mission.

Nous avons en effet libéré la parole des bénévoles que nous sommes allés voir prioritairement, avant de recevoir les acteurs institutionnels. Nous avons également abordé publiquement certains sujets relatifs au fonctionnement, aux circuits administratifs et financiers de la SNSM, qui n’étaient pas réellement traités dans les précédents rapports administratifs.

En exposant certains travers du système actuel, souvent méconnus de nos concitoyens, comme le poids excessif qui pèse sur les bénévoles des stations pour le financement de leur matériel, nous n’avons pas menacé l’organisation du sauvetage en mer. Bien au contraire, nous pensons aider à sa pérennisation sur des bases plus saines et adaptées à notre temps.

Aussi, et c’est à souligner, notre mission commune d’information a travaillé rapidement et rendu ses conclusions trois mois et demi après sa constitution. Nous voulions être en mesure de présenter notre constat et nos propositions avant le rendez-vous annuel qui détermine la politique nationale dans le domaine maritime, et de contribuer ainsi à la définition des orientations. Nous aurions aimé échanger avec le Gouvernement avant la remise du rapport, mais notre invitation à entendre la ministre chargée du dossier ne s’est pas concrétisée, n’ayant pas été acceptée.

Le comité interministériel de la mer (CIMer) s’est réuni le 19 décembre dernier, quelques jours après le discours du Président de la République aux assises de l’économie de la mer de Montpellier. À cette occasion, le Gouvernement a dressé un constat que nous partageons : les bénévoles souhaitent être mieux reconnus, mieux accompagnés et mieux protégés. La trajectoire financière doit être stabilisée et la gouvernance rénovée.

Trois mesures ont été actées dans ce cadre. La première consiste à accompagner la pérennisation du modèle économique de l’association en portant à 10,5 millions d’euros le soutien financier de l’État. Si cette mesure a trouvé sa concrétisation dans la loi de finances, nos collègues en ont montré les limites : l’abondement s’opère en effet par transfert de crédits et son affectation aux besoins réels et urgents des sauveteurs en mer n’est pas garantie. Cela étant, j’ai entendu vos propos, monsieur le secrétaire d’État, et ne veux pas les mettre en doute.

La deuxième mesure est l’attribution de la qualité de pupille de la Nation aux enfants de sauveteurs en mer péris lors d’opérations de sauvetage, avec effet rétroactif. Cette disposition a fait l’objet d’une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale le 12 décembre dernier et transmise le même jour à notre assemblée. Il s’agit effectivement d’une bonne mesure, mais elle est loin de satisfaire toutes les justes demandes des bénévoles. Elle ne saurait bien entendu à elle seule résumer ce qui est attendu au titre de l’amélioration et de la clarification de la condition de bénévole.

La troisième mesure nous intéresse encore plus, car elle se rapproche de notre préoccupation centrale dans ce dossier, à savoir la gouvernance de la SNSM. Il s’agit de définir et d’entériner un plan d’action partenarial entre l’État, la SNSM et d’autres acteurs, tels que les collectivités locales ou les financeurs à l’horizon de 2020.

Le rapporteur a présenté les nombreuses propositions de la mission sur ce sujet. Elles concernent l’organisation interne de la SNSM, qui est bien sûr une association, mais qui pourrait entendre les messages réformateurs que lui adresserait le Gouvernement. Elles concernent plus largement tout l’environnement institutionnel et social autour du sauvetage en mer : les relations avec les collectivités, la sensibilisation des usagers de la mer, et pas seulement des plaisanciers.

Dans leurs interventions, nos collègues ont également insisté sur certains aspects qui devraient figurer dans ce plan d’action partenarial comme le financement, la formation ou la reconnaissance des actions des bénévoles.

Enfin, monsieur le secrétaire d’État, vous comprendrez que nous sommes restés sur notre faim avec le CIMer 2019 et que nous attendons les mesures concrètes que vous pourrez mettre en œuvre dans le cadre d’une contractualisation avec la SNSM.

Même si la mission commune d’information a rendu son rapport, nous ne considérons pas, du côté du Sénat, que le sujet soit clos. Nous sommes tout à fait disposés, si vous le souhaitez, à participer à la définition de nouvelles règles de fonctionnement sur la base de davantage de décentralisation et de démocratie dans les procédures de décision. Dans tous les cas, nous reviendrons sur le sujet dans quelques mois pour mesurer les progrès réalisés auprès des stations de sauvetage situées dans nos départements. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information Sauvetage en mer : replacer les bénévoles au cœur de la décision.

7

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 8 janvier 2020 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement

À seize heures trente :

Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, pour dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap, présentée par Mme Annick Billon et plusieurs de ses collègues (texte n° 150, 2019-2020) ;

Débat sur le thème « La laïcité, garante de l’unité nationale ».

À vingt et une heures trente :

Débat sur le thème « La pédopsychiatrie en France ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-deux heures cinquante.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

ÉTIENNE BOULENGER

Chef de publication