M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.

M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au côté de la chapelle du cimetière de Colleville-sur-mer, où reposent 10 000 jeunes Américains tombés pour libérer la France et l’Europe de la barbarie, on peut lire l’inscription suivante : « Leurs tombes sont le symbole éternel de leur héroïsme et de leur sacrifice à la cause commune de l’humanité. »

La relation transatlantique, qui est à la genèse de l’OTAN, est ancienne. La fraternité d’armes entre la France et les États-Unis remonte à leur indépendance, au XVIIIsiècle, fraternité jamais démentie et ô combien renouvelée au cours de la Première et de la Seconde Guerres mondiales. Mais, comme le rappelle de façon touchante et juste l’inscription que j’évoquais, notre combat commun est plus qu’un engagement militaire : c’est un combat pour des valeurs communes.

La primauté du droit sur la force ; la défense de la liberté des individus et des peuples ; le respect de la personne humaine : l’OTAN a été construite sur ces valeurs, au-delà de la solidarité totale entre les alliés si l’un d’entre eux était attaqué.

Bref, l’OTAN est autant un outil militaire qu’un concept politique, celui d’une communauté de pays ayant des visions du monde convergentes.

La France n’a pas dit autre chose lors du sommet de Londres. Certes, l’intervention du Président de la République a été particulièrement vive, mais elle était nécessaire. Ces derniers temps, l’OTAN paraissait s’être réduite à une structure logistique et comptable, où l’apport de chacun n’était mesuré qu’en termes de dépenses d’équipement, en particulier si ces dépenses permettaient d’acheter du matériel au principal contributeur, dans un partenariat qui semblait devenir toujours plus commercial.

Depuis l’effondrement du rideau de fer, l’horizon politique et géostratégique de l’OTAN s’est brouillé. Pourtant, c’est sur l’Alliance atlantique que la sécurité de l’Europe repose aujourd’hui. Mais pour qu’elle garde tout son sens, il faut qu’elle intègre les menaces d’aujourd’hui.

La première question, qui, en réalité, n’est plus pensée depuis la chute du mur de Berlin, est celle de l’architecture globale de sécurité en Europe. Pour la traiter, il faudra parler avec la Russie, avec bien sûr la fermeté nécessaire et sans naïveté, mais sans dogmatisme, comme nous le faisons au Sénat. Les Européens doivent être parties prenantes à cette architecture, qui peut d’autant moins se limiter à un dialogue entre les États-Unis et la Russie que les États-Unis n’entendent plus assumer la même part dans la défense de notre continent.

C’est pourquoi il faudra que le rôle des Européens dans leur propre défense soit au cœur des travaux du groupe de réflexion mis en place au sein de l’OTAN après le sommet de Londres. L’Alliance atlantique sera forte si elle repose sur deux piliers forts, un de chaque côté de l’Atlantique. C’est ce que nous devons faire pleinement accepter à nos amis Américains. C’est aussi ce que nous devons faire comprendre, parfois, à nos amis Européens.

Le deuxième axe de réforme de l’OTAN tient à l’analyse des menaces. Aujourd’hui, les pays européens sont menacés par le terrorisme ; la France vient une nouvelle fois de payer le prix du sang. Pour que l’Alliance soit en mesure de répondre à ce défi, il faut une analyse partagée de la menace. Il est clair que nous n’avons pas la même définition du terrorisme que nos alliés Turcs, par exemple. Le positionnement de la Turquie devra donc être clarifié sur cette question, mais aussi sur les relations avec les autres alliés, en particulier la Grèce ou Chypre. Il faudra aussi examiner, cela a été dit, les conséquences de l’acquisition de systèmes de missiles S-400 russes par la Turquie, qui soulève tout de même un problème conceptuel.

Sur tous ces sujets, il est indispensable que les pays européens avancent ensemble. Nombre de nos partenaires connaissent des évolutions rapides de leur scène politique : on vote aujourd’hui même au Royaume-Uni ; en Allemagne, l’équilibre de la coalition semble incertain ; en Italie, une nouvelle coalition est au pouvoir… À nous, Européens, de nous adapter à ces changements et de trouver les voies – sans arrogance, du côté français ! – pour avancer ensemble, pas à pas, pour construire, « brique après brique », une véritable défense européenne. Il faudra enfin prêter une écoute et une attention particulières à nos alliés Baltes, d’Europe centrale et orientale, souvent inquiets de notre volonté de rouvrir le dialogue avec la Russie.

Ce travail de refondation de l’OTAN et de réveil stratégique européen peut être salutaire s’il est une étape dans la construction d’une défense européenne renouvelée, reposant sur un pilier transatlantique et sur un pilier proprement européen, reflet de l’autonomie stratégique européenne.

Mes chers collègues, jamais le monde n’a été aussi dangereux, jamais il n’a été aussi instable. La première garantie que nos concitoyens attendent de l’État, c’est la sécurité. Soyez persuadé, monsieur le ministre, que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat sera à vos côtés pour travailler en ce sens. Faisons en sorte d’imaginer ensemble cette nouvelle architecture de sécurité de l’Europe, afin que nous puissions contribuer à la paix pour nous et pour nos enfants. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, Les Indépendants, UC, RDSE et SOCR, ainsi que sur des travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, une semaine après le sommet de Londres, je suis très heureux que le Sénat ait souhaité se saisir de la question du devenir de l’OTAN. Je tiens à remercier M. Pierre Laurent d’avoir pris l’initiative de ce débat. Il fait écho aux questionnements soulevés par le Président de la République en amont du sommet de l’OTAN et au débat stratégique et politique qui s’est engagé sur cette base avec nos alliés de l’Alliance atlantique.

Nous sommes partis d’un constat, auquel nombre des interrogations que vous venez de soulever, les uns et les autres, font écho : l’Alliance se trouve dans une situation de trouble politique. Les manifestations de ce trouble sont claires.

Il y a d’abord un enjeu de confiance sur la force de la relation transatlantique. Le président des États-Unis et son prédécesseur ont fait de l’Asie leur principale priorité stratégique. L’importance politique donnée à la relation transatlantique dans cette nouvelle vision est donc incertaine, même si nous constatons que, curieusement, la présence des forces américaines en Europe a pu augmenter ces dernières années. Par ailleurs, la décision de l’administration américaine, début octobre, d’engager sans consultation préalable un retrait du nord-est syrien, à la suite de l’offensive engagée par la Turquie, a créé un trouble. L’ensemble de ces éléments constitue un changement de nature stratégique, dont il faut tirer les conséquences.

Il y a ensuite un enjeu de solidarité, car l’offensive engagée par la Turquie a visé nos partenaires de la coalition contre Daech. Il n’était pas acceptable que les intérêts des alliés de la coalition puissent être mis en jeu de cette manière, par l’un des membres de l’Alliance, sans que nous ayons pu l’évoquer au préalable.

Il y a, enfin, un enjeu de responsabilité, car nous observons, outre les facteurs que je viens d’évoquer, que l’environnement stratégique dans lequel évoluent les Européens est rendu plus complexe par des menaces et des défis plus nombreux. Il convient, monsieur Cambon le rappelait, de partager l’analyse de ces menaces et de bien les identifier. Les Européens n’agissent pas assez en matière de dépenses de défense ou d’opérations, pour assumer davantage de responsabilités dans le contexte transatlantique que j’ai décrit.

C’est pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, que la France, après l’interpellation faite par le Président de la République, a souhaité engager un débat stratégique sur la situation et les finalités de l’OTAN. Cela répond au refus du statu quo exprimé tout à l’heure par M. Vallini.

Ainsi, lors de la réunion ministérielle du 20 novembre, avant le sommet de Londres, j’avais proposé, avec mon collègue allemand Heiko Maas, que nous engagions une réflexion stratégique, afin que ce sommet du 70e anniversaire donne lieu à un véritable débat de substance et ne soit pas uniquement commémoratif.

Je constate que cette réflexion s’est engagée en amont du sommet et lors du sommet de Londres. Elle s’est incarnée dans des discussions que le Président de la République a eues d’abord avec le président Trump, puis avec le président Erdogan, conjointement avec la Chancelière allemande et le Premier ministre britannique. Elle s’est bien évidemment poursuivie dans le cadre de la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord, qui a rassemblé les chefs d’État et de gouvernement, le 4 décembre.

Ce débat, que nous avons voulu et qui va se poursuivre, doit porter sur trois enjeux fondamentaux liés aux finalités stratégiques qui sont celles de notre Alliance.

Le premier enjeu, c’est la définition des finalités stratégiques de l’Alliance, qui implique, plusieurs d’entre vous l’ont dit, d’avoir une vision partagée des risques et des menaces. En d’autres termes, qui est l’ennemi ? C’est une question que nous devons nous poser, car le contexte stratégique que nous connaissons aujourd’hui n’est plus celui dans lequel s’est formée l’Alliance. Le pacte de Varsovie a été dissous, et il nous faut aboutir à une analyse partagée de la définition des finalités stratégiques.

Le Président de la République l’a rappelé lors de sa conférence de presse finale à Londres, la Russie constitue une menace : c’est une réalité que nous constatons dans le domaine cyber, et elle peut l’être aussi dans son voisinage, comme la crise ukrainienne l’a montré. C’est bien la raison pour laquelle l’Alliance a mis en place une posture de dissuasion et de défense renforcée, à laquelle la France participe pleinement.

Mais la Russie est aussi un voisin sur le plan géographique et un partenaire potentiel. Nous devons donc la traiter comme telle, en assumant un dialogue de confiance et de sécurité avec elle, sans naïveté ni complaisance. C’est le sens de l’initiative en faveur de la restauration d’un climat de confiance prise par le Président de la République lors du sommet de Brégançon avec le président Poutine.

Nous savons par ailleurs que la montée en puissance militaire et technologique de la Chine impose une réflexion stratégique. Toutefois, ce pays n’est pas l’objet désigné de notre défense collective et ce sujet stratégique ne se pense pas dans des termes simplement militaires.

L’ennemi, comme je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, ce sont d’abord les groupes terroristes, que nous devons continuer à combattre sans relâche, au Levant comme au Sahel. Pour cela, il est urgent que nos alliés s’impliquent davantage. Cela ne signifie pas automatiquement que l’OTAN en tant qu’organisation doive prendre des initiatives, mais les alliés qui la composent savent bien que là est l’enjeu de sécurité.

Plusieurs d’entre vous ont évoqué la question du Sahel. Si elle n’est pas au centre de ce débat, elle en relève néanmoins au titre de la définition des menaces principales. Le sommet dit de Barkhane, qui devait se tenir lundi, a été repoussé à la suite des événements tragiques survenus hier soir au Niger, où 71 soldats nigériens ont été tués lors d’une attaque de groupes terroristes. Ce sommet, nécessaire, aura lieu au début de l’année 2020, pour permettre au président Mahamadou Issoufou et aux autorités nigériennes de conduire à Niamey les cérémonies de deuil et les manifestations de solidarité.

Le Président de la République a souhaité une clarification et une remobilisation concernant la question du Sahel. La clarification avec les pays du G5 doit porter sur les trois points suivants : il doit être bien clair que nous poursuivons ensemble, solidairement, le combat contre le terrorisme ; nous devons apprécier de façon nouvelle les modalités de la mobilisation militaire et de la coordination des uns et des autres ; enfin, chacun des pays concernés doit prendre les engagements politiques nécessaires, en particulier pour la mise en place de l’accord de paix au Mali.

L’indispensable remobilisation doit également concerner l’action en faveur du développement, M. Laurent l’a souligné, et l’Europe. Le Haut Représentant de l’Union européenne, Josep Borrell, qui a fait part de sa volonté de faire en sorte que l’Union européenne soit davantage impliquée dans la réponse à ces risques, a été invité au sommet de Barkhane. C’est en effet de la frontière sécuritaire de l’Europe qu’il s’agit. Sera également présent le président de la Commission de l’Union africaine, M. Moussa Faki. L’enjeu de la lutte contre le terrorisme est permanent ; il convenait de le rappeler ici, en saluant la mémoire des soldats tués au combat.

Le deuxième enjeu, c’est la contribution des Européens à l’Alliance atlantique. Chacun le comprend, le temps où l’Europe pouvait confier entièrement à d’autres le soin d’assurer sa sécurité et se reposer sur eux exclusivement est révolu. Ce que nous appelons, en Europe, l’autonomie stratégique, que nous devons renforcer, recouvre en fait une conception élargie du partage du fardeau invoqué par notre allié américain. C’est aussi un partage de la responsabilité.

C’est le sens des initiatives que nous prenons dans le cadre de l’Europe de la défense. La défense européenne n’est pas une alternative à l’OTAN, elle en est un pilier, car il n’y aura pas plus de défense européenne sans OTAN que d’OTAN crédible et soutenable sans renforcement des responsabilités européennes. C’est ce que MM. Vallini et Cambon appellent l’« européanisation » de l’OTAN. Les initiatives que nous avons prises en faveur de la coopération structurée permanente et du Fonds européen de la défense sont toujours soutenues par de nombreux pays européens. Si la présidence finlandaise a souhaité réduire le montant financier prévu initialement pour le Fonds européen de la défense, telle n’est pas la position de la France.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. J’espère bien !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Nous poursuivrons notre combat pour affirmer le pilier européen de l’OTAN.

La contribution de l’Union européenne doit prendre plusieurs formes. Les Européens doivent se saisir des grands sujets stratégiques concernant directement leur sécurité, dont la reconstruction d’un agenda et la mise en œuvre de mesures tendant à la maîtrise des armements. Il faut, sur ce sujet, reconstruire un cadre de droit et appliquer des mesures de transparence pour limiter les risques d’escalade involontaire et fixer des contraintes sur les capacités de nos adversaires potentiels.

Pierre Laurent a rappelé les accords d’Helsinki. Nous célébrerons, en novembre 2020, les trente ans de la charte de Paris pour une nouvelle Europe, qui reprenait les dix principes des accords d’Helsinki de 1975. À cette occasion, nous souhaitons pouvoir réfléchir ensemble à la sécurité collective des Européens, en essayant de rendre opérationnels dans le contexte actuel les grands principes adoptés à Helsinki. En effet, avec la suppression du traité sur les forces conventionnelles en Europe, la fin du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire et les incertitudes qui pèsent d’ici à 2021 sur le traité New Start de réduction des armes stratégiques, l’Europe risque de devenir le théâtre passif d’une compétition militaire et nucléaire débridée. Il nous faut donc prendre des initiatives à cet égard. J’ai pu m’exprimer longuement sur ce sujet à Prague cette semaine. Il importe que l’Europe puisse intégrer cette nouvelle donne et fasse de cet anniversaire le moment d’une relance de l’architecture européenne de sécurité collective.

Bien évidemment, cette contribution européenne a une dimension financière, qui tient à la poursuite de la remontée en puissance des budgets de défense européens, mais aussi une dimension opérationnelle, car les Européens doivent se montrer plus proactifs et assumer davantage de responsabilités.

Le troisième et dernier enjeu de la refondation stratégique, c’est celui de nos droits et de nos devoirs en tant qu’alliés. Je l’ai souligné précédemment, interviennent ici les enjeux de la confiance, de la solidarité et de la responsabilité. Cela implique notamment, pour les alliés, de mieux se coordonner et de mener davantage de consultations de nature politique. Les discussions avec la Turquie qui ont pu se tenir à Londres ont évidemment porté sur cette nécessaire coordination. Un allié ne peut pas intervenir militairement contre nos partenaires dans le combat contre Daech, alors même que nous luttons conjointement contre les groupes terroristes. Ses stratégies d’acquisition de matériels militaires doivent être cohérentes avec l’interopérabilité militaire entre alliés que nous recherchons. Il ne peut pas empiéter sur la souveraineté de ses alliés ; le Président de la République a marqué sur ce point sa solidarité à l’égard de notre allié grec, à la suite de la signature de l’accord entre le gouvernement libyen et la Turquie, qui suscite des préoccupations fortes et légitimes.

Tel est l’agenda de la réflexion stratégique que nous nous sommes donné et sur lequel les chefs d’État et de gouvernement ont pu échanger lors du sommet de Londres.

À l’issue de ce sommet, je constate que nous avons obtenu des résultats significatifs.

D’abord, je le répète, la réflexion stratégique est engagée. Elle se poursuivra dans les mois qui viennent sous l’égide du secrétaire général de l’OTAN. Un groupe d’experts de haut niveau sera constitué pour réfléchir à la manière dont l’Alliance doit se saisir des trois thèmes principaux que j’ai évoqués. Ce travail permettra d’aboutir à un mandat, qui sera proposé par les ministres des affaires étrangères au printemps de 2020, puis à des propositions concrètes.

Ensuite, nous avons rappelé clairement la solidarité de la France à l’égard de nos alliés de l’OTAN. Le Président de la République a réaffirmé le sens de l’article 5 du traité. L’OTAN l’a fait jouer, je le rappelle, une seule fois, après les attentats de 2001 aux États-Unis. Nous avions alors considéré que ce pays était victime d’une agression et nous avions été au rendez-vous. Nous continuons à dire que le respect de cet engagement mutuel est une priorité intangible.

Concernant la Russie, nous avons rappelé, lors du sommet de Londres, qu’il était indispensable de rechercher un équilibre entre la posture de défense et de dissuasion de l’Alliance et le dialogue solide et exigeant qu’il faut avoir avec Moscou, l’un n’allant pas sans l’autre.

Ce dialogue doit permettre de défendre les intérêts de tous les Européens, sans négliger les intérêts de sécurité de nos partenaires, car ce sont aussi les nôtres.

Ce dialogue doit permettre d’avancer sur un dossier comme celui de l’Ukraine. Nous l’avons vu lundi dernier, avec la tenue à Paris d’un nouveau sommet au format Normandie sur le conflit dans le Donbass, le premier depuis trois ans. Ce sommet a permis de trouver des points d’accord sur différents sujets, notamment humanitaires – échanges de prisonniers, cessez-le-feu et déminage –, et a marqué un réengagement clair en faveur du rétablissement de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Un nouveau rendez-vous a été fixé dans quatre mois pour évoquer l’ensemble de ces sujets.

S’agissant de notre relation avec la Turquie, les discussions que nous avons eues ont permis des clarifications. Sur la question du terrorisme, nous n’accepterons pas que notre partenaire, le PYD, avec qui nous continuons le combat contre Daech dans le nord-est syrien, soit qualifié d’organisation terroriste. Nous avons nettement affirmé nos divergences sur un certain nombre de sujets, mais il faut poursuivre notre dialogue avec ce pays sur la question syrienne, ainsi que sur la question libyenne, notamment dans le format nouveau mis en place à Londres, associant la Turquie, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France. Le mouvement est lancé, puisqu’une réunion de suivi des échanges qui se sont déroulés à Londres aura lieu à Istanbul au mois de février prochain.

Ce réengagement du dialogue doit aussi permettre de lever, à l’avenir, l’ambiguïté concernant la compatibilité des systèmes de missiles S-400 acquis par la Turquie auprès de la Russie avec les capacités des autres alliés de l’OTAN. Cette compatibilité est bien évidemment un atout et l’une des forces de l’Alliance.

Enfin, je crois que notre message sur la nécessité, pour les Européens, d’être plus responsables et plus capables au sein d’une alliance refondée et rééquilibrée, a pu être exprimé avec force et sans aucune ambiguïté.

Voilà, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la contribution que je voulais apporter au débat dont vous avez pris l’initiative. Nous sommes au début de cette réorientation stratégique, et nous aurons l’occasion, au cours des semaines à venir, de prolonger cette discussion. Ce débat doit permettre d’aboutir à des adaptations et à des réorientations ; je suis convaincu que le dialogue que nous avons entre nous contribuera à ce que la France tienne toute sa place dans cette affaire majeure. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, SOCR, RDSE, UC et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la situation et le rôle de l’OTAN et sur la place de la France en son sein.

4

Adoption des conclusions de la conférence des présidents

M. le président. Je n’ai été saisi d’aucune observation sur les conclusions de la conférence des présidents. Elles sont donc adoptées.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à midi, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

5

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale
Discussion générale (suite)

Résilience alimentaire des territoires et sécurité nationale

Rejet d’une proposition de résolution

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de résolution sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mme Françoise Laborde et plusieurs de ses collègues (proposition n° 588, 2018-2019).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Laborde, auteure de la proposition de résolution.

Mme Françoise Laborde, auteure de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet de la résilience alimentaire n’est pas nouveau : sans en constituer le thème en tant que tel, il est déjà abordé dans plusieurs rapports sénatoriaux. Il existe de nombreux signaux qui se recoupent et qui m’ont incitée à vous présenter aujourd’hui cette proposition de résolution.

Les mesures préconisées dans notre texte doivent contribuer au développement d’une stratégie qui assure la résilience alimentaire de nos territoires tout en l’articulant avec la sécurité nationale.

Nos collègues Ronan Dantec et Jean-Yves Roux consacrent une grande partie de leur rapport réalisé dans le cadre des travaux de la délégation sénatoriale à la prospective sur l’urgence de l’adaptation de la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 aux déficits hydriques à venir et à la nécessaire adaptation de nos modes de production agricole.

Quant au rapport sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer dont notre collègue Guillaume Arnell est l’un des auteurs, il montre combien certaines zones peuvent être vulnérables en cas de pénurie alimentaire, cette vulnérabilité se doublant, dans le cas des territoires ultramarins, d’une grande dépendance aux approvisionnements.

La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a, de son côté, remis en 2017 un rapport sur la nécessité de repenser l’aménagement du territoire en cohérence avec les changements climatiques à venir.

Enfin, dans son rapport de 2012 sur le défi alimentaire à l’horizon 2050, Yvon Collin mettait déjà en exergue l’importance de la préparation des pouvoirs publics à la gestion des flux alimentaires, s’agissant notamment des zones les moins bien loties en termes de production.

Par conséquent, nous n’inventons rien ; en regroupant l’ensemble de ces signaux épars, nous retraçons très concrètement les risques de pénuries ou de vulnérabilité de nos systèmes de production et de distribution.

Rassurez-vous, mes chers collègues, je ne suis pas collapsologue (Sourires.) et je n’ai pas sombré dans le pessimisme, mais il est nécessaire de réinvestir le champ de la responsabilité des élus, s’agissant de pourvoir à l’alimentation de nos concitoyens, compétence trop longtemps oubliée en raison de la prospérité de nos sociétés dépendantes du pétrole.

Je tiens à souligner que le texte soumis aujourd’hui à notre assemblée fait écho au travail mené par Stéphane Linou, pionnier du mouvement locavore en France et ancien conseiller général de l’Aude. Depuis près de vingt ans, il conduit une action de sensibilisation des populations, des administrations et des élus à l’alimentation en circuit court et à son intérêt au regard du continuum sécurité-défense. Il a récemment mené une enquête auprès de différentes personnalités et institutions sur les rapports entre ordre public et non-territorialisation de la production et de la consommation alimentaires, dont il a récemment publié les conclusions sous le titre : « Résilience alimentaire et sécurité nationale ». Le résultat de cette étude est édifiant : nous sommes confrontés à un risque réel, mais celui-ci n’a jamais été envisagé en tant que tel, et encore moins évalué.

En effet, alors que, au fil des scandales sanitaires survenus ces dernières années, le « bien manger » s’est imposé comme enjeu de santé publique, un pan entier du sujet n’est jamais évoqué : celui de l’articulation entre l’ordre public et la continuité alimentaire.

Par le passé, garantir les conditions d’une sécurité alimentaire minimale était un pilier de la légitimité politique des élus. Il est vrai que notre modèle agricole a longtemps reposé sur une conception du foncier nourricier, s’appuyant sur un aménagement multifonctionnel du territoire local qui occupait une place stratégique.

Aujourd’hui, production et consommation ne sont plus territorialisées ; même les zones rurales sont dépendantes et vulnérables, « alimentairement malades », car elles aussi sont perfusées par le ballet des camions de la grande distribution.

À l’heure des cyberattaques, du dérèglement climatique, du délitement du lien social et du terrorisme, la production, la distribution et l’approvisionnement alimentaires ne semblent pas suffisamment analysés en termes de risque stratégique.

Il suffit d’une annonce de blocage routier pour que les magasins ou les stations-services soient vidés et deviennent le théâtre d’émeutes, avant même toute pénurie.

Force est de constater un déficit avéré s’agissant de notre capacité à subvenir localement à l’un de nos besoins élémentaires, celui de se nourrir à un niveau suffisant en cas d’événement majeur. Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’il n’existe pas, à ce sujet, de véritable plan de préparation des populations.

Pour l’heure, l’exécutif ne dispose que de réponses ponctuelles d’urgence telles que les plans Orsec, qui ont démontré leur efficacité en cas d’événements exceptionnels, qu’il s’agisse de phénomènes climatiques ou de conflits sociaux. Ces plans, néanmoins, n’offrent pas le recul suffisant en cas de réel changement climatique ou de pénurie due à une crise systémique et s’étendant sur une plus longue période.

C’est pourquoi nous formulons six propositions, assez simples à mettre en place, pour commencer à réorganiser plusieurs secteurs de la production, de l’alimentation et de la préparation des populations.

Il nous faut d’abord définir une réelle stratégie de territorialisation des productions alimentaires. Pour cela, une révision de certains textes de loi serait urgente – je pense notamment à la loi de modernisation de la sécurité civile et à la loi de programmation militaire. Il conviendrait en effet d’ajouter la production alimentaire et le foncier agricole nourricier à la liste des secteurs d’importance vitale pour notre pays.

Autre piste de travail : se doter d’un texte pour protéger, sauver dirais-je même, le foncier agricole, en partenariat avec tous les acteurs de la filière. Un tel texte est attendu avec impatience, tant par les élus que par les agriculteurs eux-mêmes. Un appel a d’ailleurs été signé, le 27 novembre dernier, par de nombreuses collectivités territoriales, associations ou ONG, et surtout par des organisations représentatives du monde agricole telles que la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), la Confédération paysanne, Jeunes agriculteurs, la Coordination rurale et même l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture. Il s’agit d’inscrire l’environnement, les ressources naturelles et le foncier dans une véritable stratégie de solidarité territoriale.

Garantir les conditions d’un niveau minimal de sécurité et d’approvisionnement alimentaires est un devoir pour les autorités. Il y va de leur responsabilité et du lien de confiance qu’elles entretiennent avec la population. Qu’il s’agisse des élus ou des autorités institutionnelles, les instances décisionnelles devraient s’assurer d’être en mesure de garantir l’existence d’une chaîne résiliente allant du foncier agricole jusqu’au consommateur. Ce dernier devrait quant à lui être incité à acheter des produits alimentaires issus de son territoire.

Cette proposition de résolution cosignée par l’ensemble des membres du groupe RDSE vise à nous conduire à nous interroger collectivement sur la souveraineté et la sécurité nationales. Je remercie les nombreux collègues qui ont manifesté leur intérêt pour ce texte, qui permet d’ouvrir un débat et de faire de la pédagogie.

Alors que les pouvoirs publics perdent peu à peu la main sur des infrastructures d’intérêt vital, telles que les plateformes aéroportuaires, ou sur la gestion de l’eau, il est essentiel et urgent de se préoccuper de la résilience alimentaire des territoires, pour des raisons évidentes de sécurité nationale. C’est pourquoi, au nom des membres du groupe RDSE, je vous invite à adopter cette proposition de résolution et vous remercie par avance, mes chers collègues, pour votre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC.)