M. Édouard Philippe, Premier ministre. … et, le cas échéant, à compléter les dispositions nécessaires.

Je tiens cependant, monsieur le président, à faire remarquer que nous connaissons tous le rythme auquel les textes législatifs qui interviennent en la matière doivent être discutés. Les grandes propositions faites à la veille d’un mouvement de grève servent souvent plus à attirer l’attention du public sur un sujet qu’à régler durablement une question juridique délicate. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants.)

financement de la réforme des retraites

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Dallier. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre et concerne, elle aussi, la réforme des retraites.

Monsieur le Premier ministre, vous aviez prévenu hier les députés de votre majorité : il n’y aurait pas d’« annonces magiques » aujourd’hui. Dont acte !

M. le ministre de l’action et des comptes publics répète souvent dans cet hémicycle lors des débats budgétaires qu’il n’y a pas non plus de « chiffres magiques ». Il a bien raison !

Néanmoins, après vous avoir écouté attentivement ce midi, il nous manque encore quelques petits éléments pour comprendre où nous allons exactement.

D’une part, vous allez devoir rééquilibrer le système de retraite actuel, dont le Conseil d’orientation des retraites (COR) nous dit qu’il sera déficitaire, pour une somme comprise entre 10 et 17 milliards d’euros, d’ici à 2025.

D’autre part, vous allez progressivement mettre en place le nouveau système, qui doit accorder des garanties individuelles, notamment aux enseignants, mais aussi des droits nouveaux, tels que les 1 000 euros de pension minimum pour tous.

Nous avons bien compris que le retour à l’équilibre du système actuel serait l’affaire des partenaires sociaux et que l’âge pivot serait fixé à 64 ans d’ici à 2027, et non 2025, mais vous n’avez rien dit, monsieur le Premier ministre, du coût des mesures de transition et des mesures nouvelles ni de la manière dont vous allez les financer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur Dallier, vous m’interrogez sur le rythme auquel nous proposons de basculer dans le régime futur et sur les questions importantes d’équilibrage des systèmes actuel et futur. Cela représente beaucoup de questions et je reconnais qu’elles ne sont pas simples.

Dans le système futur, une fois que tout aura été mis en place, la responsabilité reviendra aux partenaires sociaux et au Parlement. En effet, le système futur, comme c’est d’ailleurs le cas pour le système actuel, sera financé à 75 % par des cotisations sociales et à 25 % par l’impôt. Dès lors, il n’est pas illégitime – c’est même nécessaire, me semble-t-il ! – que, d’une part, les partenaires sociaux soient représentés et jouent un rôle central dans les décisions qui seront prises et que, d’autre part, le Parlement soit pleinement associé à la définition du pilotage de ces opérations.

Il reviendra à la gouvernance future de fixer des règles d’équilibre par périodes de cinq ans. Comme l’a indiqué le haut-commissaire, une telle période de cinq ans permet à la fois de ne pas laisser perdurer un déséquilibre de manière trop durable et de ne pas faire peser l’obligation d’adaptation sur une seule année.

Dans certains pays, l’équilibre est calculé année après année ; je pense notamment à la Suède, où un régime par capitalisation coexiste avec le régime par répartition et où l’ajustement consécutif à un retournement de cycle économique ou à une crise financière est réalisé sur une année – de ce fait, à la suite de la crise de 2008, les pensions des retraités suédois ont baissé : nous ne voulons pas de cela.

Nous voulons que l’équilibre se fasse sur une période de cinq ans pour faire en sorte que les changements de cycle économique soient lissés. Il reviendra à la gouvernance future d’actionner les paramètres qui seront au fond les mêmes qu’aujourd’hui : la durée du travail, le taux de cotisation, le niveau des pensions, etc.

Néanmoins, nous aurons mis en place une « règle d’or » : la valeur du point ne baissera pas, elle devra évoluer à la même vitesse que les salaires, ce qui est une grande garantie pour les retraités de demain.

En ce qui concerne le déséquilibre que nous constatons aujourd’hui, il est lié au système actuel. Il y a trois ans, le COR, organisme parfaitement respectable et respecté, disait qu’à l’horizon de 2025 nous serions à l’équilibre. Depuis, les hypothèses ont changé – je ne me prononce pas sur la façon dont le travail est réalisé, je sais qu’il est bien fait. Quelques mois après l’élection présidentielle, le COR a ainsi estimé que l’équilibre ne serait pas préservé. Lorsque j’ai souhaité que tout soit clairement mis sur la table pour éviter les spéculations et disposer des projections les plus récentes, j’ai demandé au COR d’actualiser ses travaux ; il a alors estimé qu’en fonction d’un certain nombre d’hypothèses, le déséquilibre serait compris entre 7 et 17 milliards d’euros par an en 2025 et qu’il s’accroîtrait ensuite.

Nous devons dire clairement aux Français comment nous allons régler cette question. Cela se fera progressivement, pas en une fois, mais cela devra se faire.

Pour permettre la mise en place du système futur, nous proposons que la trajectoire d’équilibre commence au 1er janvier 2022 et qu’elle aboutisse à l’équilibre du système ancien en 2027. C’est la proposition que j’ai faite. J’ai écouté ceux qui disaient qu’on ne pouvait pas faire commencer des mesures d’équilibre au moment où se tenaient les discussions sur le système universel – c’est probablement la meilleure attitude. Il reviendra à la nouvelle gouvernance de définir cette trajectoire et les mécanismes qui permettront de la garantir.

J’ai néanmoins ajouté qu’il ne pouvait pas être question pour moi de renoncer à mes responsabilités. C’est pourquoi, si les partenaires sociaux ne se mettent pas d’accord sur cette trajectoire, le Gouvernement assumera ses responsabilités. Par conséquent, la loi-cadre qui, je l’espère, sera examinée durant le premier trimestre de 2020 à l’Assemblée nationale, puis durant le deuxième trimestre au Sénat, comportera des mesures qui s’appliqueront par défaut, dans le cas où la nouvelle gouvernance n’arriverait pas à définir les conditions d’un retour à l’équilibre. Cela passera par une incitation, pas par une obligation, à travailler progressivement un peu plus longtemps.

Autrement dit, monsieur le sénateur, les choses sont claires et annoncées, nous ne nous payons pas de mots et nous assumons nos responsabilités. C’est à ce prix que nous pourrons construire un système universel équitable et responsable. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour la réplique.

M. Philippe Dallier. Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, mais vous n’avez pas répondu à ma question !

J’ai bien compris que les partenaires sociaux devraient trouver le chemin, mais certains éléments découleront bien d’une décision de l’État.

Par exemple, combien va coûter l’augmentation des traitements des enseignants que vous allez devoir mettre en œuvre pour leur permettre de bénéficier à terme d’un même niveau de retraite ?

M. Bruno Retailleau. Dix milliards !

M. Philippe Dallier. Cette mesure va bien évidemment peser sur le budget de l’État, et cela de manière progressive ; je crois que le Président de la République avait parlé il y a quelques mois…

M. Philippe Dallier. … d’un montant de 10 milliards d’euros.

Qu’en est-il ? Combien va coûter la mesure qui garantira une pension minimale de 1 000 euros pour tous ? Qui va assumer ce coût ? Ce sont les questions que je vous ai posées.

Le Gouvernement a déjà abandonné l’objectif d’un retour à l’équilibre des comptes publics en 2022. Alors, où allons-nous dans les cinq ans qui suivent ? J’espère que, d’ici au débat qui devrait avoir lieu au Parlement à partir du début de l’année prochaine, nous serons parfaitement éclairés sur ces questions. Voter une loi-cadre, c’est bien, mais ne pas pouvoir en mesurer les conséquences ne me paraît pas acceptable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

différend franco-américain sur la taxation des géants du numérique

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous propose de parler d’un autre sujet : le commerce international.

En octobre dernier, le président Trump a annoncé plus de 7 milliards de dollars de taxes punitives sur les produits européens. Cette annonce intervenait après le feu vert de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’institution ayant évalué les dommages pour les États-Unis du fait des subventions accordées à Airbus par l’Union européenne. Il s’agissait de la plus lourde sanction jamais imposée par l’OMC, mais les Européens ont dénoncé de leur côté plus de 19 milliards de dollars de subventions octroyées à Boeing par le gouvernement américain. Le montant des sanctions que l’Europe pourra imposer aux importations américaines sera connu au début de 2020.

Aujourd’hui, c’est la taxe GAFA qui fait planer un nouveau risque sur les produits français – le montant des sanctions douanières pourrait s’élever à plus de 2 milliards d’euros.

Monsieur le ministre, où va nous mener cette escalade de sanctions ? Il y a quelques semaines, vous avez déclaré que nous serions prêts, avec nos partenaires européens, à y répondre de façon ferme.

Ces taxations punitives à répétition risquent d’affecter durablement l’économie mondiale et mettent déjà en difficulté un grand nombre des entreprises françaises. Les producteurs de vins français estiment le préjudice à plus de 250 millions d’euros par an et ils craignent un effondrement global de leur activité : d’abord des pertes de ventes, puis, plus grave, des pertes de marché par déréférencement. Ils expliquent que les sanctions ont été prononcées sur des marchés pour lesquels les États-Unis ont déjà des produits de remplacement.

Nous savons bien pourtant que ces sanctions sont souvent à double tranchant, même pour les États-Unis. Par exemple, les chaînes de production des deux constructeurs aériens sont complètement mondialisées et les sous-traitants présents dans tous les pays.

Monsieur le ministre, que répondez-vous aux professionnels qui font aujourd’hui les frais de ces dissensions et appellent les autorités françaises et européennes à négocier des solutions ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Madame la sénatrice, la seule négociation qui vaille, c’est celle de l’OCDE qui nous permettra de fixer une taxation internationale des géants du numérique acceptée par tous les pays de la planète. Aujourd’hui, la France, la Russie – j’y étais hier – et l’ensemble des pays européens sont prêts à accepter la solution internationale qui sera trouvée à l’OCDE. Les États-Unis y sont-ils prêts ?

Pour le coup, jamais nous ne renoncerons à ce que les géants du numérique, qu’ils soient américains, européens, chinois ou autres, soient taxés de manière juste. Aujourd’hui, ils réalisent des milliards d’euros de profits sur le territoire français et européen, tout en payant des impôts dérisoires parce qu’ils n’ont pas de présence physique. C’est une question de justice et d’efficacité fiscales.

Je le dis très clairement, il n’est pas question pour la France de se coucher devant qui que ce soit ! Nous défendons une proposition juste et nécessaire pour mettre en place une fiscalité internationale du XXIsiècle.

La taxe française qui a été adoptée est aujourd’hui mise en œuvre. Existe-t-il une meilleure solution ? Oui, c’est celle qui est négociée au sein de l’OCDE. Nous avons accepté ce processus. Il revient maintenant aux États-Unis de nous dire s’ils sont prêts ou non à accepter cette solution internationale qui serait de loin la plus efficace.

Si jamais nous n’arrivons pas à une solution au sein de l’OCDE, nous travaillerons avec la Commission européenne – je le fais déjà avec le nouveau commissaire européen Paolo Gentiloni – à une nouvelle solution européenne de taxation des géants du numérique.

Quant aux sanctions, elles sont inacceptables.

Elles le sont en droit : la taxe française n’est aucunement discriminatoire, puisqu’elle touche toutes les entreprises aussi bien les européennes que les américaines ou les chinoises.

Elles le sont aussi parce que les États-Unis sont des alliés et que l’on ne se comporte pas ainsi entre alliés !

Elles le sont, enfin, parce que l’économie mondiale a besoin d’autre chose que d’un cycle de sanctions et de ripostes qui pèsent nécessairement sur la croissance internationale et les emplois, que ce soit en Europe bien sûr, mais aussi aux États-Unis.

J’invite donc les États-Unis à tenir la parole qu’ils ont donnée à la France, en août, en marge du G7, à revenir à la table des négociations à l’OCDE et à accepter cette solution internationale de taxation des géants du numérique. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.

Mme Anne-Catherine Loisier. Nous sommes bien d’accord, monsieur le ministre : ces sanctions sont inacceptables. Pour autant, elles existent ! Aujourd’hui, alors que l’économie mondiale oscille entre taxations punitives et exonérations de droits dans les traités de libre-échange, la vraie question porte sur la régulation du commerce mondial. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

réforme des retraites (iv)

M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. Martin Lévrier. Ma question s’adresse à M. le haut-commissaire aux retraites.

Aujourd’hui, à 50 ans, si l’on a changé plusieurs fois de métier, vouloir connaître le montant de sa pension s’apparente à du masochisme. À 40 ans, si l’on a subi une carrière difficile, précaire ou hachée, tenter d’estimer sa pension invite à une dépression certaine. À 30 ans, imaginer sa retraite s’apparente plus au fantasme qu’au rêve. Être une femme, c’est avoir la certitude d’une pension de retraite inférieure de 42 % à celle d’un homme.

Mme Laurence Cohen. Et vous allez changer ça ?

M. Martin Lévrier. Notre système, fondé il y a plus de soixante-dix ans, est devenu au fil des réformes une jungle qui provoque l’anxiété et qui oppose les Français les uns aux autres plus qu’il ne les unit. En retrouver l’ADN ne pouvait plus passer par des réformes paramétriques.

Monsieur le haut-commissaire, depuis deux ans, vous avez réalisé une large concertation, dont l’organisation a été louée par les partenaires sociaux, puis plus récemment par les Français que vous avez rencontrés au fil des réunions organisées dans l’ensemble du pays. Tout ce travail a permis au Premier ministre et au Gouvernement de proposer un nouveau cadre qui va refonder tout notre système.

Il s’organise autour de quatre piliers : l’universalité au travers d’un système unique de cotisation par points ; l’équité, car chaque euro travaillé donnera les mêmes droits à chacun ; la gouvernance ouverte qui garantit la prise en compte de tous, la stabilité à long terme et la certitude que la valeur du point et les pensions progresseront ; la solidarité par la suppression des 42 caisses, la confortation de notre régime de répartition et la protection des familles et des plus fragiles.

Parce que la solidarité est le ciment de la réforme, et alors que depuis plusieurs semaines fake news et simulateurs bidon font florès (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.), quels sont, monsieur le haut-commissaire, les points saillants de vos propositions qui démontrent que cette refondation s’adresse aussi aux plus fragiles et garantit ce véritable esprit de solidarité ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. le haut-commissaire aux retraites.

M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Lévrier, vous avez raison d’indiquer qu’aujourd’hui comprendre sa retraite, alors que les parcours professionnels sont divers, est compliqué. Je recevais lundi l’ensemble des partenaires sociaux et nous faisions notamment le point sur le résultat des plateformes citoyennes. Nous avons été très frappés du soutien important qui existe en faveur de la mise en place d’un régime universel – cela ne veut pas dire un régime unique, mais l’application des mêmes règles à tous.

Ce midi, au Conseil économique, social et environnemental, M. le Premier ministre a rappelé à quel point nos concitoyens étaient attachés à ce qu’il y ait une égalité de traitement : les mêmes règles, les mêmes devoirs pour tous. Cela résonne fortement dans l’opinion. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

Le système par points est très simple : vous percevez des revenus, vous acquérez des points, vous les additionnez et vous avez la liberté de partir. La retraite est donc bien le reflet de votre travail. Pour autant, il existe aussi une très forte demande de solidarité. Nous avons été très frappés de voir que plus les générations sont jeunes, plus elles demandent de la solidarité – c’est un sentiment plus fort pour elles que pour celles qui sont proches de la retraite.

Les propositions faites ce midi par le Premier ministre contiennent de nombreuses et importantes mesures qui renforcent les droits familiaux et ceux des précaires. Pour les femmes, les simulations nous montrent que ces propositions amélioreront la pension moyenne des femmes de 10 % à 20 % pour les générations des années 1980 et 1990. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.) Autre proposition, le minimum contributif qui correspond à une attente profonde du monde agricole et des artisans.

Pour conclure, je dirai que ce projet est plus simple, plus juste, plus solide et plus solidaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

Mme Laurence Cohen. Et plus simple pour les conflits d’intérêts ?

réforme des retraites (v)

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Frédérique Puissat. Ma question s’adresse à M. le haut-commissaire aux retraites.

Une chose est certaine, les régimes de retraite doivent être réformés. Je vous le dis d’autant plus que notre famille politique a assumé des réformes courageuses dans ce domaine.

Il y a eu les réformes Balladur, Fillon, Woerth. Il faut rendre à César ce qui est à César ! Ces réformes ont sauvé de la faillite le régime de retraite de nos compatriotes (Protestations sur les travées du groupe CRCE.), car elles ont eu le courage de toucher à la durée de cotisation, même si cela ne plaît pas à tout le monde dans cet hémicycle…

M. le Premier ministre a tenté ce matin d’éclairer nos concitoyens sur le projet du Gouvernement. Au-delà des grands principes, pas vraiment nouveaux, sur lesquels s’appuyaient ses propos, je voudrais poser cinq questions précises qui restent en suspens.

La première : à quel âge les Français pourront-ils bénéficier d’une pension de réversion ?

La deuxième : que devient, dans cette réforme, la majoration de trimestres dont bénéficient les mères de famille ? Est-elle supprimée ? Que devient la majoration de 10 % par parent pour les familles de trois enfants ?

La troisième : que deviennent les réserves des régimes des salariés du privé ? Vous avez simplement évoqué l’avenir de celles des régimes des professions libérales.

La quatrième : le bonus-malus s’appliquera-t-il dès 2022 ? Et si oui, s’appliquera-t-il aux régimes spéciaux ?

La cinquième : les salariés pourront-ils, comme aujourd’hui, bénéficier d’une reconstitution de carrière complète à 67 ans ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le haut-commissaire aux retraites.

M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Puissat, à questions précises, réponses précises ! (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

Vous avez indiqué qu’un certain nombre de réformes avaient été faites. J’ai déjà eu l’occasion de dire que ces réformes, qu’elles aient été faites par des gouvernements de gauche ou de droite, ont apporté environ 70 milliards d’euros au système, soit en recettes en plus, soit en dépenses en moins, ce qui fait que le régime actuel est à peu près à l’équilibre ou avec un déficit qui se situe autour de 0,4 % du produit intérieur brut.

En revanche, un certain nombre de ces réformes méritent d’être corrigées. Vous évoquez la réforme de M. Balladur : sur les 70 milliards d’euros que j’ai mentionnés, 35 milliards proviennent de la décision d’indexer les salaires « portés au compte » sur l’inflation – cette mesure est passée relativement inaperçue… En pratique, les droits que vous acquérez, par exemple à 25 ans, ne sont revalorisés que selon l’inflation au moment où vous partez en retraite. Cette indexation sur l’inflation est inférieure d’environ un point à l’évolution des prix.

M. Bruno Retailleau. Ce n’est pas la question !

M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire. Je réponds sur la réforme ! Je vous remercie de ne pas m’interrompre.

Nous souhaitons corriger cette réforme qui ne nous paraît pas juste, parce qu’elle a fait perdre 25 % à 30 % de leurs droits aux assurés. Nous allons rectifier cela, en indexant les points acquis sur l’évolution des salaires, ce qui est une avancée considérable, y compris pour la fonction publique.

Vous évoquez la réversion. Il existe actuellement treize systèmes de réversion ! Lorsque nous avons consulté nos concitoyens ainsi que les partenaires sociaux, ils ont tous été favorables à la proposition qui consiste à garantir 70 % des ressources du couple.

M. Bruno Retailleau. À quel âge ?

M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire. Et nous réfléchissons à l’allocation veuvage à partir de 55 ans.

M. le président. Il va falloir conclure ! Je vous accorde quelques secondes pour répondre aux quatre questions restantes…

M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire. En tout cas, c’est une avancée considérable qui reçoit un large assentiment.

Concernant les réserves, la question a été évoquée ce midi par le Premier ministre : elles resteront au sein des régimes qui les ont instituées.

Quant au bonus-malus, nous souhaitons évoquer cette question dans le cadre du dialogue avec les partenaires sociaux. Si des mesures alternatives sont proposées à la mesure d’âge d’équilibre qui pourrait s’appliquer jusqu’en 2027, nous sommes prêts à les entendre. Vous le voyez, nous souhaitons instaurer un contrat de confiance avec les partenaires sociaux ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour la réplique.

Mme Frédérique Puissat. Monsieur le haut-commissaire, j’avais pris mon stylo pour noter les réponses, mais ce n’était pas la peine… Je vous reposerai donc ces questions, par écrit ou par oral, pour tenter d’avoir des réponses plus précises.

M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire. Bien sûr !

Mme Frédérique Puissat. M. Lévrier a parlé des simulateurs mis en place par les syndicats. Heureusement qu’ils l’ont fait, parce que c’est bien ce que tout le monde attend aujourd’hui du Gouvernement ! Chaque Français veut savoir combien de temps il devra cotiser, quand il pourra partir en retraite ou encore combien de temps s’appliquera la « règle d’or ». D’ailleurs, en ce qui concerne cette – désormais fameuse – règle avancée par M. le Premier ministre, il faudra nous expliquer sur quel fondement législatif elle fonctionne… Je ne vois pas très bien quel pourra être son statut. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

contemporanéité des aides personnalisées au logement

M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Viviane Artigalas. Ma question s’adresse à M. le ministre chargé de la ville et du logement.

Monsieur le ministre, ma question porte sur la réforme du calcul des aides personnalisées au logement (APL) que votre gouvernement va mettre en place au 1er janvier prochain. Celles-ci seront désormais calculées « en temps réel » sur la base des ressources du trimestre précédent, et non plus de celles qui auront été perçues deux ans plus tôt.

Vous présentez cette réforme comme une mesure de justice. Or l’économie qu’elle va engendrer – 1,4 milliard d’euros d’après vos estimations – se fera au détriment des familles les plus modestes et des jeunes qui entrent dans la vie active. Une fois de plus, ce sont précisément ceux qui ont le plus besoin de justice sociale qui vont faire les frais de votre politique.

Chacun sait que les jeunes de 18 ans à 24 ans qui démarrent leur vie professionnelle, très souvent avec des emplois précaires, ont les plus grandes difficultés à accéder au logement. Les familles modestes connaissent la même situation, y compris celles où les parents travaillent – la moitié des familles modestes sont dans ce cas. Et c’était précisément le principe des APL : elles permettaient de les soutenir pendant quelque temps encore, même si leur situation évoluait positivement.

Depuis le début du quinquennat, les aides au logement sont la cible de votre gouvernement : baisse de 5 euros, suppression de l’APL accession et, aujourd’hui, réforme du mode de calcul. Depuis 2017, l’impact de ces réformes s’élève déjà à 7 milliards d’euros. Ce sont autant d’atteintes portées au pouvoir d’achat des jeunes actifs et des ménages les plus modestes.

Monsieur le ministre, quelles mesures d’accompagnement avez-vous prévues pour ces personnes qui vont perdre brutalement leurs APL et se retrouver dans les plus grandes difficultés ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la ville et du logement.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur la réforme des APL « en temps réel » et vous me demandez si c’est une réforme de justice.

Je vais vous poser une question très simple : qui peut comprendre que les APL soient accordées en fonction de la situation du bénéficiaire deux ans auparavant ? C’est pourtant la réalité : aujourd’hui, on vous attribue des APL en fonction de qui vous étiez deux ans avant.

Prenez par exemple une mère qui, il y a deux ans, travaillait à temps plein et qui, aujourd’hui, travaille à mi-temps ou qui, il y a deux ans, était en couple et qui, aujourd’hui, est une mère célibataire : aujourd’hui, cette femme ne bénéficie pas du niveau des APL auquel elle aurait droit.

Vous m’interrogez sur le cas particulier des étudiants et des jeunes actifs. Je vais là aussi être très clair.

Pour les étudiants, cela ne change absolument rien. C’est même parfois bénéfique, puisque le système actuel a des aberrations : par exemple, un étudiant salarié peut aujourd’hui percevoir moins d’APL qu’un étudiant qui ne l’est pas.

Pour les jeunes actifs, on ne le dit pas suffisamment, mais le système actuel oblige d’attendre deux ans pour percevoir une aide, si la personne n’en percevait pas, lorsqu’elle était étudiante.